jeudi 4 juillet 2013

Égypte: Coup d’État militaire dans l’insurrection




Difficile de s'enthousiasmer pour la liquidation du Président égyptien Morsi. Morsi avait été imposé par les USA, directement exfiltré de sa prison pour se voir propulsé à la tête des Frères Musulmans et après une élection sur mesure reconnue par la diplomatie américaine.
Même si la masse du peuple c'est clairement exprimée pour chasser ce dirigeant indigne et incapable, même si l'esprit de la Place Tahrir est profondément libertaire, les conditions socio-historiques sont si mauvaises que l’Égypte n'est tout simplement pas viable telle qu'elle est aujourd'hui.
Cette Égypte invivable est le résultat des manœuvres USA-Israël depuis le changement de cap et d'alliance à la fin des années 70 par le pouvoir de Sadate contre son opinion publique. Après des années de confrontations militaires désastreuses avec Israël et de nationalisme pan-arabe teinté de dirigisme sur le modèle de l'URSS la dictature n'avait que changé d'alliance mais toujours pour appliquer des politiques insensées.
Population voulue trop nombreuse, dépendance suicidaire aux importations de céréales étrangères, contrôle policier permanent, oppression des femmes et des minorités, abandon des populations les plus prolétarisées. Comme dans la dictature algérienne l’État subventionne l'alimentation de base et tient le peuple par le ventre dans un esclavage indigne. L'armée est la seule force organisée et si elle n'a pas laissé le souvenir de campagne glorieuses elle dispose de tous les moyens pour écraser dans le sang son propre peuple. La loyauté des soldats n'est pas problématique si l'on sait qu'ils sont les privilégiés du système. 
La répétition dans plusieurs pays arabes d'un scénario ou un dictateur est remplacé rapidement après un soulèvement populaire par un leader Islamiste élu avec le soutient tacite des USA et qui échoue lamentablement et rapidement à gouverner amène à se poser des questions.
Incapacité stratégique à faire remplacer les anciens dictateurs type "Spectacle Concentré" (modèle ex-URSS version militaire pan-arabe) par des régimes plus en accord avec les temps "intégrés" ou plan machiavélique pour éliminer radicalement les modèles politiques dit islamistes  démocratiques comme substitut aux anciens régimes  d'idéologie pan-arabe ?
Dans le premier cas nous aurions la confirmation que l'intrusion des peuples à véritablement surpris la gouvernance mondialisée et qu'elle s'avère incapable de trouver des substituts viables aux dictateurs ancien modèles pour gendarmer les peuple des États Nation qu'elle avait jadis imposé comme modèle au monde entier.

Voici une analyse très enthousiaste qui donne quelques précisions sur l'ambiance en Égypte:

C’est assurément un coup d’État militaire, mais un coup d’État dans la révolution.

Le but de ce coup d’État, en renversant Morsi, n’est pas d’affronter la révolution, la briser mais plutôt la contenir, la freiner, l’empêcher d’aller jusqu’au bout de ce qu’elle porte.
L’armée avait déjà fait la même chose  en février 2011 lorsqu’elle avait lâché Moubarak au moment où il y avait eu des appels à la grève générale et que tout montrait qu’ils commençaient à être suivis. En lâchant l’accessoire, Moubarak, l’armée préservait l’essentiel, la propriété des possédants. Elle recommence aujourd’hui la même chose.

La contestation permanente ne cesse pas en Égypte depuis plus de deux ans, qui s’amplifie depuis décembre 2012 et qui est quasi non stop depuis cette date, avec une extension considérable des conflits sociaux puisque des records historiques mondiaux de grèves et de protestations sociales marquent l’Égypte depuis le début de l’année. Or ces mouvements sociaux ont trouvé une cristallisation politique extraordinaire au travers la campagne Tamarod qui arrivait non seulement à obtenir 22 millions de signatures contre Morsi mais mobiliser des millions et des millions d’Égyptiens dans les rues pour exiger la chute de Morsi. Il n’était pas difficile de comprendre que si la rue faisait tomber Morsi, c’était la porte ouverte à un déferlement de revendications sociales et économiques qui allaient s’attaquer aux riches, aux possédants, à la propriété et donc aussi à l’armée puisque c’est le plus grand des propriétaires en Égypte, aussi bien dans le domaine industriel qu’agricole ou commercial. Il lui fallait éviter cela.

Évidemment elle aurait pu s’en prendre directement au mouvement social et faire front avec les Frères Musulmans et accessoirement le FSN contre la révolution en marche.
Le problème pour elle c’est qu’elle ne le pouvait pas.

Elle avait déjà tenté un coup d’État contre la révolution en juin 2012, fait quelques pas dans ce sens mais avait finalement reculé, devant la mobilisation populaire, qu’elle avait d’autant plus craint à l’époque, qu’après et malgré deux ans de répression féroce (plus de 11’000 condamnations de militants par des tribunaux militaires, des tortures, une répression féroce) le mouvement social était plus vivant que jamais, n’avait pas peur alors et surtout que ses propres soldats paraissaient moins sûrs que jamais. Il y avait eu des révoltes à la base de l’armée et de la police, on avait vu des officiers manifester avec les révolutionnaires. La direction de l’armée avait alors craint que son appareil militaire ne se dissolve dans cette épreuve. C’est pour ça qu’ils avaient finalement confié le pouvoir aux Frères Musulmans qui paraissaient les seuls à avoir un appareil (2 millions d’adhérents) et une idéologie influente, la religion, pour endiguer cette révolution qui ne cessait pas.

Or là, en juin 2013, elle se trouvait dans une situation encore pire.

Les Frères Musulmans ont perdu toute leur influence, le poison religieux ne marche plus ou moins, et le mouvement révolutionnaire était bien plus fort qu’en janvier 2011, infiniment plus nombreux dans les manifestations, sur un fond de luttes sociales bien plus importantes qu’en janvier 2011 et beaucoup plus expérimenté avec de nombreux militants qu’il n’avait pas en 2011. S’opposer au mouvement aurait voulu dire perdre probablement l’armée qui se serait disloquée, seul rempart entre la révolution et la propriété. Car le FSN ne pèse d’aucun poids réel même s’il a fait preuve de bonne volonté contre la révolution plusieurs fois.

L’armée a donc préféré ne pas affronter la révolution, mais tenté d’en détourner le cours, momentanément.

Bien sûr, on peut se demander pourquoi le mouvement révolutionnaire a accepté cette collaboration momentanée de l’armée à leur cause alors qu’ils sont très nombreux à savoir qu’on ne peut pas faire confiance à l’armée pour l’avoir connue, à travers ses prisons, ses tortures et ses mille violences ? Tout simplement parce que si le mouvement est très fort, leur conscience l’est un peu moins, même si elle grandit. Non pas qu’ils ne sachent pas quel peut être le danger d’un coup d’État militaire à ce moment, mais parce qu’ils ne savent tout simplement pas bien encore ce qu’ils veulent et quoi faire, quels objectifs avoir. Il est significatif que ce soient des démocrates, révolutionnaires certes, mais démocrates surtout, qui ne jurent donc que par les bulletins de vote et la démocratie représentative, qui se soient trouvés à la tête de ce mouvement avec le seul objectif d’organiser de nouvelles élections présidentielles mais qui ne veulent en aucun cas se faire les représentants des revendications sociales des plus pauvres, même pas de leur antilibéralisme et encore moins de leur anticapitalisme. La faiblesse du mouvement était donc ses chefs ou plus exactement, sa conscience, ce qu’il a en tête qui fait qu’il ait accepté d’avoir de tels chefs.

Dans cette situation, on verra donc l’armée tenter de reprendre des positions, grignoter à nouveau les libertés, réprimer, comme elle l’avait fait après la chute de Moubarak, mais elle aura beaucoup plus de mal pour le faire qu’il y a deux ans, parce que le mouvement est infiniment plus fort et plus expérimenté, et averti de ce qu’est l’armée. Et que cette dernière n’aura plus à ses côtés son ami/rival qu’est la confrérie des Frères Musulmans pour tromper les gens. Enfin la situation sociale est lamentable, l’économie à deux doigts de s’effondrer et c’est pour cela que la majeure partie des gens étaient dans la rue. Or l’armée n’a pas de réponse et est en plus un grand propriétaire ultra riche, bref la cible de beaucoup des luttes sociales. Et ce n’est pas le FSN s’il est admis au gouvernement qui pourra tromper longtemps les pauvres, n’ayant jamais eu une grande autorité auprès de la population et surtout des plus pauvres.

L’avenir est à la révolution. Et pas qu’en Égypte comme on le voit avec la Turquie, le Brésil… Or c’est peut-être de la convergence de ces mouvements, de leurs encouragements réciproques, qu’ils pourront s’enrichir de ce qu’il y a de meilleur dans chacun d’eux, pour finalement avoir une conscience claire de ce qu’ils veulent, des objectifs qui font de la prochaine révolution une révolution clairement sociale et pas seulement démocratique.
Il y a un nombre considérable de gens place Tahrir et Ittahidiya, mais aussi devant le palais Qubba et devant le siège de la garde présidentielle. Et ça arrive toujours de plus en plus. Y aura-t-il plus de monde que les jours précédents ? C’est bien possible.

Jacques Chastaing

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