Guy Debord : Morceaux Choisis de: «La Société du spectacle»

Guy Debord
«Le droit égal de tous aux biens et aux jouissances de ce monde, la destruction de toute autorité, la négation de tout frein moral, voilà, si l’on descend au fond des choses, la raison d’être de l’insurrection du 18 mars et la charte de la redoutable association qui lui a fourni une armée.»

Enquête parlementaire
sur l’insurrection du 18 mars




Morceaux choisis de: «La Société du spectacle».
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Le défaut dans la théorie de Marx est naturellement le défaut de la lutte révolutionnaire du prolétariat de son époque. La classe ouvrière n’a pas décrété la révolution en permanence dans l’Allemagne de 1848 ; la Commune a été vaincue dans l’isolement. La théorie révolutionnaire ne peut donc pas encore atteindre sa propre existence totale. En être réduit à la défendre et la préciser dans la séparation du travail savant, au British Museum, impliquait une perte dans la théorie même. Ce sont précisément les justifications scientifiques tirées sur l’avenir du développement de la classe ouvrière, et la pratique organisationnelle combinée à ces justifications, qui deviendront des obstacles à la conscience prolétarienne dans un stade plus avancé.

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La révolution prolétarienne est entièrement suspendue à cette nécessité que, pour la première fois, c’est la théorie en tant qu’intelligence de la pratique humaine qui doit être reconnue et vécue par les masses. Elle exige que les ouvriers deviennent dialecticiens et inscrivent leur pensée dans la pratique ; ainsi elle demande aux hommes sans qualité bien plus que la révolution bourgeoise ne demandait aux hommes qualifiés qu’elle déléguait à sa mise en œuvre : car la conscience idéologique partielle édifiée par une partie de la classe bourgeoise avait pour base cette partie centrale de la vie sociale, l’économie, dans laquelle cette classe était déjà au pouvoir. Le développement même de la société de classes jusqu’à l’organisation spectaculaire de la non-vie mène donc le projet révolutionnaire à devenir visiblement ce qu’il était déjà essentiellement.

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La théorie révolutionnaire est maintenant ennemie de toute idéologie révolutionnaire, et elle sait qu’elle l’est.


Quatrième chapitre du livre de Guy Debord, La Société du spectacle (novembre 1967).
Ce chapitre étant «difficile pour qui ne connaît pas l’histoire du mouvement ouvrier», le lecteur se reportera aux notes explicatives rédigées pour l’édition italienne de ce chapitre dans la revue Internazionale situazionista (juillet 1969) — d’où sont tirées les illustrations —, ainsi qu’au relevé des citations et des détournements de «La Société du spectacle».
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Suite a la traduction par la section italienne de l’I.S. de la première partie de l’article de Raoul Vaneigem «Banalités de base», qui avait paru en avril 1962 dans le numéro 7 de la revue Internationale situationniste.

Note sur les erreurs de la présentation du «Vaneigam»
(pages 2-3-5, et dernière page de couverture)

— Le congrès d’Alba se tint en 1956.

— En 1957, il n’y eut pas «una mostra» à Turin, mais la conférence de fondation de l’I.S. à Cosio d’Arroscia, village complètement perdu dans la montagne, sans aucun témoin extérieur.

— Je me trouvais en contact avec Jorn depuis 1955 [Précédé d’un échange épistolaire en novembre 1954.]. Il s’était adressé au bulletin Potlatch que nous éditions alors à Paris. Ces contacts se développèrent en 1956 (mais je n’étais pas au congrès d’Alba).

Je ne crois pas être philosophe, mais il est sûr que je n’ai jamais été «communiste». Voilà la plus déplaisante invention.

I.S. 11 date, bien sûr, de 1967. Toujours l’intention de nous faire passer pour morts depuis longtemps.

— Le siège du mouvement à Strasbourg ! Amusant.

— Le slogan «L’imagination au pouvoir» n’est évidemment pas de nous (mais presque tous les autres en mai, oui). Celui-ci provient de crétins pro-I.S. du «22 mars».

— Il est extravagant de marquer le copyright de l’I.S., alors que nous n’en avons pas ; ce qui serait justement la seule excuse de Fantinel-De Donato quand ils se permettent de nous publier en Italie. Déjà une «traduction» si mauvaise est inacceptable, mais en plus ils se donnent l’air de l’avoir négociée avec nous !

— (Dernière page de couverture.) Ici le congrès d’Alba passe de 1955 à 1957. Il s’agit en fait de la Première Conférence de l’I.S., dont ils ignorent le lieu.

Lettre de Guy Debord
à la section italienne de l’I.S., 27 mai 1969.

Avoir pour but la vérité pratique

E
n essayant de présenter aux nouvelles forces révolutionnaires un modèle de cohérence théorico-pratique, l’I.S. se trouve à chaque instant en mesure et en demeure de sanctionner, par l’exclusion ou la rupture, les manquements, les insuffisances, les compromissions de ceux qui en font — ou reconnaissent en elle — le stade expérimental le plus avancé de leur projet commun. Si la génération insurgée, résolue à fonder une société nouvelle, se montre, au départ de principes premiers et indiscutables, attentive à briser toute tentative de récupération, ce n’est nullement par goût de la pureté mais par simple réflexe d’autodéfense. Venant d’organisations qui préfigurent dans leurs traits essentiels le type d’organisation sociale à venir, la moindre des exigences consiste à ne pas tolérer des gens que le pouvoir s’entend à tolérer parfaitement.
Sous son aspect positif, la réponse «exclusion» et «rupture» pose la question de l’adhésion à l’I.S. et de l’alliance avec les groupes et les individus autonomes. Dans sa définition minimum des organisations révolutionnaires, la Septième Conférence a insisté notamment sur le point suivant : «Une organisation révolutionnaire refuse toute reproduction en elle-même des conditions hiérarchiques du monde dominant. La seule limite de la participation à sa démocratie totale, c’est la reconnaissance et l’auto-appropriation par tous ses membres de la cohérence de sa critique : cette cohérence doit être dans la théorie critique proprement dite, et dans le rapport entre cette théorie et l’activité pratique. Elle critique radicalement toute idéologie en tant que pouvoir séparé des idées et idées du pouvoir séparé.»
La cohérence de la critique et la critique de l’incohérence sont un seul et même mouvement, condamné à se détruire et à se figer en idéologie dès l’instant où la séparation s’introduit entre les différents groupes d’une fédération, entre individus d’une organisation, entre la théorie et la pratique d’un membre de cette organisation. Dans la lutte globale où nous sommes engagés, céder d’un pouce sur le front de la cohérence, c’est laisser la séparation l’emporter sur toute la ligne. Voilà qui incite à la plus grande prudence : à ne jamais tenir notre cohérence pour acquise, à rester lucide sur les dangers qui la menacent dans l’unité fondamentale des conduites individuelles et collectives, à prévenir et à éviter ces dangers.
Qu’une fraction secrète ait pu se former parmi nous, mais aussi qu’elle se soit trouvée rapidement démasquée, indique assez la rigueur et le manque de rigueur dont nous avons fait preuve dans la transparence des rapports inter-subjectits. En d’autres termes, cela signifie que le rayonnement de l’I.S. tient essentiellement en ceci : elle est capable de faire un exemple, à la fois dans le sens négatif, en montrant ses faiblesses et en les corrigeant, et dans le sens positif, en tirant de ses corrections de nouvelles exigences. Nous avons souvent répété qu’il importait de ne pas se tromper sur les personnes ; il faut le prouver sans cesse et accroître du même coup l’impossibilité de se tromper sur nous. Et ce qui vaut pour les personnes vaut également pour les groupes.
On connaît le mot de Socrate à l’un des jeunes gens auxquels il s’adressait : «Parle un peu que je te voie». Nous sommes en mesure d’éviter ce genre de Socrate et ce genre de jeunes gens si le caractère exemplaire de notre activité assure la force d’irradiation de notre présence dans et contre le spectacle dominant. Aux caïds de la récupération et aux minables qui vont s’entendre de conserve pour nous présenter comme un groupe dirigeant, il convient d’opposer l’exemple anti-hiérarchique d’une radicalisation permanente ; ne rien dissimuler de nos expériences, établir par la diffusion de nos méthodes, de nos thèses critiques, de nos procédés d’agitation, la plus grande transparence sur la réalité du projet collectif de libération de la vie quotidienne.
L’I.S. doit agir comme un axe qui, recevant son mouvement des impulsions révolutionnaires du monde entier, précipite, de façon unitaire, la tournure radicale des événements.
À la différence des secteurs retardataires qui s’obstinent à rechercher avant tout l’unité tactique (les Fronts communs, nationaux, populaires), l’I.S. et des organisations autonomes alliées se rencontreront seulement dans la recherche d’une unité organique, considérant que l’unité tactique n’a d’efficacité que là où l’unité organique est possible. Groupe ou individu, il faut que chacun vive à la vitesse de radicalisation des événements afin de les radicaliser à son tour. La cohérence révolutionnaire n’est rien d’autre.

Assurément, nous sommes encore loin d’une telle harmonie de progression, mais nous y sommes engagés tout aussi sûrement. Des premiers principes à leur réalisation, il y a l’histoire des groupes et des individus, qui est aussi celle de leurs retards possibles. Seule la transparence dans la participation réelle arrête la menace qui pèse sur la cohérence : la transformation du retard en séparation. Tout ce qui nous sépare encore de la réalisation du projet situationniste tient à l’hostilité du vieux monde où nous vivons, mais la conscience de ces séparations contient déjà ce qui va les résoudre.
Or, c’est précisément dans la lutte engagée contre les séparations que le retard apparaît à des degrés divers ; c’est là que la non-conscience du retard obscurcit la conscience des séparations, introduit l’incohérence. Quand la conscience pourrit, l’idéologie suinte. On les a vus garder par devers soi, l’un (Kotányi) les résultats de ses analyses, les communiquant au compte-goutte avec la supériorité d’une clepsydre sur le temps, les autres (exclus de la dernière averse), leurs manques à tous égards, faisant le paon bien que la queue n’y soit pas. L’attentisme mystique et l’œcuménisme égalitaire avaient la même odeur. Passez donc, grotesque muscade, saltimbanques des malaises incurables.
La notion de retard appartient au mode ludique, elle rejoint celle de meneur de jeu. De même que la dissimulation du retard, ou la dissimulation d’expériences, recrée la notion de prestige, tend à transformer le meneur de jeu en chef, engendre les conduites stéréotypées, le rôle avec ses séquelles névrotiques, ses attitudes tourmentées, son inhumanité, de même la transparence permet d’entrer dans le projet commun avec l’innocence calculée des joueurs phalanstériens rivalisant entre eux (composite), changeant d’occupation (papillonne), ambitionnant d’atteindre à la radicalité la plus poussée (cabaliste). Mais l’esprit de légèreté passe par l’intelligence des rapports de lourdeur. Il implique la lucidité sur les capacités de chacun.
Des capacités, nous ne voulons rien savoir hors de l’usage révolutionnaire qui s’en peut faire, usage qui prend son sens dans la vie quotidienne. Le problème n’est pas que certains vivent, pensent, baisent, tirent, parlent mieux que d’autres, mais bien qu’aucun camarade ne vive, ne pense, ne baise, ne tire ou ne parle si mal qu’il en vienne à dissimuler ses retards, à jouer les minorités brimées, et à réclamer, au nom même de la plus-value qu’il accorde aux autres par ses propres insuffisances, une démocratie de l’impuissance où il affirmerait évidemment sa maîtrise. En d’autres termes, il faut pour le moins que chaque révolutionnaire ait la passion de défendre ce qu’il a de plus cher : sa volonté de réalisation individuelle, le désir de libérer sa propre vie quotidienne.
Si quelqu’un renonce à engager la totalité de ses capacités — et par conséquent à les développer — dans le combat pour sa créativité, ses rêves, ses passions, de sorte qu’y renonçant il renonce par le fait à lui-même, il s’interdit aussitôt de parler en son nom et, a fortiori au nom d’un groupe qui porte en lui les chances de réalisation de tous les individus. Son goût du sacrifice, son choix de l’inauthentique, l’exclusion ou la rupture ne font que les concrétiser publiquement, avec la logique de la transparence à laquelle il a manqué.
Sur l’adhésion, sur l’alliance, l’exemple de la participation réelle au projet révolutionnaire décide souverainement. La conscience des retards, la lutte contre les séparations, la passion d’atteindre à plus de cohérence, tel est ce qui doit fonder entre nous, comme entre l’I.S. et les groupes autonomes ou les fédérations futures, une confiance objective. Il y a tout lieu d’espérer que nos alliés rivaliseront avec nous dans la radicalisation des conditions révolutionnaires, comme nous attendrons que rivalisent avec les situationnistes ceux qui auront choisi de les rejoindre. Tout permet de supposer qu’à un certain degré d’extension de la conscience révolutionnaire, chaque groupe aura atteint une cohérence telle que la qualité de meneur de jeu de tous les participants et le caractère dérisoire des retards laisseront aux individus le droit de varier dans leurs options et de changer d’organisation selon leurs affinités passionnelles. Mais la prééminence momentanée de l’I.S. est un fait dont il faut aussi tenir compte, une heureuse disgrâce, comme le sourire ambigu du chat-tigre des révolutions invisibles.
Parce que l’Internationale dispose aujourd’hui d’une richesse théorique et pratique qui n’augmente qu’une fois partagée, appropriée et renouvelée par les éléments révolutionnaires (jusqu’à ce que l’I.S. et les groupes autonomes disparaissent à leur tour dans la richesse révolutionnaire), elle se doit d’accueillir seulement ceux qui le désirent en connaissance de cause, c’est-à-dire quiconque a fait la preuve que parlant et agissant pour lui-même, il parle et agit au nom de beaucoup ; soit en créant par sa praxis poétique (tract, émeute, film, agitation, livre) un regroupement des forces subversives, soit en se trouvant seul détenteur de la cohérence dans l’expérience de radicalisation d’un groupe. L’opportunité du passage à l’I.S. devient dès lors une question de tactique à débattre : ou le groupe est assez fort pour céder un des meneurs de jeu, ou son échec est tel que les meneurs de jeu sont seuls à décider, ou le meneur de jeu n’a pas réussi, par suite de circonstances objectives inéluctables, à former un groupe.
Partout où le nouveau prolétariat expérimente son émancipation, l’autonomie dans la cohérence révolutionnaire est le premier pas vers l’autogestion généralisée. La lucidité que nous nous efforçons d’entretenir sur nous-mêmes et sur le monde enseigne qu’il n’y a, dans la pratique de l’organisation, ni précision ni avertissement superflus. Sur la question de la liberté, l’erreur de détail est déjà une vérité d’État.
Raoul Vaneigem
Internationale situationniste no 11, octobre 1967.

Touché par des mains ennemies l’or pur de l’Internationale se transforme en charbon

Nous croyons devoir signaler que des individus et des «organisations» qui n’ont jamais eu aucun rapport avec l’I.S., ni avec aucune forme de pensée critique, se présentent, à des fins diverses, comme «porteurs» de la théorie radicale. Immanquablement, la nature idéologique et récupératrice de chacun de leurs gestes leur ôte un tel droit et les démasque. Il est aussi facile pour eux de chercher à nous abuser qu’il est difficile pour nous de nous abuser sur eux. L’Internationale situationniste doit à elle-même et au projet historique dont elle est l’expression une rigueur totale pour tout ce qui concerne son autodéfense contre toute tentative, d’où qu’elle vienne, de récupération et de dégradation au niveau de la pensée spécialisée. Il est normal que nos ennemis cherchent à nous utiliser partiellement ; en 1964, les situationnistes écrivaient : «Tout comme le prolétariat, nous ne pouvons pas prétendre à être inexploitables dans des conditions données. Ceci doit seulement se faire aux risques et périls des exploiteurs.» Les révolutionnaires ne plaisantent pas sur les questions de calomnie et de mystification, contrairement aux bureaucrates et aux politiques qui règnent grâce à la manipulation des mensonges.
En janvier, quelques individus ont écrit à la section française une lettre de dénonciation particulièrement grossière contre Claudio Pavan, Paolo Salvadori et Gianfranco Sanguinetti, qui les connaissaient bien. Par cette lettre, ils entendaient ébranler, pour prendre leur place, la position de trois membres de l’I.S., en s’imaginant pouvoir compromettre par des mensonges la confiance objective des rapports communs. Mais ils ont commis l’impardonnable légèreté de croire qu’ils ne seraient pas jugés par l’I.S. comme ils l’avaient déjà été par trois de ses membres : leur lettre ne faisait que révéler tous les aspects de leur misère et ne pouvait par conséquent donner lieu à plus de cinq minutes de commentaire entre les autres membres de l’I.S. On a donné, à eux et à leurs intrigues, une réponse précise et définitive.
Ces mêmes personnes, réunies dans la maison d’édition Ed. 912 et dans l’organisation fantôme qui en est le support «politique» (Servizio Internazionale di Collegamento-I.L.S.), ont entrevu la possibilité d’un succès commercial-révolutionnaire dans la diffusion des thèses de l’Internationale situationniste. Jusqu’à présent, ils ont publié deux livres : un recueil d’extraits de l’I.S. (L’estremismo coerente dei situazionisti) et une «édition critique» du texte de Paul Cardan, Capitalisme moderne et révolution. En ce qui concerne le premier, la pauvre fureur extrémiste de l’introduction et de l’appendice ne peut tromper personne ; il ne s’agit que de proclamations vides, dont l’inconsistance théorique est rendue encore plus évidente par les textes auxquels on a eu la maladresse de les accoler. Le deuxième livre, en dehors de l’article «Socialisme ou Planète» (paru dans le numéro 10 de l’I.S.) reproduit en annexe, ne contient rien qu’on puisse définir comme critique : dans leurs ridicules prétentions et dans leur banalité réelle, la «critique» de la pensée de Cardan (on y reconnaît facilement la même veine que celle des trivialités du premier livre) et son objet sont parfaitement homogènes. Quant aux tracts signés par des groupes «radicaux» qui existent encore moins que l’I.L.S., il ne vaut pas la peine de s’en occuper en détail : toutes les manifestations de ces loqueteux sont contenues dans cette unique mystification que constitue leur existence. La seule «aptitude» de ces individus sans aptitudes est de rabaisser à leur niveau tout ce qui l’excède.
Évidemment, le spectre situationniste hante la cervelle de ces individus : mais dans leurs batailles illusoires avec le réel, ils ne font que s’affronter sans cesse aux limites de leur conscience schizophrénique. L’ambition malheureuse qui les pousse à sortir de leur rôle et l’obstination fébrile avec laquelle ils miment la critique révolutionnaire les couvrent de ridicule ; mais ils ont une tâche à accomplir et ils ne prennent pas conscience que s’ils essaient de ressembler aux situationnistes, c’est seulement pour pouvoir en falsifier et en fragmenter l’opposition irréductible. Couverts par le fait que tous les textes de l’I.S. peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés, ils ont lancé leur commerce : ceux qui sont incapables de s’approprier la valeur d’usage de la théorie révolutionnaire ne pourront que la transformer en valeur d’échange. C’est seulement dans une perspective étroitement concurrentielle qu’on peut comprendre pourquoi ces malheureux continuent à nous poursuivre de leur présence importune. Nous n’avons aucune indulgence envers ceux qui cherchent à faire de nos thèses des marchandises pour en revendre au détail un pauvre succédané : la même théorie qu’ils tentent sottement d’utiliser pour leurs propres fins ne peut que se retourner contre eux et les dénoncer pour ce qu’ils sont, rien d’autre que des ennemis. Comme le niveau misérable de ce qu’ils peuvent faire ou dire est déjà un jugement définitif de chacune de leurs initiatives, il est possible que ces individus, sentant manquer sous leurs pieds un terrain qui, du reste, n’a jamais été le leur, adoptent un nouveau déguisement, ou au contraire décident de se montrer à découvert, en abandonnant leurs sigles et en utilisant leurs noms. C’est seulement à cet égard qu’il n’est pas inutile de les communiquer : il s’agit de Sergio Albergoni, Gianni Sassi, Carlo Gaja, Marco Maria Sigiani, Paolo Borro et Antonio Pilati. À ceux-ci s’ajoute un nombre fluctuant d’étudiants et d’imbéciles d’un autre genre, recrutés et regroupés sur des bases sous-léninistes autour du noyau central. L’Internationale situationniste refusera tout rapport avec quiconque se compromettra avec eux. Au moment où leur importunité dépasserait la dimension actuelle du bruit de fond, nous nous trouverions dans l’obligation de recourir à une intervention directe que personne, dans leur entourage, ne pourrait ignorer.
Au mois de janvier, un tract fut diffusé à Trente sous le titre L’ennui est toujours contre-révolutionnaire, signé, entre autres, «Internationale situationniste». Le texte de ce tract est constitué d’un collage de phrases extraites arbitrairement du livre de Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. L’initiative en revient à deux étudiants en sociologie, Pasquale Alferj et Giuseppe Galante : consommateurs passifs de la critique situationniste, ils n’en connaissent que la réception unilatérale et l’utilisation spectaculaire. Le projet d’éblouir leurs camarades d’école par une audace politico-esthétique et de se gagner, devant leurs yeux respectueux de toute nouveauté, on ne sait quel prestige garanti par l’étiquette «I.S.» doit avoir semblé bien alléchant. Le résultat n’exprime que leur impuissance et leurs ambitions dérisoires.
Les spécialistes de l’avant-gardisme qui reproduisent, dans leur pratique «subversive», les conditions aliénées de la communication du monde dominant ; les récupérateurs qui, en faisant passer dans le beau monde un peu de «situationnisme» diffus, ne font que dégrader la pensée critique ; ceux qui choisissent le plaisir douteux de parler en notre nom recourent à la falsification, et montrent par là qu’ils ne peuvent même pas parler en leur nom propre : leur intérêt ambigu et contemplatif ne nous amuse ni ne nous honore.

Dans la première moitié du mois de mai, l’I.S. a rompu tous ses rapports avec Mario Perniola, qui, dans les années passées, avait quelque peu contribué à la diffusion des thèses situationnistes en Italie. Dès que les circonstances réclamèrent l’abandon de sa position de sympathisant, qui lui permettait de maintenir un rôle contemplatif, les réserves et les carences évidemment entretenues et dissimulées jusqu’alors sont devenues manifestes. On a d’abord pu constater sa lenteur de réaction devant les conditions créées par la constitution de la section italienne de l’I.S. — un attentisme persistant qui trouvait son origine dans l’incompréhension presque complète des positions situationnistes ; ensuite, ses déficiences théoriques et pratiques qui rendaient toujours plus illusoire et unilatérale l’affirmation d’un accord total ; et, enfin, conséquence naturelle de tout cela, l’idéologie du dialogue, reflet de la négation idéologique de l’isolement : la recherche de contacts sans discrimination avec n’importe quel groupe ou individu, pourvu qu’il soit «intéressé», et les exigences retardataires d’une réorientation théorique et organisationnelle de l’I.S., maladroitement accompagnées de protestations d’accord total. Perniola, après avoir accumulé une série de gaffes, ce qui, dans le langage de l’impuissance, signifie hostilité, est naturellement passé à l’hostilité ouverte, en effectuant de l’extérieur une série de manœuvres destinées à présenter comme un fait accompli les résultats de son prosélytisme égalitaire et à introduire la séparation dans l’I.S. Précisons que Perniola n’a pas été exclu de l’I.S., parce qu’il ne s’est jamais suffisamment trouvé en accord avec nous pour pouvoir en faire partie auparavant.

Internazionale situazionista no 1, juillet 1969.

Traduit de l’italien («Toccato da mani nemiche l’oro puro dell’Internazionale si tramuta in carbone») par Joël Gayraud & Luc Mercier (Écrits complets de la section italienne de l’I.S., 1969-1972, Contre-Moule, juin 1988).
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A propos des polices politiques et de leurs méthodes

Ce soir mardi 3 avril à 20 heures 30, dans son magazine Secrets d'actualités, la chaîne M6 diffuse un documentaire sur la véritable paranoïa qui s'est emparée des plus hautes instances de l'État, à partir d'octobre 1980, quand le citoyen Michel Colucci, plus connu sous son nom de clown de Coluche, a décidé de se présenter aux élections présidentielles et que les premiers sondages lui ont donné entre 15 et 17% des voix! L'Élysée, alors empêtré dans l'affaire des "diamants de Giscard", a chargé le ministre de l'Intérieur de l'époque, Christian Bonnet, de décourager le comique. Par tous les moyens.
Le commissaire des Renseignements Généraux chargé d'organiser la surveillance, le harcèlement, les campagnes de calomnie, de rumeurs, la déstabilisation du candidat libre, en utilisant jusqu'aux menaces de mort, n'est pas un inconnu pour amnistia.net. Il s'appelle Guy Dauvé, et cette opération couronnée de succès sera la touche finale qu'il apportera à une carrière exceptionnelle débutée au service de l'État pétainiste, puis qui s'est épanouie sous les Républiques gaulliste et giscardienne dans l'ombre de son maître, Maurice Papon. J'avais eu l'occasion, en 1997, de brosser rapidement son itinéraire "professionnel" dans Le Goût de la vérité, réponse à Gilles Perrault.























Guy Dauvé a passé le concours de commissaire au printemps 1943 et a été affecté en octobre de la même année à la première Brigade Spéciale dirigée par Labaume, comme en témoignent les archives du procès de ce dernier qui s'est tenu en mai 1945 (les historiens pourront utilement se reporter à la cote AN, Z6 61, dossier 968). Avant la guerre, le travail de la première section consistait à s'informer sur "les mouvements d'extrême-gauche: socialiste, communiste, anarchiste et sur le cadre syndical de ces partis". A compter de 1941, c'est pour le compte du chef de la Gestapo en France, Boemelburg, que la section des Brigades Spéciales infiltre, détruit la résistance communiste. Dans le journal Franc-Tireur, Madeleine Jacob présentait ainsi le chef de la première Brigade Spéciale:

"Le commissaire principal Labaume était quelque chose comme le Führer des indicateurs chargé de prospecter, si l'on peut dire, les milieux d'extrême-gauche, considérant que cela lui concède des droits à l'indulgence. Un beau tableau de chasse. Aux cinq victimes de son indicateur Rastelli, condamné à mort, il ajoute Picant, Cadras, Politzer, Jacques Solomon, et les nombreux déportés qui lui doivent d'avoir pendant des années, pourri lentement dans les camps allemands".
Une grande partie de ceux qui avaient fait leurs preuves dans la répression anti-communiste aux côtés des Allemands, furent appelés à la rescousse dès les débuts de la guerre froide. Guy Dauvé, lui n'avait pas quitté son service et continuait à tenir ses fiches dans son bureau dont les fenêtres ouvraient sur le Marché aux Fleurs. En 1955, alors que des troubles faisaient des dizaines de morts à Casablanca, il fut envoyé en mission au Maroc pour déterminer la structure des mouvements d'opposition à l'administration coloniale. N'ayant jamais caché ses idées d'extrême-droite ni son combat pour l'Algérie française, il est l'année suivante à Alger quadrillée par les hordes de parachutistes de Massu et Bigeard qui mettent un peuple à la Question.
De retour à Paris, il est avec ses hommes, l'un des plus acharnés dans la traque des responsables du FLN algérien. C'est par centaines que les militants indépendantistes qui tombent dans ses filets sont durement interrogés, et parqués dans des camps comme celui de Thol, dans l'Ain, que Guy Dauvé visitera, pour les besoins du service, à plusieurs reprises. Une description minutieuse de ce camp sera faite au tout début de1962 dans Le Nouveau Candide, l'hebdomadaire d'extrême-droite créé par les services d'espionnage de Constantin Melnik, le supérieur de Guy Dauvé qui a la charge des RG. Jacques Peyrolles, le "journaliste" qui prolongeait idéologiquement le travail des policiers était promis, lui aussi, à une brillante carrière sous son nom d'emprunt de Gilles Perrault (voir le document).
En octobre 1961, les hommes de Guy Dauvé participent aux rafles, à l'effroyable répression qui ensanglante Paris. "Les Algériens criaient comme des primitifs" avait-il l'habitude de dire. Quelques semaines plus tard, Guy Dauvé reçoit la médaille du Mérite Civil. Le préfet de police, Maurice Papon, lui remet un mot manuscrit qu'il fera encadrer et gardera précieusement jusqu'à la fin de sa vie: "Je sais tout ce que vous avez fait. Votre chef en est fier et vous remercie". Un peu plus tard, il recevra la Légion d'Honneur.                          



                              





















Une partie de son travail consistait également à surveiller la presse. Le Canard Enchaîné lui consacrera quelques articulets, et Dauvé menacera à plusieurs reprises de sortir des photos montrant des journalistes dans des situations à l'époque compromettantes. Pour se décontracter, Guy Dauvé écrit un roman que la Série Noire de Marcel Duhamel refuse alors qu'elle publie, sous pseudonyme, un autre célèbre commissaire des RG, Michel Baroin. Les événements de 1968 relancent sa carrière, et il devient un collaborateur précieux de Raymond Marcellin, ce ministre de la police parti en guerre contre l'ennemi intérieur. Infiltrations, manipulations, créations de groupes politiques faux-semblants, de journaux attrape-tout...
Bien avant l'affaire des Irlandais de Vincennes de Barril, des faux époux Thurenge d'Hernu ou des vrais-faux passeports de Pasqua, l'imagination est au pouvoir sur l'Ile de la Cité!
Pendant ce temps là, le fils de Guy Dauvé, qui a pris le pseudonyme de Jean Barrot pour ne pas être identifié par son père, milite à l'ultra-gauche. D'une curieuse manière, puisque c'est essentiellement par son canal que sera assurée la promotion des écrits négationnistes de Paul Rassinier et les textes de banalisation du génocide comme Auschwitz ou le Grand Alibi. A l'insu de son père, Gilles Dauvé animera un groupe de solidarité avec Puig Antich, un anarchiste espagnol assassiné par Franco, et des réunions auront pour cadre le domicile du commissaire des RG... Beau comme de l'antique! Au moment de l'affaire Faurisson, Gilles Dauvé écrira ou participera à la rédaction de multiples textes négationnistes qui seront publiés dans La Guerre Sociale ou Le Frondeur. Il poursuivra, sur un mode mineur, discrètement révisionniste pourrait-on dire, dans La Banquise de Serge Quadruppani .

En 1980, Guy Dauvé se lance dans la destruction de l'objectif Coluche. L'arrivée de la gauche au pouvoir coïncide avec son départ à la retraite. Il pantoufle pendant plusieurs années à la direction des services de sécurité d'une importante entreprise. Il ne rechigne pas à donner un coup de main à ses anciens maîtres quand il s'agit de porter des valises sensibles d'un point à un autre du territoire.
En 1996, c'est le nom du fils de Guy Dauvé qui court dans les gazettes. Le Monde du 8 juin révèle que le porte-parole de Ras l'Front, Gilles Perrault, celui-là même qui visitait les prisonniers de papa à Thol en 1961, a accordé une préface blanchissant Gilles Dauvé de son passé négationniste. Pour faire bonne mesure, Serge Quadruppani qui défendait le "non-antisémite" Faurisson à pleines pages dans ses livres, bénéficie de la même machine à laver. Personne ne remarque, à ce moment, que Gilles Perrault a déjà oeuvré pour ses protégés, sept ans plus tôt, en préfaçant L'anti-terrorisme en France un livre de Serge Quadruppani nourri aux sources les plus mystérieuses...
Aujourd'hui, l'auteur de cet ouvrage s'est éloigné de l'ultra-gauche, s'est rapproché un temps de la mouvance libertaire pour se réclamer maintenant du situationnisme. Guy Debord, le fondateur de l'Internationale Situationniste a laissé derrière lui une critique du livre de Quadruppani et de son préfacier Perrault, sous la forme d'une lettre à Jean-François Martos datée du 24 février 1990. On peut y lire:

"J'avais lu Quadruppani. C'est évidemment un désinformateur, et peut-être 'version b'. Au moins à la frontière? C'est-à-dire manipulé par ses dangereuses fréquentations, policières, ou repenties, et aussi son préfacier"... il terminait ainsi le paragraphe consacré à celui qui se réclame de son message: "Ote ta moustache, on t'a reconnu... Bourrique!"
Un dialogue qu'on pourrait placer dans la bouche de... Coluche!
Didier Daeninckx 

La présence de Serge Quadruppani, sur un texte de soutien à Daniel Cohn-Bendit publié par Libération est à cet égard extrêmement choquante (Société de paranoïa, 1er mars 2001, page 6- voir le document). Dans les diverses revues d'ultra-gauche qu'il a créées et dirigées, ce personnage n'a jamais hésité à publier des textes auprès desquelles les écrits de Daniel Cohn-Bendit font figure de bluettes. Alors que ceux qui les avaient eu devant les yeux pensaient qu'ils étaient définitivement oubliés, ils viennent d'être remis en circulation sur un site consacré exclusivement à l'une des pires publications de cette époque. Ainsi dans le numéro 2 de La Banquise, en 1983, un article de la rédaction principalement constituée de Serge Quadruppani et de Gilles Dauvé, et intitulé Ami(e)s pédophiles, bonjour! nous assène:
"Si la pédophilie est la plupart du temps misérable, il en est de même de tous les rapports "sexuels" et amoureux. Il n'est pas nécessaire d'être un révolutionnaire pour voir que le supplément de misère de la pédophilie est le fruit de sa répression sociale. Un pédagogue libéral américain n'explique-t-il pas que le principal traumatisme que subit l'enfant "victime" d'un satyre provient de ses parents qui en font tout un plat, alors que lui, s'il n'y a pas eu violence, aurait plutôt tendance à s'en foutre?"

 L'article étant publié au moment des investigations policières dans un lieu alternatif pour adolescents en difficultés, Le Coral, la rédaction conclut son article de cette manière: "enseigner le cathéchisme? Que les cathos de gauche de Témoignage Chrétien aient cru devoir voler au secours de la police dans l'affaire du Coral nous ferait presque regretter ces curés de campagne qui communiquaient aux enfants les deux savoir à la fois".
Aujourd'hui, celui qui avalisait ces délires se défausse à bon compte en signant un texte où il se félicite de ce qu'enfin "la parole se libère sur les horreurs subies, ces curés qui abusent, ces parents qui violent, ces familles qui étouffent"... Sans même s'essuyer les pieds, en revenant sur les lieux du crime. Se souvient-il du joli mois de mai 1993? Un forcené désigné sous les initiales H.B. venait de prendre une classe d'école maternelle de Neuilly-sur-Seine en otage, et l'équipe de La Banquise s'était muée en un autre brûlot, Mordicus dont Quadruppani était le directeur de publication et le principal rédacteur. Pour l'équipe, les conditions modernes d'existence poussent à sur-évaluer la place de l'enfant dans la société:
"La transformation de l'enfant en nounours devient, grâce aux progrès de la biologie, grotesquement visible, chez ces femmes sexagénaires ou lesbiennes qui se font engrosser par insémination artificielle".
On y dit surtout l'ignoble, à propos des meurtres d'enfants:
"L'hystérie organisée autour de l'assassinat d'enfants est la conséquence de leur rôle de Grands Compensateurs. Pourtant, combien de meurtres commis par des pédophiles auraient pu être évités, si la pédophilie, "épisode particulier des relations adultes-enfants" était moins dramatisée? (...) Mais dans la haine que certains parents étalent, dans cette douleur entretenue par les hurlements des chacals de village et médiatisée par la plus basse ordure journalistique, on sent comme une parenté avec la fureur du propriétaire cambriolé".
Il ne s'agit que de mots, mais ils nous atteignent comme des coups. Les parents orphelins traités comme des proprios lésés... Aucun regret aujourd'hui: le mensonge par le silence.
Ces formulations effrayantes sont très caractéristiques de ces groupes dévoyés de l'ultra-gauche qui avaient décidé de se dresser contre tous les interdits, et qui se sont posé la question des hiérarchies avant de trouver et de désigner "l'interdit majeur" . Gilles Dauvé, animateur en second de La Banquise et de Mordicus, explique dans un texte intitulé Auto-bilan qu'à la fin des années soixante-dix, ses anciens amis de La Vieille Taupe se sont attaqués, "par exemple", au "mythe des chambres à gaz", parce que c'était le mythe "dont la démolition secouerait tout". Il indique que le gourou de ce groupe, Pierre Guillaume, "aurait pu aussi briser un interdit majeur comme la pédophilie".
Cette référence, surprenante au premier abord, n'est pas de l'ordre du dérapage. En effet, dès le début de sa dérive négationniste, le groupe La Vieille Taupe s'est associé le concours d'un des principaux délinquants pédophiles européens, Michel Caignet, responsable du réseau Toro Bravo et de la revue Gaie-France. Ce militant nazi qui traduisait en compagnie de Serge Thion et de Robert Faurisson les classiques de l'abomination comme Le Mythe d'Auschwitz de Wilhelm Stäglich, est aujourd'hui sous les verrous. D'autres membres du groupe préféraient publier dans Imagine, la collection de nus enfantins du complice de Caignet, les éditions Jean-Manuel Vuillaume. Dans le même temps, ils prenaient la défense du négationniste Rassinier dans le courrier des lecteurs de Libé.
La lecture, éprouvante, des multiples revues publiées par tous ces gens montre la manière dont, pour eux, la négation des corps est partie intégrante de la négation des camps. Ainsi, peut-on trouver ce passage définitif sous les plumes mêlées de Dauvé et Quadruppani dans L'horreur est humaine, le texte fondateur de leur revue La Banquise:
"De nos jours les intellectuels ont pris conscience du pur caractère historique de tabous qui passaient jusqu'alors pour naturels. Mais c'est une conscience purement intellectuelle, totalement séparée de leur propre vie. On verra tel prof d'université dans le vent réagir avec la même hystérie qu'une prolétaire, si quelqu'un s'avise de jouer à touche-pipi avec son enfant. Pour l'intellectuel comme pour tous les autres, l'une des raisons qui font des camps une horreur plus horrible, c'est qu'ils ont bousculé un certain nombre de tabous occidentaux: la mort et les cadavres, les enfants, la nudité des corps et les fantasmes sado-sexuels".
Il ne s'agit pas là de faire on ne sait quel procès à "mai 68": rien de libertaire dans les lignes reproduites ci-dessus, rien que la haine de ce qui fait l'humain.
Je ne sais si Daniel Cohn-Bendit et les signataires du texte Société de paranoïa revendiquent la présence de tels personnages à leurs côtés, mais un vieil adage nous apprend que quand on a des amis de ce genre, on peut se passer d'ennemis

Didier Daeninckx

En 1996, dans une brochure au titre mensonger, "Libertaires et ultra-gauche contre le révisionnisme", (préface de Gilles Perrault) l'un d'eux, Gilles Dauvé, admettra que son ancien ami Pierre Guillaume avait choisi de s'attaquer au "mythe" des chambres à gaz, mais qu'il "aurait pu aussi briser un interdit majeur comme la pédophilie". Dans une première version de son texte, il n'hésitait pas à écrire que "les chambres à gaz" sont pour lui "un gigantesque détail de l'histoire de la seconde guerre mondiale"!
L'interpellation de Michel Caignet dans le cadre de la filière pédophile Toro Bravo, en 1996, avait fortement inquiété les activistes de La Vieille Taupe. Pour Pierre Guillaume, (qui un temps inspira les "théoriciens" de La Banquise ou de Mordicus), cela ne pouvait tomber plus mal puisqu'il était alors occupé à orchestrer l'affaire Garaudy et son soutien par l'abbé Pierre. En témoignent deux lettres datées du printemps 1996. Pierre Guillaume s'adresse à celui qui l'édite depuis seize ans, Charles Corlet et qui vient de refuser l'impression du deuxième tirage des Mythes fondateurs de la politique israélienne de Garaudy, en raison des ennuis judiciaires que le texte suscite, mais aussi à cause d'un client peu discret amené par La Vieille Taupe, Michel Caignet. En réponse, Pierre Guillaume argue qu'il ne connaît même pas le nom de la revue éditée ("une revue d'hétérophobes sexuels... Gay quelque chose...) ni ses créateurs. Une lecture attentive de ses propres courriers aurait pu lui épargner ce mensonge : onze ans plus tôt, il ne faisait pas mystère de ses relations suivies avec Michel Caignet, comme le prouve la circulaire de La Vieille Taupe de décembre 1985:
"... l'auteur et moi étions convenus que le Professeur Faurisson relirait les épreuves et superviserait l'édition. A la réception des épreuves, celui-ci a émis de très graves critiques sur le travail effectué par Michel Caignet (étudiant à la Sorbonne, prépare un doctorat de linguistique allemande et anglaise)".
La raison de cette soudaine amnésie résidait vraisemblablement dans la pression exercée par les Renseignements Généraux sur l'éditeur. Après la défection de Corlet, la réédition du livre de Roger Garaudy fut assurée par une officine parisienne d'extrême-droite, la Librairie Roumaine du Savoir dont le tenancier, lui, ne semble pas apprécier la jeunesse. Le 4 février 1998, la 10e chambre correctionnelle de Paris l'a condamné à 2 mois de prison avec sursis et 6.000 francs d'amende pour avoir menacé, à l'aide d'un pistolet à grenaille offert par son ami Pierre Guillaume, une étudiante qui protestait contre l'exposition en vitrine des livres de Garaudy...
Georges Orwell avait pressenti l'horreur qui nous frappe aujourd'hui. Dans un article sur le roman noir américain "Rafles and Miss Blandish", il écrivait en 1944 :
"L'interconnexion du sadisme, du masochisme, du culte de la réussite, du culte de la puissance, du nationalisme et du totalitarisme forme un immense sujet dont on a encore à peine écorné les angles; et l'on considère même comme assez peu délicat d'en mentionner l'existence".
"Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme". Première version du texte de Gilles Dauvé. Le "gigantesque détail de la Seconde guerre mondiale" sera à l'origine de la destruction du tirage par l'éditeur, en juin 1996.

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