lundi 11 juillet 2011

Le 11 juillet 1892: exécution de Ravachol

 à Montbrison

« Si tu veux être heu­reux, nom de dieu !
Pends ton pro­prié­taire,
Coupe les curés en deux, nom de dieu !
Fous les églises par terre.. »

Chanté par Ravachol avant de passer sur l’échafaud...

François Koënigstein-Ravachol est né le 14 octo­bre 1859 à Saint-Chamond et mort guillo­tiné le 11 juillet 1892 à Montbrison.

Déclaration de Ravachol

Ce texte clair, que Ravachol avait écrit pour son procès à Montbrison, le 21 juin 1892, est devenu une réfé­rence. D’ailleurs, au bout de quel­ques paro­les, les juges lui ont inter­dit de le décla­mer. [1]

Si je prends la parole, ce n’est pas pour me défen­dre des actes dont on m’accuse, car seule la société, qui par son orga­ni­sa­tion met les hommes en lutte conti­nuelle les uns contre les autres, est res­pon­sa­ble.
En effet, ne voit-on pas aujourd’hui dans toutes les clas­ses et dans toutes les fonc­tions des per­son­nes qui dési­rent, je ne dirai pas la mort, parce que cela sonne mal à l’oreille, mais le mal­heur de leurs sem­bla­bles, si cela peut leur pro­cu­rer des avan­ta­ges. Exemple : un patron ne fait-il pas des vœux pour voir un concur­rent dis­pa­raî­tre ; tous les com­mer­çants en géné­ral ne vou­draient-ils pas, et cela réci­pro­que­ment, être seuls à jouir des avan­ta­ges que peut rap­por­ter ce genre d’occu­pa­tions ? L’ouvrier sans emploi ne sou­haite-t-il pas, pour obte­nir du tra­vail, que pour un motif quel­conque celui qui est occupé soit rejeté de l’ate­lier ? Eh bien, dans une société où de pareils faits se pro­dui­sent on n’a pas à être sur­pris des actes dans le genre de ceux qu’on me repro­che, qui ne sont que la consé­quence logi­que de la lutte pour l’exis­tence que se font les hommes qui, pour vivre, sont obli­gés d’employer toute espèce de moyen.
Et, puis­que chacun est pour soi, celui qui est dans la néces­sité n’en est-il pas réduit a penser :
« Eh bien, puisqu’il en est ainsi, je n’ai pas à hési­ter, lors­que j’ai faim, à employer les moyens qui sont à ma dis­po­si­tion, au risque de faire des vic­ti­mes ! Les patrons, lorsqu’ils ren­voient des ouvriers, s’inquiè­tent-ils s’ils vont mourir de faim ? Tous ceux qui ont du super­flu s’occu­pent-ils s’il y a des gens qui man­quent des choses néces­sai­res ? »
Il y en a bien quel­ques-uns qui don­nent des secours, mais ils sont impuis­sants à sou­la­ger tous ceux qui sont dans la néces­sité et qui mour­ront pré­ma­tu­ré­ment par suite des pri­va­tions de toutes sortes, ou volon­tai­re­ment par les sui­ci­des de tous genres pour mettre fin à une exis­tence misé­ra­ble et ne pas avoir à sup­por­ter les rigueurs de la faim, les hontes et les humi­lia­tions sans nombre, et sans espoir de les voir finir. Ainsi ils ont la famille Hayem et le femme Souhain qui a donné la mort à ses enfants pour ne pas les voir plus long­temps souf­frir, et toutes les femmes qui, dans la crainte de ne pas pou­voir nour­rir un enfant, n’hési­tent pas à com­pro­met­tre leur santé et leur vie en détrui­sant dans leur sein le fruit de leurs amours. Et toutes ces choses se pas­sent au milieu de l’abon­dance de toutes espè­ces de pro­duits ! On com­pren­drait que cela ait lieu dans un pays où les pro­duits sont rares, où il y a la famine.
Mais en France, où règne l’abon­dance, où les bou­che­ries sont bon­dées de viande, les bou­lan­ge­ries de pain, où les vête­ments, la chaus­sure sont entas­sés dans les maga­sins, où il y a des loge­ments inoc­cu­pés !
Comment admet­tre que tout est bien dans la société, quand le contraire se voit d’une façon aussi claire ?
Il y a bien des gens qui plain­dront toutes ces vic­ti­mes, mais qui vous diront qu’ils n’y peu­vent rien.
Que chacun se débrouille comme il peut !

Que peut-il faire celui qui manque du néces­saire en tra­vaillant, s’il vient à chômer ? Il n’a qu’à se lais­ser mourir de faim. Alors on jet­tera quel­ques paro­les de pitié sur son cada­vre.
C’est ce que j’ai voulu lais­ser à d’autres. J’ai pré­féré me faire contre­ban­dier, faux mon­nayeur, voleur, meur­trier et assas­sin. J’aurais pu men­dier : c’est dégra­dant et lâche et c’est même puni par vos lois qui font un délit de la misère. Si tous les néces­si­teux, au lieu d’atten­dre, pre­naient où il y a et par n’importe quel moyen, les satis­faits com­pren­draient peut-être plus vite qu’il y a danger à vou­loir consa­crer l’état social actuel, où l’inquié­tude est per­ma­nente et la vie mena­cée à chaque ins­tant.
On finira sans doute plus vite par com­pren­dre que les anar­chis­tes ont raison lorsqu’ils disent que pour avoir la tran­quillité morale et phy­si­que, il faut détruire les causes qui engen­drent les crimes et les cri­mi­nels : ce n’est pas en sup­pri­mant celui qui, plutôt que de mourir d’une mort lente par suite des pri­va­tions qu’il a eues et aurait à sup­por­ter, sans espoir de les voir finir, pré­fère, s’il a un peu d’énergie, pren­dre vio­lem­ment ce qui peut lui assu­rer le bien-être, même au risque de sa mort qui ne peut être qu’un terme à ses souf­fran­ces.
Voilà pour­quoi j’ai commis les actes que l’on me repro­che et qui ne sont que la consé­quence logi­que de l’état bar­bare d’une société qui ne fait qu’aug­men­ter le nombre de ses vic­ti­mes par la rigueur de ses lois qui sévis­sent contre les effets sans jamais tou­cher aux causes ; on dit qu’il faut être cruel pour donner la mort à son sem­bla­ble, mais ceux qui par­lent ainsi ne voient pas qu’on ne s’y résout que pour l’éviter soi-même.
De même, vous, mes­sieurs les jurés, qui, sans doute, allez me condam­ner à la peine de mort, parce que vous croi­rez que c’est une néces­sité et que ma dis­pa­ri­tion sera une satis­fac­tion pour vous qui avez hor­reur de voir couler le sang humain, mais qui, lors­que vous croi­rez qu’il sera utile de le verser pour assu­rer la sécu­rité de votre exis­tence, n’hési­te­rez pas plus que moi à le faire, avec cette dif­fé­rence que vous le ferez sans courir aucun danger, tandis que, au contraire, moi j’agis­sais aux risque et péril de ma liberté et de ma vie.

Eh bien, mes­sieurs, il n’y a plus de cri­mi­nels à juger, mais les causes du crime a détruire. En créant les arti­cles du Code, les légis­la­teurs ont oublié qu’ils n’atta­quaient pas les causes mais sim­ple­ment les effets, et qu’alors ils ne détrui­saient aucu­ne­ment le crime ; en vérité, les causes exis­tant, tou­jours les effets en décou­le­ront. Toujours il y aura des cri­mi­nels, car aujourd’hui vous en détrui­sez un, demain il y en aura dix qui naî­tront.
Que faut-il alors ? Détruire la misère, ce germe de crime, en assu­rant à chacun la satis­fac­tion de tous les besoins ! Et com­bien cela est facile à réa­li­ser ! Il suf­fi­rait d’établir la société sur de nou­vel­les bases où tout serait en commun, et où chacun, pro­dui­sant selon ses apti­tu­des et ses forces, pour­rait consom­mer selon ses besoins.
Alors on ne verra plus des gens comme l’ermite de Notre-Dame-de-Grâce et autres men­dier un métal dont ils devien­nent les escla­ves et les vic­ti­mes ! On ne verra plus les femmes céder leurs appas, comme une vul­gaire mar­chan­dise, en échange de ce même métal qui nous empê­che bien sou­vent de reconnaî­tre si l’affec­tion est vrai­ment sin­cère. On ne verra plus des hommes comme Pranzini, Prado, Berland, Anastay et autres qui, tou­jours pour avoir de ce métal, en arri­vent à donner la mort ! Cela démon­tre clai­re­ment que la cause de tous les crimes est tou­jours la même et qu’il faut vrai­ment être insensé pour ne pas la voir.

Oui, je le répète : c’est la société qui fait les cri­mi­nels, et vous jurés, au lieu de les frap­per, vous devriez employer votre intel­li­gence et vos forces à trans­for­mer la société. Du coup, vous sup­pri­me­riez tous les crimes ; et votre œuvre, en s’atta­quant aux causes, serait plus grande et plus féconde que n’est votre jus­tice qui s’amoin­drit à punir les effets.
Je ne suis qu’un ouvrier sans ins­truc­tion ; mais parce que j’ai vécu l’exis­tence des misé­reux, je sens mieux qu’un riche bour­geois l’ini­quité de vos lois répres­si­ves. Où prenez-vous le droit de tuer ou d’enfer­mer un homme qui, mis sur terre avec la néces­sité de vivre, s’est vu dans la néces­sité de pren­dre ce dont il man­quait pour se nour­rir ? J’ai tra­vaillé pour vivre et faire vivre les miens ; tant que ni moi ni les miens n’avons pas trop souf­fert, je suis resté ce que vous appe­lez hon­nête. Puis le tra­vail a manqué, et avec le chô­mage est venue la faim. C’est alors que cette grande loi de la nature, cette voix impé­rieuse qui n’admet pas de répli­que, l’ins­tinct de la conser­va­tion, me poussa à com­met­tre cer­tains des crimes et délits que vous me repro­chez et dont je reconnais être l’auteur.
Jugez-moi, mes­sieurs les jurés, mais si vous m’avez com­pris, en me jugeant jugez tous les mal­heu­reux dont la misère, alliée à la fierté natu­relle, a fait des cri­mi­nels, et dont la richesse, dont l’aisance même aurait fait des hon­nê­tes gens !
Une société intel­li­gente en aurait fait des gens comme tout le monde !

Ravachol

 

La guillotine à Montbrison

 

Ravachol fût trans­féré vers Saint Étienne pour répon­dre de trois autres crimes dont celui de l’ermite. A son arri­vée 500 per­son­nes l’atten­dent, beau­coup l’accla­ment, des dizai­nes de poli­ciers et gen­dar­mes sont pré­sents. Il est ensuite trans­féré vers Montbrison qui est presqu’en état de siège, où se trouve la cour d’assi­ses de la Loire.
Ravachol fut tout autant cou­ra­geux et désin­té­ressé à ce procès de Montbrison qu’à celui de la cour d’assi­ses de Paris. Le 21 juin 1892, s’il a reconnu le meur­tre de l’ermite, des doutes sérieux demeu­rent quant aux meur­tres au mar­teau et à la hache, qu’il nie tota­le­ment, mais, cette fois-ci, à Montbrison, Ravachol est condamné à mort par la cour d’assi­ses. A l’énoncé du ver­dict, Ravachol se contente de dire « Vive l’Anarchie ! ».
Le 11 Juillet 1892, dans sa trente-troi­sième année, Ravachol monte sur l’échafaud en chan­tant. Le cou­pe­ret inter­rompt ses der­niers mots « Vive la rév… »

Épilogue:
Le 9 décem­bre 1893, Auguste Vaillant jette une bombe à Paris, à la Chambre des dépu­tés, pour le venger. Et le 24 juin 1894, c’est Santo Caserio qui poi­gnarde mor­tel­le­ment à Lyon le Président de la République, Sadi Carnot, et le len­de­main sa veuve reçoit une photo de Ravachol et ces mots : « Il est bien vengé… »

Chanson de Renaud: Ravachol
Sources
- Livre de Jean Maitron, Ravachol et les anarchistes, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1992 - Un idéologue anar imbuvable...

Notes

[1] Cette déclaration qui parut dans La Révolte n°40 (1-7 juillet 1892) et Le Père Peinard n°172 du 3-10 juillet 1892, a été reprise par Zanzara athée sur le site Infokiosques.net
[2] C’est ainsi que toute sa biographie, jusqu’à son passage à Lyon où il nous fait croire qu’il s’est suicidé, est rapportée par lui-même. Les paroles-mêmes de Ravachol se retrouvent dans le livre de Maitron.

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