Analyse assez juste.
Avec l’épisode syrien, le printemps arabe se rapproche semble-t-il de son centre de gravité : la question palestinienne. Cette question n’est bien évidemment pas la cause de la chute de Ben Ali, de Mubarak ni des difficultés de Kadhafi ou de Saleh. Les slogans des peuples tunisiens, égyptiens, libyens, yéménites portent sur la nature des régimes en place et ils expriment en premier lieu une forte aspiration à la liberté et la démocratie.
En revanche le maintien de tous ces dictateurs, soutenus pendant tant d’années par l’Occident, a largement à voir avec la volonté israélo-américaine d’imposer par la force une « stabilité » autour du brûlot crée par l’occupation de la Palestine et par le mépris de tout un peuple, dont le droit à disposer d’un état est pourtant -sur le papier- reconnu par l’ensemble de la communauté internationale. C’est cet ordre mondial qui est en train de s’écrouler.
Dans ces conditions, la dictature syrienne pouvait faire figure d’exception, et se parer d’atours et d’atouts dont ne disposaient pas les autres despotes. L’occupation du plateau du Golan par Israël depuis 67, au lendemain de la guerre des Six-Jours, le refus constant de transiger sur cette question dans les négociations internationales ont conféré au clan des militaires, qui a peu à peu pris le dessus du parti Baas, un relatif soutien du peuple syrien. Une sorte d’union nationale, resserrée par la proximité de l’occupation israélienne, prenant fait et causes pour les résistances libanaise et palestinienne, permettait jusque là de « supporter » l’arbitraire, la censure, la torture, l’absence totale de liberté politique. Il semble bien que le retournement actuel non seulement empêche désormais Bachar el-Assad de « surfer sur le Golan » mais que, comme un boomerang, les rives du lac Tibériade lui reviennent en pleine figure.
Hier, des manifestants égyptiens et syriens se sont rassemblés devant l’ambassade de Syrie, près de la station de métro Dokki pour protester contre le répression sanglante qui a lieu dans le pays. Cette ambassade fait face au siège du Wafd (le parti de la délégation) dont quelques militants étaient venus agiter leur nouveau drapeau vert, portant croissant musulman et croix chrétienne. Des personalités comme l’acteur Amr Waked (ci-contre) avaient aussi fait le déplacement.
Les slogans étaient d’un niveau inégal. On a bien sûr entendu le désormais universel « Zanga, zanga, dar, dar », dérivé d’un discours de Kadhafi transformé en différents tubes l’on trouve en ligne ici ou ici. Il est employé maintenant pour signifier que la révolution partira de chaque ruelle (zanga ou zanqa), de chaque maison (dar).
L’affiche ci-contre développe elle, une boutade (éculée) sur le nom du président syrien (assad signifie lion). « Certes Assad, tu es le roi de la jungle, mais dégage de là car la Syrie n’est pas une jungle ».
D’autres slogans plus politiques ont été scandés « Egypte libre, Syrie libre », ou « Les arabes ne veulent plus de dictateurs ». Mais très curieusement (pour un observateur occidental persuadé que la Syrie est l’ennemi numéro 2 de l’état d’Israël, après l’Iran) les manifestants ont plusieurs fois répété : « Bachar est comme Sharon, même forme et même couleur (nafs el-shakl wa nafs el-lûn), encourageant la résistance (muqâwama) syrienne et appelant à l’unité des peuples arabes contre l’oppression. La watan al-arabi (nation arabe) était jusqu’à ces derniers mois un mythe voire une vaste farce, parfois brandie par les dictateurs, parfois par les diverses résistances, pour évoquer une unité du monde arabe pulvérisée dans les faits depuis 67. Le mythe est-il en passe de devenir réalité ? Rien n’est moins sûr tant les contours politiques du printemps arabe sont encore flous.
Le tract distribué sur place contenait un communiqué du Front National pour la Justice et la Démocratie à propos des massacres d’Al-Assad en Syrie. Ce texte accuse, Assad père et fils, de « n’avoir jamais pensé jeter une pierre sur le Golan occupé » (en gros de ne pas avoir levé le petit doigt), mais en revanche de ne pas avoir hésité à massacrer leur propre peuple à Homs et Alep (Hafez, dans les années 80) et à Deraa (Bachar, récemment). Tout en les accusant d’être « des chiens et des rapaces » face à leur peuple, mais « des agneaux » face à Israël, le communiqué précise à propos de Bachar : « il n’a pas tiré profit de la leçon égyptienne ni entendu l’avertissement de ce qui est arrivé à Ben Ali ou à Mubarak », « il ne croit qu’à la force, au meurtre, au massacre, à l’abattage ». Bachar accusé de se planquer derrière ses chars est traité de lâche (gabân), qualificatif que les manifestants lui ont décerné de façon appuyée, en invoquant l’abandon du Golan.
La phrase suivante de ce texte est moyennement délicate : « Viendra un jour, Bachar, où tu pleureras comme pleurent les femmes, comme pleurent les lâches de ton espèce », accusant le président syrien de tirer sur son peuple avec des armes fournies par Israël (une métaphore, j’imagine…) et lui prédisant d’avoir des comptes à rendre le jour de sa chute où il devra affronter personnellement la colère de son peuple, sans la protection du Mossad…
La rhétorique est quelque peu caricaturale et d’autres analystes dans la presse égyptienne aujourd’hui développent des pistes nettement plus nuancées et argumentées. Mais il est clair que le printemps arabe va déclencher des avalanches que l’on ne pourra pas forcément arrêter en posant des bombes dans les cafés, pour relancer le fond de commerce habituel : la peur du terrorisme.
Un calicot apposé hier par les manifestants sur les grilles de l’ambassade syrienne annonce un rassemblement dans tous les pays arabes pour le vendredi 6 mai.
Le 14 mai, anniversaire de la Nakba palestinienne, sera le jour d’un autre rassemblement, mondial celui-ci.
Enfin une page FB appèle à la troisième Intifada à partir du 15. L’accélération des événements est impressionnante.
Le CSFA égyptien qui vient d’annoncer la réouverture du passage de Rafah et la remise à plat de l’accord commercial sur la vente de gaz à Israël semble mesurer, au delà des incidents de ces dernières semaines sur le gazoduc, l’ampleur de la vague et tente tous les désamorçages possibles. De même le Fatah et le Hamas viennent de découvrir qu’ils sont censés représenter un peuple et tentent eux aussi de rester à la barre, en signant un accord commun (au Caire) lamentablement tardif. Ils pourraient bien être pris ensembles dans la déferlante. Sans regrets.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé mercredi dernier que Mahmoud Abbas devra « choisir entre la paix avec Israël et la paix avec le Hamas », et son ministre des Affaires étrangères Lieberman a depuis annoncé une série de mesures de rétorsion. Le camp de la guerre trépigne, panique et s’affole.
C’est donc un bon moment pour mobiliser celui de la paix et pour mettre l’intelligence au pouvoir partout où se sera possible. L’espace, ces derniers mois, s’est sérieusement agrandi : profitons-en !
NB : Une pétition « L’État palestinien, c’est maintenant ! » publiée récemment dans le Monde peut être signée en ligne ici.
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