mardi 19 avril 2011

Classes et dynamique du capitalisme


Parce que la critique traditionnelle du capitalisme pensait que le rapport d’exploitation déterminait en dernière instance le capitalisme, on a généralement compris le rapport de la classe capitaliste et de la classe ouvrière comme se trouvant au noyau du capitalisme et donc au cœur de l’analyse de Marx. Or, on ne peut pas remplacer le concept chez Marx de rapport social de production par un concept plus étroit, celui de rapports de production entre classes sociales, le « rapport social capitaliste » est ici réduit à la « relation salariale » (au travail salarié, simple catégorie sociologique), il est décrit seulement à la fois comme séparation entre les moyens de production et les forces productives et comme rapport juridique de subordination. Cette saisie du rapport social capitaliste en terme de rapport d’appropriation juridique-externe de la survaleur par un groupe particulier, comprenant le capitalisme comme un mode de distribution, va alors dégager les principes du travail et du capital comme étant hétérogène, elle ne met pas en question la forme marchandise du travail, qu’elle ontologise au contraire, comme essence de toutes les sociétés humaines. En rester à un rapport social capitaliste tel que décrit par le marxisme, on s’aperçoit que les forces productives, le travail, les travailleurs, apparaissent toujours comme hétérogènes au capital, comme antérieur au rapport social capitaliste, comme finalement élément naturel et transhistorique. Comme si la classe des travailleurs était une classe extra-capitaliste, qui était exploitée qu’extérieurement à la logique naturelle de sa constitution autour du travail, principe supposé être transhistorique pour l’ensemble des sociétés humaines.  Réduisant le rapport social capitaliste à une vision classiste, on reste dans une vision très superficielle de la nature du capitalisme en tant que société capitaliste-marchande. Tandis que le marxisme traditionnel classiste n’avait thématisé que l’appropriation juridique-externe de la survaleur par les capitalistes, il faut considérer plus profondément le rapport social de la valeur, la forme sociale fondamentale du « sujet automate » que constitue le capital (la valeur qui se valorise) non plus en tant que surplus social (comme dans le marxisme traditionnel, chez Gary Becker ou Pierre Bourdieu) mais comme médiation sociale corsetant la société qu’il constitue et reproduit. Anselm Jappe parle d’ailleurs de la non centralité du rapport capital/travail, il en parle comme d’une « forme empirique et dérivée » [1] du véritable rapport social capitaliste qu’il faut comprendre autrement, plus en amont on pourrait dire : le mouvement de la valorisation de la valeur dans la métamorphose de laquelle, les classes sociologiques vont se constituer comme des fonctions particulières et nécessaires de ce processus. Chacune à une position respective fixée dans ce procès social de la valorisation. Ainsi les classes sociologiques sont définies a priori par le capitalisme et ne lui préexistent pas. Elles sont positionnées en son intérieur, comme les prestataires, les supports, les représentants, les fonctionnaires des étapes métamorphiques de ce mouvement automate. Les masses sociales sont ainsi socialisées dans l’intérieur de la forme sociale logique et totale, c’est-à-dire de base, qu’est la forme sociale du mouvement de la valeur. Les classes prolétaires et bourgeoises peuvent être définies comme des classes intra-capitalistes. Ces classes ne peuvent avoir des rapports sociaux entre elles qu’en tant que représentants d’une forme métamorphique de la valeur, au sein de la forme sociale « a priorique » de la valorisation. La forme sociale de l'abstraction réelle de la valeur est commune à toutes les classes sociales et est la cause du conflit de leurs intérêts (en ce sens l’ultra-gauche historique, notamment germano-hollandaise avait déjà refusé toutes les luttes économiques revendicatives). La conscience des masses socialisées dans ce mouvement, ne débouche que sur la lutte d’intérêt entre deux représentants d’étapes différentes d’un même mouvement de la valorisation. La " lutte des classes ", parce que la classe prolétaire ne fait qu'affirmer la positivité du travail, s trouve déjà assujettie au cadre déterminé par le capitalisme. Une classe qui se réclame de sa position dans le capitalisme (par exemple qui se réclame du travail), ne peut donc être en aucune manière le moteur d’un mouvement social dans le sens du Marx ésotérique tel que proposé par Robert Kurz. « Seule une association voulue par les individus et dépendant de leurs convictions à eux et non pas de leur position donnée dans le système, sera capable de mener un tel mouvement à bien » [2].
 
Extrait du chapitre IX de Temps, travail et domination sociale, « La trajectoire de production », pp.
461-476, éd. Mille et une nuits, 2009 (1993, Cambridge University Press).

Le cadre théorique ici tracé transforme également le problème des classes et des luttes de classes tel qu'il apparaît dans la théorie du Marx de la maturité. Mon étude a montré avec clarté que la conception marxienne des rapports sociaux intrinsèquement dynamiques du capitalisme, tels qu'ils s'expriment dans les catégories de valeur et de survaleur, se rapporte à des formes objectivées de médiation sociale et que l'on ne peut pas comprendre cette conception seulement en termes de rapports de classes et d'exploitation. Pour Marx, les rapports de classes jouent toutefois un rôle important dans le déploiement historique de cette société. Bien que ce livre ne traite pas complètement ce rôle et ne s'occupe pas davantage des diverses dimensions et complexités de la compréhension marxienne des rapports de classes, la recherche menée jusqu'ici implique d'aborder la problématique des classes de la façon suivante ; la catégorie de classe esquisse un rapport social moderne qui est quasi objectivement médiatisé par le travail ; dans la critique de l'économie politique, la lutte de classes est structurée par, et est enchâssée dans les formes sociales de la marchandise et du capital.
C'est lorsque Marx développe et analyse la catégorie de survaleur au livre I du Capital qu'il évoque pour la première fois les rapports de classes en présentant la relation entre la classe capitaliste et la classe ouvrière. Cependant, tel qu'il est présenté, le statut théorique de cette relation ne va nullement de soi. On a souvent pris l'exposé de Marx pour une description de la structure des groupes sociaux dans la société capitaliste ou pour la description d'une tendance historique de l'humanité à se polariser en deux groupes sociaux, une petite classe capitaliste et un vaste prolétariat. Ces deux lectures ont soulevé d'importantes objections. La première a été critiquée comme étant une simplification injustifiée de la structure des groupes sociaux sous le capitalisme ; comme on sait, Marx lui-même présente effectivement un tableau plus riche et plus varié des groupes sociaux et de leur action politique dans ses écrits historico-politiques. La seconde interprétation – c'est-à-dire que la façon dont Marx traite les classes dans le livre I du Capital soit la description d'une tendance historique – a également été de plus en plus contestée au vu des récents développements socio-économiques – en particulier, le déclin en nombre de la classe ouvrière sous le capitalisme avancé et la croissance de nouvelles classes moyennes salariées.

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