Un texte sur le Mouvement d'Octobre 2010.
Le travail reprenant dans la totalité des raffineries en grèves depuis plusieurs semaines, les lycéens et les étudiants retournant à leur quotidien scolaire après un engagement massif et inattendu, le nombre de manifestants s’effilochant irrémédiablement, la contre réforme des retraites promulguée s’institutionnalisant définitivement : après huit semaines de désordre social, qui ont fait entrer le pays dans une temporalité conflictuelle intense, la normalité quotidienne est redevenue à nouveau hégémonique dans la vie sociale. Un retour à la normal donc, qui marque, au moins à court terme, la victoire de Nicolas Sarkozy sur un mouvement social défait dans ses objectifs revendicatifs. En effet, malgré une large unité syndicale, des manifestations de masses répétées dans un espace temps relativement court, un soutien de l’opinion publique constant, des liaisons façonnées entre personnes n’ayant pas l’habitude de se côtoyer dans la vie ordinaire, la protéiforme des modes d’actions articulant classicisme et délinquance politique, une réforme cristallisant le ressentiment accumulé ces dernières années à l’encontre du pouvoir en place, le mouvement social n’est pas parvenu à donner un débouché positif à la revendication négative unifiant la grande majorité des contestataires ordinaires, c’est à dire le nécessaire retrait total et définitif d’une contre réforme des retraites, fruit du consensus réactionnaire du « travailler toujours plus longtemps », ayant comme mesure centrale l’abolition du droit de pouvoir partir à la retraite à 60 ans. Cette défaite se doit aujourd’hui d’être examinée, disséquée pour être comprise, car bien que faisant depuis le début parti du champ des possibles, estimée objectivement par certains comme le dénouement le plus probable, celle-ci n’était en aucun cas l’issu obligée dont le peuple en se mettant en mouvement n’aurait fait que repousser courageusement l’avènement fatal. Un mouvement n’est pas un flux linéaire dont la fin serait déjà connue à l’avance. Il porte la marque de l’incertitude, des bifurcations possibles le traversant et si son futur peut être soumis à des hypothèses plus ou moins fortes, il reste imprévisible dépendant largement des choix effectués par ceux le composant et par ceux s’en opposant.
Le travail reprenant dans la totalité des raffineries en grèves depuis plusieurs semaines, les lycéens et les étudiants retournant à leur quotidien scolaire après un engagement massif et inattendu, le nombre de manifestants s’effilochant irrémédiablement, la contre réforme des retraites promulguée s’institutionnalisant définitivement : après huit semaines de désordre social, qui ont fait entrer le pays dans une temporalité conflictuelle intense, la normalité quotidienne est redevenue à nouveau hégémonique dans la vie sociale. Un retour à la normal donc, qui marque, au moins à court terme, la victoire de Nicolas Sarkozy sur un mouvement social défait dans ses objectifs revendicatifs. En effet, malgré une large unité syndicale, des manifestations de masses répétées dans un espace temps relativement court, un soutien de l’opinion publique constant, des liaisons façonnées entre personnes n’ayant pas l’habitude de se côtoyer dans la vie ordinaire, la protéiforme des modes d’actions articulant classicisme et délinquance politique, une réforme cristallisant le ressentiment accumulé ces dernières années à l’encontre du pouvoir en place, le mouvement social n’est pas parvenu à donner un débouché positif à la revendication négative unifiant la grande majorité des contestataires ordinaires, c’est à dire le nécessaire retrait total et définitif d’une contre réforme des retraites, fruit du consensus réactionnaire du « travailler toujours plus longtemps », ayant comme mesure centrale l’abolition du droit de pouvoir partir à la retraite à 60 ans. Cette défaite se doit aujourd’hui d’être examinée, disséquée pour être comprise, car bien que faisant depuis le début parti du champ des possibles, estimée objectivement par certains comme le dénouement le plus probable, celle-ci n’était en aucun cas l’issu obligée dont le peuple en se mettant en mouvement n’aurait fait que repousser courageusement l’avènement fatal. Un mouvement n’est pas un flux linéaire dont la fin serait déjà connue à l’avance. Il porte la marque de l’incertitude, des bifurcations possibles le traversant et si son futur peut être soumis à des hypothèses plus ou moins fortes, il reste imprévisible dépendant largement des choix effectués par ceux le composant et par ceux s’en opposant.
La plupart des organisations syndicales insistent sur la bataille qu’elles ont remportée, comme pour tenter de minimiser le constat d’échec du mouvement du point de vue de la non satisfaction de l’objectif qu’elles s’étaient fixées, c’est à dire la non application en l’état de la réforme des retraites. Sarkozy semble pourtant bien être le véritable vainqueur de ce conflit, au moins à court terme ? Les organisations syndicales ont le droit légitimement de se satisfaire de cette bataille idéologique remportée, du fait qu’elles soient parvenues à conférer au mouvement une assise populaire majoritaire et ce de manière constante, ce qui est toujours le préalable nécessaire à la construction d’un mouvement pouvant prétendre renverser le rapport de force en sa faveur. Elles ont réussi à convaincre une majorité des français que cette réforme des retraites, contrairement à ce qui pouvait être raconté en boucle par la propagande gouvernementale et une médiocratie la relayant servilement, n’était pas un mal nécessaire, la seule voie possible, et que d’autres énonciations refusant de souscrire au consensus idéologique du « travailler toujours plus longtemps » avaient effectivement le droit cité et pouvaient prétendre incarner une alternative positive. Elles sont ainsi parvenues à imposer aux géniteurs de la réforme et à ses partisans, un débat démocratique qui laissa la place aux énoncés refusant de se rallier aux mesures censées relevées du réalisme libéral. Contredisant ainsi les plans d’une majorité présidentielle qui mettait alors tout en œuvre pour rendre inutile toute discussion, considérant qu’il n’y avait pas d’alternative possible à sa réforme, que le champs des solutions possibles pour assurer la pérennité du système des retraites par répartition se réduisait à ses seules solutions. Cependant, cette victoire idéologique, remportée par les organisations syndicales et d’une manière plus général par le mouvement social, ne doit pas être l’arbre qui cache la foret. Les organisations syndicales ne peuvent aujourd’hui que constater, comme tout à chacun, qu’elles ont échoué dans leur volonté de ne pas voir s’institutionnaliser en l’état la réforme des retraites. En effet, le mouvement social n’est pas parvenu à faire du Nicolas Sarkozy de 2010, le Dominique de Villepin de 2006 et cela malgré une référence constante de la part des personnes mobilisés au mouvement anti-CPE, dernière victoire du mouvement social sur un gouvernement de droite. L’histoire ne s’est pas répétée. La majorité présidentielle est restée groupée, unie, solidaire, derrière son chef et la réforme des retraites n’a pas eu besoin contrairement en Contrat premier embauche d’être sacrifiée pour que le gouvernement puisse acheter au mouvement social une paix sociale provisoire. La droite est parvenue à la mener à son terme, sans avoir été obligé pour faire rentrer le mouvement dans son lit, à la dénaturer, à l’édulcorer, en faisant des concessions importantes qui auraient effectivement vider de sa substance la réforme des retraites et par conséquent irrémédiablement endommagé la stature de réformateur conséquent que veut assumer Nicolas Sarkozy depuis le début de son quinquennat. Cette réforme des retraites, présentée comme « la mère des réformes », devait être la preuve paroxystique de sa capacité à faire bouger les lignes même les plus engluées dans ce que la droite se plait à nommer « la passion français du conservatisme social ». En effet, la philosophie générale de la réforme, le fameux « travailler toujours plus longtemps », dont les mesures d’âges rehaussant l’âge légal de départ la retraite de 60 à 62 ans et l’âge où l’on peut prétendre au taux plein même si l’on n’a pas suffisamment cotisé de 65 à 67 ans ne sont que la traduction concrète, a été préservée jusqu’au bout. Cela nous amène à dire que, malgré une opposition sociale extrêmement puissante qui a su rallier une majorité de la population à sa négation collective de la réforme, le président de la République à remporter sur le plan des objectifs contraires de chacune des parties aux prises, la bataille des retraites de manière pleine et entière.
Certains partisans du mouvement ont défini la victoire de la droite comme étant une victoire à la Pyrrhus, autrement dit une victoire au cout dévastateur pour le vainqueur. La droite en décidant délibérément d’imposer cette réforme contre l’avis majoritaire du peuple se serait elle réellement condamner en grande partie pour les échéances futures ? Invoquée à la fin du mouvement, certains en sont venus à considérer que le président de la République payera au prix fort dans un futur proche, notamment au moment de la présidentielle, cette victoire acquise sur le mouvement social, tellement celle-ci aura générée au sein de la société civile rancœur et frustration. Cependant cette idée se veut avant tout un pari ayant pour but premier de se rassurer et de relativiser la défaite que le mouvement social vient de subir. Ce pari, par définition incertain, mise sur la capacité du ressentiment qui s’est accumulé à l’encontre de Nicolas Sarkozy, au cours de cette période conflictuelle, à se transformer en débouché positif sur le plan électoral notamment pour la gauche gouvernante.
Déjà en 2006, certains en étaient déjà venus à interpréter les résultats de la séquence sociale, qui avaient vu le mouvement social défaire la droite au pouvoir, comme les futurs résultats de la présidentielle devant se dérouler un an plus tard et proclamer la fatale victoire de la gauche. L’un des slogans à la fin du mouvement CPE était d’ailleurs « 2006 dans la rue, 2007 dans les urnes », comme si ce qui pouvait se produire au cours d’une séquence de lutte donné pouvait être transposé pour une séquence électorale, encore plus pour une séquence présidentielle qui, étant la rencontre entre un candidat et un peuple, reste largement insaisissable. L’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, un an après la déroute de la droite que d’aucun voulait voir condamnée à la défaite, est ici pour rappeler que si des victoires ou des batailles sociales peuvent effectivement peser sur le futur, il faut toujours se garder de tout automatisme en politique. Il est ainsi faux d’affirmer catégoriquement que la victoire remportée aujourd’hui par le président porte en elle sa défaite future comme la nuée porte l’orage.
Dès lors, on peut trouver plus nuancé, et de facto plus juste, l’énoncé déclaré par certains leaders acteurs du mouvement, qui pour justifier la nécessité de se mobiliser ici et maintenant contre la réforme des retraites sans attendre une hypothétique victoire d’une gauche qui aurait cette fois-ci su défaire ce qui aurait été accompli par la droite, insistait sur le fait que la force du pouvoir en place jusqu’à la fin du quinquennat ne serait pas le même en cas de victoire ou cas de défaite de sa part. Battre effectivement Sarkozy en tuant dans l’œuf sa réforme s’était certes à court terme le condamner à l’impuissance, le décrédibiliser peut être irrémédiablement aux yeux de son camp, mais sans que cela en vienne à conditionner absolument les futurs résultats de l’élection présidentielle.
Quel rôle a joué l’intersyndicale dans ce mouvement ? Son caractère très composite n’a telle pas été une limite à son efficacité ? Depuis 2009 et la mobilisation des travailleurs et d’une partie de la jeunesse contre les effets sociaux-économiques de la crise du capitalisme, ( une telle séquence unitaire avait déjà vu le jour en 2006 lors du mouvement contre le contrat première embauche ), l’exigence de travailler de concert, en se dotant d’une structure commune pour marcher ensemble au delà des divergences, s’est imposée aux directions syndicales. L’unité syndicale large qui a existé lors de ce mouvement des retraites s’inscrit dans la continuité des journées de mobilisations unitaires du premier semestre 2009.
Il faut d’abord souligner que cette exigence d’unité a joué le rôle de garde fou en prévenant chez les organisations syndicales, même plus timorées et pressées de trouver une sortie de crise rapide, toute volonté d’aller négocier solitairement les conditions de la défaite, comme cela avait été le cas en 2003 avec la CFDT qui avait dû subir comme sanction une hémorragie militante historique se chiffrant à plusieurs dizaines de milliers de départ. Les organisations ont compris dès le départ qu’une sortie prématurée de l’intersyndical aurait un coût politique trop important à court et à moyen terme pour être assumée. Aucune organisation ne voulait revivre le scénario de 2003, endosser l’étiquette infamante de diviseur et donc de fossoyeur du mouvement. Il fut ainsi jugé indispensable de rester ensemble dans la maison commune jusqu’au bout. Cependant, si la peur partagée de pouvoir apparaitre comme démissionnaire en cas de sortie solitaire du conflit et d’en payer ensuite le prix a nourri effectivement nourri la démarche unitaire des syndicats engagés dans le mouvement, c’est surtout l’intransigeance continue du pouvoir en place, sa volonté de mener à bien son entreprise, en se refusant à toutes concessions susceptibles de séparer les organisations réformistes des organisations les plus radicales, qui a contribué à cimenter l’unité syndicale, aider à son affermissement et à sa pérennisation. En effet, en présentant dès le départ les mesures d’âges, formant la colonne vertébrale de sa réforme et cristallisant les principales tensions, comme des énoncés ne pouvant pas être remis en cause, en faisant ainsi comprendre qu’il n’y avait rien à négocier et que c’est le seulement le rapport de force entre la rue et le pouvoir qui trancherait le conflit dans un sens ou dans un autre, le gouvernement a rendu improbable toute sécession négociatrice.
Ce qui caractérise en premier lieu cette intersyndicale, c’est l’hétérogénéité des forces la composant . Elle réunie, en effet, au sein d’une structure commune des organisations aux positions très contrastés, voire antagonistes. Certaines, comme Solidaires, la FSU, assument un syndicalisme de luttes des classes, promeuvent un projet de société de transcendance sociale, tandis que d’autres, comme la CFDT, la CFTC, la CGE-CGC et une majorité de la CGT inscrivent clairement leurs énoncés dans le consensus capitaliste et peuvent être identifiés à des syndicats d’accompagnements. Cette intersyndicale a eu un rôle ambivalent pour le mouvement car elle s’est révélée être à la fois un amplificateur quantitatif, tout en étant un frein qualitatif. En d’autres termes, l’unité syndical, qui fit la force de la mobilisation, interdisait sa radicalisation. En effet, d’un côté le caractère plurielle de cette intersyndicale, associant syndicats de transformation sociale et syndicats dits « réformiste », est bien ce qui a permis au plus grand nombre de salariés et de jeunes de pouvoir s’identifier au mouvement et de vouloir en réaction y apporter leur concours en rendant visible leur opposition à la réforme des retraites, notamment lors des journées d’action nationale. Sans ce front unitaire élargi, le mouvement n’aurait de toute évidence pas pu prétendre jouir d’une assise numérique aussi conséquente, plusieurs fois plusieurs millions de manifestants, sur une période aussi longue et d’un soutien majoritaire et constant de la population. En cela l’unité syndicale élargie s’est révélé payante quantitativement.
A l’inverse, le caractère réellement composite de l’intersyndicale a fait que l’unité s’est structurée en terme de revendication centrale et commune sur un dénominateur commun réellement faible, vu que les syndicats ne se sont à aucun moment accordés sur un énoncé exprimant l’exigence de retrait plein et entier du projet de réforme, comme ils avaient su le faire en 2006 avec le CPE. En absence d’un mot d’ordre partagé et claire, certaines organisations ont pu entretenir le flou concernant leurs intentions véritables en parlant par exemple de « réécriture », « d’aménagement conséquent » « de demande de véritable négociation ». Cependant il faut reconnaître que si l’exigence de retrait n’était pas assumer collectivement par l’intersyndicale, le mot d’ordre a été lui repris, revendiqué très majoritairement par ceux qui s’étaient mis en mouvement contre le projet de réforme. Il faut également noter que si les syndicats étaient unanime, à des degrés divers, pour dénoncer le projet de réforme des retraites et se mobiliser contre lui, ils n’ont pas essayé, au vu de leurs divergences, d’élaborer ensemble un contre projet, qui aurait pu d’apparaitre comme une véritable alternative au projet du gouvernement. Cette absence de volonté de dépasser ensemble le stade de la seule dénonciation pour embrasser celui de l’énonciation commune, illustre bien les limites de l’unité syndicale élargie, en témoignant de l’impossibilité de conférer à une intersyndicale aussi large une positivité énonciative réelle. Comment en effet mettre d’accord autour de mêmes revendications, une CFDT aspirant à une refonte systémique du système des retraites, (souhaitant le voir évoluer vers un système par point), ayant actée lors de son derniers congrès le nécessaire allongement progressif de la durée de cotisation en fonction de l’allongement de l’espérance de vie et une organisations comme Solidaires revendiquant encore les 37,5 annuités pour tous et n’ayant toujours pas renoncer à voir refermer la parenthèse réactionnaire ouverte en 1993 par la réforme Balladur. Cette incapacité à surmonter les divergences des organisations composant l’intersyndicale, en structurant l’unité autour de dénominateurs commun suffisamment fort avec des propositions communes défendant autre chose que la seule, bien évidemment nécessaire, conservation des acquis, va se faire à nouveau sentir lorsqu’il s’agira de s’accorder sur une stratégie d’action commune.
Comme vous l’avez dit, la CGT et la CFDT, piliers de cette intersyndicale, se sont constamment gardées d’appeler au retrait du texte. Mais ils ont également mollement soutenu, pour ne pas dire moins, les grèves reconductibles qui ont vu le jour dans certains secteurs d’activités, notamment dans celui des raffineries. A la base, certains militants, syndicaux ou non, ont pu avoir le sentiment de ne pas être soutenu dans leur volonté de remettre en cause durablement la normalité quotidienne. Ce choix de la modération dans les revendications et dans la stratégie a t-il vraiment payé ?
Lors du dernier passage du président à la télé, celui-ci n’a pas manqué de rendre publiquement hommage aux syndicats en soulignant leur sens des responsabilités au cours de ce conflit : « Je tiens à dire que les syndicats ont fait preuve de responsabilités au cours de ce mouvement des retraites. ». Cela n’est pas la première fois que la droite prend la peine de louer cyniquement l’attitude de ceux censés être ses adversaires. En effet, lors de la séquence mobilisatrice du premier semestre 2009, François Fillon avait déjà pris la peine de saluer l’évolution réformiste des organisations syndicales qui s’étaient bien gardé de s’inspirer pour la métropole de la stratégie de remise en cause durable de la normalité quotidienne, articulant grèves reconductibles, blocages économique et manifestations de masses, qui était alors mise en œuvre en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion. Ces déclarations, qui sont bien évidemment un brin provocateur, ne naissent cependant pas de rien. Elles révèlent un certain nombre d’inconséquences de la part de ceux dont la fonction est de combattre les politiques remettant en cause les intérêts des travailleurs présent et à venir. En effet, lorsque les adversaires viennent, après une défaite, à féliciter publiquement leurs opposants pour rendre hommage à ce qu’il nomme euphémiquement « leur sens des responsabilités », cela démontre que la stratégie choisie par ces mêmes opposants a pu concourir, malgré elle, de fait de sa non adaptation au niveau de détermination du pouvoir en place, à la victoire finale de ceux dont ils s’étaient engagés à combattre la politique.
L’intersyndicale n’a jamais voulu consentir à la grève générale, au blocage du pays, à la rupture durable, prolongé avec la normalité quotidienne. Elle n’a ainsi jamais fait de la cessation d’activité reconductible de secteurs au potentiel paralysant un horizon à atteindre, considérant que la paralysie progressive du pays était désormais, au vu de l’intransigeance du pouvoir en place, la seule stratégie responsable, pouvant prétendre créer les conditions d’un possible renversement du rapport de force en faveur de ceux réclamant le retrait de la réforme des retraites. Au contraire, elle l’a toujours rejetée du champ des registres possibles et souhaitables. Bernard Thibault a déclaré ainsi, lorsque la grève générale commençait à être inscrite à l’ordre du jour dans certains secteurs, que celle-ci n’était " qu’un slogan abstrait" qui "ne correspond pas aux pratiques par lesquelles on parvient à élever un niveau de rapport de force". Interrogé sur son souhait d’une grève générale, il avait fermement répondu "non". L’intersyndicale, sans bien évidemment dire explicitement, « manifestons en masse mais défense d’aller plus loin », a toujours souhaité que la stratégie « des temps forts », correspondant à des journées nationales de manifestations séparées dans le temps les unes des autres, demeure la stratégie hégémonique du mouvement. Les organisations syndicales n’ont cessé de faire du nombre de manifestants présents lors de ces journées de mobilisation successives, le seul critère de réussite du mouvement, alors que très rapidement il a semblé évident que ces manifestations de rues, aussi massives soit elles, ne parviendraient pas, à elles seules, à contraindre le pouvoir en place à renoncer à son projet de réforme, lui qui ne cessait de répéter qu’il ne reculerait pas, indépendamment du nombre de manifestants usant les pavés. Cette stratégie faisant le pari d’un accroissement continu du nombre de manifestants, et faisant de la force du nombre le seul moyen permettant de mettre Nicolas Sarkozy dans une situation intenable, s’est révélée être totalement inadaptée à la situation présente et notamment au type de pouvoir auquel le mouvement social avait à faire face. Ainsi, la tendance réformiste de l’intersyndical, majoritaire tout au long du mouvement, n’a pas souhaité que le mouvement subisse à un moment donné une quelconque transformation qualitative et adapte réalistement sa stratégie au degré de résistance du pouvoir en place. Cette volonté d’exclure définitivement la grève reconductible du champs des possibles apparaît au grand jour lors de la semaine du 12 au 19 octobre, qui a amené le mouvement à la croisée des chemins, « au bord du gouffre », et qui aurait pu le faire basculer dans une temporalité conflictuelle supérieure et peut être décisive. En effet, lors de cette semaine, alors que depuis le 7 septembre des manifestations de masses se succédaient sans aucun résultat tangible, le mouvement a franchi un saut qualitatif en décidant d’élargir son répertoire d’action. On assista ainsi dans différents secteurs à des appels locaux et nationaux à la grève reconductible. Ceux-ci ne restèrent pas lettre morte et débouchèrent notamment sur la paralysie prolongée de l’ensemble des raffineries du pays provoquant le début d’un processus d’assèchement des pompes à essence. En parallèle, de ces grèves reconduites, on fut confronté à la multiplication d’actions de blocages économique menés un peu partout sur le territoire, frappant en priorité des voies de locomotions, des cites stratégiques et ayant pour dessein de contribuer au processus visant à parasiter le plus possible le quotidien ordinaire et à faire ainsi ressentir le mouvement de façon plus ou moins permanente par la population. Le but par ces actions protéiformes, que se soit les grèves reconductibles dans des secteurs au potentiel paralysant et les actions de blocages, étaient bien que la tension conflictuelle ne retombe pas entre deux journées de manifestations appelées par l’intersyndicale, que chacun puisse avoir le sentiment d’une permanence de la lutte. Cette séquence inédite ne fut pas le résultat d’un quelconque aventurisme, fuite en avant désespéré par une minorité jusqu’au-boutiste, mais bien le fruit d’un pragmatisme militant qui, actant la détermination du pouvoir en place à mener son entreprise réformatrice à son terme indépendamment du nombre de manifestants, jugea de plus en plus impératif le dépassement de la stratégie « des temps forts », qui, à elle seule, ne permettrait pas de renverser le rapport de force en faveur des forces populaires. Les manifestations avaient fait le plein à plusieurs reprises sans que cela contraigne le pouvoir à un quelconque renoncement conséquent quant au contenu de sa réforme. Aussi, certains ont souhaité à un moment donné que ne soit plus opposé, mais bien articuler, la force du nombre, exprimée lors des journées de grandes manifestations, avec la force paralysante des grèves reconductibles des secteurs clés et des actions de blocages économiques. A cette séquence inédite élevant enfin le degré conflictuelle du mouvement, répond un communiqué de l’intersyndical, le 21 octobre, extrêmement modéré et même relativement déconnecté de la réalité qui se présentait alors. En effet, le communiqué commun, auquel seul les organisations syndicales réformistes ont souscris, réussit l’exploit de ne faire aucune allusion aux grèves reconductibles qui sévissaient pourtant déjà depuis une semaine dans la totalité des raffineries et qui faisaient surgir le spectre d’une pénurie progressive d’essence à l’échelle du pays. Ce silence délibéré a pu être interprété par certains comme une désapprobation tacite de la part de l’intersyndical de ceux ayant décidé d’assumer une stratégie de reconduction de la grève sur un temps indéterminé. A l’instar des grèves reconductibles, les actions de blocages économiques furent également condamnées de manière détournée par l’intersyndical lorsque celle-ci évoqua dans le même communiqué son soucis du « respect des biens et des personnes ». Pourquoi les organisations syndicales, notamment la CGT et la CFDT n’ont elles pas à ce moment précis osé apporter un soutien plein et entier aux grèves des raffineries, en faisant d’elles des exemples à suivre pour les autres secteurs toujours en activité ? Pourquoi, au lieu de faire le pari de la paralysie progressive du pays en essayant de convaincre les salariés de la nécessité de recourir à la grève reconductible pour que le mur de l’inflexibilité érigé par le gouvernement sur la route du mouvement social ait une chance se fissurer effectivement, l’intersyndical a telle fait le choix de préférer que jamais ce scénario de paralysie du pays puisse se réaliser effectivement, excluant d’abord en amont systématiquement cette perspective du champ des possibles et une fois celle-ci quand même advenue ne rien faire pour aider à sa généralisation ?
Une des raisons pouvant être avancée pour comprendre cette attitude, que d’aucun ont pu trouvé irresponsable, réside dans le rapport que l’on peut qualifier de fétichiste qu’ont pu entretenir les organisations réformistes, majoritaires au sein de l’intersyndical, avec la notion d’opinion publique. De cette focalisation permanente découle la peur phobique que cette opinion publique puisse se retourner et en vienne à retirer majoritairement son soutien le mouvement si celui-ci prenait une direction jugé trop radical. Ainsi, elle considérait que les grèves reconductibles et autres actions de blocages généreraient trop de dénigrements, trop de nuisances pour que cela n’amène pas le mouvement à se couper de la majorité de l’opinion salariale, supposée fatalement ne pas pouvoir supporter une telle situation de paralysie.
De cela deux erreurs peuvent être soulignées. D’abord le fait que l’intersyndical, faisant de l’opinion publique une boussole pour façonner ses orientations stratégiques, l’est considéré comme si elle était un fossile ayant une opinion figée, ne pouvant évoluer avec le temps, au lieu d’essayer au contraire de partir de son niveau de conscience pour essayer de l’élever qualitativement et l’amener à embrasser les énoncés, qu’ils soient politiques ou tactique du mouvement. Puis, les syndicats réformistes majoritaires ont fait l’erreur de considérer la prétendue modération de la très grande majorité des salariés comme une donné fatale, fixé une fois pour toute, interdisant de facto toute volonté de construire un niveau d’affrontement supérieur. Or, quiconque a vécu de l’intérieur un mouvement sait que le niveau d’acceptabilité vis à vis de telles ou telle stratégie radical assumant pratiquement des formes de délinquance politiques, peut évoluer, se modifier avec le temps. Ce qui est à un moment donné considéré par une majorité de la population comme inacceptable peut finir par être regardé comme quelque chose d’acceptable et de légitime par le plus grand nombre. Par exemple, la multiplication d’actions de blocages à la base isolés, vu comme des agissements minoritaires, inefficace, aide à leur banalisation, à leur normalisation et donc à leur légitimation progressive au prêt du plus grand nombre. Pour conclure, on pourrait dire que les animateurs de l’intersyndical ont été très majoritairement sur une ligne social démocrate. Cette ligne, n’ayant enfanté ni le retrait de la réforme, ni des concessions significatives, s’est révélé être une nouvelle fois, comme cela avait déjà été le cas lors de la séquence du premier semestre 2009, totalement inadaptée au type de pouvoir en place. L’échec du mouvement dans ses revendications immédiates consacre, à mon sens, la faillite de la stratégie « responsable » de la majorité de l’intersyndicale.
Appelé à la grève générale, soutenir publiquement les salariés qui avaient décidé de suspendre le travail pour une durée indéterminé, cela aurait il suffit à rendre la grève générale effective ? A partir du moment où la grève franche était resté cantonner à un seul vrai secteur, celui des raffineries, le destin du mouvement n’était il pas étroitement lié au destin de ce secteur-ci ?
La grève générale ne doit pas être considérée comme une loi systématique qu’on appliquerait mécaniquement, comme une recette miracle, en la déconnectant de l’analyse concrète de la situation concrète. Elle est un pari stratégique, fruit d’un pragmatisme radical. A un moment donné, on en vient à considérer que le pari de la rupture durable avec la normalité quotidienne se doit d’être tenté, en jugeant son recours indispensable pour que puisse être atteint le niveau de conflictualité nécessaire au possible renversement du rapport de force en faveur des forces populaires. Comme tout pari, il n’y a aucune garantie de succès, aucune assurance quant à un possible retour sur investissement. La grève générale était elle possible lors de ce mouvement ? La réalité sociale et politique est aujourd’hui façonnée par le chômage de masse, par les formes particulières d’emplois, par le blocage des salaires, par l’éclatement du salariat, par l’absence d’une idéologie transcendantale comme pouvait l’être l’hypothèse communiste. Aussi il est certain qu’en l’état, elle n’est pas un terreau fertile pour le développement d’un engagement durable des travailleurs. Pourtant des solutions existaient, et elles ont été mises en œuvre dans ce mouvement, pour contrevenir à cette réalité peu favorable à la grève générale et palier à la dépendance économique des travailleurs. On pense notamment à l’organisation de la solidarité à la base pour les aider à bénéficier de revenus de substitution, en cas de suspension prolongée du salaire, pour limiter au maximum le coût de la grève et créer ainsi les conditions de sa reconduction dans le temps par le plus grand nombres de travailleurs possibles. Dès lors, stigmatiser les appels à la grève générale comme vœux pieux et aspirations chimérique, rate l’enjeu du débat. La vraie question, pour reprendre une expression de Sophie Beroud et Karel Yon dans leur « anatomie d’un grand mouvement social, était « moins de savoir si la grève générale la grève générale était réalisable ou pas que de s’interroger sur le niveau d’affrontement nécessaire pour triompher du gouvernement ». Ainsi, si un appel à la grève générale n’était bien évidemment pas certain d’être suivis effectivement par une majorité de salariés, le faire aurait témoigner de la volonté de l’intersyndical d’exploiter toute les potentialités du mouvement. Les syndicats, dans leur majorité ont fait un autre choix, peut être plus « responsable » aux yeux à leurs yeux et celui du gouvernement mais condamnant le mouvement à une défaite certaine.
Quand à la dépendance qui s’est progressivement créer entre les raffineries en grève et le reste du mouvement, elle semble réelle. En effet, la perspective de victoire pour le mouvement est devenue totalement et définitivement chimérique à partir du moment où la grève a été levé et que le travail dans les raffineries à reprit. Le déclin rapide du mouvement dans les semaines qui ont suivi en témoigne largement. Ainsi, la reprise du travail effectuée dans un laps de temps très court dans les 12 raffineries en grève depuis plus de deux semaines et le déblocage des terminaux pétroliers n’ont pas été des faits anodins, dont on peut minorer les conséquences sur le rapport de force global. Ils constituent bel et bien dans l’histoire de ce conflit à la fois le tournant négatif pour le camp de la résistance sociale et le tournant positif attendu, souhaité par les partisans de la réforme. En effet, vu que la grève ne s’était pas étendue à d’autres secteurs d’activités de manière aussi massive et durable, vu que trop peu de salariés, hormis une minorité de cheminots et d’éboueurs de manière très localisé, n’ont pu ou voulu allumer d’autres foyers de résistance prolongés, le maintien de la conflictualité du mouvement à un niveau suffisamment conséquent, permettant d’entretenir l’espoir de victoire, dépendait étroitement de la capacité des ouvriers des raffineries à tenir en perpétuant dans le temps leur stratégie «exemplaire ». Dès lors, la fin de la grève prolongée dans ce secteur, devenu le fer de lance, symbole du peuple en lutte et dont la cessation d’activité avait engendré un processus d’assèchement des pompes et menacé le pays d’une pénurie d’essence, a fait perdre aux acteurs de cette lutte un point d’appui essentiel, une référence indispensable, qui par sa seule existence et par le seul niveau de pression qu’il émettait entretenait la foi du plus grand nombre dans la lutte et dans un possible dénouement positif de celle-ci et nourrissait ainsi l’engagement. Pour beaucoup, la reprise du travail dans les raffineries, alors que rien de conséquent au niveau des revendications avait été obtenu, symbolisa l’incapacité défective du mouvement à pouvoir faire plier le pouvoir en place.
Le mouvement s’est caractérisé par des pratiques de liaisons à la base, notamment dans le cadre des actions de blocages qui se sont multipliées en parallèle des grèves reconductibles. Ces jonctions entre personnes qui d’ordinaire ne se côtoient pas, doivent elle être considérées comme la véritable originalité positive de ce mouvement ?
Le risque était de voir un mouvement segmenté dans lequel chaque secteur particulier, chaque génération particulière marcheraient séparément sans chercher à s’unir politiquement pour frapper ensemble. Un mouvement qui ne soit en réalité que le simple miroir de la réalité sociale quotidienne, c’est à dire frappé de la même atomisation, de la même division sociale. La réforme, contrairement à ses funestes prédécesseurs qui fruit de la stratégie du saucissonnage s’étaient attaqués successivement aux salariés du privé et du public, concernait l’ensemble du salariat présent et venir et ne pouvait donc ressembler à une lutte de salariés d’un secteur particulier luttant solitairement pour défendre des intérêts corporatistes. Il ne pouvait donc s’agir que d’un mouvement général, total, qui transcenderait les classes d’âges et les catégories sociales. A une réforme réactionnaire frappant les salariés présent et à venir indistinctement et exprimant la volonté politique de l’oligarchie de faire payer une seconde fois la crise du capitalisme au peuple, il a fallu organiser en réaction un mouvement parvenant à dépasser effectivement les frontières, les barrières sociales ordinaire qui tendent à enferment les personnes dans un destin solitaire. Cette exigence d’unité sociale et politique s’est réalisée principalement dans le cadre des actions de blocages qui ont été mené un peu partout sur le territoire. La véritable originalité n’est pas tant ici le fait que des acteurs du mouvement social ont à un moment donné jugé indispensable le recours aux actions de blocages économiques. La même stratégie de parasitage de la vie quotidienne s’était déjà largement développée lors du mouvement anti-CPE. Ce qui est davantage inédit, c’est la composition sociologique de ces actions de blocages. C’est le fait que des salariés, des étudiants et des chômeurs se sont rejoints à un endroit donné pour aller bloquer ensemble un cite stratégique ou une voie de locomotion au potentiel paralysant. Durant le mouvement CPE seul la jeunesse engagé avait solitairement entrepris ces blocages. Ces jonctions de personnes qui ne se côtoient pas ordinairement dans la vie quotidienne peuvent être vues comme des solidarités de transcendance sociale. Elles auront permis d’éviter un mouvement atomisé, balkanisé, miroir de la division social du travail dans la société capitaliste, dans lequel chacun lutterait dans son coin avec les siens, c’est à dire ceux avec qui il partagerait une normalité quotidienne commune. Il faut cependant souligner que ces actions de blocages ont été d’abord vus, par ceux qu’ils les ont entreprises, comme une tentative minoritaire pour ne pas se résigner au constat que la paralysie du pays ne serait intervenir grâce à un développement généralisée de la grève. Les très fortes réticences de l’intersyndical et le phénomène constaté de grève par délégation en étaient les principales explications. Par définition, ces actions de blocages, menées par quelques dizaines, voire quelques centaines de personnes d’horizons différentes, à des endroits dit stratégiques, ne pouvaient bien évidemment pas prétendre à la même efficacité qu’une grève prolongée dans une majorité des secteurs d’activité. Ces actions ont été menées dans le but d’essayer à la fois de compenser au maximum, en sachant pertinemment la faiblesse de ses forces, cette absence de grève prolongée, qui est resté largement cantonnée aux raffineurs, à une minorité de cheminots et d’éboueurs, et de participer modestement, par des actions d’éclats, à la permanence de la lutte, au maintien d’une situation quotidienne conflictuel, tendue. Cette stratégie de blocages fut donc une stratégie essentiellement par défaut, qui même si elle pouvait paraître vaine, répondait aux exigences qu’imposait la résistance du pouvoir en place. Au final, on peut dire que ce mouvement a connu ce que l’on peut définir comme un début de crise du fonctionnalisme, c’est à dire une situation dans laquelle chacun cesse d’assumer la seule fonction sociale qui lui est associé ordinairement (étudiants, salariés du publique, salariés du privé, retraités, lycéens, chômeurs...) et en vient à embrasser la fonction sociale commune de ceux engagés dans le mouvement, celui d’acteur de la lutte en cours. C’est un des grands acquis de ce mouvement.
Est ce que la défiance ressentie aujourd’hui par de plus en plus de salariés présent ou à venir à l’égard du travail salarié, a telle pu affermir le refus de devoir travailler deux années supplémentaires avant d’avoir le droit de partir en retraite ?
Ce mouvement, qui s’éleva contre l’impératif du travailler toujours plus longtemps, présenté comme la seule solution pouvant assurer la pérennité du système de retraite par répartition, fut effectivement pétri de défiance à l’encontre du travail salarié et de sa violence, tel qu’elle est vécue aujourd’hui par des millions de travailleurs. Si l’allongement forcé de la durée de vie au travail a été vécu comme une véritable peine insupportable par une majorité de la population, ce n’est pas seulement parce que celle-ci compris que le rehaussement de l’âge légal de départ à la retraite et l’augmentation de la durée de cotisation engendrerait fatalement à moyen terme une nouvelle baisse des pensions des futurs retraités, créant ainsi les conditions d’un développement de la marchandisation des retraites via le développement de la capitalisation. C’est aussi, et peut être surtout, parce que ces deux années de travail supplémentaires, qu’on exigerait désormais aux salariés, furent perçues comme deux années de souffrances, d’aliénation, de mutilation en plus et par la même deux années de temps libérées, insubordonnées, de vivre en moins ! Oui," libérer le travail des rapports de production capitaliste pour qu’il redevienne un besoin, une source de réalisation, d’accomplissement " a été un mot d’ordre qui, sans être scandé dans les cortèges, imprégna incontestablement l’esprit de contestation commun.
La capacité d’une partie de la jeunesse à se mobiliser effectivement contre cette réforme des retraites était un des grands enjeux de cette séquence de lutte.
La réforme des retraites, si on en croit ses géniteurs, a été décidée et entreprise au nom des jeunes générations, afin que puisse être garantie le financement de leurs futures retraites. Réformer une nouvelle fois le système des retraites pour sauvegarder les retraites des jeunes, noble et juste cause semble t-il ; encore fallait il que les solutions que le gouvernement tentait d’imposer à la jeunesse et aux salariés n’en viennent pas à rimer avec baisse programmée des futures pensions et aggravation des difficultés pour les jeunes à entrer de façon pérenne sur le marché du travail. Le gouvernement voulait avec cette baisse insidieuse des pensions, créer un climat de défiance à l’encontre du système de répartition chez les jeunes générations, alimenter sa crise de crédibilité en nourrissant délibérément l’idée désespérante que « de toute façon, nous les jeunes on n’aura pas retraite », afin de les persuader que leur salut ne pourra passer que par l’épargne individuel, le chacun pour soi, la construction solitaire de sa retraire. Face à un système par répartition permettant, du fait des réformes réactionnaires successives, de moins en moins d’espérer jouir d’une pension décente, les partisans de la réforme souhaitent que les jeunes en viennent en réaction à se tourner vers des canaux de financements complémentaires, tels que les fameux fonds de pension. Le dessein étant bien évidemment qu’à terme l’argent des retraites, aujourd’hui encore très largement socialisé, cesse d’échapper aux lois du marché et devienne une marchandise comme une autre pouvant être une source de profil. De plus, les jeunes ont très vite compris que l’exigence réclamée aux anciennes générations de consentir à deux années de travail supplémentaires, pour ceux qui pourront le faire, allait avoir pour principal conséquence d’entretenir le chômage déjà de masse des nouvelles générations, en retardant la possibilité de jouir de ces postes devant être libérés. La mobilisation de la jeunesse lors de ces semaines de luttes revête un caractère inédit. En effet, c’est bien la première fois que les jeunes s’engagent de manière aussi visible pour la défense d’une certaine idée de la retraite, qui, apparaissant logiquement comme un horizon très lointain, aurait pu être considéré par une grande majorité de jeunes comme une abstraction théorique, échappant de facto à leur centre d’intérêt. La mobilisation des jeunes fut assumée très majoritairement par les lycéens. Ainsi, on parla davantage de mouvement lycéen, que de mouvement de jeunes. Ceux-ci à partir du mois d’octobre organisèrent, sur un espace temps que l’on peut estimer à au moins trois semaines, le blocage de leurs lycées respectifs et essayèrent de construire une mobilisation jeune que si voulait à la fois autonome et solidaire du mouvement salariés. Cette demande d’apparition propre se concrétisa par l’adoption d’un calendrier de manifestations et d’actions décentralisées à destination de la jeunesse, qui chevaucha cependant largement celui décidé par l’intersyndical. Cet engagement d’une partie de la jeunesse scolarisée au côté des autres générations de travailleurs a suscité moquerie, incompréhension, dédain, stigmatisation et infantilisation chez ceux dont le mépris pour la jeunesse révolté cachait mal leur crainte de voir un front unitaire de lutte intergénérationnelle se constituer pour demander à ce que la réforme des retraites ne soit pas entérinée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire