lundi 29 mars 2010

LE CATÉCHISME RÉVOLUTIONNAIRE - Sergueï NETCHAÏEV

 Principes par lesquels le révolutionnaire doit être guidé


ATTITUDE  DU  RÉVOLUTIONNAIRE  ENVERS  LUI-MÊME.
 
1. Le révolutionnaire est un homme condamné. Il n'a pas d'intérêts propres, pas de liaisons, pas de sentiments, pas d'attaches, pas de biens et pas même de nom. Tout en lui est absorbé par un seul et unique intérêt, une seule pensée, une seule passion : la révolution.
2. Tout au fond de son être, non seulement en paroles mais aussi en actes, il a rompu tout lien avec l'ordre établi et le monde cultivé dans son ensemble, avec ses lois, ses propriétés, ses conventions sociales et ses principes éthiques. Il est un ennemi implacable de ce monde, et s'il continue d'y vivre, c'est pour mieux le détruire.
3. Le révolutionnaire exècre les doctrines et a rejeté les sciences ordinaires, les laissant aux générations futures. Il ne connaît qu'une seule science, la science de la destruction. A cette fin, et à cette fin seule, il étudiera la mécanique, la physique, la chimie et peut- être la médecine, a cette fin, il étudiera jour et nuit la science vivante : le peuple, ses caractéristiques, son fonctionnement et tout ce qui constitue le présent ordre social à tous les niveaux. Son seul et unique objectif est la destruction immédiate de cet ordre ignoble.
4. Il méprise l'opinion publique. Il exècre et abhorre l'éthique sociale existante dans toutes ses manifestations et expressions. Pour lui, est moral tout ce qui peut permettre le triomphe de la révolution. Est immoral et criminel tout ce qui se trouve en travers de son chemin.
5. Le révolutionnaire est un homme dévoué, impitoyable envers l'État et l'ensemble de la société éduquée et privilégiée ; il ne doit pas attendre d'elle la moindre pitié. Entre elle et lui existe, qu'elle soit déclarée ou non déclarée, une guerre incessante et sans fin. Il doit se préparer à supporter la torture.
6. Dur envers lui-même, il doit être dur envers les autres. Toutes les émotions tendres ou efféminées de connivence, d'amitié, d'amour, de gratitude et même d'honneur doivent être refoulées en lui par une passion froide et entêtée pour la cause révolutionnaire. Il n'est pour lui qu'un seul délice, une seule consolation, une récompense et une gratification : le succès de la révolution. Jour et nuit, il ne doit avoir qu'une seule pensée, un seul but : la destruction sans merci. Dans sa poursuite froide et infatigable de ce but, il doit être prêt à mourir lui-même et à détruire de ses propres mains tout ce qui pourrait l'empêcher.
7. La nature du véritable révolutionnaire ne laisse pas de place pour le romantisme, le sentimentalisme, l'extase ou l'enthousiasme. Elle ne laisse pas davantage de place à la haine personnelle ou à la vengeance. La passion révolutionnaire, qui doit devenir pour lui le mode de pensée courant, doit à tout moment être combinée au plus froid calcul. En tout instant et endroit, il ne doit pas être ce que lui dictent ses inclinations personnelles, mais ce que l'intérêt général de la révolution commande.
ATTITUDE  DU  RÉVOLUTIONNAIRE  ENVERS  SES  CAMARADES.
8. Le révolutionnaire respecte ses amis mais ne chérit que celui qui s'est montré dans les faits comme aussi révolutionnaire que lui. L'étendue de cette amitié, de cette dévotion et d'autres obligations envers son camarade n'est déterminée que par leur degré d'utilité au travail pratique de complète destruction révolutionnaire.
9. La nécessité de la solidarité entre révolutionnaires est évidente. Elle est constitutive de la vigueur du travail révolutionnaire. Les camarades révolutionnaires ayant le même degré de compréhension révolutionnaire et de passion devraient, autant que possible, discuter ensemble des choses importantes et prendre des décisions unanimes. Mais même en mettant au point un plan échafaudé de la sorte, chaque homme doit autant que possible ne compter que sur lui-même. En accomplissant une série d'actes de destruction, chaque homme doit agir par lui-même et ne recourir aux conseils et à l'aide de ses camarades que si cela est nécessaire à l'accomplissement du plan.
10. Chaque camarade devrait avoir sous ses ordres plusieurs révolutionnaires des deuxième et troisième catégories, c'est-à-dire des camarades qui ne sont pas complètement initiés. Il doit les regarder comme des portions d'un fonds commun du capital révolutionnaire placées à sa disposition. Il doit dépenser ses portions du capital avec parcimonie, tentant à chaque fois d'en tirer le maximum de bénéfice. Il doit se regarder lui-même comme un capital consacré au triomphe de la cause révolutionnaire ; mais comme un capital dont il ne peut disposer librement sans le consentement de la compagnie entière des camarades initiés.
11. Lorsqu'un camarade a des ennuis, le révolutionnaire, quand il décide ou pas de l'aider, ne doit pas prendre en compte ses sentiments personnels mais le bien de la cause révolutionnaire. Il doit donc peser, d'un côté l'utilité du camarade, et de l'autre la quantité d'énergie révolutionnaire qui devrait être dépensée pour sa délivrance, et doit décider laquelle a le plus de poids.
12. L'admission d'un nouveau membre, qui s'est illustré non en paroles mais en actes, ne peut être le fait que d'un accord unanime.
ATTITUDE  DU  RÉVOLUTIONNAIRE  ENVERS  LA  SOCIÉTÉ.
13. Le révolutionnaire vit dans le monde de l'État, des classes et de la soi-disant culture, et n'y vit que parce qu'il croit à sa destruction complète et rapide. Il n'est pas révolutionnaire s'il ressent de la pitié pour quoi que ce soit en ce monde. S'il en est capable, il doit envisager l'annihilation de sa situation, d'une relation ou de toute personne faisant partie de ce monde ; tout et tous doivent lui être également odieux. Cela est difficile s'il possède une famille, des amis et des êtres chers en ce monde ; il ne peut être révolutionnaire s'ils peuvent arrêter sa main.
14. Tout en visant à une implacable destruction, le révolutionnaire peut et doit parfois vivre au sein d'une société en prétendant être ce qu'il n'est pas. Le révolutionnaire doit s'infiltrer partout, au sein des classes basses et moyennes, dans les maisons de commerce, les églises, les manoirs des riches, le monde de la bureaucratie, de l'armée, de la littérature, de la 3è section (la police secrète) et même au palais d'Hiver.
15. Cette société infecte doit être découpée en plusieurs catégories. La première comprend tous ceux qui doivent être immédiatement condamnés à mort. La société doit rédiger une liste de ces personnes condamnées, fonction leur relative menace exercée à l'encontre d'une progression harmonieuse de la cause révolutionnaire, et pour permettre leur élimination.
16. Pour établir ces listes en fonction des raisons énoncées plus haut, il convient de ne pas se laisser guider par les actes individuels de traîtrise commis par la personne, ni même par la haine qu'elle provoque au sein du peuple. Ces traîtrises et cette haine peuvent toutefois s'avérer utiles, puisqu'elles incitent à la rébellion populaire. On doit se fonder sur le service que la mort de l'individu pourrait rendre à la cause révolutionnaire. C'est pourquoi ceux qui doivent être annihilés en premier sont les individus particulièrement dangereux pour l'organisation révolutionnaire, et dont la mort soudaine et brutale effraiera le gouvernement et, le privant de certains de ses représentants les plus intelligents et énergiques, diminuera sa force.
17. La deuxième catégorie recouvre ceux à qui un répit temporaire est accordé, uniquement afin que leur comportement bestial ne pousse inévitablement le peuple à la révolte.
18. À la troisième catégorie appartient le troupeau des personnalités de haut rang ou des personnages qui ne sont pas distingués par leur intelligence particulière ou leur énergie mais qui, par leur position, sont prospères et jouissent de leurs connexions, leur influence et leur pouvoir ; ils doivent être pris la main dans le sac et confondus et, quand nous aurons découvert suffisamment de leurs sales petits secrets, nous en ferons nos esclaves. Leur pouvoir, leur influence, leurs connexions, leur richesse et leur énergie constitueront notre inépuisable maison du trésor et une aide efficace à nos entreprises variées.
19. La quatrième catégorie comprend les personnes ambitieuses politiquement et les libéraux de différentes nuances. Nous pouvons conspirer avec eux, en suivant leur programme, et prétendre les suivre aveuglément, alors que nous prenons leur contrôle, que nous révélons tous leurs petits secrets et les compromettons à un tel point qu'ils soient irrémédiablement impliqués et puissent être employés pour semer le désordre au sein de l'État.
20. La cinquième catégorie est composée des doctrinaires, des conspirateurs, des révolutionnaires, tous ceux qui s'adonnent aux vaines péroraisons, en public ou sur le papier. Ils doivent être continuellement incités et poussés à rédiger de violentes déclarations poussant à l'action, de manière à ce que, dans leur majorité, ils disparaissent sans laisser de trace et que les intérêts des vrais révolutionnaires s'en trouvent quelque peu accrus.
21. La sixième et importante catégorie est celle des femmes. Elles doivent être réparties en trois catégories. Premièrement, ces femmes frivoles et sans cervelle que nous pouvons utiliser comme les troisième et quatrième catégories d'hommes. Deuxièmement, les femmes ardentes, talentueuses et dévouées, mais qui ne nous ont pas rejoints parce qu'elles n'ont pas encore atteint une compréhension réelle, pratique et dénuée de passion de la révolution : ces femmes doivent être utilisées comme les hommes de la cinquième catégorie. Finalement, les femmes qui sont en complète adéquation avec nous, ont été pleinement initiées et acceptent notre programme dans son intégralité : nous devons regarder ces femmes comme le plus précieux de nos trésors, dont l'assistance nous est indispensable.
ATTITUDE  DE  LA  CONFRÉRIE  ENVERS  LE  PEUPLE.
22. La Confrérie n'a pas d'autre but que l'entière libération et le bonheur du peuple - c'est-à-dire des travailleurs. Mais, convaincue que cette libération et ce bonheur ne sont possibles qu'au moyen d'une révolution populaire qui balayerait tout sur son passage, la Confrérie contribuera de toutes ses forces et de toutes ses ressources au développement et à l'extension des souffrances qui épuiseront la patience du peuple et le pousseront à un soulèvement général.
23. La Confrérie n'entend pas sous "révolution populaire" un mouvement réglé selon les idées de l'Occident, et qui s'arrêterait respectueusement devant la propriété et les traditions de l'ordre social, et devant ce qu'on appelle la civilisation et la moralité. Ce genre de mouvement s'est borné jusqu'ici à renverser une forme politique, afin de la remplacer par une autre et de créer l’État dit révolutionnaire. Seule peut être salutaire au peuple une révolution qui détruira jusqu'aux racines de l’État, et supprimera toutes les traditions, les classes et l'ordre même existant en Russie.
24. Aussi, la Confrérie n'a nulle intention d'imposer au peuple une organisation venant d'en haut. La future organisation sera sans aucun doute élaborée par le mouvement et la vie populaire elle-même - mais c'est là l'affaire des générations futures. Notre œuvre à nous est une destruction terrible, entière, générale et implacable.
25. Aussi, en cherchant un rapprochement avec le peuple, nous devons tout d'abord nous joindre aux éléments populaires qui, depuis la fondation de l'Etat moscovite, n'ont pas cessé de protester non seulement en paroles, mais en actes, contre tout ce qui est lié directement et indirectement au pouvoir : la noblesse, les fonctionnaires, les corporations, le commerçant exploiteur. Joignons-nous aux brigands hardis, qui sont les seuls véritables révolutionnaires de la Russie.
26. Fondre ces bandes en une force invincible qui détruira tout sur son passage - telle sera l'œuvre de notre organisation, de notre conspiration, tel sera notre but.
  Sergueï NETCHAÏEV 1869


Il y a une polémique au sujet de ses relations avec Bakounine et  de son éventuelle participation à la rédaction du texte.

 BIOGRAPHIE DE NETCHAEV



Serge Gennadevith Netchaev est né le 20 Septembre 1847 dans la petite ville d'Ivanovo, centre textile situé au nord-est de Moscou. Son père était un ancien peintre en bâtiment devenu garçon de café. Sa mère, qui mourut alors que l'enfant n'avait que six ans, était la fille d'un serf affranchi. A l'âge de neuf ans Serge commença son apprentissage à l'usine. Après avoir été renvoyé de celle-ci, il poursuit ses études et obtient un poste d'instituteur à l'école paroissiale de Saint-Pétersbroug. Introduit dans des cercles d'étudiants nihilistes révolutionnaires, sa personnalité lui permit de dominer immédiatement ses camarades et de s'imposer comme leur chef. Dans le but de se faire passer, aux yeux de ses compagnons, pour un personnage révolutionnaire important, il réussit à leur faire croire à son arrestation. A la suite il va à Genève rencontrer Bakounine qui l'accueil à bras ouvert. Il rentre en Russie avec une lettre de recommandation de Bakounine.




A son retour, Netchaev, qui se faisait appeler Pavlov, reprit contact avec les milieux  nihilistes de Moscou, se présentant comme le responsable de diverses organisations révolutionnaires occultes : la vindicte du Peuple ou la Société de la Hache. Il réussit à rassembler autour de lui quelques jeunes gens pleins d'une naïve admiration pour lui. A la suite de la trahison d'un membre de la Vindicte du Peuple Netchaev décide de supprimer celui-ci. Il réussit a convaincre quatre de ses compagnons. A la suite de cela les auteurs du crime son arrêtés mais Netchaev réussi à évité l'arrestation en se rendant à Saint-Pétersbourg. Il décide de se rendre en Suisse pour rejoindre Bakounine. Inquiet des agissements de Netchaev Bakounine le désavoue en envoyant une lettre à des anarchistes installé à Londres.
Traqué et trahi par un agent double, il est arrêté près de Zurich. Le procès de Netchaev se déroula à Moscou, le 8 Janvier 1873. Devant le tribunal, l'accusé tint tête à ses juges, se montrant tour à tour agressif et méprisant. Il fut condamné à la réclusion perpétuelle. Durant ses  longues années de réclusion, Netchaev allait subir des traitements variables, au hasard des décisions de l'administration pénitentiaire.
Selon un procédé déjà employé avec Bakounine, la police voulut l'encourager à écrire une confession. Les autorités étaient persuadées qu'un homme aux instincts de défense diminués par la solitude et la claustration se laisserait facilement aller à des confidences. Mais la combinaison policière échoua. Netchaev alla jusqu'à frapper le chef de la gendarmerie venu dans sa cellule afin de l'inciter à faire ce qu'on attendait de lui.
Cependant, cet homme extraordinaire était parvenu à exercer un véritable ascendant sur ses gardiens et même à les gagner à ses propres idées. Grâce à eux, il put alors communiquer avec le monde extérieur et il prit contact avec une organisation révolutionnaire : la Volonté du Peuple. Un plan d'évasion fut mis au point. Ce projet ne put pourtant aboutir et, cas unique dans les annales de la vie pénitentiaire, la garnison de la prison fut arrêtée pour complicité et incarcérée sur place. Un incroyable procès devait s'ouvrir pour juger ces disciples, d'un genre pour le moins inhabituel.

Mais Netchaev, soumis à un régime inhumain, succomba aux mauvais traitements.

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