par Herta Müller
«Le Paris des ouvriers de 1871, le Paris de la Commune sera à jamais célébré comme l'avant-coureur glorieux d'une société nouvelle. La mémoire de ses martyres vivra comme en un sanctuaire, dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pi lori éternel, et toutes les prières de leurs traîtres n'arriveront pas à les racheter.»
(MARX: La guerre civile en France.)
Les façades ravagées, les cadavres dans la rue attestent l'héroïsme de la résistance ouvrière.
Comme les communards du Paris de 1871, les héros de l'insurrection autrichienne vivent, eux aussi, dans le grand coeur du prolétariat, qui dans tous les pays du capitalisme mène le combat contre le fascisme. Les ouvriers autrichiens ont livré une bataille d'une grandeur gigantesque et ont écrit de leur sang une page glorieuse de l'histoire. La formidable insurrection du mois de février a été la première insurrection armée contre le fascisme. Ces luttes héroïques de la petite Autriche ont tenu pendant six jours et six nuits le monde en haleine. La bourgeoisie a tremblé devant la force formidable de la classe ouvrière. Elle a tremblé pour son système capitaliste pourri, pour son édifice banqueroutier, qui ne saurait s'appuyer que sur la pointe des baïonnettes. Et elle n'a eu qu'un avant-goût de ce que les ouvriers sont capables lorsqu'ils s'engagent sur la voie de la lutte révolutionnaire ! Les masses travailleuses du monde entier - les ouvriers, les masses travailleuses opprimées, les esclaves coloniaux - ont tourné un regard plein d'espérance vers l'Autriche; elles ont suivi avec la sympathie et l'enthousiasme le plus grand l'héroïque combat des ouvriers autrichiens. Cette insurrection leur a clairement démontré que la victoire finale des masses opprimées sur le fascisme est certaine.L'arme à la main, des ouvriers social-démocrates ont pris place dans les rangs de la lutte contre les attaques du fascisme. Comment cela est-il arrivé ? Un coup d'oeil en arrière sur le développement des événements en Autriche nous l'expliquera.
En 1918, la monarchie a été renversée en Autriche. Certes, les ouvriers n'entendaient pas seulement renverser la monarchie, mais avec elle tout le régime capitaliste. Ils avaient devant eux, comme un exemple lumineux, la Révolution victorieuse d'Octobre du prolétariat russe. Le Parti social-démocrate autrichien était grand et puissant. Mais il utilisa sa force pour secourir la bourgeoisie, pour l'aider à édifier sa « République démocratique ».
« Nous ne voulons pas de guerre civile », disaient les « gauches » Friedrich Adler et Otto Bauer. Nous progresserons par la démocratie vers le socialisme, et cela sans sacrifices. » Lorsque des ouvriers exigeaient, malgré cela la lutte révolutionnaire, les chefs social-démocrates s'exclamaient: « L'Entente affamerait une Autriche soviétique. » Comment s'est traduit, en réalité, cette « fuite devant la famine » ? On compte, chaque année, en Autriche, une moyenne de 3.000 suicides, par suite de la famine et la détresse; ce sont donc environ 45.000 personnes que la famine a poussé à la mort au cours des quinze dernières années.
Les chefs social-démocrates se sont engagés sur le chemin de « l'édification » de la République autrichienne, et le 15 juin 1919 la police du ministre social-démocrate de l'intérieur Eldersch a tué dix-sept ouvriers social-démocrates et communistes, au cours d'une manifestation de sympathie envers la Hongrie soviétique. Les chefs social-démocrates ont maintes fois répété à la bourgeoisie qu'ils représentaient la seule force capable de sauvegarder l'Autriche du bolchévisme. On peut reconnaître qu'au moins, en cette circonstance, ils ont dit l'exacte vérité.
C'est grâce à cette politique que, petit à petit, la bourgeoisie a pu grouper ses forces, renforcer ses rangs et passer à l'offensive contre la classe ouvrière.
L'offensive contre les salaires s'en est suivie. Le chômage a éclaté et expulsé en quelques années des centaines de millier d'ouvriers du processus de la production. La paupérisation des masses travailleuses a fait des progrès et les gouvernements successifs ont renforcé l'offensive contre les ouvriers, cependant que parallèlement la bourgeoisie créait ses organisations armées et les faisait s'exercer à l'assassinat d'ouvriers. La justice autrichienne a régulièrement acquitté tous ces assassins d'ouvriers. Les ouvriers autrichiens voulaient venger leurs camarades; ils voulaient lutter et vaincre la réaction. Mais ils se heurtaient, là encore, à la résistance des chefs social-démocrates qui défendaient la bourgeoisie et retenaient les ouvriers de la lutte. En rappelant leurs grandes victoires aux élections parlementaires, les chefs social-démocrates proclamaient que « personne ne saurait battre cette armée de la classe ouvrière autrichienne ». Jusqu'en 1931, la social-démocratie comptait dans un pays de 6 millions 1/2 d'habitants, 750.000 membres; presque un habitant adulte sur trois était organisé dans la social-démocratie ! Les Syndicats réformistes comptaient 850.000 membres. Dans les villes industrielles, ils avaient derrière eux presque les deux tiers de la population. Le nombre des voix réunies aux élections parlementaires s'était accru sans cesse, et Otto Bauer affirma, avec beaucoup de pédantisme, que son parti est parvenu à grouper 42,8 % de toutes les voix exprimées, et qu'il ne lui manquait que 8,2 % de voix, au Parlement, pour instaurer le socialisme au pouvoir.
Des phrases semblables, qui ont semé des illusions parlementaires dans les rangs du prolétariat, ont eux aussi le don d'augmenter fortement, au sein de la classe ouvrière autrichienne, la conscience de sa force. Ceci est apparu avec évidence au cours de
L'INSURRECTION DU 15 JUILLET 1927
A la grande conférence des hommes de confiance de la social-démocratie viennoise, conférence qui eut lieu trois jours après l'insurrection, Otto Bauer déclara que des larmes lui venaient aux yeux lorsque de vieux camarades s'adressaient à lui, au Parlement, et le prient de leur donner des armes, « car la police était en train de les massacrer ». Otto Bauer dut leur refuser ces armes, car « les armes entre les mains des ouvriers signifient la guerre civile ». Pour lui, l'assassinat de quatre-vingt-dix ouvriers n'était pas la guerre civile, mais le « maintien de l'ordre et de la légalité ».
Le 15 juillet fut un moment décisif dans le développement des événements d'Autriche: après que la bourgeoisie fut parvenue à écraser l'insurrection, elle commença à développer et surtout à armer ses organisations fascistes, les Heimwehren avant tout. Celles-ci commencèrent aussitôt à s'exercer dans les provocations contre la classe ouvrière. Les ouvriers voulaient aussi combattre contre ces provocations et combattirent effectivement en plusieurs occasions dans un front unique avec les communistes, mais les chefs social-démocrates parvinrent, grâce à de nouvelles phrases révolutionnaires, à empêcher ou à étouffer ces luttes. Ce furent surtout les membres du Schutzbund qui firent sans cesse front aux provocations des Heimwehren.
QU'EST-CE LE SCHUTZBUND ?
Toutes les fois que les Heimwehren entreprirent des manifestations provocatrices, on « mobilisa » le Schutzbund, mais les membres étaient consignés aux sièges et dans les clubs, et y attendaient « mobilisés » jusqu'à ce que le dernier fascistes des Heimwehren eût quitté la rue.
Ces éternelles manoeuvres de diversion provoquèrent un mécontentement de plus en plus grand et une radicalisation des ouvriers du Schutzbund. Le mécontentement était devenu si grand qu'aucune phrase de « gauche » et aucune démagogie ne servait plus à rien. Leur radicalisation rapide les mena à l'insurrection armée de février.
Si le Schutzbund était l'orgueil militaire de la social-démocratie,
LES MAISONS D'HABITATION MUNICIPALES
Le Sandleiten, dans le quartier d'Ottakring, est un bâtiment presque aussi grand - une des dernières constructions de la municipalité de Vienne. Un peu moins central, ce bâtiment figure avec son cinéma, ses squares, ses salles de clubs, etc., presque une ville à lui seul.
Les maisons municipales abritaient surtout des ouvriers. des employés, des traminots social-démocrates. Ce n'était, d'ailleurs, pas très facile d'obtenir un logement dans une maison municipale. Il suffisait d'être connu comme communiste ou comme ouvrier révolutionnaire pour que, bien qu'inscrit régulièrement et depuis plusieurs années à l'Office des logements de la ville de Vienne, l'on n'obtienne pas son logement, un logement pourtant construit avec l'argent des contribuables, qui n'étaient autres que les ouvriers communistes ou social-démocrates, chômeurs ou non-chômeurs. Les ouvriers qui, il y a plusieurs années, y avaient emménagé comme de braves social-démocrates, ont été cependant amenés sur le chemin de la lutte révolutionnaire par l'aggravation de la crise et par la trahison de leurs chefs. Ces braves social-démocrates sont devenus de plus en plus des ouvriers conscients, lecteurs des nouveaux journaux de maisons que les organisations révolutionnaires éditaient et diffusaient largement dans ces fiefs social-démocrates.
La radicalisation des ouvriers a été la prémice de leur héroïque lutte armée pour la défense de ces maisons.
L'AVENEMENT DE LA DICTATURE DOLLFUSS
Dans cette situation, l'avènement de la dictature sanglante hitlérienne en Allemagne, qui a ranimé la réaction dans tous les pays, a été ressenti avant tout dans l'Autriche voisine. Le chancelier fédéral Dollfuss a profité d'une grève de deux heures des cheminots d'Autriche, le jour du 1er mars 1933, pour écarter le Parlement - cette coquille de la dictature de la bourgeoisie - et pour instaurer la dictature ouverte. A l'aide de décrets-lois, le droit de grève et de réunion a été supprimé, la presse prolétarienne interdite, les cours d'assises supprimées; le Parti communiste, le Secours Rouge, les Amis de l'U.R.S.S., l'Association des Libres-Penseurs, le Schutzbund et d'autres organisations prolétariennes interdites et leurs biens confisqués. Les prisons se sont remplies d'ouvriers révolutionnaires. Les cours martiales et la peine de mort ont été introduites.
En attendant, la situation politique de l'Autriche, tant intérieure qu'extérieure, s'est aggravée. Vu sa situation géographique, l'Autriche est d'une grande importance pour les intérêts impérialistes de plusieurs pays, et surtout pour ceux de la France, de l'Italie et de l'Allemagne. Elle constitue le pont entre les Balkans et l'Europe centrale. Elle se trouve entre les deux Etats fascistes alliés: l'Italie et la Hongrie.
L'avènement du national-socialisme au pouvoir en Allemagne a fait de l'Autriche le foyer central des contradictions impérialistes. Le programme du national-socialisme allemand, qui prévoyait le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne (Anschluss), a inquiété les puissances de Versailles. Une lutte acharnée a commencé autour des sphères d'influence en Autriche et en Europe du Sud-Est. Sous le mot d'ordre de « l'indépendance de l'Autriche », Dollfuss a groupé les forces fascistes dans le « front patriotique », qui se trouve, certes, en contradiction avec les nationaux-socialistes autrichiens, mais qui, dès le début, a dirigé son feu contre la classe ouvrière. L'aggravation des contradictions entre les nationaux-socialistes autrichiens, le Reich allemand et le gouvernement Dollfuss a contraint ce dernier à essayer sans cesse d'obtenir avec l'Allemagne un accord qui permit la concentration de toutes les forces fascistes, y compris celles des nazis autrichiens, contre les masses travailleuses, et qui favorisât l'instauration d'un régime ouvert de terreur sanglante. Mais la radicalisation de la classe ouvrière, les progrès de la paupérisation des masses travailleuses, l'aggravation de la crise économique en Autriche ont augmenté encore l'impatience de la bourgeoisie autrichienne, qui a passé directement à l'attaque décisive contre les masses travailleuses.
Le 30 janvier 1934, les troupes armées des Heimwehren occupèrent Innsbruck (capitale du Tyrol) et s'emparèrent de tous les leviers de commande de l'appareil d'Etat. Au cours du développement ultérieur de cette action des Heimwehren, ceux-ci exigèrent l'interdiction du Parti social-démocrate.
Le Parti social-démocrate autrichien s'était mis sous la protection de l'impérialisme français, dont il était le principal agent en Autriche. Le ministre de France rappela à Dollfuss l'accord - devenu public à cette occasion - conclu entre les gouvernements français et autrichien, et en vertu duquel aucune mesure décisive ne devait être prise contre le Parti social-démocrate autrichien sans l'accord préalable du gouvernement français. Dollfuss répondit qu'il n'est plus à même de tenir cette promesse.
Le 7 février, les Heimwehren répétèrent, dans la Haute Autriche, l'action qu'ils avaient entreprise dans le Tyrol. Les troupes des Heimwehren occupèrent la banlieue de Linz, alors que tous les Heimwehren fascistes étaient mobilisés dans l'ensemble de la Haute-Autriche, ils pénétrèrent dans Linz et mirent les mitrailleuses en batterie contre les ouvriers. Dans la Basse-Autriche, on retira à vingt et un maires social-démrocrates les fonctions de police. Et, cependant, même au coeur de cette situation tragique, les chefs social-démocrates tâchèrent toujours de faire croire aux ouvriers que tout s'arrangerait sans recours à la violence. Dans un discours prononcé au Conseil municipal de Vienne, le maire social-démocrate Seitz déclarait, en effet:
« Une ville comme notre Vienne, avec son histoire, sa culture, ne peut pas être administrée par la violence.
« C'est un non-sens pour la République autrichienne que de vouloir régler par la violence les divergences d'idées si profondes soient-elles. Cela contredit l'esprit et la mentalité de l'Allemand autrichien. Nous ne pouvons régler nos divergences que par des moyens pacifiques. »
Ainsi donc, c'est jusqu'à la dernière minute que les chefs social-démocrates - comme l'a déclaré Otto Bauer à Prague - entretinrent de telles négociations « pacifiques » avec le chancelier Dollfuss.
Et, pendant que Seitz prononçait ces paroles pacifiques, et que les chefs social-démocrates essayent de négocier, les Heimwehren poursuivaient à fond leurs actions armées contre les ouvriers, et les ouvriers se préparaient à la défense. C'est le même jour, dans une édition spéciale de son organe illégal, la « Rote Fahne », que le Parti communiste autrichien écrivait:
« Il y va de la vie et de l'existence des ouvriers. Ecrasez le fascisme avant qu'il ne vous écrase ! Cessez aussitôt le travail ! Faites grève ! Entraînez les usines voisines ! Elisez des comités d'action pour l'organisation de la lutte dans chaque entreprise ! Descendez dans la rue ! Désarmez les fascistes ! Donnez les armes aux ouvriers !
GREVE GENERALE
« A BAS LE GOUVERNEMENT DE BOURREAUX ! »
Le 12 février, à la suite des perquisitions qu'elle avait opérées chez les ouvriers à la recherche d'armes, la police tente de prendre d'assaut la Maison du Peuple de Linz, la capitale de la Haute-Autriche. Les détachements du Schutzbund qui se trouvaient dans la maison opposèrent une résistance armée. On alerta des régiments de ligne et une lutte acharnée s'engagea, dont le bilan s'est chiffré par vingt ouvriers tués et un policier blessé.
Lorsque cette nouvelle fut connue, les ouvriers de Vienne se mirent en grève. La circulation des tramways fut interrompue, et à midi la grève générale fut proclamée. Des luttes armées se déroulèrent à Steyr, à Graz, à Bruck, à Mur, à Atthang et dans d'autres localités.
A Vienne, des luttes éclatèrent dans les quartiers prolétariens. La guerre civile était en plein développement. Chaque attaque de la police contre les maisons municipales ou les Maisons du Peuple était repoussée par la lutte armée des ouvriers. Le gouvernement répondit par l'état de siège; sa presse déclencha une campagne de mensonges pour désagréger les masses ouvrières et pour semer la confusion dans les rangs de combattants. Le 13 février, la presse bourgeoise du matin lança en grosses lettres la nouvelle mensongère: « Le gouvernement est maître de la situation. » Le 14 février, les journaux de province écrivirent: « L'ordre le plus parfait règne à Vienne », alors qu'à son tour la presse viennoise écrivait: « L'ordre est rétabli dans la province ». Mais, à la deuxième page de chacun de ces journaux, on pouvait trouver des nouvelles annonçant que les luttes continuaient, ou des appels dans lesquels le gouvernement conseillait aux mères de ne pas laisser leurs enfants dans la rue, ou bien encore des ordonnances annonçant la fermeture des écoles, des théâtres et des cinémas.
Le 14 février, le vice-chancelier Fey, ce bourreau de la classe ouvrière, déclara, au cours d'un discours radiodiffusé:
« Ce matin, on ne pouvait plus rien apercevoir de l'état de dépression que l'on pouvait remarquer dans la ville auparavant. La circulation des tramways est reprise, et il en est de même du travail dans toutes les entreprises. Les magasins ont rouvert leurs portes, et dès le matin des autos de livraison traversaient rapidement la ville en s'efforçant de rattraper ce qui a été raté hier et avant-hier. »
Et plus loin:
« Les mesures de barrage sont maintenues et les cours martiales sont introduites. Des combats continuent dans les quartiers ouvriers. »
Le nombre des cadavres augmentait sans cesse. C'était là l'ordre du gouvernement Dollfuss-Fey. La peur éprouvée par le gouvernement Dollfuss devant la lutte héroïque et la force formidable de la classe ouvrière l'obligea à recourir à d'autres moyens pour désagréger encore les rangs de la classe ouvrière, la démagogie et la fourberie venant à la rescousse des potences et des assassinats:
En attendant, la lutte continua de faire rage. Pendant trois jours, les ouvriers restèrent maître du Karl-Marx-Hof. Des salves d'artillerie furent tirées, d'énormes bâtiments furent en maints endroits transformés en décombres. Lorsqu'on chassait les ouvriers d'une aile de la maison, ils se concentraient dans une autre, et ils continuaient la lutte.
A Sandleiten, les ouvriers empêchèrent à coups de mitrailleuse l'avance des troupes. Là encore, l'artillerie fut mise en fonction. Là encore, la lutte fit rage pendant trente-six heures sans interruption, et les ouvriers y défendirent héroïquement leurs maisons.
Plusieurs journées durant, Bruck-sur-Mur a été occupé par les ouvriers, et lorsque les ouvriers qui occupaient la gare, apprirent qu'un train blindé était envoyé contre eux, ils enlevèrent les rails.
Plusieurs ponts sur le Danube furent dynamités en province, et un pont de chemin de fer subit le même sort à Vienne. Le gouvernement employa les gaz et les avions de bombardement contre les ouvriers. Mais tout fut en vain, les ouvriers continuèrent leur lutte héroïque.
Toute l'armée, toute la police, la Gendarmerie et les Heimwehren fascistes était debout.
Les journaux écrivaient: « Les soldats et les agents de police luttent depuis trente-six heures sans un moment de répit. Ils ont leurs traits tirés et leurs figures sont pâles. La dépression règne parmi les hommes de la Heimwehr. »
Le gouvernement avait fait appel à des volontaires, mais cet appel à des assassins d'ouvriers ne fut entendu que par des anciens officiers déclassés de la guerre mondiale et par les gardes blancs habitant l'Autriche. Les masses ouvrières restèrent inébranlables dans leur héroïque défense, malgré la mobilisation par le gouvernement de toutes ses forces militaires. Leur fidélité à la lutte prolétarienne leur donna du courage, de la constance et de la force.
N'est-ce pas là, en effet, un exemple grandiose de fidélité de la classe ouvrière qu'après un bombardement d'artillerie, les soldats prenant d'assaut une maison n'aient pu y trouver que des morts et des blessés ? Ou encore que les positions défendues à la mitrailleuse par le groupe féminin viennois d'Ottakring n'aient pu être conquises que lorsque toutes les femmes étaient à terre, fauchées par les balles ? Ne s'agit-il pas là de la même lignée de femmes combattantes que celles de la Commune de Paris, avec l'indomptable Louise Michel en tête ? Et l'ingénieur Weissel ne passera-t-il pas dans l'histoire comme un héros prolétarien ? Lui, le social-démocrate d'opposition, commandant des pompiers, s'est rendu compte que son devoir n'était pas de lutter pour le gouvernement et contre les ouvriers, mais de combattre a coté des ouvriers, l'arme a la main, contre le fascisme assassin. Weissel avait confiance dans la social-démocratie; c'est pourquoi il resta dans leurs rangs. Mais, à la lueur des flammes de insurrection armée, il s'est rendu compte que le seul chemin vers l'affranchissement de l'esclavage capitaliste c'était le chemin révolutionnaire, et il proclama du haut de l'échafaud: « Vive l'Internationale communiste ! Vive l'Union soviétique ! »
L'insurrection de ces héros a été écrasée. La classe ouvrière était trop faible, parce qu'elle manquait d'une direction politique centrale révolutionnaire, parce que chaque maison combattait a son propre compte, parce que l'insurrection était menée dans un esprit défensif et non pas offensif. Les chefs social-démocrates ont laissé tomber les masses ouvrières et tandis qu'ils les livraient à la terreur de Dollfuss, le Parti communiste autrichien était trop faible pour s'emparer de la direction centrale du combat, bien qu'il ait toujours été la force entraînante.
La lutte héroïque a été écrasée et la bourgeoisie autrichienne a déclenché sa terreur sanglante. Comme Thiers et Galliffet s'étaient vengés en 1871 des communards, Dollfuss et Fey se sont vengés des barricadiers de Vienne de Linz, de Graz, de Steyr et des autres villes d'Autriche.
Les Cours martiales ont siégé sans arrêt jour et nuit. Des potences ont été dressées à travers le pays.
« Tous ceux qui ont combattu l'arme à la main seront pendus ! » a proclamé le chrétien M. Dollfuss. Aux milliers d'ouvriers tués pendant l'insurrection, chaque jour se sont ajoutées des victimes des potences. Des dizaines de milliers d'ouvriers languissent dans les prisons, des milliers ont été torturés jusqu'à l'infirmité; des milliers de veuves et d'orphelins sont dans la plus grande détresse.
Tous ces tristes résultats ont été obtenus par le gouvernement Dollfuss-Fey, par la mise en jeu de toutes leurs forces militaires, par la démolition et la dévastation de maisons et de quartiers ouvriers. Les phrases ronflantes de M. Fey, selon lesquelles le gouvernement était préparé à étouffer dans l'oeuf tout mouvement des ouvriers, avaient crevé comme de bulles de savon. Si le fascisme autrichien est parvenu à noyer l'insurrection dans le sang, la classe ouvrière a montré quand même sa force !
Le courage héroïque et la volonté de combat des ouvriers autrichiens ne sont pas brisés. Le fait que, même après l'écrasement de l'insurrection, les luttes armées ont continué dans les différents quartiers de Vienne entre les ouvriers d'une part, les fascistes et la police de l'autre; le fait qu'au cours de ces luttes les ouvriers ont mis debout de nouvelles forces imposantes est presque sans exemple dans l'histoire.
Après l'insurrection, les fascistes des Heimwehren croyaient pouvoir continuer tranquillement leurs attaques contre les logements ouvriers, mais ils se sont trompés dans leurs calculs. Lorsqu'ils ont voulu s'attaquer, dans le 5e et 19e arrondissement, à d'autres maisons ouvrières, ils furent accueillis par les ouvriers à coups de revolver et de grenades à main. Dans le 5e arrondissement, la lutte continua pendant trois heures; la police et les Heimwehren y perdirent 15 morts et environ 50 blessés, tandis que les ouvriers quittaient leurs positions par des canaux souterrains.
Dans d'autres localités encore, les ouvriers s'opposèrent aux perquisitions pour recherche d'armes une résistance acharnée.
Lorsqu'après la grève les ouvriers retournèrent à leurs entreprises, ils firent des assemblée de protestation contre les arrestations et les verdicts de mort.
L'héroïsme du prolétariat autrichien, qui s'est exprimé avec tant de grandeur dans son soulèvement armé, est encore davantage souligné par ce nouveau combat et montre que la classe ouvrière autrichienne se prépare à de nouvelles luttes. C'est pourquoi la bourgeoisie autrichienne reste toujours sous l'emprise de la peur, même après l'écrasement de l'insurrection.
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