mercredi 17 février 2010

Le cloaque mafieux du football mondial

La passion pour le football n’a fait que s’amplifier ces dernières années. En France, après la victoire de 1998, le phénomène de la Coupe du monde a été redoublé par la victoire au championnat d’Europe des nations, organisé en 2000, par la Belgique et les Pays-Bas. Et en ce début de troisième millénaire, la France apparaît comme l’un des pays les plus immergés dans l’idéologie du football. Les quatre années séparant la dernière Coupe du monde, disputée en France, de celle qui se déroule actuellement en Corée du Sud et au Japon ont été marquées par des affaires de corruption. On analyse souvent le football comme source de plaisir, de socialisation, d’apprentissage de règles et de lois, et de respect de l’autre. De nombreux sociologues et philosophes n’hésitent pas à attribuer au football des qualités formidables, sans signaler toutefois ce qui constitue son paradoxe central : c’est aussi une industrie reposant sur un système supranational, capitaliste, doublé d’un sentiment localiste, régionaliste et nationaliste.
En effet, le football n’est pas seulement un sport, c’est aussi et surtout, dans nos sociétés marchandes, un secteur économique longtemps sous-estimé et qui se révèle à l’occasion de cette Coupe du monde comme l’un des principaux appareils stratégiques capitalistes (ASC), car il prépare les individus à « l’horreur économique » et à la mondialisation libérale, en leur faisant accepter la compétition, la sélection, la précarisation et le nouveau mercenariat (1). Le football joue-t-il un rôle dans la diffusion de l’idéologie de la mondialisation ? Oui, indiscutablement, si l’on admet que ce sport-industrie développe au plus haut point les deux paramètres les plus haïssables du système capitaliste. D’une part, un fonctionnement mafieux reposant sur la recherche du profit maximal (les dirigeants n’hésitent pas à recourir à des sociétés offshores dans des paradis fiscaux servant à blanchir l’argent sale, à corrompre, à magouiller au sein des clubs, à financer le dopage ou à mettre sur pied des paris clandestins).
D’autre part, une idéologie fondée sur le principe du surhomme, de la force, de la violence, ainsi que sur un sentiment nationaliste fortement localisé (rien d’étonnant à ce que, d’un bout à l’autre de l’Europe, les associations de supporteurs les plus dures et les plus violentes revendiquent explicitement des idées racistes et se réclament de l’extrême droite). Comme les cartels du crime, qui constituent « le stade suprême et l’essence même du mode de production capitaliste (2) », le football bénéficie « de la déficience immunitaire des dirigeants de la société capitaliste contemporaine ». La société globalisée offre des possibilités sans fin pour contourner les lois et estime « naturels » les marchés unifiés, mais rend leur contrôle très compliqué. Selon Jean Ziegler, l’efficacité des cartels du crime repose sur trois modes d’organisation. D’abord, le cartel est « une organisation économique et financière de type capitaliste, structurée selon les mêmes paramètres de maximalisation du profit, de contrôle vertical et de productivité que n’importe quelle société multinationale industrielle, commerciale ou bancaire légale ordinaire. En même temps, le cartel est une hiérarchie militaire [...]. Le troisième mode d’organisation auquel fait appel le cartel criminel est la parenté clanique, la structure ethnique (3) ».
Voici, à titre d’exemples, deux affaires - celle d’une firme, ISL Worlwide, et d’une fédération, celle du Brésil - qui illustrent bien le caractère mafieux de certains secteurs liés au monde du football. La société ISL Worlwide, créée par M. Horst Dassler, était chargée d’assurer le parrainage mondial sportif. Ses comptes n’étaient pas publiés, ce qui permettait de dissimuler de nombreuses opérations comptables, en particulier celles qui servaient au blanchiment d’argent (4). De même, les contrats ne faisaient l’objet d’aucun appel d’offres. ISL France avait d’ailleurs connu, durant la Coupe du monde 1998, un scandale lié à la vente de billets fantômes... Suite à cette escroquerie, ISL Worlwide, qui ne possédait que 49 % du capital d’ISL France, avait décidé d’acquérir la totalité de cette filiale. Mais, depuis 1999, et la firme a connu de graves difficultés financières liées à des investissements hasardeux dans le tennis mais également dans « le football au Brésil et en Chine (5) ».
Le 18 avril 2001, la Fédération internationale de football (FIFA) créait une société d’études, FIFA Marketing SA. Au mois de mai 2001, les mondes du sport et de la finance découvraient qu’ISL Worlwide aurait possédé, comme cela se fait souvent dans ces milieux, une caisse noire sur un compte bancaire secret au Liechtenstein. Le 21 mai, ISL était déclarée en faillite par le tribunal cantonal suisse de Zoug ; et le 28, la FIFA portait plainte contre ISL Worlwide pour « suspicion de fraude et détournement de fonds ». La FIFA accuse ISL d’avoir « détourné 60 millions de dollars provenant de la chaîne brésilienne TV Globo dans le cadre de l’attribution des droits télé (6) » de la Coupe du monde 2002. Néanmoins, la FIFA, dirigée depuis 1998 par M. Sepp Blatter, un proche de M. Horst Dassler (7) et suspecté d’avoir acheté des voix ayant permis son élection à la tête de la fédération, réussit, contrairement aux banques, le coup de force de sauver « les deux plus beaux actifs d’ISL (les droits télé et marketing des deux prochaines Coupes du monde) » grâce à « un étrange tour de passe-passe juridique (8) ». Le président de la FIFA cumule les problèmes puisque onze des vingt-quatre membres de la fédération portent plainte contre lui. Début mai 2002, M. Michel Zen-Ruffinen, secrétaire général de la FIFA a rendu public un rapport accusant M. Sepp Blatter de corruption, abus de compétences et d’opérations financières douteuses : 550 millions d’euros pourraient avoir disparu.
                             Hiérarchie verticale et loi du silence
L’affairisme des milieux du football au Brésil est connu. Contrairement à ce que l’on pense, en raison de l’admiration que les amateurs éprouvent pour les joueurs de ce pays, le football brésilien repose largement sur la corruption et la fraude. Par exemple, l’ex-sélectionneur de l’équipe nationale du Brésil, Wanderley Luxemburgo, a été récemment accusé, entre autres, de fraude fiscale, de contrefaçon de documents officiels, de faux témoignages, d’évasion de devises et d’associations de malfaiteurs. Il possédait trente comptes en banque dont vingt-neuf non déclarés au fisc ! Ces comptes avaient reçu, entre 1995 et 1999, environ 6,5 millions d’euros. Il est également accusé d’avoir dissimulé de la cocaïne et de fréquenter une « boîte à filles » financée par les caisses noires des clubs brésiliens...
Le président de la Confédération brésilienne de football (CBF), M. Ricardo Teixeira, ancien gendre de l’ex-président de la FIFA, M. Joaõ Havelange, a été accusé pour sa part d’avoir participé à vingt-sept affaires relevant du blanchiment d’argent sale, du trafic de devises et de fraude fiscale (9). Enfin, sur le compte d’une société écran appartenant à M. Teixeira, les enquêteurs ont trouvé trace de transferts de fonds d’un montant supérieur à 1 million d’euros en provenance du Liechtenstein. La CBF a été également accusée d’avoir financé les campagnes électorales de certains parlementaires. Des présidents de clubs et de fédérations régionales sont aussi soupçonnés d’avoir participé à ces magouilles, ces combines et ces tripotages. Par ailleurs, les enquêteurs soupçonnent le Brésil d’être la plaque tournante des affaires de faux passeports. De nombreux joueurs brésiliens transférés en Europe ont, en effet, été accusés de détenir de faux passeports portugais, leur permettant d’être recrutés comme ressortissants européens et pas comme étrangers...
En France, par exemple, deux joueurs de l’AS Saint-Etienne, Alex et Aloisio, ont été accusés d’avoir de faux papiers (10). Ces passeports falsifiés viennent du Brésil, où l’on peut se les procurer moyennant 20 000 dollars (11). Le procureur chargé du dossier au Palais de justice de Paris affirme : « Les mêmes réseaux qui fournissent ces passeports sont ceux qui les vendent aussi aux immigrés clandestins et aux prostituées des pays de l’Est. » Pour alimenter ce trafic, plusieurs milliers de faux passeports auraient été volés par « des spécialistes » dans les consulats portugais avant d’être revendus à des footballeurs professionnels. Toutes ces affaires montrent que le football fonctionne selon le modèle des entreprises de type capitaliste avec, comme souci principal, la maximalisation du profit. La hiérarchie verticale et la loi du silence, liées à la philosophie de l’obéissance aux chefs, sont le plus souvent respectées. Dans le même temps, le football, comme toute organisation mafieuse, repose sur une structure ethnocentrique, un système clanique, qui organise la reproduction des « parrains » au sein des institutions. Les différentes « familles » du football et pour ainsi dire l’institution dans son ensemble trempent dans l’affairisme. Les coulisses de cette société de spectacle qui enthousiasme des dizaines de millions de personnes ne sont, au plus haut niveau, qu’un cloaque mafieux.
http://palim-psao.over-blog.fr/ext/http://revueillusio.free.fr/
(1) Lire Richard Sennet, Le Travail sans qualités, Albin Michel, Paris, 2000 ; Malek Chebel, La Formation de l’identité politique, Payot, Paris, 1998 ; et Cornelius Castoriadis, La Montée de l’insignifiance, Le Seuil, Paris, 1996.
(2) Jean Ziegler, Les Seigneurs du crime. Les nouvelles mafias contre la démocratie, Le Seuil, Paris, 1998, p.11.
(3) Ibid, pp. 21-22.
(4) Lire par exemple l’enquête de Denis Robert sur les hauts milieux financiers européens, La Boîte noire, Les Arènes, Paris, 2002.
(5) La Tribune, 23 avril 2001.
(6) La Tribune, 29 mai 2001.
(7) Lire Andrew Jennings, La Face cachée des Jeux olympiques, L’Archipel, Paris, 2000, p. 206.
(8) La Tribune, 3 juillet 2001.
(9) Le Monde, 7 décembre 2001.
(10) Trois joueurs ont été jugés pour cette forme d’infraction : Faryd Mondragon, Pablo Contreras et Emiliano Romay. Ils sont interdits de territoire français pour deux années. Voir l’arrêté du Tribunal de grande instance de Paris.
(11) Le Monde, 13 janvier 2001.

Aucun commentaire:

Archives du blog