Coup de tonnerre dans la presse alignée aux USA. Le célèbre journal "Wall Street Journal" lu par tous les hommes d’affaires et les décideurs aux États-Unis révèle dans un article du 24 janvier dernier que, contrairement à ce qu’affirmait le FBI, le ou les responsables des attaques à l’anthrax de 2001 n’ont toujours pas été identifiés. Souvenez-vous : dans la foulée du 11-Septembre, la psychose terroriste est à son paroxysme et les USA en état d’alerte maximale. Soudain, des lettres empoisonnées à l’anthrax sont envoyées à deux Sénateurs, à des journalistes et à d’autres personnalités, provoquant une panique générale dans l’opinion, la fermeture du Sénat, la désorganisation des services postaux, et faisant cinq victimes. S’ensuit une gigantesque enquête du FBI qui débouche en 2008 sur l’inculpation d’une seule personne, laquelle vient tout juste de se suicider : John Ivins, un chercheur en guerre biologique travaillant pour le laboratoire militaire de Fort Detrick dans le Maryland. Le scientifique serait devenu fou et aurait, seul, fabriqué et expédié les lettres mortelles.
Oui mais voilà, comme le détaille cet article du Wall Street Journal, l’analyse des souches d’anthrax révèle qu’Ivins n’a pas pu fabriquer le poison. Le FBI doit revoir sa copie. Et pendant ce temps, les véritables auteurs de ces attaques courent toujours. Qui sont-ils ? Pourquoi les Sénateurs visés étaient-ils justement ceux qui refusaient de voter le "PATRIOT ACT", ces lois liberticides votées dans l’urgence après le 11 septembre 2001 ? Tant de questions qui, neuf ans après les faits, restent toujours sans réponse.
Les attaques à l’anthrax restent un mystère
Le FBI a réfuté sa principale théorie sur la façon dont les spores ont été utilisées comme arme.
L’enquête sur les attaques à l’anthrax s’est conclue, du moins aux yeux du public, le 29 juillet 2008, avec la mort de Bruce Ivins, un grand chercheur en biodéfense travaillant pour l’US Army Medical Research Institute of Infections Diseases (USAMRIID) à Fort Detrick dans le Maryland. Son décès est dû à une overdose d’un calmant, le Tylénol. Aucune autopsie n’a été pratiquée et il n’a pas laissé de lettre posthume.
Moins d’une semaine après son présumé suicide, le FBI déclara que Bruce Ivins avait été l’unique auteur des attaques à l’anthrax de 2001, avec l’envoi des lettres mortelles à NBC, au New York Post et aux Sénateurs Tom Daschle et Patrick Leahy. Ces attaques tuèrent cinq personnes, provoquèrent la fermeture du bâtiment du Sénat, causèrent un mouvement national de panique et paralysèrent pratiquement tout le système postal.
L’enquête du FBI, qui dura six ans, fut la plus importante investigation de l’histoire, incluant 9000 interviews, 6000 assignations à comparaître, et l’examen minutieux de dizaines de milliers de photocopieurs, machines à écrire, ordinateurs et boîtes aux lettres. Malgré cela, pas l’ombre d’une preuve ne fut trouvée – pas même un témoin concernant les courriers mortels. Avec l’aide de toute une équipe de scientifiques, le FBI réussit à trouver une fiole d’anthrax qui coïncidait – au niveau des empreintes génétiques – avec celui utilisé lors des attaques.
Cette flasque était détenue par Ivins qui avait publié pas moins de 44 articles scientifiques ces 30 dernières années en tant que microbiologiste, et qui travaillait au développement de vaccins contre l’anthrax. Il avait d’ailleurs fourni des échantillons de cet anthrax à d’autres chercheurs de Fort Detrick, à l’institut Battelle Memorial à Colombus dans l’Ohio et à d’autres établissements impliqués dans la recherche sur l’anthrax.
D’après une estimation du FBI, plus de 100 chercheurs ont eu accès à cet anthrax. N’importe lequel d’entre eux, et même leurs collègues, aurait pu prélever une quantité infime de cet anthrax, et, en le mélangeant avec de l’eau et des nutriments, aurait pu faire se multiplier les spores suffisamment pour lancer les attaques.
Par la suite, Ivins, qui prêtait pourtant assistance au FBI dans son enquête, devint suspect, de même que tous les autres chercheurs qui avaient eu accès à l’anthrax. Ils furent interrogés fermement, subirent des passages au détecteur de mensonges, et chacun s’opposa aux autres dans une variante du jeu du “dilemme du prisonnier”[1]. Leurs labos, ordinateurs, téléphones, domiciles et effets personnels furent fouillés à la recherche de possibles indices.
Alors que l’enquête – appelée Amerithrax – se poursuivait, le FBI subit certains échecs frustrants comme celui de la procédure de poursuites engagée depuis cinq ans contre Steven Hatfill, qui se termina en 2007 par des excuses et un dédommagement de 5.8 millions de dollars versés à ce chercheur par le gouvernement US. Un autre scientifique, Perry Mikesell, fut si stressé par les “jeux” du FBI qu’il devint alcoolique et mourut d’une crise cardiaque en octobre 2002.
Finalement, le FBI se focalisa sur Ivins. Non seulement il avait eu accès à l’anthrax, mais les agents du FBI le soupçonnaient de les avoir menés en bateau dans le fiasco “Hatfill”. Une recherche dans ses emails révéla des documents pornographiques et des messages étranges qui, bien que n’ayant rien à voir avec l’anthrax, suggéraient qu’il s’agissait d’un individu fortement perturbé. Le FBI augmenta sa pression sur Ivins, l’isolant dans son travail et le forçant à dépenser ses économies pour payer des avocats. Il devint de plus en plus stressé. Son médecin indique qu’Ivins semblait obsédé par l’idée de vengeance, voire d’homicide. Puis survint le suicide (qui comme le révèlent Eric Nadler et Bob Coen dans leur documentaire "The Anthrax War", (titre français: "Marchands d’anthrax ") fut l’un des quatre suicides de chercheurs en guerre biologique américains ou anglais ces dernières années). Et puisque le comportement étrange d’Ivins correspondait au profil du scientifique-fou recherché par le FBI, son suicide apparut comme une opportunité de clore l’affaire. C’est ainsi que le FBI organisa une réunion d’information au Congrès au cours de laquelle il ne fut pas loin de déclarer qu’Ivins était le tueur à l’anthrax.[2]
Mais il reste un problème épineux : le silicone
Dans les années soixante, le silicone était utilisé pour transformer l’anthrax en arme. Au travers d’un processus complexe, les spores d’anthrax étaient enduites de cette substance pour éviter qu’elles ne s’assemblent, formant ainsi un aérosol mortel. Mais cette technique de transformation fut interdite par des traités internationaux, et l’anthrax utilisé dans la recherche ne contient plus de silicone, et celui de la flasque de Fort Detrick n’en contenait pas.
Pourtant, d’après l’Institut de pathologie des Forces armées, l’anthrax [des attaques - NdT] contenait du silicone. La présence de silicone expliquerait qu`à l’ouverture des lettres des Sénateurs Leahy et Daschle, l’anthrax se soit vaporisé sous forme d’aérosol. Dans ce cas, le silicone a été rajouté d’une façon ou d’une autre à l’anthrax. Mais Ivins, aussi tordu qu’il ait pu être, n’avait ni les compétences ni les moyens d’adjoindre du silicone aux spores d’anthrax.
Ce procédé requiert des équipements hautement spécialisés dont le laboratoire d’Ivins ne disposait pas – pas même les autres laboratoires de Fort Detrick. Comme l’expliquait Richard Spertzel – un ancien chercheur en biodéfense qui travailla avec Ivins - au cours d’une interview privée le 7 janvier 2009, le laboratoire ne s’occupait même pas d’anthrax sous forme de poudre, et il ajouta : “Je ne pense pas que quiconque ici ait la moindre idée de la manière de faire ça”. Bien qu’Ivins ait pu constituer le coupable idéal, il reste à expliquer la présence de silicone.
Le FBI répondit en expliquant que l’anthrax contenait seulement des “traces” de silicone, et que celles-ci, d’après lui, auraient pu être accidentellement absorbées par les spores au cours de leur croissance dans l’eau et les substances nutritives où elles avaient grandi. Mais aucune de ces substances nutritives n’a jamais été retrouvée dans le laboratoire d’Ivins, et pour le coup, personne n’a jamais vu Ivins essayer de produire de l’anthrax non autorisé (un procédé qui aurait nécessité l’utilisation d’une multitude de flasques). Mais puisque personne ne connaissait les nutriments utilisés pour la culture de l’anthrax des attaques, il était envisageable que ceux-ci comportent des traces de silicone qui auraient accidentellement contaminé l’anthrax.
La contamination naturelle était une théorie alléchante, mais qui connut ses limites lorsque la parlementaire Jerry Nadler pressa en septembre 2008 le directeur du FBI, Robert Mueller, de fournir au House Judiciary Committee une information manquante : le pourcentage précis de silicone présent dans l’anthrax utilisé pour les attaques.
La réponse arriva sept mois plus tard, en avril 2009. D’après le laboratoire du FBI, 1.4% de la poudre contenue dans la lettre à Leahy était du silicone. “C’est une proportion incroyablement haute”, expliqua Stuart Jacobson, un expert en chimie des particules. “C’est un chiffre que l’on pourrait s’attendre à trouver dans de l’anthrax délibérément vaporisé, mais absolument pas par une contamination accidentelle”.
Qu’à cela ne tienne, dans une tentative pour confirmer sa théorie, le FBI embaucha des chercheurs du Lawrence Livermore National Labs en Californie pour qu’ils fassent des tests sur de l’anthrax contaminé accidentellement par un produit à haute densité de silicone. Quand les résultats furent publiés à la National Academy Of Science en septembre 2009, elles firent voler en éclat la théorie du FBI.
Les chercheurs de Livermore ont essayé 56 fois de reproduire la haute concentration de silicone, mais sans y parvenir. Même en rajoutant de plus en plus de silicone au produit, ils n’ont jamais réussi à s’approcher du 1.4% trouvé dans l’anthrax des attaques. La plupart des résultats étaient beaucoup plus bas, certains atteignant même 0.001%.
Ce que ces tests ont incidemment démontré, c’est que les spores d’anthrax n’ont pas pu être contaminées accidentellement par les éléments nutritifs d’un produit. “S’il y a autant de silicone, c’est qu’il a été rajouté”, m’expliquait Jeffrey Adamovicz qui supervisait le travail d’Ivins à Fort Detrick, dans un courrier échangé le mois dernier. Il m’indiqua que le silicone de l’anthrax utilisé pour les attaques avait pu être rajouté au moyen d’un puissant ferment – “utilisé par certains laboratoires comme Batelle” mais “nous n’utilisions pas de ferments à l’USAMRIID… [et] nous n’avions pas la capacité d’ajouter des composants siliconés aux spores d’anthrax.
Si Ivins n’avait ni l’équipement ni les compétences pour transformer l’anthrax en arme avec du silicone, alors quelqu’un qui avait accès à l’anthrax doit bien l’avoir fait. Avant même de connaître ces résultats surprenants, le Sénateur Leahy avait dit au directeur [du FBI] Robert Mueller, “je suis absolument convaincu qu’Ivins n’est pas le seul auteur des attaques à l’anthrax contre le Congrès”.
Lorsque j’ai interrogé ce mois-ci le porte-parole du FBI à propos des résultats du laboratoire Livermore, il m’a répondu que le FBI ne ferait aucun commentaire sur cette affaire autre que ceux déjà discutés lors du briefing de 2008 (soit un an avant la publication des résultats de Livermore). Il expliqua : “Le Département de la Justice et le FBI continuent d’enquêter sur les attaques à l’anthrax de 2001. Nous espérons conclure cette affaire très bientôt.”
Et donc, même si le public a l’impression que l’affaire de l’anthrax est terminée depuis 2008, l’enquête du FBI est toujours en cours et, à moins qu’il ne parvienne à réfuter les conclusions du laboratoire Livermore concernant le silicone, elle est revenue à la case départ.
Mr Epstein écrit actuellement un ouvrage sur la Commission d’enquête sur le 11/9.
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