vendredi 19 février 2010

Documents Situationnistes assez peu connus:1

Des Documents Situationnistes peu connus

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AVERTISSEMENT

Des erreurs de copie, assez nombreuses malheureusement, se sont glissées dans les textes. Nous nous dispenserons de signaler celles qui ne modifient pas la pensée des auteurs. Nous tenons toutefois à la disposition de ceux qui voudraient assurer d'éventuelles rééditions une liste exhaustive des malfaçons dans le présent dossier. [Liste d'une série de corrections qui ont été introduites dans la présente réédition]
Par ailleurs, nous ne disposions pour le dernier texte (Document hors-débat) que d'une retranscription de retranscriptions plus ou moins sérieuses; nous ne pouvons donc répondre de la conformité de chaque terme. Le lecteur supposera avec nous qu'à l'origine la "logique" de Salvadori était peut-être plus fumeuse que "furieuse", et aura évidemment reconnu les "mineurs de
Kiruna". A cette réserve près, l'authenticité du texte nous paraît indiscutable.
                                                                                                                                      C.R.Q.S.
DÉCLARATION
à propos du Centre de Recherche sur la Question Sociale
(Paris, mars 1974)
Déclarant notre solidarité avec les luttes pour une théorie pratique du prolétariat, par lesquelles cette classe sociale redécouvre aujourd´hui la nature véritable de son être et l´ampleur de ses perspectives, qui avaient été vaincues, falsifiées ou oubliées avec l´écrasement de l´ancien mouvement ouvrier sur tous les continents ; Considérant, qu´en tant que prolétaires révolutionnaires, notre émancipation individuelle passe par l´émancipation nécessaire du prolétariat mondial; que cette émancipation doit consister notamment en la suppression de l´Économie mondiale, dont les différents États et classes dominantes nationales se partagent aujourd'hui´hui la gestion d´où ils tirent le pouvoir qui enchaîne actuellement l´humanité que l´assujettissement des masses à l´Économie, consiste non seulement en l´assujettissement des travailleurs aux classes et aux États détenteurs des moyens de production, mais aussi dans l´asservissement des individus à des règles de vie, de pensée et d´action qui découlent directement de la forme marchande de la production mondiale ; que le prolétariat a été enchaîné jusqu´à présent au moins autant par sa propre complaisance pour la vie servile que par sa soumission contrainte à la loi économique, et que c´est précisément ce qui aujourd'hui´hui est en train de changer; Considérant, que les conditions nécessaires de son émancipation, et du libre épanouissement ultérieur d´une vie sociale révolutionnaire, restent la suppression de l´Économie et de l´État et, en règle générale, de toutes formes de pouvoirs ou d´autorités extérieurs aux individus; que l´arme et la condition principale pour mener l´actuelle guerre sociale jusqu´à la victoire décisive est l´appropriation et le développement par chaque prolétaire d´une forme de pensée solidaire de sa lutte, supérieure aux théories partielles et à la connaissance scientifique connues jusqu´ici : la théorie révolutionnaire, née des luttes du vieux mouvement ouvrier, et réintroduite aujourd'hui´hui dans la guerre contre les conditions socio-historiques du capitalisme moderne; que cette nouvelle conscience révolutionnaire, relativement aux buts qu´elle se propose d´atteindre, doit se développer contre toutes les règles de pensée et de conscience dominantes; qu´elle n´est en définitive que la théorie libre et maîtrisée par chaque individu de son existence sociale ; qui jusqu´à présent n´a pu connaître aucun développement durable et décisif; que selon le mot d´un situationniste, il importe avant tout que “les ouvriers deviennent dialecticiens”, et dirigent eux-mêmes leur propre vie, en dehors de toute délégation de pouvoir; que notre époque voit justement apparaître et agir les premiers travailleurs dialecticiens; Considérant, que notre époque mérite maintenant de voir se constituer des organisations internationales de prolétaires révolutionnaires, qui, avec l´appui de leurs compagnons de classe dans chaque région du monde, pourront tenir en respect n´importe quelle autre puissance de ce temps; qu´il ne faudra pas moins que cela pour contrecarrer efficacement les mensonges, les falsifications et les brimades quotidiennes par lesquels nos maîtres actuels nous maintiennent dans une ignorance organisée de tout ce qui concerne la réalité de la vie ; et donner enfin à notre lutte des bases solides et lui permettre un essor décisif;
Considérant, notre mépris pour les pseudo-organisations révolutionnaires qui cherchent à se constituer en deçà des dimensions que nous indiquons ci-dessus; que la manie organisationnelle des révolutionnaires qui s´affiche à tous propos, et qui trouve son complément normal dans divers courants honnêtement ou tactiquement spontanéistes, est un réflexe qui subsiste de la pire tradition du mouvement ouvrier et de la longue période d´impuissance générale que nous venons de traverser; que nous faisons autant de cas des gesticulations, des prétentions ou des rêves de tel ou tel groupuscule que d´une vulgaire pétition; que toute organisation révolutionnaire qui osera maintenant se présenter avec des moyens, une théorie et une pratique sous-développés devra être considérée comme une simple dérision et une offense à l´égard des autres travailleurs qui entrent partout dans la lutte;
que ce qui juge une organisation révolutionnaire est l´ampleur et la radicalité de ses buts et comment elle agit pour les atteindre; que c´est maintenant aux travailleurs eux-mêmes de construire des organisations à la mesure de leurs objectifs ; et que ce qui définit avant tout le travailleur révolutionnaire n´est pas l´exercice ou la qualification pour tel ou tel métier, mais son hostilité irréductible à l´institution du travail ;
Considérant, notre mépris des sectes révolutionnaires, des groupes “autonomes” qui n´ont d´autonomie que celle du ghetto qu´ils s´aménagent;
nous avons fondé le 28 septembre 1973 le Centre de Recherche sur la Question Sociale, complément semi-organisationnel, intentionnellement limité, à nos activités respectives et distinctes de théoriciens révolutionnaires ; et qui fonctionne depuis selon les règles suivantes:
1. Les membres du C.R.Q.S. sont choisis parmi les révolutionnaires qui ont fait individuellement la preuve de leur loyauté, de leurs talents et de leur opiniâtreté dans la lutte pour la théorie pratique, et qui veulent rallier la présente solution semi-organisationnelle pour continuer de s´adresser en leur seul nom au mouvement révolutionnaire. Tout camarade, durant le temps où il est membre du C.R.Q.S., admet sans restriction les présentes règles, veille à leur application, et s´acquitte de tous les devoirs pratiques qui en découlent.
2. La fonction organisationnelle du C.R.Q.S. est strictement limitée à l´appui matériel qu´elle peut fournir à des activités distinctes, menées sous la responsabilité exclusive des individus. Le C.R.Q.S. ne cherche pas à exposer ou à défendre des positions collectives cohérentes ; ceci, bien que les bases générales de la théorie révolutionnaire moderne y soient nécessairement reconnues par ses membres. Aucune entreprise ne peut être menée par les membres au nom du C.R.Q.S. en dehors de quelques tâches administratives précisément délimitées ; en particulier, ni déclarations publiques, ni interventions pratiques, ne pourront se réclamer du C.R.Q.S., et resteront sous la seule responsabilité de leurs signataires ou auteurs.
3. Les tâches de gestion dont dépendent le fonctionnement et la réussite du présent accord sont équitablement accomplies par tous les membres. Ceux-ci dirigent cette gestion selon les règles de la démocratie totale. L´assemblée générale des membres a tout pouvoir de décision ; ses décisions, prises à la majorité, sont exécutoires.
4. Tout membre du C.R.Q.S. a le devoir de démissionner et de faire connaître ses raisons publiquement si nécessaire :
1) Lorsqu´il estime que la solidarité minimum qu´il doit aux autres membres, de par son appartenance à l´Association, n´est plus justifiée par la nature de leurs orientations théorico-pratiques.
2) Lorsqu´il estime que la formule limitée du C.R.Q.S. n´ayant plus lieu d´être cherche à se maintenir d´une manière injustifiée.
3) Lorsqu´il adhère à une autre organisation quelle qu´elle soit.
5. Tout membre qui se place par son attitude, ou ses prises de positions, en contradiction avec les présentes règles est immédiatement exclu. Sera également exclu, tout membre qui aura défailli gravement dans l´application d´une décision de l´assemblée générale, ou qui aura manqué d´une quelconque manière aux principes de la loyauté révolutionnaire.
6. Tout membre du C.R.Q.S. est libre d´établir selon ses affinités et les nécessités de sa pratique des alliances en dehors des membres de l´Association, à condition toutefois que ceux-ci en soient loyalement informés.
7. Selon les leçons qu´il tirera de son fonctionnement le C.R.Q.S. devra fixer un nombre de membres, au-delà duquel il se divisera en deux groupes, dont l´un d´eux reconstituera à l´extérieur une Association distincte.
8. Le C.R.Q.S. exposant ses buts au grand jour, élit chaque année un responsable légal de l´Association. Le Président de l´Association n´a aucune prérogative sur les autres membres.
9. Le C.R.Q.S. sera automatiquement dissout :
1) Quand la solidarité de ses membres qui rend actuellement cette formule possible ne pourra plus être suffisamment assurée.
2) Quand la réalité du mouvement révolutionnaire aura rendu possibles et défini des formes d´association supérieures.
FRANÇOISE BLOCH, JEANNE CHARLES, JOËL CORNUAULT, DANIEL DENEVERT.

DOCUMENT 2 - René RIESEL (26 août 1969)
Aux membres de la section française de l'I.S.

Copies aux sections américaine, italienne, scandinave.

Propositions pour l'organisation de nos futures publications
Paris, le 26 août 1969

Chers camarades,

Dans la discussion qui a eu lieu à la suite de l'annonce faite par Guy [Debord] le 28 juillet de son intention de ne plus assurer la responsabilité légale et rédactionnelle de la revue française, il me semble que c'est le deuxième point qui est évidemment apparu comme central; nous avons d'autre part convenu qu'il était souhaitable que des "programmes" soient proposés pour la forme future de la revue, et qui seraient discutés à la VIIIe conférence [de Venise - septembre 1969].

Pour éviter un autre sujet de désordre des travaux de la conférence (du fait qu'il n'y aura pas de texte écrit à l'avance, à part les rapports des sections, ce qui est mince), je propose que nous commencions dès maintenant, même si c'est un peu tard, à discuter là-dessus, et que l'état des débats soit incorporé à la fin du rapport de la section française.

Il est sûr que les problèmes soulevés par la "relève" de la revue sont étroitement liés à ce que nous n'avons pas fait pendant plus de six mois (avec pour point culminant l'absence de l'article de Mustapha [Khayati]), aux tâches que l'I.S. va maintenant se fixer en France, et consécutivement au problème d'une répartition des tâches plus démocratique.

La meilleure part de nos activités dans les derniers mois correspond à l'extension de l'I.S. et au fait que l'Internationale soit maintenant une réalité; en particulier, la fertile activité de la section italienne et les rapports étroits qu'elle entretient avec la section française au moins. Mais c'est pendant le même temps - sans parler seulement de l'état ridicule de nos liaisons avec la section américaine - que nous sommes entrés en hibernation: absence de tout débat théorique, réunions de routine sous-amicales; nous en sortons à peine.

L'élargissement de la section française après les "Thèses d'Avril" et le mouvement des occupations aurait sans doute dû corriger au moins une partie des habitudes précédentes: tout au contraire, Guy [Debord] a assuré la rédaction de plus de 70% du n° 12, et je ne crois pas qu'il ait pu avoir si peu de discussion théorique à aucun moment de la "3
ème période". Alors que "solo il meglio sarà sufficiente" et que l'I.S. devrait s'employer à être toujours plus démocratique, nous ne sommes pas loin d'avoir à prendre garde qu'elle ne le soit moins. En plus du fait que Guy ait "si longtemps" assumé ces travaux, une autre raison suffisante est que, pour le n° 12 en tous cas, aucune tâche situationniste n'occupait précisément les autres pendant ce temps. Ce qui revient à dire aussi que nous n'avons pas encore trouvé quelles sont nos tâches nouvelles en plus de l'élaboration théorique qui reste à poursuivre: le niveau auquel nous devrons désormais intervenir (par rapport surtout à l'absence persistante de tout groupe révolutionnaire autonome en dehors de nous).

Je crois que seule une discussion approfondie là-dessus permettra un choix satisfaisant pour la forme nouvelle de la revue et déterminera sa place exacte par rapport à nos autres activités. Néanmoins, il semble déjà clair que la revue française devra cesser d'être le réservoir théorique des revues des autres sections. La nouvelle période révolutionnaire internationale qui s'ouvre appelle ses nouveaux théoriciens - le débat sur les conseils ne fait que commencer, et bien mal pour notre compte -: toutes les sections de l'I.S. formées actuellement se trouvant dans des zones où la vieille taupe n'est pas enfoncée trop profond, il n'est pas possible d'alléguer un quelconque sous-développement théorique pour se soustraire à ce débat, qui sera de toutes façons international. Il faudra qu'il soit possible de publier dans la revue française des articles théoriques d'autres sections. Sur ce point, ce que nous connaissons du "goût pour la théorie" des camarades italiens est déjà une garantie pour l'avenir.

Je propose donc quelques mesures formelles qui correspondent à l'état actuel des discussions et qui devront être transformées en rapport de décisions plus générales que nous aurons à prendre. Leur avantage sera essentiellement de vérifier les capacités de tous, et de les utiliser toutes.

1.        Périodicité semestrielle (au moins 3 numéros tous les 2 ans). Au lieu que, comme cela s'est passé jusqu'ici, chaque numéro couvre une tranche d'événements de grande importance, il faudrait perdre un peu de l'éloignement historique pour arriver à des analyses immédiates de faits exemplaires.

2.        Le directeur devra être pris parmi les camarades qui pourront l'être également.

3.        Il fera partie du comité de rédaction réduit de 2 à 4 membres qui aura le travail réel de "direction" de la revue et devrait changer à échéances de 2 ou 3 numéros par exemple.

4.        Je pense que chaque numéro (d'une soixantaine de pages) devra contenir le maximum d'articles non signés dans le style des actuelles "grandes notules" et effectivement écrits par une commission de plusieurs camarades désignés à cet effet.

5.        Les articles signés devraient être l'expression des "tendances" dont nous avons admis la possibilité, s'il s'en trouve, ou d'hypothèses à discuter.

6.        Textes théoriques sous forme de brochures entre chaque numéro de revue (qui pourraient être prolongés dans la revue par les articles signés).

Pour juger de l'efficacité de ces mesures, qui sont formelles, comme de notre efficacité, il est vrai que nous sommes notre seul tribunal, mais il est non moins vrai que nous sommes les plus impitoyables des juges.










                                                                                Amitiés   Riesel.
 













DOCUMENT 3 (15 octobre 1969)

Sur le fonctionnement de la section française après octobre 1969





I.        Pour élever la section française au niveau de cohésion qu'ont montré à Venise les autres sections, il ne suffit pas de proscrire - et sanctionner, cf. Alain - toutes les suites éventuelles de la désinvolture qui s'était installée en janvier-juin. Cette désinvolture elle-même n'a pu exister qu'en tant que produit d'une carence plus profonde.





II.        Dans les autres sections, non seulement il y a plus d'égalité dans la participation aux débats et à l'écriture, mais surtout on y constate plus d'intérêt réel pour notre théorie et son emploi: il y a plus d'activités personnelles, plus de lectures, plus d'idées. Les Français ont paru se reposer sur leurs vieux lauriers historiques, non seulement de 1968, mais quasiment de 1957. Presque personne n'avait continué à s'instruire sur quoi que ce soit. Pas une idée nouvelle n'a été formulée dans les réunions de cette période (alors que l'époque change). Là est la racine de l'inertie qu'il nous faut supprimer, par autant d'exclusions qu'il sera nécessaire. Il est sûr que 3 situs dont les rapports seraient bons constitueraient une bien meilleure et efficace section que 7 ou 8 s'ennuyant en commun.





III.        Il faut que chaque réunion (pour l'instant choisie tous les 15 jours) devienne une sorte de "Conférence" de la section (travaillant vite et bien) où chacun intervienne dès le début en soulevant un ou plusieurs problèmes généraux. Il paraît inévitable qu'une réunion dure beaucoup plus qu'auparavant, en deux temps: une séance l'après-midi, et une autre le soir. (Si des problèmes n'ont pu être réglés, se réunir automatiquement le lendemain). Une réunion qui durait environ 4 heures était trop courte, et toujours dominée par trop d'informations minimes: le tout-venant du courrier devra être préalablement sélectionné par un ou deux camarades.





IV.        Il faut qu'à partir de novembre chacun soit à Paris à peu près en permanence: c'est-à-dire de manière à assister à toutes les réunions, quelle que soit leur longueur, et à participer à tous les travaux ou rencontres partielles qui auront été acceptés lors d'une réunion par les camarades concernés. En règle générale, il ne faut plus dire à l'I.S. qu'une obligation extérieure empêche d'être présent un jour de réunion ; il faut dire aux obligations extérieures qu'une obligation plus impérieuse empêche tout autre engagement à ces dates.




V.        Au cas où quelqu'un serait en retard ou absent pour l'exécution de ses engagements, et si la majorité de la section ne veut pas admettre qu'il se trouve excusé par des circonstances précises, on devra prendre acte formellement du fait. S'il se renouvelle, l'exclusion est automatique.




VI.        Pour commencer sur cette base, il paraît utile que chacun écrive tout de suite quelques notes précises (de 10 à 40 lignes) sur les conclusions qu'il tire de la Conférence de Venise: sa signification générale, ce à quoi elle nous engage, et les points principaux souhaités pour notre activité prochaine. Outre ce minimum initial, il va de soi qu'on ne soulèvera jamais trop de questions théoriques et pratiques (si possible par écrit, mais sans faire des phrases).
Adopté unanimement le 15 octobre 1969, les camarades Cheval et Vaneigem étant absents excusés.
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DOCUMENT 4 - Guy DEBORD (17 mars 1970)
Notes pour la réunion commune des sections française et italienne, le 17 mars 1970 (à transmettre aux autres sections)

1.        Les difficultés des quatre derniers mois dans les sections américaine et italienne ont été particulièrement regrettables en ceci qu'elles ont ralenti le développement extensif de l'I.S.; lequel s'était trouvé être à peu près notre seule réalisation durant l'année 1969. Il faut reprendre et poursuivre ce mouvement extensif, mais aussi reprendre tout de suite notre développement intensif pratico-théorique.

2.        Dans les quatre mois précédents, pour la première fois, le côté administratif et disciplinaire interne l'a nettement emporté dans l'I.S. sur sa part de créativité ou d'expérimentation (part déjà peu considérable en 1969). Il faut tout de suite renverser ce rapport des facteurs, parce que, si celui-ci se maintenait, l'I.S. n'aurait aucune justification à se maintenir elle-même. Le camarade Verlaan a récemment très bien défini ce qu'il faut combattre, en remarquant que "là où la pratique révolutionnaire de l'I.S. fait défaut, les relations inter-individuelles deviennent fatalement la seule pratique"; et naturellement elles se déploient dans la vieille pratique malheureuse de la société actuelle, encore très aggravée par une prétention creuse au rôle historique supposé. Nous avons tous à choisir et à juger notre activité commune; mais être juges comme seule activité, ceci n'est pas acceptable.

3.        Tout recul devant les questions concrètes (et au premier plan devant la question triviale de notre financement) doit être immédiatement dénoncé, et éliminé.

4.        On a dû souvent chasser de l'I.S. ceux qui s'y trouvaient défectueux. Mais ce critère est trop exclusivement défensif. Pour qu'il y ait une égalité réelle, il ne suffit pas que les situationnistes évitent les défauts patents. Il faut que chacun soit, de quelque manière, "admirable" pour tous les autres.

5.        Tous les camarades doivent reprendre (ou commencer) un travail théorique rigoureux. On peut dire, par exemple, que nous n'avions pas vraiment besoin des "succès historiques" enregistrés depuis 1968 pour être sûrs de la vérité de nos thèses précédentes. Mais, pour notre activité ultérieure, nous avons vraiment besoin d'analyser précisément deux échecs annexes, qui se complètent réciproquement:
  1. dans la formation de l'organisation révolutionnaire consciente, l'extrême débilité des groupes constitués en France après l'admirable leçon de mai.
  2. dans le processus d'une lutte purement spontanée qui portait le prolétariat à mettre objectivement en question le pouvoir de classe en Italie, l'extrême facilité de la réussite d'une provocation intelligente (la bombe de décembre); échantillon relativement minime d'une pratique à laquelle tout État moderne n'hésitera jamais à recourir devant toute menace aussi vitale.
On peut dire que les débats de la Conférence de Venise [septembre 1969] ont, en général, très bien compris, et très bien prévu, ce qui se passe actuellement en Europe (quoiqu'en ayant vraiment très peu envisagé nos moyens de faire revenir ce genre de "science" dans l'activité pratique). Mais ces débats n'ont pas assez profondément examiné le premier point; et n'ont pas assez précisément prévu le deuxième.

6.        Malgré leur très grand intérêt historique et programmatique, les Conseils ouvriers du passé sont évidemment des expériences insuffisantes, et les organisations conseillistes réelles à venir sont encore assez loin d'exister. Une vague mode conseilliste se développe, jusque chez les crétins. Nous n'avons d'aucune façon à nous y ranger; mais à la déranger dès à présent. Au sens du contenu total que les Conseils doivent atteindre, au sens de ce que l'I.S. peut et doit faire pour que ce pouvoir existe en réalité, je résumerai ma thèse par une phrase: ce ne sont pas tant les situationnistes qui sont conseillistes, ce sont les Conseils qui auront à être situationnistes.

7.        Le monde manque seulement de la connaissance d'un projet qu'il a déjà. Si l'I.S. peut encore servir à la lui apprendre, nous aurons à faire surgir d'autres Strasbourg et d'autres Sorbonne, et d'autres expressions de notre théorie (par les livres ou autrement). Il va falloir encore étonner ce monde.

                                                                                                                       Debord 
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DOCUMENT 5 - Raoul VANEIGEM (mars 1970)

Notes sur l'orientation de
l'I.S. (mars 1970)

1. Pendant dix ans, notre force de conscience a tenu essentiellement à ce que l'histoire nous donnait raison. Or, il a suffit que nous commencions, en mai 1968, à imposer nos raisons à l'histoire pour que le situationnisme soit partout et les situationnistes nulle part. Pour reprendre place dans le mouvement réel, il faut en revenir à notre tradition tactique du scandale positif, c'est-à-dire à l'affirmation pratique immédiate de ce nous sommes et de ce nous voulons être, non pas n'importe quels révolutionnaires mais des situationnistes. Je souhaite, au contraire de la tendance implicite qui se manifeste parmi nous (être conseillistes purs, par exemple), un renforcement de notre spécificité.

2. Vers la fin des années 50, l'I.S. a donné aux premières constatations des dadaïstes un prolongement "marxiste" que les conditions économiques et sociales permettaient de faire apparaître plus clairement. En défendant dès le début de son existence le projet de la réalisation de l'art, l'I.S. montrait que le malaise dans la culture avait des causes économico-sociales, était un malaise de la culture. Ceux qui ne le comprirent pas - principalement les artistes ne concevant la critique de l'art que dans les limites de leur survie possible comme artistes - furent chassés et pratiquement refusés comme lecteurs. Depuis longtemps les artistes ont donc cessé de lire la revue et peut-être même de la collectionner.

3. En étendant ensuite la critique de la culture à la critique des idéologies, nous avons suscité l'intérêt des intellectuels critiques, tout disposés à se mettre en question pour survivre comme purs critiques de l'idéologie. Les étudiants vinrent ainsi les premiers approuver notre mépris des étudiants. À l'exception d'une poignée, déjà résolus à cracher sur l'université et sur le système en général, la plupart de ces beaux lecteurs n'ont rien de mieux à faire que d'étudier la fin de l'étudiant ou de jouer le rôle d'étudiant fini.

4. Nous pouvons aujourd'hui saluer de loin, dans leurs derniers remous ces artistes et intellectuels tourmentés, détritus conscients de leur décomposition avancée, que nous avons traînés dans notre sillage. Leur effervescence n'a pas été étrangère aux premières fissures de la société spectaculaire marchande en mai 1968. Mais il nous faut, dans le même temps, répéter et prouver que nous n'avons rien de commun avec ceux qui se plaisent dans les poubelles du non-dépassement.

5. Jusqu'à présent, le bilan de nos lecteurs est celui de nos refus: d'abord des farfelus vite conscients du prix des idées neuves sur le marché de la vieille nouveauté; puis, dans le même esprit, des penseurs spécialisés et des intellectuels honteux. Avoir en majorité des lecteurs auxquels nous tournions le dos en expliquant les raisons de notre mépris alors que notre projet positif était communiqué seulement à un petit nombre soit directement, soit plus souvent par la médiation d'imbéciles d'autant plus séduits que nous les rejetions, c'est maintenant la gangue dont nous devons nous débarrasser très vite. A voir ce que sont les idées situationnistes sans leur pratique, nous pouvons affirmer que nous avons eu jusqu'à présent des lecteurs malgré nous. Nous allons maintenant pousser plus loin la cohérence et chasser les lecteurs qui ne nous intéressent pas - tous ceux, par exemple, qui se contentent de réaliser un de nos objectifs partiels de 1967, la fin de l'université -. Nous voulons désormais nous adresser à des gens qui soient plus que des lecteurs. Que ceux qui s'adressent à nous prouvent d'abord pratiquement que nous avons raison, ou qu'ils disparaissent.

6. Depuis le début, l'I.S. n'a jamais cessé de préciser, en dénonçant ce qui l'éloignait de la lutte réelle, le projet de la société sans classe, la fin de la marchandise et du spectacle, la liquidation du prolétariat par les prolétaires eux-mêmes. Dans le même temps, nous expérimentions un langage qui portait en lui sa propre critique. Dans la période où nous entrons, il faut que notre langage porte sa critique en acte. Nous ne sommes pas des ouvriers mais nous devons maintenant devenir les égaux des meilleurs d'entre eux, de ceux qui se préparent à se nier comme ouvriers en faisant fonctionner les machines hors de l'aliénation et contre elle. Ce qui signifie aussi qu'ils seront devenus nos égaux en conscience.

7. Un intellectuel n'est pas a priori plus con qu'un autre con ouvrier de son état. Mais pour cesser d'être débile, c'est-à-dire pour cesser d'être un intellectuel, le premier doit parcourir un chemin difficile et hasardeux. Le chemin du second est direct: il lui suffit de prendre conscience de son pouvoir - car il tient entre ses mains le sort de la marchandise - pour sortir de l'abrutissement et n'être plus un ouvrier. Sa positivité est immédiate. L'intellectuel est au mieux du négatif; son chemin est labyrinthique et le goût du labyrinthe, c'est précisément le vieux Minotaure qui l'attend au tournant. Nous en avons la preuve dans l'incapacité où ces traumatisés de l'usine à penser se sont toujours trouvés quand il s'agissait de former des groupes autonomes révolutionnaires. Pour nous, il est assez clair que nous sommes entrés et sortis du labyrinthe en trouant les murs. Ceux qui continuent à s'y perdre n'ont pas la moindre excuse - et surtout pas l'I.S. Notre critique doit maintenant porter essentiellement sur le milieu ouvrier qui est le moteur du prolétariat. Il faut maintenant négliger la fraction gélatineuse de la révolution - celle qui pénètre mollement partout en se décomposant et en décomposant tout ce qu'elle touche - pour frapper sur la fraction dure en préparant une sorte de coup de Strasbourg des usines. Il est honteux que ceux qui disposent des moyens réels de la révolution ne s'en servent pas ou s'en servent si mal; c'est ce qu'il va falloir répéter preuve à l'appui, jusqu'à ce que la critique situationniste du prolétariat pénètre dans les masses. Mais à la différence de la critique des milieux intellectuels, la critique du milieu ouvrier ne peut se faire qu'en l'associant à la diffusion de techniques d'agitation directement liées à des significations théoriques.

Vaneigem
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DOCUMENT 6 - René RIESEL (mars-avril 1970)

A la section française de l'I.S. pour discussion,
Copies aux autres sections


Camarades,

La recherche d'une stratégie situationniste pour la nouvelle période, demandée à plusieurs reprises dans la section française, à peine abordée à la Conférence de Venise [septembre 1969], est à l'ordre du jour depuis maintenant deux ans et nous n'avons pas progressé. Non seulement aucune réelle discussion théorique n'a été tenue, mais la réalité même de l'I.S. en tant qu'internationale de sections est assez compromise. La relation dialectique entre les deux choses me semble devoir poser à nouveau la question de l'existence organisationnelle de l'I.S.

1.        Dans le sens où aucune hypothèse théorique avancée nouvelle n'a été émise parmi nous depuis le mouvement des occupations, il ne faut plus dissimuler que la définition de l'I.S. en tant que "groupe international de théoriciens" est, elle aussi, remise en cause, alors même que nous n'avons pas défini le nouveau terrain de notre intervention, le dépassement possible du "groupe de théoriciens". Mais, d'autre part, je crois qu'il faut voir combien la diffusion et la communication de la théorie déjà élaborée ont été mal faites en ce qui nous concerne directement, faute de moyens surtout (en France, faible diffusion du livre de Viénet; aux USA diffusion presque nulle de S.I.; en Scandinavie, il faut garder en tête les chiffres dérisoires que Martin a révélés à Wolsfeld, même en considérant le nombre important de textes publié par l'officine de traduction de l'ex-groupe Libertad; l'Italie est sans doute le pays où nous avons pu faire le plus de choses - sans que ce soit le moins du monde suffisant - mais il s'agit maintenant de reprendre le temps que la crise nous y a fait perdre).

2.        Face à un pareil état de faits, il me semble que dans la période qui s'ouvre comme dans celle qui est finie, l'existence d'un groupe uni de théoriciens critiques a de grandes justifications et la plus grande utilité historique. Encore faut-il qu'il en soit réellement un.
Et de toutes façons, le seul présupposé qu'implique son dépassement possible est son existence effective en tant que tel. Cette existence passe nécessairement par un renouveau d'une pratique collective de l'imagination, qui doit entraîner maintenant la passion des idées comme la passion dans les débats, toutes choses qui nous font tristement défaut.

3.        Je voudrais livrer pêle-mêle quelques faits d'importance inégale, mais qui, tous, expriment l'étendue de notre présent manque théorico-pratique (à divers degrés; étant bien entendu que si nos manques théoriques découlent en partie de la triviale absence de discussion sérieuse et en partie aussi de l'absence plus générale d'une pratique révolutionnaire consciente en dehors de nous, cette dernière nous est dialectiquement imputable de même qu'elle nous attend au tournant si les choses ne changent pas).

4.        En France, une des seules tâches pratiques que nous nous étions fixées, à défaut d'autre chose, était la mise en liaison des groupes autonomes qui, pensions nous, n'allaient pas tarder à surgir; le développement des luttes de classes en ayant décidé autrement, nous n'avons rien d'important, ou même d'intéressant, à faire dans ce domaine, et nous nous sommes laissés enfermer dans une routine de rencontres inutiles, où les petites informations que nous recueillions ne nous apprenaient rien, et n'étaient même pas répercutables vers d'autres révolutionnaires, en leur absence.

Les quelques textes de critique de I.S. 12 que nous avons reçus, et qui émanaient tous de gens que nous connaissions trop étaient soit idiots soit erronés et en désaccord avec nos thèses de base; aucun ne proposait une discussion véritable.

5.        (Je trouve pourtant que sans tenir compte de leur perspective globale fausse certains points particuliers du texte d'Yves méritaient qu'on ne les abandonne pas purement et simplement à la critique rongeuse des souris).

6.        Le texte "Contribution à la conscience d'une classe qui sera la dernière" me semble à ce propos intéressant ou révélateur. Même s'il ne venait pas de Leglou ou de sa bande, je pense que nous devrions nous opposer à ce genre de phénomènes, et pour sa perspective même. Il est trop tard pour nous inquiéter maintenant des kilos de petits tracts délayant l'I.S. qui ont pu être publiés, et ce n'est d'ailleurs pas notre affaire. Mais je trouve a priori inintéressante et suspecte une telle dose de non créativité et de copiage pour des gens qui prétendent jouer les groupes autonomes. C'est trop d'imbécillité ou trop de servilité pour nous.

7.        Une question intéressante soulevée pendant la résolution du "conflit Eduardo [Rothe]-Paolo [Salvadori]" portait sur la communauté de goûts que nous pouvions ou non nous reconnaître et le style commun ou divergent qui en découlait. Je vois dans le non-éclaircissement de ce point (dans l'extension sans cesse croissante de la part tacite de notre accord en l'absence de vérification possible, qui va de pair avec la "prétention creuse au rôle historique supposé" dont parle Guy [Debord]) une des origines du malaise actuel. Les traces en sont nombreuses, et ce ne sont pas des tentatives volontaristes ("rencontres de travail amicales", etc.) qui les effaceront de quelque manière, mais leur discussion franche et approfondie.

Par exemple, et à des niveaux différents:
-        si les idées développées dans la revue de la section américaine sont assez bonnes, leur style d'exposé n'est presque pas situationniste (cf. par exemple "Ten days"); en dépit de quelques jokes ou pointes de raillerie ou de sarcasme, il reste assez peu dégagé de la marxologie américaine à la "Contemporary Issues". Dans ce cas encore nous pouvons considérer la chose comme fortuite, mais exactement autant que la présence d'un Chasse parmi nous.
-        d'autre part - et je ne pense pas ici sortir du cadre de ce qui est défini dans les "Thèses d'Avril" comme "rapports historiques, confiance critique" - des divergences trop marquées dans les styles de vie peuvent entraîner un agacement qui se nourrit de son silence et qui risque de détruire sinon cette confiance indispensable, du moins le goût de discuter et d'agir ensemble. Sans croire qu'il est nécessaire de procéder à une discussion du genre Eduardo [Rothe]-Paolo [Salvadori]; sans vouloir me poser en quelqu'un de particulièrement sociable ou agréable pour tout, il me semble qu'en raison des rapports de confiance historique que nous devons avoir, il me faut dire combien, ce qui m'apparaît comme une certaine petitesse dans la vie, et surtout dans le style, me choque profondément chez François [de Beaulieu].

8.        Je n'ai aucune stratégie précise à proposer; et je ne pense pas que l'on puisse la définir avant que nous nous soyons mis en état d'en parler. Si les quelques discussions qui ont déjà eu lieu font apparaître une volonté de renforcer notre spécificité, ce à quoi je souscris pleinement, il faut voir, là aussi, que s'il est nécessaire, dans ce but de "faire connaître plus, et faire connaître mieux l'I.S.", cela passera nécessairement par la vérification de la participation égale de tous.

9.        A cette fin, il ne serait pas mauvais que dans les semaines à venir, chacun s'emploie à dresser une liste de problèmes théoriques préoccupante parmi lesquels nous établirions des ordres de priorité; la formation de groupes de discussion rotatifs ne devrait pas être écartée d'avance. Ces discussions devraient être rapidement relancées à l'échelle internationale, pour que leur formalisation se dissipe dans la spontanéité créatrice de tous.

10.        Notre dernière rencontre était prévue pour discuter des problèmes dont certains sont abordés ici. Le fait que trois camarades seulement sur six aient alors apporté des notes doit être pris comme dernier symptôme du mauvais climat actuel. Il est certes rassurant que les textes présentés se soient recoupés pour l'essentiel, mais il est alarmant que tous les camarades n'aient pas apporté de notes. On pourrait se demander si, tout en reconnaissant les problèmes définis, ils les sentaient eux aussi présents; et quelle est la profondeur du très normal accord qu'ils peuvent avoir avec les analyses émises.

Ce point doit être lui aussi pris au sérieux.

Pour l'I.S. !

Paris, Eure et Loire, mars-avril 1970








                                                      Riesel
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DOCUMENT 7 - François de BEAULIEU (avril 1970)

Au sujet du débat sur l'orientation de l'I.S. - avril 1970

Jusqu'au mois de mai, notre critique disait: "Disparaissez !" et artistes, intellectuels, étudiants, obéissaient avec un remarquable sens de l'histoire. Depuis mai, le maître mot de notre critique est: "Apparaissez !" et tel devra être le fondement de notre programme dans la nouvelle époque.

Mais si nous avons formulé la théorie des mauvais jours, nous n'avons fait encore que très peu pour celle des jours meilleurs que nous vivons.

Le Manifeste (et bien d'autres textes) devra marquer cette étape. Sa diffusion devra être toute autre que celle de nos textes précédents. Et puisqu'ils sont au centre de nos préoccupations je pense qu'il doit être très expressément rédigé pour les grévistes sauvages des années 70 et communiqué à eux en priorité et par les moyens appropriés c'est-à-dire ceux qui contiennent la critique scandaleuse du scandale de la communication tel qu'ils le ressentent. Et au vu de nos actions ils jugeront mieux de notre esthétique. Nous ne pouvons plus désormais nous contenter de saluer de loin des ballets roses nantais ou des mineurs rouges suédois. Les possibilités d'action de l'I.S. doivent être mises en rapport avec celles que le prolétariat commence à développer. Mai reste le spectre rampant par l'Europe et il mène la conscience plus directement à la réalisation de l'art et de la philosophie qu'à l'idée des conseils ouvriers. Pour poser toutes les questions en termes de plaisir de vivre et réalisations des rapports humains pour y ramener tous les problèmes de gestion temporaire et d'organisation qui vont se poser. Ceci marquera ce qui nous sépare historiquement des familiers de la chambre noire, conseillistes planifiant ou automatiseurs conseillant. Et chaque fois qu'apparaîtra la classe qui dissout toutes les classes nous devrons être là pour lui montrer qu'elle n'est pas essentiellement différente de ce que nous avons toujours essayé d'être: notre propre dissolution. Et si les saltimbanques ont quitté la scène à notre invitation, le prolétariat aura encore à chasser leurs fantômes et à prendre tous ceux qui les incarneraient. Nous ne saurons rester des joueurs de flûte. Il nous faudra être de toutes les danses (j'ai quelques musiques à proposer dans une "préface à la critique pratique du vieux monde modernisé"). Nous ne comblerons pas à nous seuls le besoin d'idées nouvelles et ce n'est pas de camarades proches avec qui nous trouverions le plus grand accord sur nos thèses que nous devrions attendre l'élargissement pratique et l'approfondissement théorique nécessaire. En ce sens les contributions de [Le] Glou et Cie sont tout ce qu'on pouvait attendre d'individus appartenant à cette sphère qui nous entoure et involontairement nous englobons, où le mimétisme tourne à la loi naturelle. Nous aurons à rejeter encore bien des maîtres du rewriting. Il faut plus d'idées inédites, de particularismes internationaux ("une tendance devra normalement être internationale"), pour relier la critique déjà faite à celle, pratique, en train de se faire. Cela doit orienter notre choix dans notre développement nécessaire. Comme il s'avère que la théorie n'a dans son premier mouvement, le nôtre, rien à voir avec la tradition orale, la restauration du débat dans l'I.S. passe par la réduction de textes et par des choix et engagements plus précis que ceux qui ont pu présider aux projets d'un dictionnaire des concepts situs. Dans un autre domaine on peut remarquer que s'il y avait dans l'I.S. la confiance nécessaire, la critique suffisante avait quelque peu déserté nos rapports. Un peu plus de vigilance aurait pu assainir ce qui rampait en Italie ou en Amérique (c'est peut-être ce qui a fait de Tony [Verlaan] un prophète sans le vouloir et ce qui a permis à quelques-uns de maintenir impunément leur présence dans l'I.S. plutôt que le projet commun). En ce sens j'apprécie ce que René [Riesel – - document 6] a pu extraire du silence mais je crains qu'il ne se soit nourri d'indicibles accrochages plus dus à l'ignorance de quelques détails matériels qu'à des affinités absentes. Son laconisme ne me permet guère d'en écrire plus. Un "coup de Strasbourg des usines" est à préparer dès maintenant pour ce qu'il pourra demander de connaissances que nous ne nous sommes peu préoccupés d'acquérir depuis deux ans. La critique théorique de l'économie spectaculaire-marchande est certainement beaucoup moins ennuyeuse qu'un pudique silence ne le laisse penser. Ce débat devrait être conclu, pour ce qui est des choix à brève échéance, par un document rédigé en commun après la discussion. Por la I.S. anda jaleo !

                                                           de Beaulieu







 
 
DOCUMENT 8 - Christian SEBASTIANI - 13 avril 1970
Notes pour la réunion du 13 avril 1970
Sans vouloir revenir sur ce qui a déjà été dit au cours des deux dernières réunions à propos des quatre mois d'inactivité théorique de l'I.S., je voudrais néanmoins préciser ceci: ce que nous n'étions pas c'est, comme l'a justement noté René [Riesel – Document 6], "un groupe international de théoriciens", mais plutôt des théoriciens sans théorie (au sens créativité théorique). Ce que nous avons été obligés de faire, il était absolument nécessaire que nous le fassions; c'est en ce sens que c'était encore une activité situationniste - la plus lamentable, mais, à ce moment, l'indispensable pour sauver l'I.S. des Bob Chasse et des Claudio Pavan. Il est triste mais vrai qu'il nous faut dire: "l'I.S. ça a aussi été ça". Et c'est bien parce que nous avons été capables une fois de plus, de faire apparaître la vérité parmi nous, que nous devons être capables d'accomplir ce que nous avons décidé - et allons décider.

Ceci pose, à mon avis à un niveau tout à fait différent de celui de l'époque des "Thèses d'avril", la question de l'adhésion à l'I.S. parce que je pense qu'il n'y aura pas d'ici une assez longue période de demande d'adhésion (mis à part les deux camarades espagnols). C'est maintenant un peu à chaque situ de re-adhérer à l'I.S. Et les prochaines adhésions - s'il y en a - devront se faire à un degré qualitatif toujours plus haut: elles seront le produit de nos prochaines productions théoriques. Nous verrons.

Pour l'heure je préférerais envisager concrètement notre activité future. Je proposerai donc que chacun couche sur le papier quelques questions théoriques ou pratiques parmi lesquelles nous pourrions décider des plus actuelles, des plus urgentes, des plus passionnantes. Guy [Debord] avait déjà proposé, le 17 mars [Document 4], l'analyse de "deux échecs annexes": débilité des groupes dites autonomes et la réussite de la provocation policière de Milan. Je verrais très bien ces deux points directement liés au travail de la revue que nous devrions commencer au plus tôt. Ce qui serait important d'envisager assez vite également c'est une discussion pour l'élaboration d'une ligne générale du Manifeste. Je n'ai pas d'idée précise sur ce point, mais il me semble déjà que ce devrait être le texte situationniste le plus violent, et aussi le plus diffusé. Je trouverai assez intéressant de développer les thèses de René-Donatien [René Viénet]sur le cinéma.

Que les propositions affluent !
                                          Christian








 
 
DOCUMENT 9 - Tony VERLAAN

Quelques observations concernant le débat stratégique
Une considération des composants du reproche que nous serions des "ouvriéristes" peut amener à affirmer qui nous sommes et de sorte quelle est notre force, avec qui on s'engage et sur quel terrain, et quelle pourrait être notre stratégie.

Les gens qui nous en accusent sont le plus souvent des étudiants ou des intellectuels ayant la conscience (souvent à tort) d'être eux-mêmes des déclassés. Ils savent et nous le savons avec plus de raison que nous partageons l'appartenance à cette catégorie sociologique.

En plus nous savons, ce qu'ils ignorent, d'être "déclassés" de leur fonction sociale d'étudiants et d'intellectuels.
Le premier piège, du fond duquel ces sirènes nous chantent quand nous nous embarquons avec les conseils ouvriers, c'est l'argument d'avoir parié sur la classe qui n'est pas la nôtre; une classe de laquelle leur catégorie sociale, érigée en classe en soi, prendra la relève révolutionnaire "étant historiquement une classe pour soi"(a). En somme nous nous sommes trahis, pire, nous les avons trahis! Leurs fausses chansons qui ne charmeraient aucun révolutionnaire dialecticien, crèvent, amplifiées par le pouvoir, les oreilles dans bien des payes, en général les plus développés. Dans ces pays, il s'agit même pour pouvoir entamer notre projet de les faire sauter, comme si on n'avait pas de poudre à perdre. C'est là où la critique de leurs idéologies les plus modernes (l'Écologie et la Technologie, libératrice en soi) s'impose.

Une autre implication serait que les travailleurs ne sont pas en ne sauront pas être assez radicaux pour être révolutionnaires. Il nous faut affirmer qu'ils pourront l'être et qu'ils seront les seuls à l'être effectivement. C'est là justement où nous nous embarquons avec eux dans notre spécificité critique de ne pas être des travailleurs à cause de notre refus de l'être. C'est à cause de notre vacance de leur esclavage, matériellement et idéologiquement dans le travail, que nous avons socialement l'occasion, aussi par notre côté "intellectuel" c'est-à-dire d'être habitués à "manœuvrer" des concepts-outils, de vois plus clairement les mécanismes de tout l'esclavage.
Où nous avons besoin de faire de la théorie pour nous comprendre, le mouvement révolutionnaire sans son ensemble a besoin de nous pour se comprendre. Pour que notre théorie soit vraiment d'une classe, il faut que cette classe puisse se l'approprier en s'y reconnaissant.

Nous devons l'élaborer (pour les différents pays et les différents phénomènes; la Russie, les Etats Unis etc.), la "synthétiser" diachroniquement (passage en revue des différentes thèses du passé), la dépasser constamment en restant au pas de la réalité de la pratique révolutionnaire) pour qu'elle devienne de plus en plus claire (b).
En somme nous resterons aussi des théoriciens, qui cependant appliqueront la théorie de plus en plus près à des activités concrètes. Ce qui pourrait devenir un des meilleurs moyens, desquels nous avons besoin, pour la faire connaître effectivement.

Il faudrait alors se préoccuper organisationnellement, de la diffusion de la théorie, tenant compte des différents stades auxquels sont les travailleurs dans les différents pays (et de sorte des différences variées avec nous) pour que nous puissions les atteindre.
Dans ce dépassement de l'I.S. comme groupe de théoriciens, il faut d'autant plus prendre garde contre une division spécialisée des activités à l'intérieur de l'I.S., chose que l'on a su s'épargner jusqu'alors en éliminant ces activités. De même qu'il est possible qu'à l'extérieur, des messageries G.R.C.A. peuvent, avec un semblant d'autonomie théorique, s'institutionnaliser vis à vis de nous.

Nos possibilités seront engagées et déterminées pour une partie en fonction de notre nombre, plus sur le niveau des sections que de l'Internationale et en fonction du goût qu'on prendra pour cette pratique (c). L'amorce de la réalisation de cette nouvelle perspective d'ensemble théorético-pratique, ne pourrait et ne devrait qu'accroître notre goût pour la vie sans entraves.









                                                                    Verlaan
 
 

(a) Les relents surgissent avec persistance dans des périodes de retard léthargique de conscience de classe par rapport à ses propres nécessités matérielles et l'abondance de leurs satisfactions possibles. Ainsi dans la période de 1928/1933, un certain Kooymans (le premier à être édité par Boucher) le maître à penser, par personne interposée, des provos, avançait: - théoriquement il était impossible que le prolétariat puisse survivre, même prendre le pouvoir, en tant que classe victorieuse (comme le disaient les marxistes de son époque), étant donné que l'existence du prolétariat en tant que classe tenait à celle des autres classes. La bourgeoisie émergée sur les épaules du prolétariat devait crever ensemble avec lui mais à qui à prendre le pouvoir. Dès lors, une réjection catégorique du "Marxisme". - pratiquement il voyait dans une période de surproduction et de chômage simultané aucun effort (même par sa conscience, au contraire) par le prolétariat dans la misère de s'approprier ses propres produits en abondance relative. Cependant les "déclassés" c'est-à-dire les artistes, les petits truands, les lumpen et quelques chômeurs entamaient des actions de protestation et de détournement de biens. De sorte qu'il en concluait que ces déclassés tant que la classe que comme porteur de conscience de l'humanité toute entière étaient les seuls à pouvoir faire la révolution. Cette position est reprise sous variantes par Contemporary Issues, Bookchin, Confrontations. L'apparence de raison était renforcée, où les idéologies qu'assuraient les travailleurs s'opposaient avec la même ténacité aux déclassés que l'idéologie des bourgeois, sur la base du travail selon les variantes travaillistes, stakhanovistes, racistes etc. Cette théorie reprise sous différentes variantes joue à plein maintenant dans le colmatage du pouvoir dans les pays comme la Hollande et les U.S.A. vers l'illusion d'une humanité toute réunie. Donc la lutte des classes dépassée. Il s'agit d'une part de l'idéologie de la technologie libératrice (para-stalinienne) qui selon les adeptes variés, trancherait dans la lutte des classes sans issue parce que l'usage même de la croissante technologie serait par sa quantité même inévitablement juste. D'autre part l'écologie, comptant sur la pollution, et l'épuisement de l'environnement pour acculer l'humanité toute entière devant le choix d'utiliser d'autres techniques de production (et assurant que ça amènera un changement du mode de production et donc d'organisation sociale) ou de périr tous ensemble, propose toute une série de modèles d'organisation sociale (communes, villes désaliénées) qui se tiennent à une bonne application de la technologie et de la science. Il faut les attendre au tournant, par une critique de la technologie et de la science. [Retour au texte]
(b) La pratique de la théorie dans la section américaine, jusqu'à sa dernière crise suffit pour nous mettre en garde. Le style même dans lequel les idées, par ailleurs assez bonnes, sans être trop originales, étaient conçues, est symptomatique des différences de goût. Le terrain où cette théorie en pratique démontre la différence de goût où ça nous importe, le goût même de la théorie. Pour oublier que nous ne sommes rien et que c'est par le goût pour la vie que nous faisions de la théorie, ils ont pu croire qu'en tant que théoriciens ils seront quelque chose. La polémique entre théoriciens qu'ils mènent avec McLuhan, Lundt ou Marcuse les met seulement en leur présence et ne fait que les mesurer. Il importe de voir pourquoi leur pratique cantonnée dans la théorie a été leur raison et leur excuse pour l'absence de toute pratique réelle de la théorie situationniste tant que pratique quotidienne se rapportant au mouvement révolutionnaire. Une absence qui les placera à côté de l'ICO
[Information et correspondance ouvrières]. La lutte des classes théoriquement retrouvée à travers l'I.S., ne fut pas reconnue dans sa réalité, même si les évolutions erronées de la contestation (d'autant plus complexes, par son retard par rapport à l'infrastructure) ne facilitent pas l'opération. Il s'agissait de reconnaître les moments vrais du mouvement d'opposition, dont la conscience est largement fausse et la pratique relativement arriérée, de les faire connaître dans une perspective d'ensemble pour que l'opposition faussée puisse être dépassée dans la vraie lutte des classes. Négligeant la réalité de la lutte de classe, ils défendent, dans le néant, des positions théoriques qui deviennent des sortes de refuges. De sorte que "de nous organiser tous" fut d'autant plus pressant où ça fut leur seule activité pratique. [Retour au texte]
(c) Les deux ne sont pas sans relation. Comme le montrent les expériences américaines et danoises, il est plus difficile d'avoir une autonomie théorético-pratique à une ou deux personnes, comme il est plus pénible.
[Retour au texte]
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DOCUMENT 10 - Christian SEBASTIANI (28 avril 1970)
Notes pour la réunion du 28 avril 1970

L'accusation "d'ouvriérisme" dont nous avons été qualifiés après la sortie du n° 12 définit assez bien le terrain sur lequel nos nous étions placés et celui sur lequel nous allons maintenant agir. Le fait que nous ayons touché quelques ouvriers en mai - mieux: que certains soient venus nous trouver - et que nous ayons écrit dans Le Commencement d'une époque que "le mouvement de mai ne fut pas un mouvement d'étudiants" choque profondément la mauvaise conscience de quelques lamentables justement parce que nous avons commencé à atteindre une partie du milieu ouvrier d'une façon tout à fait anti-ouvriériste; et parce que ces crétins se sont sentis rejetés de ce mouvement dont nous parlions si bien. En fait ils ne l'étaient nullement mais puisqu'ils pensent ainsi ils le sont effectivement. Le n° 12 portait en lui-même une partie stratégique qui est d'actualité sans que nous l'ayons définie entre nous auparavant. La discussion sur les lecteurs que nous ne voulons plus montrait d'une manière générale la voie que nous voulons maintenant prendre. La réaction de ces "lecteurs malgré nous" peut nous servir pour juger notre action: plus ils seront contre l'I.S. plus nous aurons de raisons d'être satisfaits.

Sur les groupes autonomes après mai nous avions déjà dit, dès le retour de Venise [septembre 1969], qu'aucun d'eux n'avait sorti un bon texte théorique, aucune nouveauté. A leur décharge je dirai que leur apparition était une nouveauté; mais bien sûr pas leur disparition. Il me semble donc que la question des organisations révolutionnaires est à l'ordre du jour; et que de prochaines discussions et de prochains textes portent sur ce sujet.

Le "Strasbourg des usines" que nous nous proposons de réaliser, ainsi que le Manifeste, devront marquer toujours avec plus de fermeté et d'intransigeance la vérité de la théorie situationniste. Il ne s'agit pas tant de faire de nouvelles hypothèses théoriques pour faire du nouveau mais de décrire ce qui est là. C'est l'analyse du monde moderne qui nous a conduits à en faire la critique modernisée. C'est l'analyse de la période présente qui nous révélera les nouveautés à découvrir - ou simplement s'il y a du nouveau à découvrir. Ce qui manque le plus au mouvement révolutionnaire prolétarien c'est la conscience de ce qu'il a déjà fait. Donner raison et leurs raisons aux mineurs de Kiruna, du Limbourg et d'Asturies, aux grévistes sauvages du monde entier est une des principales tâches que nous devons poursuivre. Ce qui peut avoir pour effet l'accélération du processus de prise de conscience et la diminution de l'intervalle de temps entre la "défaite" d'un mouvement et son retour; et que ce retour soit qualitativement meilleur jusqu'au moment où la conscience soit contemporaine de l'action - c'est-à-dire la conscience de ce que le mouvement peut et doit nécessairement faire. La relative période de calme actuel - après le déferlement des grèves sauvages en Europe et aux États-Unis, - apparaît plutôt comme un symptôme de la retombée du mouvement européen qui n'est pas encore parvenu au creux de la vague, et ne doit nullement nous inquiéter ou nous décevoir, parce que nous savons que c'est dans de telles périodes que les scandales font tous leurs effets.









                                                          Christian
 
 
DOCUMENT 11 - René-Donatien [René Viénet]

Notes pour la réunion du 28 avril 1970
1.        Autre trivialité qu'il convient de noter avant de passer à la théorie: A la lumière de ce qui s'est passé en Italie récemment - escalade soigneusement dosée pour mesurer les réactions des prolétaires avant le grand coup de la banque par les argousins - il faut noter que l'incident rue d'Enghien qui a fait se rencontrer, au bon moment, flics et incendiaires de la Gauche Prolétarienne est un test semblable. Parallèlement au débat en cours, je propose que nous préparions une sorte de "Reichtag brûle" à quelques milliers d'exemplaires. Une sorte de commentaire "avant-coup", auquel le moment venu il suffira de rajouter un post-scriptum sur la provocation policière, précise, qui marquera le coup d'envoi pour la diffusion de notre texte. Il existe un risque non négligeable que notre explication de ce qui s'est passé en Italie s'insère un peu tard dans le n°13.

2.        Quelques considérations tactiques:

-        Il n'est pas nécessaire de reprendre la discussion sur les tirages des différents livres et publications situs. Une conclusion au moins est pour nous opérationnelle: l'image de l'I.S. dans le spectacle, dans l'édition en particulier, suit un circuit de distribution sur lequel nous avons peu d'influence, qui est trop loin de nous pour que nous puissions même cracher dessus. Mme Brau se vend mieux qu'Enragés [et situationnistes dans le mouvement des occupations signé par Viénet et publié par Gallimard]; [De] la Misère [en milieu étudiant] a connu une diffusion 30 fois supérieure à celle de la revue. Je ne m'indigne pas de ce que des petits margoulins genre Nataf rééditent sans débander la Misère, mais il convient peut-être de considérer si, sans déroger, il est temps pour nous de ne pas commencer à faire du purisme et de glisser quelques gouttes d'acide dans la pourriture des médias. Se bien tenir avec l'édition n'a pas été pour nous un problème; mais c'est un peu un problème du XIXème siècle; Gallimard ou Buchet[-Chastel] sont à peine plus en prise avec le vrai pouvoir de notre époque qu'un petit libraire-éditeur il y a 70 ans. Lorsque nous devrons maîtriser le milieu plus moderne du cinéma, les rapports seront sans doute plus délicats. Il est peut-être temps de couper l'herbe sous le pied aux Brau de toutes sortes en planifiant dès maintenant quelques méthodes de vulgarisation situationnistes (les camarades auront compris que je ne veux rien vulgariser du tout) éditions d'autres Misère de gadgets situs en livre de poche; mardi prochain je dresserai une première liste pour discussion.

-        Parallèlement à cette perfusion dans les médias, et en tenant compte de ce que notre action doit être absolument irrécupérable par la poulaille qui serait trop heureuse de faire passer sur notre dos d'autres lois scélérates, développement des actions spécifiquement situ dans la guérilla contre ces mêmes médias. Il faut préciser nos vagues projets relatifs aux studios de télévision, etc. en liaison avec la nécessité de ce que l'on peut appeler pour aller plus vite un "Strasbourg à l'usine".

-        Un nota-béné pour associer la Scandinavie au débat actuel ou à des conclusions: je suis persuadé que Martin isolé dans sa Scandinavie est dans les pires conditions pour promouvoir la subversion situ. L'envoi d'une brique de subsides est un encouragement notable mais insuffisant. Il est remarquable que Martin, malgré un obstacle linguistique indéniable, se retrouve par télépathie sur les mêmes positions que nous. La conférence des délégués ne suffira pas sur cet aspect précis du problème. Il serait souhaitable qu'un ou plutôt deux camarades proposent à Martin d'aller travailler au Danemark quelques semaines, dès que le débat en cours et le n° 13 auront été menés à bonne fin par exemple, pour l'aider à mettre au point ses publications suivantes.










                                                                                         René-Donatien 











 DOCUMENT 12 - Guy DEBORD (27 avril 1970)

Pour un débat d'orientation du printemps 1970. Note sur la première série de textes





1.        Points essentiels déjà apparus





a) Réaffirmer "notre spécificité", comme l'a dit Raoul [Vaneigem]. Ceci a été aussi formulé par René [Riesel], Tony [Verlaan], moi-même [Document 4] (notamment sur le contenu "situationniste" des Conseils).

b) Développer notre théorie. René a raison de dire que "l'existence (véritable) d'un groupe de théoriciens critiques" [Document 6], est déjà grandement justifiée et nécessaire. Paolo [Salvadori], dans une discussion en marge de ce débat, a justement insisté sur le fait que la réalisation du manifeste prévu n'est pas d'abord affaire de bonne rédaction (et moins encore une question d'intelligente diffusion), mais exige déjà tout de suite le développement cohérent de beaucoup de points qui n'ont été qu'esquissés par notre théorie jusqu'à ce jour. Tony [Verlaan - ]Document 9- dont le texte est en général le plus concret de tous - donne la meilleure expression dialectique du stade souhaitable "au-delà" du groupe de théoriciens critiques: "En somme, nous resterons aussi des théoriciens, qui cependant appliqueront la théorie de plus en plus près des activités concrètes. Ce qui pourrait devenir un des meilleurs moyens - desquels nous avons besoin - pour la faire connaître effectivement."





c) Ne plus attendre un instant pour exiger, pour le plus théorique comme pour le plus pratique, la participation vérifiée de tous (de même qu'il est clair, après l'exclusion d'Eduardo [Rothe], qu'on ne doit même plus discuter une heure sur tout acte de désinvolture personnelle susceptible d'offenser l'I.S.). René [Riesel] a posé concrètement cette question dans quelques lignes de ses points 7 et 10 [Document 6]. Notre extension numérique, et même géographique, est très secondaire en regard de cette banalité de base, sur laquelle se joue notre existence même. En ce sens, Christian [Sébastiani] n'a pas tort de dire que chacun aura à "réadhérer à l'I.S." [Document 8].




2.    Quelques nuances qui me paraissent utiles





a) J'approuve intégralement le texte de Raoul [Vaneigem - Document 5] si nous nous entendons bien sur le projet de "chasser les lecteurs qui ne nous intéressent pas". Ceci doit signifier notre refus explicite de l'intérêt que ces gens nous manifestent; notre refus pratique de tout contact avec eux; le développement par l'I.S. d'un contenu qui les rejette toujours plus dans la déception et la fureur (voir ce qu'ils appellent notre "ouvriérisme"). Mais ceci n'est en rien une solution pratique pour "choisir" effectivement nos lecteurs où nous voulons qu'ils soient. Le plus extrême volontarisme ne pourrait s'égarer jusqu'à croire que nous aurons le pouvoir d'empêcher les imbéciles de nous lire. Et il serait sans doute trop puriste de prétendre qu'une certaine part (inévitable) de médiation des imbéciles n'a jamais eu que des résultats absolument mauvais dans la diffusion d'une critique révolutionnaire. L'imbécile, surtout quand il est scandalisé, est une bonne caisse de résonance.

b) Raoul [Vaneigem - Document 5] avait mis à part, dans sa critique du milieu intellectuel, une "poignée" de gens résolus à tout mettre en l'air. Je ne sais pas s'ils sont parfaitement résolus, mais j'ai l'impression qu'ils sont maintenant légèrement plus qu'une poignée. René [Riesel], au point 4 [Document 6], a sans doute raison de critiquer "une routine de rencontres inutiles". Il faut diminuer fortement ces rencontres, mais non les supprimer dans l'absolu. Si les "groupes autonomes" sont lents à se former - et on doit même poser la question de leur possibilité réelle tant que des ouvriers autonomes n'auront pas commencé à se grouper -, il y a déjà des individus semi-autonomes, qui sont un important symptôme. Évidemment, il faut leur laisser aussi peu que possible de chances de nous ennuyer; mais ils ne nous ennuient que dans la mesure où ils ne sont pas autonomes (autrement dit, ce même critère se retrouve à l'extérieur de l'I.S. et, dans la mesure où elle connaît une crise, à l'intérieur.

c) En allant au-delà de l'impatience et de la mauvaise humeur que nous inspirent normalement les roquets admiratifs qui voudraient même nous mordre, je crois qu'il nous faut comprendre la base sociale de leur existence et de leurs perspectives. L'analyse de Tony [Verlaan - Document 9] montre l'essentiel de l'opposition: nous sommes - "sociologiquement" - des déclassés qui voulons abolir les classes, ils sont des pseudo-déclassés qui rêvent de devenir une classe (ou bien en devenant ouvriers ou bien petits cadres de la révolution; et plus souvent en prétendant à cela pour essayer d'être furtivement ceci).

d) Tout le monde est bien d'accord pour la rencontre historique avec les ouvriers; et ce moment commence. Avant de choisir les tactiques, rappelons notre voie stratégique: n'allons pas aux ouvriers. Faisons en sorte que les ouvriers viennent à nous - et restent autonomes ! 
Ceci sera le vrai "coup de Strasbourg des usines".

3.  Modestes propositions
a) Travaux théoriques. Le Manifeste. Des explications sur les Conseils Ouvriers, en rappelant ce que nous en avions déjà dit en tant qu'exigences essentielles (dans quelques numéros d'I.S., dans le Spectacle, etc.); ceci devant déjà être présent dans I.S. 13. Possibilité d'une brochure (petit livre?) qui s'appellerait, par exemple, les problèmes de la société sans classes et qui, considérant froidement par hypothèse comme démontrés tous les caractères possibles et désirables de la prochaine révolution, analyserait toutes les difficultés, les graves incertitudes et les points vraiment obscurs qu'elle aura forcément à surmonter (ce serait comme le correspondant inverse du Manifeste). Un autre travail (livre sans doute) pourrait se proposer d'établir (toutes les erreurs de Marx exactement citées) comment l'histoire du capitalisme depuis 125 ans a complètement justifié tous les points fondamentaux de la critique de Marx.

b) Travaux plus directement orientés vers "l'agitation". Un ou plusieurs papillons. Un recueil de nos citations les plus frappantes groupées chronologiquement pour éclairer le sens de certains mots-clés (remplaçant le "dictionnaire" mort-né, en moins ambitieux mais plus lisible). A part (et sans doute ultérieurement) une Histoire de l'I.S.; ou du moins une présentation pour un recueil de documents isolés ou inédits.

c) Le cinéma. Question économique préalable, à régler avec toutes les autres. Viénet a annoncé qu'il ferait un film avec nos thèses sur Watts - ce serait tout à fait le moment -, et moi avec La Société du Spectacle (je voudrais bien aussi tourner le Traité de savoir-vivre [de Vaneigem et publié chez Gallimard]). Chaque film pourrait donner à un ou deux situs travaillant comme assistants l'occasion de maîtriser leur propre style dans ce langage; et l'immanquable succès de nos œuvres apporterait aussi la base économique de la production future de ces camarades. L'élargissement de notre audience serait décisif.



                                                                                         Guy










DOCUMENT 13 - René RIESEL (18 avril 1970)

A propos des premiers textes de discussion, des débats du 17 mars et des 7 et 14 avril et sur d'autres questions d'importance





Chers camarades,

la discussion d'un des points de mon premier texte ayant pu faire apparaître que je voulais placer le débat sur un terrain qui ne m'intéresse pas, je dois convenir maintenant qu'il y va notablement de ma faute.

1.        Ce que François [de Beaulieu] m'a reproché comme "laconisme" dans mon "attaque" contre lui, n'a été en réalité qu'une grande maladresse dans l'exposé du problème que je voulais soulever; et qui a pu faire ainsi apparaître tout ce que je disais comme un conflit personnel où celui qui notifiait l'hostilité n'avait pas même une claire conscience des fondements de son hostilité.

A la lumière du fait que la discussion collective m'a permis en définitive de préciser pour les autres et pour moi-même ce qui me faisait problème, et, par là même d'approcher collectivement la solution satisfaisante d'un problème mal posé, il me semble qu'il faut, en dépit de cela qui est rassurant et normal, constater que j'ai eu tort d'être maladroit dans la mesure même où ma maladresse ressort objectivement de la sottise pratique.

C'est à dire que s'il est bien et normal que nous ne puissions résoudre que collectivement certaines questions difficiles, il l'est beaucoup moins que nous ayons à perdre dans quelque sorte de maïeutique notre temps commun.


2.        La question que je soulevais donc fort mal était de savoir, dans le domaine de la "communauté des goûts", quelles étaient ou quelles devaient être les limites de ce domaine, donc à quel niveau qualitatif son existence même pouvait se définir. C'est une question assez différente de celle qui consiste à nous demander pourquoi nous en sommes venus à participer à l'activité révolutionnaire situationniste (nous avons pu avoir, au début, toutes sortes de bonnes raisons individuelles fort dissemblables, mais nos raisons actuelles sont sûrement assez différentes); il s'agit de savoir s'il se manifeste maintenant une convergence dans nos appréhensions sensibles du projet commun, et quelle est cette convergence? On comprend que ce genre d'interrogation puisse se poser parmi nous puisque l'I.S. ne doit pas être, et n'est pas, une organisation comme les autres.




3.        La communauté organisationnelle situationniste n'est pas la pratique pure et simple du projet commun. Si des précisions sont d'ailleurs à apporter sans cesse à ce projet commun, s'il doit être sans cesse élargi, on peut noter que c'est dans la théorie de notre pratique que des différences existent déjà (la position de Raoul [VaneigemDocument 5] étant la plus "intransigeante" par exemple). Sans éliminer a priori l'hypothèse de divergences purement théoriques, que seul le débat qui commence pouvait faire apparaître, la réalité des différences préexistantes à propos de notre pratique possible peut dès maintenant occasionner quelques discussions. Cela ne veut pas dire que nous dussions en arriver à des désaccords, ni que nous devrions à tout prix nous accorder sur tout, mais que nous ne devrions rien laisser sans discussion - c'est à dire que chacun devrait exprimer non son opinion plus ou moins approbatrice sur quelque chose de déjà dit, mais sa thèse.

4.        La communauté organisationnelle situationniste est aussi le lieu où s'expérimente un style de réalisation et de pratique du projet commun. Que ce style soit bon ou mauvais en regard de l'Histoire, qu'il corresponde plus ou moins adéquatement à telle période précise des luttes de classes, c'est ce que l'Histoire et le prolétariat ne sauront tarder à nous dire. Mais ce qui importe, c'est que l'I.S. soit pratiquement un terrain d'expérimentation pour un ou des genres de vie, de combat, d'intelligence - si la condition fondamentale de notre accord, condition qu'il inclut lui-même, est bien que nous ne séparions à aucun moment de sa réalisation le "but final" et les moyens de l'atteindre.

5.        Ainsi, je suis bien plus proche de la perspective dans laquelle Raoul exprime certains choix sur l'I.S. que des choix eux-mêmes, tout en m'accordant avec lui sur ce à quoi ces choix devraient nous amener (cf. la fin du Traité [de savoir-vivre], Avoir pour but etc., Avis aux civilisés, son texte de discussion).

Ainsi, par rapport à ce que j'ai dit plus haut, tout en étant d'accord avec presque tout le texte de Tony [VerlaanDocument 9], je ne suis pas de son avis quand il a dit dans la discussion que le goût de la théorie, et celui de la pratique de la théorie, était un composant de notre communauté objective de goûts. Il en est la base; mais ce qui reste en suspens, c'est: quel renouvellement théorique? 
Quel style pour sa pratique?

6.        Comme point méthodologique un peu marginal, je dirai aussi que je ne partage pas le bel optimisme de Christian [Sebastiani] quand il écrit "c'est bien parce que nous avons été capables, une fois de plus, de faire apparaître la vérité parmi nous que nous devons être capables d'accomplir ce que nous avons décidé - et allons décider" [Document 8]. Le fait d'avoir fait réapparaître cette vérité était la condition nécessaire, il ne constituait en aucun cas une condition suffisante d'un renouveau de la pratique théorique. C'est seulement le changement de climat qu'ont suscité les premiers débats qui favorise maintenant l'apparition d'une discussion réelle.

7.        En ce qui concerne le Manifeste, je ne crois pas qu'il doive forcément être notre texte le plus violent. Il devra par contre être soutenu par une sorte de coup de Strasbourg. En considérant que [De] la Misère [en milieu étudiant] a tenu sur la base d'un "scandale positif", et pendant assez longtemps, une fonction de "manifeste critique", il s'agira de faire sur la même base élargie un manifeste positif. C'est seulement en ce sens, et parce que le Manifeste situationniste ne saurait être une quelconque proclamation conseilliste, qu'on peut à son propos parler de violence (violence de la critique totale, violence de la critique des conditions modernes du Spectacle, violence de l'anti-utopie). Le manifeste des situationnistes devra être aussi "prophétique" que celui de Marx; mais il devra aussi receler moins d'imprécisions; parce qu'il est appelé à trouver dans l'immédiat sa vérification détaillée.

8.        Par rapport au choix d'un ordre de priorités des sujets à débattre que j'avais suggéré et que Christian [Sébastiani] souhaite aussi, je propose qu'il soit tenu d'urgence une première discussion sur les conseils; il s'agirait de reprendre à fond les premiers débats dans le sens de ce que dit Guy [Debord] qui rejoint la conclusion à laquelle Raoul [Vaneigem] et moi en étions arrivés après le début de notre travail commun sur le livre (les conseils auront à être situationnistes). Pour y avoir un peu travaillé et pensé, je sais qu'en ce qui me concerne si ce livre m'intéresse, il ne me passionne pas. Aussi faudrait-il à mon avis que nous soyons en, quelque sorte précisément mandatés pour sa rédaction. Il faudra aussi, maintenant que nous en avons les moyens matériels, nous préoccuper d'une possible intervention en Angleterre, peut-être dans le cadre du Manifeste qui devra dans tous les cas être au centre de nos préoccupations des mois à venir.

18.IV.1970                                                                  Riesel









 
DOCUMENT 14 - Raoul VANEIGEM (21 avril 1970)

Quelques précisions

1.        Pendant longtemps, il a existé une distance considérable entre la théorie situationniste (qualifiée d'intelligence bizarre et insolite) et l'idée que les gens se faisaient de l'histoire contemporaine (disparition du prolétariat, progrès de l'état de bien-être, etc.). Aujourd'hui, cet écart est beaucoup moins grand. Cela signifie évidemment que l'histoire réelle a avancé et a entraîné une modernisation de son idéologie. Et dans la mesure où nous avions raison, une bonne part de nos théories entrent correctement déformées dans les idéologies à la mode. Seulement nos théories n'ont pas évolué depuis 1968. Il est donc urgent de marquer à nouveau fortement les distances (ce qui dans l'organisation du groupe devrait revenir à encourager l'attraction mégalomaniaque de la créativité - que chacun retrouve le goût d'étonner heureusement les autres en sachant bien qu'ils ont toutes les raisons de ne jamais s'étonner) à la fois en critiquant radicalement les idéologies et en retrouvant dans l'analyse de l'histoire réelle ceux qui la font et devraient la faire.

2.        Je propose d'appeler en bloc toute l'idéologie moderniste: le situationnisme. Sur l'art, le prolétariat, la vie quotidienne, l'urbanisme, le spectacle, c'est ce que nous avons dit, moins l'essentiel, qui se trouve répandu partout. Il faut montrer clairement, dans un texte contre le situationnisme, notre parti pris de l'histoire à faire contre l'histoire faite. Montrer comment l'histoire récente s'est faite avec nous et contre nous, expliquer pourquoi; dénoncer le situationnisme, en l'analysant et en donnant des exemples de la confusion idéologique autour de nous. Voilà une façon pratique de marquer une distance avec nos lecteurs dominants ainsi assimilés au monde dominant, par un retournement que nous avons bien le droit d'appliquer à nos récupérateurs.

3.        Dans le même temps, il faut renouer avec l'histoire réelle, qui est celle inséparablement de ses falsifications, de sa vérité et de ses possibilités. Par exemple, il faut montrer comment le spectacle tente misérablement de faire peau neuve: la décomposition de la marchandise culturelle a atteint ses centres de production (écoles, universités) mais l'organisation spectaculaire se renforce parce qu'elle n'est pas mise en cause dans sa totalité, parce que ce qui n'est pas attaqué purement et simplement, c'est la marchandise. On assiste donc à une agitation factice qui joue sa destruction spectaculaire au risque de susciter une contre-idéologie, qui pourrait être celle d'un rétablissement de l'ordre, et s'appuierait en tout cas sur le secteur non attaqué de la marchandise (ces notes sommaires doivent évidemment être poussées plus loin et corrigées). Il serait bon aussi que nous ayons un observateur lors de la prochaine grève sauvage importante; que selon la suggestion de Tony [Verlaan - Document 9], un texte du n° 13 analyse les possibilités de révolution en URSS; que soit développé par François [de Beaulieu - Document 7] le texte sur l'agitation.

4.        Selon la méthode pratique de l'écart, il faut montrer clairement d'une façon générale et sur des cas précis le décalage qui existe entre la passivité en milieu ouvrier et la richesse concrète des possibilités d'action, il faut le faire non pas abstraitement mais en décrivant le prolongement théorico-pratique de tout geste qui amorce la destruction de la marchandise, en ramenant la théorie partout où est le mouvement réel de la révolution. J'insiste une fois de plus pour qu'à travers ces critiques du milieu ouvrier, nous arrivions à nous définir historiquement de façon précise.
C'est dans le même contexte qu'il faut réactiver nos thèses essentielles, en particulier celle du dépassement. C'est aussi l'occasion d'opposer "l'attentat contre le monde de la marchandise", dont nous sommes partisans, et le terrorisme de style Gauche Prolétarienne auquel nous allons être confrontés un de ces jours par la force de l'ordre.

5.        Étant donnée l'importance particulière de la diffusion du n° 13 et surtout du manifeste, il convient peut-être d'étudier dès maintenant de nouvelles formes d'informations percutantes, selon le vœu de Christian [Sebastiani Document 8] et de René-Donatien [René Viénet - Document 11]. En corollaire de la résolution souhaitable de nos problèmes financiers, ne pourrait-on prévoir l'impression d'un faux journal "Combat", de quatre pages (petit format, papier dégueulasse, impression peu soignée) avec de la littérature de choc ?









21 avril 1970                                                            Raoul


DOCUMENT 15 - René-Donatien [René Viénet] (5 mai 1970)
Note pour la réunion du 5 mai 1970


Les interventions des trois semaines précédentes ne présentent pas d'analyses ou de propositions contradictoires. Elles sont plutôt complémentaires.

Pour ma part, de tous les points évoqués je relève comme les plus importants (ou urgents)

-        La lutte contre le situationnisme: qui est d'autant plus urgente que notre vie publique, même si nous ne nous sommes pas réfugiés dans le désert, est inexistante depuis le n° 12 (de la revue Internationale Situationniste); et qu'il ne manque pas de sycophantes qui n'oseront pas chausser nos bottes mais qui sont prêts à se tailler des lanières dedans pour retenir leur pantalon.
Du situationnisme le plus éhonté - celui qui nous cite - Mme Brau, par exemple - on peut dire qu'il a supplanté l'I.S., à certains égards, dans le spectacle. Un phénomène inverse doit rapidement être visible. Commencer par un réquisitoire dans le n° 13 et quelques coups qui montrent que contre le spectacle nous avons nos propres ressources. Subsidiairement, je rappelle qu'il faut établir le programme de vulgarisation auquel je faisais allusion la dernière fois: un Que sais-je? sur l'I.S., etc.

-        La poursuite de l'activité théorique sans nous réifier en groupe de théoriciens: 3 voyants lumineux à la périphérie de ce problème:
.        La créativité et l'efficacité poétique dans les maltôtes considérées, encore et toujours, comme un secteur obligé de l'I.S., parallèlement aux travaux théoriques, et individuellement, sans les abandonner aux seuls camarades qui ont du goût pour.
.        La forme même de cette activité théorique: noter que pour le cinéma c'est très urgent car le situationnisme va bientôt s'en mêler, et une beauté situ certaine dans la forme; la beauté étant prise comme la splendeur du vrai en train de se vérifier; "beau comme la rencontre d'une grève sauvage et d'un tract situ sur une table des renseignements généraux", etc.
.        Le plaisir du situ dans la subversion (la révolution sera un banquet, etc.) et cette sérénité dans la destruction du vieux monde entreprise en commun qui vérifie, par un autre biais, que ce n'est pas par erreur que nous sommes ensemble.

Remarque: Je ne sais pas si évoquer la présence d'un observateur lors d'une prochaine grève sauvage est réaliste. Le premier pas, et qui conduirait sans doute l'I.S. à avoir plus que des observateurs la fois suivante, me paraît être la publication d'un petit carnet du G.S. [gréviste sauvage] établissant un rapide historique de son mouvement, confirmant son analyse plus ou moins formulée du rôle des syndicats, etc.
Les occasions ne manquent pas de diffuser un semblable carnet avant pendant et après les grèves. Le contenu, à coup sûr, et peut-être également la maquette si on reprend l'allure d'un livret CGT, suscitera la fureur des appareils et devrait nous assurer dialectiquement une diffusion accrue.

                                        René-Donatien














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