Notre ZAD
Nous ne la raconterons donc pas ici.
Vous dormez, ceci est un rêve.
Après
une heure et demie de route, nous arrivons à Notre-Dame-des-Landes.
Nous nous garons sur un petit parking, en face de la mairie. Un panneau
directionnel tagué indique, en grand, « ZAD », nous ne sommes plus très
loin.
Si, en droit de l’urbanisme, l’acronyme ZAD signifie « Zone
d’aménagement différé », pour nous, il prend d’autres significations.
Les 2000 hectares sur lesquels Vinci projette de construire un aéroport
et le réseau routier qui va avec ont été rebaptisés « Zone à défendre »
par l’ensemble des opposants à ce projet. Ce projet ne sera pas réalisé.
Les opposants au projet d’aéroport envisagent déjà l’avenir et les
possibilités de mise en application de leurs désirs. D’une posture
défensive, ils luttent maintenant « pour », pour une « Zone d’autonomie
définitive ».
Nous entrons dans un petit local ou se tient la
permanence de l’ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des
Populations concernées par le projet d’Aéroport de
Notre-Dame-des-Landes). On nous accueille avec le sourire. Sur une
table, des dizaines de tracts et d’autocollants différents sont
disponibles. Des cartes mises à jour de la ZAD sont également imprimées,
en format A3. Nous en prenons une. On nous conseille sur la route à
prendre. On nous prévient de la présence militaire sur le site et des
fouilles possibles aux principaux carrefours. On nous conseille de nous
diriger vers le point info de la ZAD, là on pourra nous diriger vers les
lieux où nous pourrons donner un coup de main.
« Un troisième dortoir est en construction à La Chat-Teigne, on vous enverra surement là-bas. »
Nous
reprenons la voiture et partons donc vers la Rolandière, en direction
du point info. Au carrefour des Ardillières, des militaires nous font
signe de nous arrêter, une autre voiture est déjà à l’arrêt devant nous.
Après présentation des papiers du véhicule et du permis de conduire,
les militaires nous demandent d’ouvrir le coffre pour le fouiller. Nous
nous exécutons. Eux jettent un coup œil sur le contenu du coffre :
tentes, sac de couchage, bottes. Ils nous laissent continuer notre route
sans un mot. Nous continuons sur cette route départementale, sur
laquelle de nombreux panneaux manifestent l’entrée de la ZAD.
« Non à l’aéroport ! »
« Être des cons pressés ou décompresser »
Nous passons devant un grand hangar, sur un grand écriteau en bois est écrit son nom « la Vache Rit ».
« Garez-vous
à gauche » Toujours à gauche. De nombreux véhicules sont déjà
stationnés. Sur la droite, nous apercevons un grand chapiteau dans un
champ. De part et d’autres de la route, plusieurs tentes sont déjà
montées, reliées par un chemin de palette en bois pour éviter de marcher
dans la boue. Nous nous garons. Nous chaussons tout de suite nos bottes
et nous dirigeons vers le point info. Derrière un bidon qui sert de
brasero, un préau fait office d’accueil. Dedans, on s’active. On cherche
des piles neuves pour un talkie-walkie, on discute, on rigole. Nous
demandons où nous pouvons monter nos tentes et où se rendre pour donner
un coup de main : « Où l’on veut ». Ici nous sommes libres.
Le
grand chapiteau est entouré d’une petite centaine de tentes, de toutes
les formes, de toutes les couleurs, des caravanes et des yourtes
complètent ce grand campement. La diversité des abris contraste avec
l’unité du sol, boueux et d’un marron uniforme. Au fond, des toilettes
sèches et un lieu qui permet de trier les poubelles. Après avoir fait le
tour du champ, nous repérons un des rares endroits où il est encore
possible de monter une tente sans avoir de la boue jusqu’aux chevilles.
Nous les installons sous un vent d’ouest, qui se lève.
Carte en
main, nous décidons de nous rendre à La Chat-Teigne, si un troisième
dortoir est en construction là-bas, il doit y avoir besoin d’aide. Nous
continuons donc à pied vers le sud, en direction du carrefour de La
Saulce. Deux cents mètres avant le carrefour, nous décidons de couper à
travers la forêt, à droite, pour éviter le barrage militaire qui occupe
le carrefour. La forêt de Rohanne est paisible. On n’est loin d’imaginer
qu’elle était le lieu d’affrontements violents quelques jours
auparavant. Le chemin n’est probablement pas le plus court pour parvenir
à La Chat-Teigne, mais il fait beau et encore jour et nous profitons du
calme des lieux. Nous arrivons à un carrefour de plusieurs chemins
forestiers. En haut d’un arbre, une grande vigie à été construite. De
là, on doit pouvoir observer les environs et surveiller les mouvements
militaires. Deux des routes qui partent de ce carrefour, sont
barricadées. Un panneau « Point Info Chat- Teigne » pointe vers une
troisième voie, nous l’empruntons. Elle est complètement entourée de
d’arbres, elle est surtout plus boueuse que les autres. Nous devinons
qu’elle a beaucoup été utilisée ces derniers jours, et pas seulement pas
des piétons.
Nous nous félicitons d’avoir suivi les conseils du site internet de la ZAD https://zad.nadir.org et en particulier celui qui précise de se munir de « bottes et
chaussures chaudes, si possible imperméables ». Au bout du chemin, nous
apercevons un tracteur à l’arrêt, puis un autre, un troisième est
derrière. Nous constatons qu’une cinquantaine d’engins entoure le site,
tous reliés entre eux par des câbles résistants et tendus. Cette mesure
de protection, aussi symbolique soit-elle, constitue une véritable
barrière physique qui marque l’entrée dans La Chat-teigne. Sur notre
gauche, nous entendons des coups de marteau, on est en train de
s’affairer autour d’une structure en construction (nous apprendrons plus
tard qu’il s’agit de la futur crèche). Nous percevons aussi au loin le
bruit d’une tronçonneuse électrique, probablement un autre chantier en
cours. Au sol, des chemins en bois facilitent la marche et la
progression à l’intérieur de ce véritable village. Derrière de grandes
tables, plusieurs maisons en bois ont été construites, sur pilotis. Un
atelier, une grande cuisine avec un garde-manger, une taverne. Le
bâtiment principal dispose même d’un petit préau qui permet d’abriter
quelques vêtements qui sèchent autour d’une table au dessus de laquelle
un panneau indique que le point info est ici. En cette fin d’après-midi,
on ne tient pas la permanence.
L’ambiance du lieu est forte.
Malgré le jeune âge des ces constructions, nous ressentons déjà qu’une
histoire lourde y a déjà eu lieu. Nous sentons beaucoup d’activité plus
loin, nous nous dirigeons vers la deuxième partie de la Chat-Teigne : la
Soucherie. En chemin, nous rencontrons Camille. On nous prévient :
« C’est la première fois que vous venez ? Attention, la ZAD, quand tu y gouttes une fois, tu deviens accro ».
Là,
nous découvrons un bâtiment en chantier, deux fois plus haut que tous
les autres déjà construits. Une magnifique structure en bois à été
édifiée. La charpente, réalisée dans les règles de l’art est déjà
terminée. On nous explique que c’est le troisième dortoir, plus grand
que les autres, il disposera d’une mezzanine. Autour, on s’active pour
isoler le toit de ce bâtiment. Le bruit de tronçonneuse venait bien
d’ici.
Nous continuons notre chemin en présence de Camille qui a besoin d’aide pour aller chercher du matériel aux Rosiers :
« Les
Rosiers, c’était une ferme il y a encore une semaine, ils ont tout
rasé. On va essayer de récupérer ce qui est récupérable... ».
Nous
suivons Camille. On nous rejoint en chemin. Nous revenons sur nos pas,
jusqu’au carrefour barricadé. Nous prenons la voie Ouest, une de celles
qui sont barricadées : le chemin de Suez. La première barricade, « le
pont-levis », est très bien réalisée. Un poste de guet en torchis permet
d’observer les allées et venues à l’abri du vent et de la pluie. Nous
empruntons le pont, qui chevauche un profond fossé. De l’autre coté, un
message clair est tagué, pour eux :
« Ça va chier !! Halte ! ».
Des
pieux à pointe violette, tels des crayons de couleurs, ajoutent un coté
médiéval/burlesque à cette barricade décidément originale. Nous
progressons sur la route. Nous franchissons une autre barricade, en
round-baller, plus classique. Puis, toujours sur la même route, on
traverse une troisième barricade. L’importance du système défensif parle
de lui-même, n’oublions pas que nous sommes sur une « zone à
défendre ». Si la période est calme, militairement, cela n’a visiblement
pas toujours été le cas.
Après avoir bifurqué à gauche, à travers
champs, nous arrivons près d’une ruine. Le corps de ferme a été rasé.
La grange à pris feu et il ne reste presque plus rien. Parmi les
décombres, seul un mur reste debout. Dessus, un beau graff : Pascal
Brutal casse un avion sur sa tête,
« NON, c’est NON ! Vinci dégage ! », « Ayrault, une balle ! Vinci, une rafale ! ».
Un
camion est là, avec une remorque, nous chargeons les tôles que nous
pouvons récupérer et les plus belles poutres dessus. Au bout de vingt
minutes, la remorque est surchargée. Nous stockons le reste de ce qui
est récupérable sur le bord de la route, pour un prochain voyage.
Le
vent ne se calme pas. Il commence à faire sombre et nous rentrons à la
Chat-Teigne. Sur le chemin, on constate des reflets d’essence, dans les
marres d’eau, dans les champs. Les bombes lacrymogènes des militaires ne
sont pas biodégradables... Nous entrons dans la cuisine, après avoir
traversé le garde-manger remplis de légume de saison. On commence la
préparation du repas. D’abord, se laver les mains. Des réserves
récupèrent l’eau de pluie des toits des différentes maisons. L’eau non
potable ne manque donc pas. L’eau potable est, elle, acheminée à pied, à
travers la boue. Son usage est donc strictement réservé pour boire et
cuisiner. Au menu, ce soir : salade de radis noir et rose, puis risotto
de légumes. On monte un atelier épluchage/lavage/découpage des légumes.
On n’ose pas s’attaquer à la côte de bœuf qui à été donnée aujourd’hui,
elle attendra demain. Le festin de légumes garanti quant à lui qu’on
n’aura pas faim ce soir. Si on n’a pas faim ce soir, c’est bien grâce
aux nombreux dons de nourritures.
Si on veut soutenir la lutte, on
peut donner. On peut donner de l’argent, de l’eau, des légumes, des
matériaux de construction, des outils. On peut donner un coup de main,
travailler, une journée, un mois, revenir toutes les semaines. On peut
préparer l’avenir, les futurs actions, les réunions, écrire des tracts,
des appels. On peut participer aux comités de travail. On peut
travailler dans les comités de soutien, partout en France. On peut.
L’important c’est qu’on peut.
Au cours du repas, on discute sur la journée de demain.
La
Sécherie, un autre lieu à défendre, risque d’être expulsée dès demain
matin alors qu’un chantier est en cours pour reconstruire la moitié du
corps de ferme qui y a été détruit par Vinci. Il faudra du monde. Mais
ce soir l’ambiance est joyeuse dans la petite « No TAV-èrne ». Le lieu
est petit, on est serré, quelques banquettes, deux tables, un petit
poêle à bois et sur la droite, un bar. On arrive à tenir à trente à
l’intérieur. On discute, on boit, on chante, on boit, on joue de la
musique. Les classiques de Brassens et de Brel sont revisités, les
chants de marin sont chantés en cœur, on improvise au rythme des
claquements de mains de l’assistance. On est bien.
Direction le
dortoir, pour poser son duvet sur un matelas et dormir au chaud. Dans la
nuit, on se relais pour monter la garde sur chacune des barricades. On
observe les mouvements des militaires. A l’aube, pas d’inquiétude, seuls
les habituels fourgons sont là. La Sécherie ne sera pas expulsée
aujourd’hui.
On se réveille. Avec le café, on se partage des restes de viennoiseries, données la veille.
Avant
de se lancer dans un chantier, première chose, retourner à la
Rolandière pour démonter les tentes. La perspective de dormir dans une
tente sur un terrain boueux ne vaut pas le confort des dortoirs. Puis,
nous allons directement à la Sécherie où le chantier a besoin de monde.
En chemin, nous croisons des enfants qui courent dans la boue, qui
crient. On se balade en famille. Aujourd’hui, c’est cours d’autogestion
familiale sur la ZAD. Nous arrivons au carrefour de la Saulce, toujours
occupés par les militaires. Échange de regards entre nous et eux. Pas de
contrôle d’identité aujourd’hui. La Sécherie n’est plus très loin. Sur
place, tous les matériaux sont déjà là. On est nombreux. On attend de
comprendre ce qu’il faut faire avant de se lancer. Le plan de la partie à
reconstruire a été dessiné et voté collectivement il y a quelques
jours : un grand dortoir, une salle d’eau avec un four à bois pour
chauffer de l’eau pour tout le monde et une petite cuisine.
Maintenant,
à nous de nous mettre au travail. Le sol a déjà été mis à niveau, il
faut monter les fondations en pneus et les murs en bois de palette. On
s’occupe aussi de refaire un petit mur en pierre de taille sur la face
nord du bâtiment. Les murs mitoyens avec les parties existantes de la
ferme sont consolidés avec un mélange sable/chaux.
Le chantier
démarre tranquillement, sans chef, c’est de chacun selon ses moyens, à
chacun selon ses besoins. Mais, une fois lancé, on avance vite et
surtout dans la bonne humeur. L’autogestion en action : pas d’ordre, ni
de chef. Le travail libre pointe son nez et au vu du résultat, il sera
difficile pour nous de le quitter.
La suite ? Le pot au feu de
sanglier ? L’assemblée générale réunissant tous les opposants
(habitants, paysans, zadistes, élus...) à la Vache Rit ? Les Féélés en
vélos venu d’Ardèche ? L’avenir de la lutte ? Les militaires qui
militarisent ?
Leurs faux tracts pour essayer de semer le trouble entre
nous ? Barricades ou chicanes ? Les feux d’artifice ?
Les rencontres
avec les paysans ? Les comités de travail ? Le soutien aux inculpés,
devant la prison de Nantes ? Le pot au feu offert par les paysans ?
Camille(s) ? Le Far West ?
Les écureuils ? Les projections/débats à la
Chat-Teigne ? Les réunions ? Le lac ? Les collectifs de soutien qui
viennent de toute la France ? La convergence des luttes ? La ZAD
partout ? Nous ?
... la suite ne se raconte pas non plus, elle se vit. Réveillez-vous et vivez-la.
Décembre 2012
Par Camille
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