jeudi 8 septembre 2011

Le capital face à sa dynamique historique

Le capitalisme semble décidément susciter une foi inébranlable, y compris dans les rangs de la gauche. Aussi violentes que soient les crises qui se succèdent, chacun est convaincu que le phénix renaîtra toujours de ses cendres avant de s’envoler pour une nouvelle phase de croissance. En attendant, nul ne peut nier qu’un effondrement unique dans l’histoire soit actuellement en train de se produire. Une nouvelle dépression économique mondiale aux conséquences imprévisibles a beau nous attendre au tournant, tous se bornent à demander : quand la crise finira-t-elle ? et quel visage le capitalisme prendra-t-il ensuite ? De minuscules espérances qui s’appuient sur une conception du capitalisme comme « éternel retour du même ». Les mécanismes fondamentaux régissant la production de valeur demeureraient inchangés. Surviennent les révolutions technologiques et les bouleversements sociaux, changent les « rapports de forces » et apparaissent de nouvelles puissances hégémoniques : il ne faudrait y voir qu’« événements » superficiels composant une ribambelle infinie de hauts et de bas. Selon ce point de vue, la crise aurait un rôle purement fonctionnel dans le capitalisme : en dévalorisant le capital excédentaire, elle « corrigerait les marchés » et ferait place nette pour une nouvelle phase d’accumulation.
Appréhender les choses de cette façon revient toutefois à ne pas prendre au sérieux la dynamique interne du capitalisme. C’est pourquoi une autre compréhension a été élaborée, en vertu de laquelle la valorisation n’est véritablement possible qu’à travers de la dynamique historique d’un accroissement constant des forces productives. Ce qui ne se traduit pas simplement par des mutations d’ordre technologique : au cours de cette évolution, les conditions de la production de valeur vont également subir des changements décisifs. En définitive, le capitalisme n’est donc pas l’« éternel retour du même », mais un processus historique irréversible se dirigeant vers un climax. Car, tout au long du développement singulier du capitalisme, le taux de profit perd graduellement de son amplitude, le moteur de ce phénomène étant l’élimination de la force de travail vivante, rendue superflue en masses toujours plus conséquentes du fait de l’introduction, dans le procès de production, des appareillages technico-scientifiques. L’ennui, c’est que le travail constitue la substance même du capital : lui seul est en mesure de produire une véritable survaleur (ou plus-value). Pour le capitalisme, l’unique moyen de compenser cette contradiction interne réside dans l’expansion du crédit, autrement dit dans l’anticipation d’une survaleur future. Mais même cet effet boule de neige rencontre aujourd’hui ses limites à mesure que les profits escomptés apparaissent de plus en plus éloignés dans l’avenir. Quant aux crises, considérées sous cet angle, loin d’avoir fonction de simple « correction », elles accélèrent au contraire le mouvement historique qui nous précipite vers la limite intrinsèque à la production de valeur.
Reste la question de la nature de la nouvelle crise économique mondiale que nous vivons. On reproche aux tenants du second point de vue de vouloir se contenter d’attendre la fin du capitalisme. Cependant, buter sur une limite interne n’a jamais constitué un gage d’émancipation sociale, et, en l’occurrence, son seul effet serait de plonger la société mondiale dans le chaos. Par conséquent, à l’heure où le capitalisme re-décolle une fois de plus après avoir été soi-disant « corrigé », ce sont plutôt les défenseurs du premier point de vue qui prêtent le flanc à l’accusation de se réfugier dans un attentisme naïf. Une attitude partagée, d’ailleurs, aussi bien par une large fraction de la gauche que par la classe dirigeante.
Et si ça ne se passait pas selon leurs vœux ? Dans la mesure où aucune nouvelle source de création de valeur n’est découverte, il ne restera de la théorie de la « correction » des marchés qu’une formule creuse. Or, on ne voit nulle part surgir de nouveau secteur de production susceptible de nécessiter dans l’avenir une main d’œuvre massive. Pour les légions d’attentistes, le réveil risque de s’avérer brutal. Ils en viendront peut-être enfin à se demander : qu’y a-t-il après le capitalisme ? La pure et simple étatisation des catégories capitalistes ne faisant plus partie des options envisageables mais appartenant déjà à l’histoire, une chose est sûre : surmonter cette crise par des voies civilisées requerra probablement davantage d’effort que l’attente de la prochaine phase de croissance.
 
  Robert Kurz  Exit 
 
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