L ’avenir des plantes transgéniques en France s’est joué cet été : pour la première fois dans l’Hexagone, une quantité significative d’organismes génétiquement modifiés(OGM) - soit 4500 hectares de « maïs insecticide » - a pu être récoltée et vendue légalement. Les escarmouches provoquées par les Faucheurs volontaires, José Bové en tête, n’y ont rien changé.
C’est une victoire plus que symbolique pour les semenciers, remportée au cœur de la première puissance agricole de l’Union européenne, dernier bastion anti-OGM à tenir encore à peu près debout. Monsanto triomphe sur tous les autres continents. Le chiffre d’affaires de cette firme américaine (plus de 80 % du marché mondial des semences transgéniques) a crû de 21% cette année. Les cultures d’OGM atteignent un septième du maïs, un quart du coton et près des deux tiers du soja plantés sur terre, selon les données foçurnies par l’agro-industrie bio-technologique.Leur surface globale progresserait de plus de 10% par an. Certes, seuls une vingtaine de pays les cultivent, mais parmi eux figurent les plus grands exportateurs agricoles, y compris, désormais, la France.
La pression est si forte qu’il semble illusoire d’espérer maintenir une frontière imperméable entre la filière transgénique et les semences dites « conventionnelles ». Début septembre des traces d’OGM ont été découvertes dans le riz exporté par les Etats Unis vers l’Europe et l’ Asie. L’ampleur du scandale a conduit le Japon à bannir le riz américain. Depuis 1996, Greenpeace a recensé 107 cas avérés de « contaminations » et de ventes illégales, dont 23 en Europe. Bruxelles autorise aujourd’hui la commercialisation de près de 30 variétés de plantes transgéniques. La conquête des champs et des rayons des magasins d’alimentation n’est ralentie que par l’hostilité de .la plupart des consommateurs européens, dont les trois quarts des Français. La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), premier syndicat agricole français, n’est pas hostile aux OGM. Mais son vice-président, Didier Marteau, admet sans peine que le « besoin de passer au transgénique n’a pour l’instant rien d’évident ». Les OGM sont en passe de remporter la partie planétaire engagée il y a une décennie. Nul ne sait si une agriculture 100% non-OGM pourra longtemps être préservée. Pourtant, on ignore encore si les plantes transgéniques sont vraiment nécessaires.
OGM « PIRATES »
Combien de temps le marché européen résistera-t-il encore ? D’autres ont déjà cédé. Au Brésil et en Inde, deux géants agricoles qui ont cherché un temps à endiguer l’avancée des OGM, la contrebande de semences transgéniques a pris une ampleur déconcertante. Le marché noir indien a dépassé le volume des ventes légales d’OGM dès 2004, deux ans seulement après leur autorisation partielle. Dans les villages de l’Etat du Maharashtra sans trop se cacher, des détaillants vendaient début juin des sacs de reconnaît semences sous des marques farfelues comme BesT Cotton - indices grossiers pour dire que ces sacs contiennent bien du coton BT de Monsanto -, proposés à moitié prix. Candidate à l’entrée dans l’Union européenne, la Roumanie a, elle aussi, perdu le contrôle de sonsoja transgénique Round-up Ready, interdit dans l’UE. Les semenciers reconnaissent la vente de la moitié des 85 ooo hectares plantés cette année avec ce soja résistant à l’herbicide Roundup de Monsanto. Le reste ? Des OGM « pirates », semences illégales cultivées et revendues discrètement. Si on en croit leurs détracteurs, les firmes de biotechnologie ne verraient pas d’un trop mauvais œil ce trafic interlope. Certains soupçonnent même une stratégie délibérée de dissémination. Dragos Dima, ancien directeur adjoint de la filiale roumaine de Monsanto, a démissionné en 1998 parce qu’il jugeait que ni son gouvernement ni son entreprise « n’étaient prêts à contrôler la technologie génétique », raconte-t-il. M. Dima lance : « Je ne suis au courant d’aucune action légaie de la part de Monsanto visant à combattre le trafic de soja OGM illégal que mènent les paysans roumains. »
Depuis qu’elle a interdit les farines animales, l’Europe a besoin de soja pour nourrir son bétail. Mais aux termes des accords internationaux de Blair House (Washington),négociés en 1992, l’UE n’a le droit de produire qu’un tonnage très faible de cet oléagineux. Il lui faut donc l’importer en masse. Or les deux principaux exportateurs de soja au monde, les Etats-Unis et l’Argentine, ne font pratiquement plus que du soja OGM. D’après la FNSEA, 80% des cargaisons qui arrivent au Havre ou à Saint-Nazaire sont « mélangées » - comprenez qu’elles contiennent avant tout du soja génétiquement modifié. Patrick Talion, porte-parole du ministère de l’agriculture, reconnaît que la majorité des bêtes élevées en France mangent d’ores et déjà des plantes génétiquement modifiées ! Même si à peine trois douzaines de produits destinés à la consommation humaine sont à base d’OGM (et étiquetés comme tels), une filière transgénique s’est bel et bien mise en place en Europe, et puissamment, pour alimenter la production de viande, de lait et d’œufs. Au sein de l’UE, seule l’Espagne cultive plus de quelques dizaines de milliers d’hectares de maïs OGM. Les autres Etats-membres semblent encore largement fermés. Sauf qu’il y a un hiatus entre le point de vue de la majorité des citoyens européens et celui de leurs élites politiques et administratives, souvent plus conciliantes.
En septembre 2005, Le Figaro révélait que le gouvernement français n’avait pas jugé utile de rendre publique la mise en culture du premier demi-millier d’hectares de maïs BT dans le Sud-Ouest. En mai 2006, l’association écologiste Les Amis de la Terre pointait plusieurs scientifiques membres de l’Autorité européenne de sûreté des aliments ayant eu des accointances avec les lobbies pro-OGM. Maxime Schwartz, ex-directeur des laboratoires de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), s’avoue « souvent agacé par la vision étriquée des anti-OGM ».
Mais les premiers avocats de ces plantes sont des agriculteurs. Leurs plus grands syndicats notent que là où les OGM ne font guère débat (c’est-à-dire à peu près partout sauf en Europe), ceux-ci semblent doués d’un attrait concurrentiel irrésistible. Leur culture est jugée plus simple : les variétés d’OGM Roundup Ready et BT (plus de 90 du marché) requièrent a priori moins de pesticides. Les paysans payent leurs semences plus cher à cause des re4evances des brevets génétiques, mais beaucoup s’y retrouvent en économisant sur les produits phytosanitaires. Et puis, planter des OGM, ça peut être bon pour la santé ! La FAO, l’organisme onusien chargé de l’alimentation et de l’agriculture, a pu constater une amélioration « significative » de la santé des paysans chinois qui plantent du coton BT, toujours grâce à la diminution des épandages d’insecticides. Les consommateurs européens ont des exigences autres que celles des paysans chinois. Monsanto et ses concurrents gagnent partout des parts de marché. Mais quelle sorte de chandelle leur j eu vaut-il ? D’après un rapport de l’Afssa, l’intérêt pour le consommateur des OGM disponibles aujourd’hui est très ténu (voir Le Monde du 26 juillet 2004). Pourtant de nombreux céréaliers français affirment qu’on ne pourra pas toujours ignorer les horizons ouverts par le génie génétique.
De la médecine aux biocarburants, les promesses sont nombreuses. On considère qu’à l’instar de l’informatique, la génétique « double » ses connaissances chaque année. Washington pronostique que, dans moins de quinze ans les biotechnologies représenteront 20% du PIB américain. Des milliers de variétés aux propriétés miraculeuses sont testées. Aux Etats-Unis, ce sont des tabacs fabriquant de l’hémoglobine, des cotons dont les fibres permettent de repérer les mines anti-personnel. A Cuba, d’autres tabacs synthétisent un ingrédient du vaccin contre 1’hépatite B. La Chine a annoncé en avril la naissance d’un veau clone transgénique résistant à la maladie de la vache folle. A Clermont-Ferrand la société Meristem Therapeutics ne parvient pas à faire autoriser ses recherches sur un maïs qui contient une molécule précieuse contre la mucoviscidose. Côté alimentation, l’opinion pourrait basculer grâce au plébiscite des alicaments [ aliments aux vertus médicinales supposées], une fois que ceux-ci seront disponibles sous forme d’OGM. Monsanto teste des sojas plus riches en protéines ou produisant des oméga 3. D’autres firmes « développent des porcs modifiés afin que leur viande recèle ces précieux acides gras essentiels. Mais pour l’instant, et malgré les milliards investis, l’étal des OGM n’a pas de quoi faire chavirer la ménagère : il n’offre guère autre chose que des plantes résistantes à un herbicide ou émettrices d’insecticide.
LE BLUFF DE LA BIO-INFORMATIQUE
Pour les sceptiques, cela prouve que l’ADN ne se reprogramme pas aussi aisément qu’une puce d’ordinateur : ils dénoncent le « bluff de la soi-disant « bio-informatique » ». A la fin des années 1980, l’agro-industrie promettait déjà des OGM capables de faire fi du manque d’eau, des températures extrêmes ou des sols salés. Mais Monsanto reconnaît que ses cotons et sojas résistants à la sécheresse sont coincés au premier stade de recherche dans son « pipeline d’innovations ». Les variétés disponibles aujourd’hui donnent-elles de meilleurs rendements ? Permettent-elles aux paysans de gagner plus d’argent ? Poser ces questions, c’est s’aventurer dans une jungle de rapports contradictoires. Quand, à Washington, le département de l’agriculture « démontre » que les céréaliers américains ont évidemment tiré avantage de l’expérience, une analyse à Londres du 10 Downing Street insiste volontiers sur l’« incertitude » et la « variabilité » des coûts de production. Il faut dire que la plupart des Britanniques refusent d’entendre parler d’OGM. Inutile d’attendre des vérités impartiales sur ce terrain-là.
Les compagnies d’assurances européennes n’acceptent toujours pas de couvrir les risques liés aux OGM. Munich leader de la réassurance, précise que ces risques « sont nouveaux et ne peuvent être correctement évalués ». Ils sont de deux ordres : effets nocifs pouvant apparaître chez l’homme, effets indésirables sur l’environnement, « Aucun risque sanitaire n’a pu être prouvé à ce jour », indique le rapport parlementaire publié par l’Assemblée nationale en avril 2005.
Philippe Gay, représentant du groupe suisse Syngenta Seeds (principal concurrent de Monsanto), tempère : « le risque à long terme ne fait toujours pas l’objet de méthodologies appropriées. »
Des milliards de repas à base d’OGM sont servis aux Etats-Unis sans qu’aucun Américain ne s’en soit jamais plaint. Mais des scientifiques estiment que cela ne permet pas d’exdure d’éventuels effets « diffus », comme des cancers, indécelables avec seulement une décennie de recul. Les nouvelles variétés sont testées sur des animaux pendant trois mois. Un délai rallongé sous la pression des écologistes. Le biologiste Gilles Eric Séralini, chercheur à l’université de Caen et farouche adversaire de Monsanto, prêtend démontrer que si les tests de toxicité duraient plusieurs années (comme pour un médicament par exemple), « la filière OGM ne serait plus rentable ».
Monsanto dément mais précise qu’un nouveau transgène coûte tout de même entre 50 rnillions et 100 millions de dollars. Les tests sanitaires sont financés et mis en forme par les semenciers eux mêmes. Martin Hirsch ancien directeur de 1’Afssa, note que « rien n’oblige les firmes à transmettre de mauvais résultats ».
La Commission européenne a une attitude ambiguë. Elle répète aux citoyens qu’il n’y a pas danger. Mais les Amis de la Terre ont sorti en avril (2006) un document confidentiel troublant : il s’agit des arguments de cette même Commission devant l’OMC (Organisation mondiale du commerce pour justifier les entraves aux importations d’OGM américains. Là, le discours, bien plus pessimiste, relève la persistance de « larges zones d’incertitude ». La lutte contre les contaminations des cultures conventionnelles n’est pas la moindre de ces incertitudes. D’ailleurs, l’UE le reconnaît implicitement : le seuil de 0,9 toléré dans les champs par la nouvelle réglementation sur les « disséminations fortuites » prend en compte, selon le commissaire David Byrne, l’« œuvre inévitabie de ia nature » - transport du pollen par le vent, erreurs de manipulation...« « fortuit » ne signifie pas « rare » », précise un spécialiste du ministère de l’agriculture qui souhaite garder l’anonymat. « Si on ne veut pas de disséminations du tout, il faut interdire la culture d’OGM en plein champ », insiste-t-il.
Une étude de l’Afssa, que le ministère de l’agriculture refuse de rendre publique depuis juin 2005, révèle que « la plupart » des sacs de semences non-OGM d’importation contaminées, même de façon infime, recèlent plusieurs variétés transgéniques différentes – jusqu’à quatre ! Après deux années passées sans communiquer de bilan des contrôles aux frontières, le ministère concède que pas moins de la moitié des lots de semences venant des Etats-Unis contiennent des traces d’OGM. Et encore : malgré les précautions prises par les producteurs de semences américains (précautions qui leur coûtent 500 millions d’euros par an rien que pour le marché français), un lot sur quatre destiné à l’Europe doit être redirigé vers des marchés plus arrangeants pour cause de contamination trop forte... Une situation « inévitable compte tenu de l’ampleur des cultures transgéniques aux Etats-Unis », selon Grégoire Berthe, principal lobbyiste de la coopérative française Limagrain.
Même si les OGM pouvaient être jugés indispensables et sans risques, certaines méthodes pour les faire accepter n’en demeureraient pas moins dérangeantes.
En avril 2004, alors que l’Irak n’a pas encore de Constitution, l’administrateur américain Paul Bremer signe son ordre 81 : il impose à la plus vieille agriculture du monde le respect de la législation américaine sur la propriété intellectuelle, interdisant aux paysans irakiens de « réutiliser les graines des variétés protégées (...) ».
Sitôt l’ordre publié, l’US Aid, l’administration américaine chargée de l’aide alimentaire livre des milliers de tonnes de graines de « haute qualité » en provenance des Etats Unis. Puis elle refuse de laisser des scientifiques indépendants vérifier s’il s’agit de semences transgéniques. Coïncidence : un mois après la signature de l’ordre 81, Monsanto renonce à commercialiser sa première variété de blé transgénique dans les pays riches à cause de l’hostilité des Européens et des Canadiens.
ÉCLUSER LES SURPLUS
L’US Aid dispose d’un programme spécifique, baptisé Cabio, dédié à la promotion des biotechnologies auprès des nations pauvres. Au cours des quatre dernières années, l’Equateur, l’Angola, le Soudan, la Zambie, le Zimbabwe ou encore le Mali ont refusé d’accepter sans condition l’aide alimentaire américaine reprochant à Washington de se servir de leurs populations pour écluser des surplus d’OGM. En juillet 2002, en pleine famine, le gouvernement zambien affirmait avoir décliné l’offre d’un prêt de 50 millions de dollars, dont la contrepartie était l’achat de nourriture et de semences transgéniques.
Monsanto maintient de très étroites relations avec Washington depuis la guerre du Vietnam, quand l’entreprise fournissait à l’armée le fameux défoliant « agent orange ». Nombreux sont les anciens cadres de la firme de Crève Cœur (Missouri) à travailler aujourd’hui pour le département de l’agriculture. Linda Fisher, ancienne responsable des relations avec le gouvernement chez Monsanto a été nommée par le président George W. Bush vice-administratrice de l’Agence de la protection de l’environnement.
Le président américain déclarait en 2003 lors d’une conférence à Washington : « Au nom de l’Afrique menacée par !a famine, je demande aux gouvernements européens de cesser leur opposition aux biotechnologies. » C’est un argument récurrent : les OGM pourraient permettre de régler le problème de la malnutrition qui touche 800 millions de Terriens. Un rapport de la FAO lui oppose que les pauvres passent à côté des bénéfices du génie génétique parce que cette technologie se concentre sur des « espèces lucratives d’exportation ». Des taros et des pommes de terre OGM arrivent sur le marché, mais, pour l’heure, soja, maïs, coton et colza représentent plus de 99 des OGM cultivés. Des plantes presque exclusivement destinées aux industries agroalimentaire et textile des pays riches.
Selon une étude commune de la Banque mondiale et de l’OMC, les biotechnologies représentent une solution contre la misère des paysans du Sud. Mais l’expérience en Inde du coton BT autorise à mettre un gros bémol à ce plaidoyer (lire le reportage en bas). Le problème crucial des OGM : laisse-t-on à ceux qui le souhaitent la liberté de refuser d’en planter ou d’en manger ? Toutes les meilleures variétés américaines de céréales sont désormais vendues dans leur version transgénique. La suprématie de Monsanto aux Etats-Unis fait qu’il est souvent difficile de trouver ces graines à haut rendement sous forme non-OGM chez les détaillants du Middie West. La loi américaine considère les plantes transgéniques comme des cultures normales, interdisant de fait leur traçage. En novembre 2005, un sondage de la Fondation Pew Initiative on Food and Biotechnology a montré que seul un Américain sur quatre se dit favorable à la nourriture transgénique. A peine plus qu’en France. On peut supposer que si outre-Atlantique les OGM étaient étiquetés. Ils ne s’y vendraient pas très bien. Mais comment revenir en arrière ?
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