Résumés Riassunti Resumos Zusammenfassungen Abstracts
Roswitha Scholz
LE TABOU DE L’ABSTRACTION DANS LE FÉMINISME
Comment on oublie l’universel du patriarcat producteur de marchandises
Après les années 1990 marquées par le culturalisme, on entend au sein du féminisme aussi, et avec une énergie accrue, le mot d’ordre « Femmes, pensez économie !» (Nancy Fraser) ; on parle d’un social return (Knapp/Klinger), les débats sur l’intersectionalité, sur les rapports entre « race », sexe et classe sont très à la mode, on revient de manière accrue dans les milieux queer sur les rapports entre production et reproduction, et la pertinence de la recherche sur le genre est au moins mise à la discussion. Pourtant, on parle toujours beaucoup de différences, de contradictions, d’ambivalences, de particularités, etc. Le féminisme d’aujourd’hui est loin de poser le rapport asymétrique des sexes comme fondement central du principe social, alors que c’est essentiel pour le patriarcat producteur de marchandises. D’ailleurs, de cet égard, le caractère manifestement androcentrique d’une « nouvelle lecture de Marx » reste totalement inaperçu. On dirait que le féminisme s’est entiché des différences, du parcellaire et du particulier. Même les analyses les plus récentes sur l’intersectionalité pataugent de manière réductionniste sur le mode de la sociologie descriptive, en restant au plan intermédiaire des déterminations de la structure sociale, sans la moindre réflexion sur ce qui serait son principe de base. A partir de la théorie de la dissociation-valeur, on pose la thèse que face à la domination de la théorie déconstructionniste, il n’y a pas seulement un « interdit de l’analyse » (Tove Soiland) des rapports entre les sexes et de leurs ratages. Il y a aussi un interdit de l’abstraction, qui rend impossible de traiter le rapport hiérarchique entre les sexes comme un élément d’importance philosophique fondamentale, et ensuite de traiter comme des scandales les disparités sociales et économiques, le racisme, l’antisémitisme, l’antitsiganisme, etc., et de rendre compte des différences, du particulier, etc.
Daniel Späth
LA MISÉRÉ DE L’AUFKLÄRUNG
L’antisémitisme, le racisme et le sexisme chez Emmanuel Kant
Dans la première partie du texte, les déterminations des catégories de la philosophie de Kant sont mises en relation avec leur articulation sociale, afin de parvenir à expliquer la genèse des idéologies du philosophe de l’Aufklärung. Dans ce parcours à travers la philosophie théorétique et pratique de Kant, on montrera que les concepts fondamentaux de sa philosophie permettent de lier « transcendantalité et de subjectivité de la circulation ». Pour mettre en évidence le noyau essentiel, social, de la philosophie transcendantale de Kant, on fait dans la première partie du texte une critique immanente du sujet transcendantal dans sa structure épistémologique, en recourant aussi, au cours de cette analyse, à la Théorie Critique et à sa réception de Kant, pour enfin mettre en avant une critique plus précise de Kant. Cette critique est prolongée dans le deuxième chapitre par celle du rapport entre théorie et pratique, qui est justement thématisé dans la Critique de la raison pure, où l’on voit que le caractère dichotomique de ce rapport renvoie à une contradiction réelle dans la subjectivité bourgeoise. Après la présentation de celle-ci dans la philosophie de Kant dans le troisième chapitre, suit alors dans le quatrième chapitre une tentative pour faire une hypothèse théorique sur son origine sociale.Une fois posé cet arrière-plan d’une élaboration de la philosophie de Kant dans sa dimension théorétique et pratique, et de la restitution critique de sa configuration comme expression des relations sociales, on peut analyser la dialectique négative de la subjectivité bourgeoise. La manière dont elle est fondée par Kant pose alors de manière nécessaire la question du statut historique du sujet transcendantal ; c’est pourquoi le cinquième chapitre se penchera sur la théorie de l’histoire chez Kant et s’achèvera, en s’appuyant sur la critique de la valeur, sur une réflexion générale à propos de la négativité de la subjectivité bourgeoise. Cette réflexion à l’horizon encore limité s’élargira, dans la deuxième partie prévue pour le prochain numéro de la revue, pour mettre au centre de l’analyse l’antisémitisme, le racisme et le sexisme de Kant.
Tomasz Konicz
L’ARRIERE-COUR DE L’EUROPE DANS LA CRISE
En reprenant les éléments empiriques d’une large documentation, ce texte tente de dresser le tableau des moments les plus importants du développement économique de l’Europe de l’Est depuis l’effondrement du socialisme réel. Au centre de cette étude, il y a les pays qui furent, dans la dernière décennie, admis dans l’Union Européenne et qui maintenant constituent sa périphérie orientale. L’effondrement du socialisme réel a été suivi par un processus profond de dés-industrialisation, qui a fait perdre aux économies de l’Europe de l’Est leur indépendance et les a cantonnées, au mieux, à un rôle d’« ateliers annexes » pour les groupes industriels de l’Europe de l’ouest et surtout de l’Allemagne. Dans un « système mondial » au sens de Wallerstein, il faut considérer que l’Europe centrale est dans la « semi-périphérie », en tout cas jusqu’à la nouvelle crise de 2008/2009, qui fait que quelques économies sont menacées de perdre même ce statut.
Robert Kurz
IL N’EST PAS DE SAUVEUR SUPRÊME…
Thèses pour une théorie critique de l’Etat. Deuxième partie.
Comme dans la première partie, on présente l’histoire des théories de gauche sur l’Etat dans le contexte du développement capitaliste. Le point de départ est la théorie anarchiste de l’Etat, que l’on peut régler de manière relativement rapide : elle est totalement surévaluée et résout le problème de manière grossièrement idéologique. Puis on reviendra, avec un regard critique, sur la théorie de l’Etat de Marx et d’Engels entre le Manifeste et l’Anti-Dühring, fragmentaire et inconséquente dans ses concepts, telle qu’elle apparaît dans le conflit avec les bakouninistes et à propos du caractère de la Commune de Paris. On voit alors apparaître une faiblesse dans la critique du mode capitaliste de la socialisation : il est clair qu’on rate le problème de la synthèse sociale ; les idées d’une alternative au capitalisme restent fondamentalement sur le plan (compris d’une manière restreinte, sociologique) de la petite entreprise, tandis que la question d’une planification consciente, sociale, débouche comme spontanément sur une mise sur des rails étatiques. Sur un plan méthodologique, l’idéologie de gauche est depuis lors à la traîne de la métamorphose de la science bourgeoise, qui, au contraire de ses propres classiques, développe une tendance à, d’une certaine manière, individualiser et subjectiviser ses propres catégories. Ce qu’on appelle les théories de structure ne va en aucun cas au contraire de cette tendance, parce que celles-ci ne comprennent l’ « objectivité » que comme « interactions» et résultantes de mouvements immanents, alors que le caractère a priori et transcendantal de l’ensemble des déterminations sociales globales et de ce qui en apparaît sous la forme d’une « volonté générale » n’apparaît plus du tout. Depuis longtemps, on ne trouve plus, du côté marxiste, de critique suffisante de cette régression bourgeoise de la théorie de la société et de l’Etat qui aboutit au concept sans fondement réel d’« état d’urgence », une théorie qui reflète la pratique des crises dans le capitalisme avancé. Depuis, cet « état d’urgence » constitue le programme secret de l’« examen de passage politique » de la gauche, qui en même temps, avec son idéologie démocratique, tombe largement dans la misère du positivisme juridique. La foi positive de la social-démocratie dans l’Etat devient également l’héritage inavoué de la prétendue gauche radicale. Ce texte sera prolongé d’une troisième partie dans le prochain numéro de la revue.
Elmar Flatschart
THÉORIEDES INSTANCES INTERMÉDIAIRES DE L’ETAT SANS CRITIQUE CATÉGORIELLE ?
Dans la recension du livre très influent de Bob Jessop The Future of the Capitalist State, on traite du «dernier cri » de la théorie matérialiste de l’Etat dans le domaine anglophone. En lisant le livre, on constate que Jessop est un critique pertinent des transformations qui ont eu lieu dans les structures intermédiaires de l’Etat fordiste. Il sait esquisser un cadre de définitions de manière plutôt convaincante et ainsi, il saisit très correctement la phénoménologie complexe d’une transformation de la structure de l’Etat. Même si sa thèse sur le modèle qui a succédé à l’Etat fordien, l’« État schumpeterien de concurrence », reste discutable, on peut retirer quelques enseignements de ses hypothèses sur les tendances contemporaines. Ce qui reste problématique, c’est qu’il manque le moment d’une critique proprement dite des formes existantes, alors que c’est le fondement même des bases théoriques du livre. Dans ce qui est une perspective analytique mais qui n’est pas critique-dialectique - et qui donc n’est pas sensible non plus aux processus - la perspective d’une issue théorique reste fermée. Il y a en même temps une inconsistance épistémologique sur laquelle on attirera l’attention, avec une critique de ce que l’ethos des articulations que propose Jessop présente de « contingence théorique ».
Elmar Flatschart
PETIT RETOUR SUR LE CONGRES « RE-THINKING MARX »
Ce retour sur le congrès « Re-Thinking Marx », qui a eu lieu à Berlin du 20 au 22 mai, présentera un regard (sélectif) sur le déroulement de cette manifestation et exposera quelques points essentiels sur son contenu. On étudiera de manière plus approfondie le thème de « critique de l’idéologie » qui, avec des représentants de la « nouvelle école de Francfort » liée à Jürgen Habermas, était fortement présent. Dans un bref exposé théorique du sujet, on montrera les pièges d’une position qui, certes, reprend quelques aspects progressistes du « Marx ésotérique » mais qui, finalement, reste apologétique dans son développement en direction de la théorie de la négociation. L’exposé montrera qu’un aspect essentiel de ce développement est l’identification du fétichisme et de l’idéologie, et qu’il mise finalement sur l’importance d’une distinction claire de la critique de l’idéologie et de la critique du fétichisme : les deux ont des rôles distincts dans la théorie de la connaissance et la théorie de la société.
Anselm Jappe
LES SITUATIONNISTES ET LE DÉPASSEMENT DE L’ART
Aujourd’hui, l’Internationale Situationnistes est notablement mieux connue que pendant son existence (1957-1972). Elle passe souvent aujourd’hui pour la dernière tentative historique de lier l’art d’avant-garde et la politique d’avant-garde. En réalité, ce qui importait aux situationnistes, c’était le « dépassement de l’art » dans la révolution. Est-ce qu’une forme d’art ou de politique aujourd’hui peut à bon droit se réclamer d’elle ? Le « spectacle » ne s’est-il pas depuis longtemps approprié les idées situationnistes, surtout dans le monde de l’art ? Et ce programme du dépassement n’était-il pas lié à une vision du progrès aujourd’hui elle-même dépassée, parce qu’elle était liée à une vision trop positive du développement des forces productives héritée du marxisme traditionnel ? Et donc il est peut-être possible aujourd’hui de défendre l’art d’une manière qui lie les arguments d’Adorno et les arguments situationnistes ». Mais quel art ?
JustIn Monday
IMAGE DE LA FEMME ET IMAGES DE FEMMES
A propos des relations entre cultural studies et féminisme, en partant de la critique des films de Lars von Trier par Antje Flemming
Lars von Trier, l’un des metteurs en scène les plus célèbres du cinéma européen des vingt dernières années, a toujours été vivement critiqué pour les rôles de femmes, dans ses films, marqués par le patriarcat. Au centre de l’action, il y a la plupart du temps le sacrifice d’une femme, d’une capacité de souffrir hors du commun. Et la critique met en évidence qu’on ne fait pas qu’exacerber esthétiquement de sacrifice, mais aussi qu’on expose la violence qui lui est liée. Cela a fait circuler la rumeur que ces films pouvaient aussi être des exposés critiques. En s’appuyant sur une critique féministe de ces films plutôt réussie, celle de Antje Flemming Lars von Trier. Goldene Herzen, geschundene Körper [Lars von Trier. Cœurs d’or, chairs à vif], on montrera les limites de cette critique quand on conserve l’orientation actuelle des méthodes courantes, marquées par les cultural studies. Même si l’analyse de contenu des images, et des autres moyens cinématographiques, est éclairante, on se demande en quoi, dans les conditions actuelles, ces moyens sont nécessaires. Il faut toujours reprendre l’argument que les images de la femme chez Lars von Trier sont désuètes. On a cette impression parce que ce qu’on ne voit pas, c’est que le renouveau de la tradition patriarcale n’est pas un problème de contenu mais un problème de la dissociation du féminin, ce qu’opère la forme sociale. C’est pourquoi on essaiera dans ce texte de prolonger la critique de la dissociation au plan méta-psychologique, et de montrer les implications an-historiques de la conception de l’histoire qu’a la postmodernité, qui ne permet pas de comprendre les changements. Au cœur du problème, il y a l’impossibilité de traiter la différence formelle entre monde réel et monde fictif dans le cinéma. Cette critique touche à des conceptions centrales et à ce qu’impliquent les théories actuelles sur le pouvoir et le discours, de sorte que ce texte est aussi à comprendre comme une contribution à leur critique.
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