mercredi 23 mars 2011

« Critères de dépassement du capitalisme »

Le texte ci-dessous (PDF) de Robert Kurz est extrait de son livre « Lire Marx. Les textes les plus importants de Karl Marx pour le XXIe siècle, choisis et commentés par Robert Kurz » (La balustrade, 2002, traduction par Hélène et Lucien Steinberg). Livre aujourd'hui épuisé et quasi introuvable en occasion, la plupart des textes de Kurz (hormis la préface) introduisant à des extraits de l'oeuvre de Marx qui constituent l'essentiel du livre (et qui ne sont pas ici reproduits), sont donc désormais en ligne sur ce site (voir les références ci-dessous). Le texte présent  (p. 361-371) introduit le dernier chapitre du livre intitulé « Appropriation universelle d'une totalité des forces productives : critères de dépassement du capitalisme » (chapitre VIII). Hors de tout cadre universitaire et académique, Robert Kurz est un militant et théoricien allemand majeur de ces dernières décennies, qui au sein des groupes Krisis puis Exit !, développe une critique à l'égard du marxisme et de toute une ligne argumentative de Marx lui-même (qu'il appelle le Marx exotérique), à partir d'une autre ligne argumentative qu'il met en évidence chez Marx (le Marx moins connu, mal compris voire ignoré par le marxisme traditionnel, qu'il appelle le Marx ésotérique) : la critique des catégories sociales de base de la socialisation dans la société moderne capitaliste-marchande. 


Kurz n'est pas loin de l'AIT de Marx et Cie (association internationale des travailleur, seul le mot travailleur est "décalé")  lorsqu'il définit ce qu'est le projet révolutionnaire à développer.  "En effet, une classe définie a priori par le capitalisme même (le prolétariat) , qui se réclame précisément de sa position dans le capitalisme telle qu’elle lui incombe déjà à son insu, ne peut- être le moteur d’un mouvement social révolutionnaire dans le sens du Marx ésotérique. Seule une association voulue par les individus et dépendant de leurs convictions à eux et non pas de leur position donnée dans le système, sera capable de mener un tel mouvement à bien."
Appropriation universelle d’une totalité des forces productives :

Critères du dépassement du capitalisme
L’individu normal ayant vécu en société capitaliste va être déçu quand il devra constater que Marx, mis à part son analyse et sa critique du mode de production et de vie capitaliste, n’a pas laissé le calque pour ce que l’on appelait, il y a quelques temps encore, à gauche et dans les pays de l’Est : la « construction du socialisme » et la façon « correcte » de procéder. En tout cas, il manque ce à quoi cet individu croit avoir droit pour une critique de la société : une notice jointe contenant le mode d’emploi socio-économique. Ceci tient tout simplement au fait qu’avec la meilleure volonté, il est impossible de déduire une telle construction de la théorie critique de la société. Une théorie critique peut expliquer et définir les manifestations négatives et destructrices du capitalisme, telles que tout le monde peut les appréhender sous une forme ou une autre ; elle peut les analyser et ainsi fonder la critique du capitalisme et la nécessité de le vaincre. Mais cette explication de la critique est toute autre chose qu’un mode d’emploi expliquant comment construire correctement une société « idéale » et autant que possible « dénuée de contradiction », autre chose qu’un plan d’architecture sociale basé sur un quelconque modèle de l’homme tel qu’il devrait être.Qui réclame un tel mode d’emploi demande inconsciemment que le dépassement de la société de marché se fasse lui aussi sur le modèle habituel et ancré de l’achat/vente : il voit la théorie critique dans le rôle du vendeur prié de faire une offre garantissant un droit d’échange standard et [se voit] lui-même dans le rôle du consommateur difficile (et éternellement berné) qui souhaite obtenir une information complète sur le produit, pour pouvoir consommer sans problème la marchandise acquise. Ce faisant, il oublie qu’il ne s’agit en aucune façon d’une offre de marchandises sur le marché des opinions et des suggestions pour changer le monde, etc., mais des souffrances réelles dans sa propre vie et des exigences sociales qui lui sont impudemment imposées et dont il est le seul à pouvoir se délivrer en s’associant à d’autres de ses semblables. La théorie critique n’est pas une offre à proprement parler, mais un miroir de la connaissance de soi, une rage de comprendre et une « invitation à la valse » à l’issue incertaine.

 

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