De Tunis- Leurs noms d'abord. Amamou et Amami. Leurs pseudos – slim404 et azyz405 –, leurs clopes, leurs années d'activisme. Leur semaine passée en prison, enfin.
L'un séduisant par sa retenue, l'autre par sa gouaille. L'un a dit « oui » au gouvernement. Pour l'autre, la révolution n'est pas terminée.
Slim Amamou et Azyz Amami, copains, blogueurs, fous d'informatique et de liberté, ne sont plus dans le même camp, mais à peine sommes nous installés dans le bureau de Slim, le nouveau secrétaire d'Etat à la Jeunesse, qu'il nous parle d'Azyz : « Il est trop fort. »
« Je quitte juste Slim, on a déjeuné ensemble », est la première phrase d'Azyz qui, sortant juste d'un bar, nous retrouve dans celui voisin, sur l'avenue Bourguiba.
Ces deux-là ne se connaissaient pas « in real life » il y a un an. Chacun jouissait d'une petite notoriété locale. Azyz auprès des activistes politiques pour son blog satirico-philosophique, Slim, plus technophile, pour son militantisme contre la censure d'Internet.
Contre Ammar 404
Ils ont alors un ennemi commun, Ammar 404. Ce personnage, toujours représenté par un visage démultiplié à l'infini, lunettes noires sous lesquelles on devine un regard mauvais et indispensable moustache de flic tunisien, a symbolisé ces dernières années l'intensification de la censure d'Internet dans le pays.
Ammar 404, un surnom qui évoque à la fois le rural illettré au volant d'une Peugeot 404 bâchée – gros succès de la marque automobile en Tunisie – et le message « erreur 404 » qui s'affichait trop souvent sur les écrans d'ordinateur.
La paranoïa formidable du régime a perdu Ben Ali. La radicalisation de Slim, comme de nombreux jeunes, s'est accentuée autour de 2007.
Le systématisme de la censure à réveillé leur conscience politique alors même qu'ils subissaient moins que les autres l'injustice sociale et économique du système. En bricolant Internet, ils ont rendu possible la diffusion de l'information :
« La censure est un problème éthique. Ce que tu perds en censurant est plus important que ce tu gagnes : on n'avait pas accès à YouTube alors que c'est une source d'information, de culture et d'apprentissage inestimable. Ce qu'ils ont censuré en bloquant YouTube, ce n'était pas que de l'information, c'étaient des outils.Interdire les outils, c'est carrément freiner l'avancée technologique. Ma propre entreprise en souffrait. Ne pas pouvoir inclure une vidéo, rien que ça, ça nous bloquait parce qu'on créait des usines à gaz pour pouvoir en publier. »
C'est une guerre qui oppose les pirates du gouvernement et ceux de la liberté d'expression. Slim et ses copains technos lancent des sites collaboratifs regroupant tous les blogs interdits et inventent en permanence des outils pour contourner la censure.
En face, la cellule Internet du ministère de l'Intérieur fait travailler des informaticiens suffisamment pointus pour faire bloquer les contenus des sites et les outils même utilisés par la blogosphère pour contourner la censure.
Leurs comptes censurés
En 2009, les sites bloqués se multiplient. Le blog d'Azyz, « Aziyoz », disparaît. L'étudiant ouvre « Azyz404 ». Bloqué. Ce sera « Azyz405 ». Sa page Facebook et son compte Twitter sont censurés mais il continue à poster ses griffonnages, l'odyssée subversive d'un petit bonhomme rigolo, « un peu dans l'esprit Hara Kiri ».
Il rejoint l'initiative Sayeb Salah, une campagne de blogueurs contre la censure, où l'on retrouve aussi Lina Ben Mhenni, une des cyberactivistes tunisiennes les plus influentes. Slim est contacté en 2010 pour rejoindre le mouvement. Il cosigne avec Yassine El Ayari, un blogueur très populaire, une demande d'autorisation de manifestation en avril 2010 et tourne un petit film où on le voit devant le ministère. La vidéo circule et les deux garçons sont arrêtés quelques jours, puis relâchés. La manifestation n'a jamais eu lieu.
De Tunis au Caire, « une seule révolution »
Ce fut une période imprudente et hasardeuse pour Slim comme pour Azyz. L'un comme l'autre prenaient des risques. Azyz en publiant des analyses politiques très hostiles à Ben Ali, Slim en se mobilisant pour qu'Azyz et les autres puissent s'exprimer :
« Les blogs politiques existaient depuis longtemps mais ils étaient systématiquement censurés. Derrière les blogueurs politiques, les “technos”. Nous nous battions contre la censure en faisant de la pédagogie. On expliquait comment détourner la censure.Même les gens qui ne s'y connaissaient pas en technologie ont commencé à utiliser les proxy [un serveur alternatif, ndlr] pour contourner la censure. Même ton grand-père il savait utiliser un proxy. »
Déjà, cette blogosphère tisse des liens avec celles, très actives, d'Égypte et d'ailleurs. Le compte Gmail de Slim, à force d'être piraté par le gouvernement tunisien, est bloqué par Google. Il contacte le blogueur Waël Ghonim en Egypte pour trouver une solution.
Quand Moubarak ordonne la suspension d'Internet en Égypte, un ami américain qui y vit et qui cherche du matériel pour capter le Net par satellite contacte Slim. C'est finalement un blogueur d'Afrique du Sud, proche de Slim, qui enverra le matériel en Égypte :
« Ce que je veux dire, c'est qu'on était prêt pour une révolution dans n'importe quel pays arabe. Ça n'a pas commencé aujourd'hui. L'Égypte, ce n'est pas une contagion ou un effet d'émulation. C'est une seule révolution. »
Faire entendre les voix de Sidi Bouzid
Lorsque Mohamed Bouazizi s'enflamme devant le gouvernorat de Sidi Bouzid, une organisation forte de plusieurs milliers de jeunes comprend que tout peut basculer. Un jeune journaliste, Sofiane Chourabi, se rend sur place. De cette province oubliée, il rapporte les témoignages des habitants, excédés par un pouvoir qui ne les entend pas.
Slim se repasse cette vidéo, tournée par le cousin de Mohamed Bouazizi, où un jeune s'en prend aux médias :
« Pourquoi ne parlez-vous pas de notre marche pacifique ? Pourquoi les habitants de Sidi Bouzid ne sont pas entendus ? »
A la mi-décembre, les grands médias nationaux et étrangers ne saisissent pas encore ce qui se joue là-bas. C'est cette organisation, informelle et connectée, des internautes tunisiens anonymes qui relaye. Bientôt sur la Toile prolifèrent les vidéos de massacres policiers et de manifestations permanentes. Il y a alors autant de revendications que de Tunisiens, mais quelqu'un a crié « Ben Ali, dégage » et ce message est repris par le pays entier.
« Il faut leur dire ! Ils nous tuent ! »
Azyz lâche son boulot pour passer ses journées dans les cafés et devant l'ordinateur. Le 22 décembre, c'est avec des policiers qu'il débat. Pourquoi tirent-ils sur la foule ? Sur leurs frères ? Ils répondent : « Mais qu'est ce que tu comprends à Ben Ali, toi ? » Originaire de Sidi Bouzid, il reçoit les appels épouvantés de sa famille :
« Ma tante pleurait, la police la battait. Mon cousin me disait : “Il faut leur dire ! Il faut leur dire ! ils nous tuent ! ” C'était très dur. Engagé politiquement ou pas, tout le monde a compris qu'il fallait réagir.En tuant nos frères, nos amis, nos cousins, il a poussé tous les Tunisiens dehors. On n'avait plus rien à perdre. »
Le directeur de l'Agence tunisienne d'Internet, chargée de bloquer les sites, reconnaîtra après le départ de Ben Ali que la profusion d'informations était alors devenue impossible à contenir. Ils étaient des centaines, dont Slim, à sortir dans la rue, non pas pour manifester mais pour rapporter des images. Des passages éclairs pour ne pas se faire attraper par la police :
« On couvrait ces manifs et petit à petit, la révolte s'est déplacée partout en Tunisie. Les manifestations éclataient spontanément mais au départ, les revendications étaient variables d'une région à l'autre.Puis, comme tout le monde était sur Internet, ça a crée une réflexion, une sorte de conscience collective. Toutes les revendications, sociales et politiques, ont fini par converger vers le fameux “dégage”. »
suite
PS: Nous avons cédé à la facilité du Jeu de mots (téléphone arabe/Internet arabe...) mais 80% des maghrébins sont d'origine Berbères (Imazighen) , du Maroc à la Libye.
La démocratie ou la mort !
Les manifestants marocains veulent une réforme de la constitution
Au Maroc des voix s'élèvent pour appeler à des Manifestations pacifiques le 20 février. Parce que c'est la seule voie qui nous reste pour réclamer les réformes à même de répondre aux maux dont notre pays souffre. Le Maroc à bien sûr ses caractères propres et il est nécessaires d'en tenir compte pour ne pas confondre sa situation avec celles de la Tunisie, de l'Égypte et des autres pays "frères". Mais il faut bien constater que les réalités de ce pays contredisent les discours lénifiants que certains milieux marocains et non-marocains tentent de faire accréditer dans l'opinion publique. On pourrait citer une longue liste de problèmes. Parmi eux : une pauvreté rampante dans de très larges couches de la population, l'absence d'emploi pour un cinquième (ou un quart ?) de la population jeune en âge de travailler, l'énorme proportion des illettrés après plus d'un demi-siècle d'indépendance, le chômage et la démoralisation des diplômes, et le manque de perspectives pour la masse des scolarisés et des jeunes, enfin les inégalités exceptionnellement fortes et choquantes entre riches et pauvres. Je m'en tiendrai là pour ne pas lasser les lecteurs.
La démocratie ou la mort !
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