samedi 1 janvier 2011

Une armée de justiciers



 La révolte des luddites contre la machine industrielle
Pendant plus de deux siècles, la révolte des ouvriers luddites a été diffamée, enfouie, refoulée par les historiens de toutes les écoles.
En 1963, Edward P. Thompson, historien communiste – mais libre d’esprit – produit dans son livre The Making of the English Working Class (1) un chapitre d’épopée, « Une armée de justiciers », qui fait mieux que réhabiliter les luddites. Trente ans avant Marx et le Manifeste du Parti Communiste (1847), ces derniers critiquent en actes la dissociation entre moyens de production et rapports de production. Ils se battent pour l’autonomie ouvrière, contre l’asservissement à la machine, pour la survie de leur communauté et la fierté de l’ouvrage bien fait.
Depuis ce livre pionnier, des études sur les luddites se multiplient. Les leçons que l’on tire de leur combat pourraient-elles supplanter le marxisme comme horizon indépassable de notre temps ? D’après son préfacier, Miguel Abensour, « Le chapitre sur le luddisme (“Une armée de justiciers”) constitue un petit ouvrage à lui seul. »
Le voici.

Pièces et Main d’œuvre ; Black Star (s)éditions

Pour découvrir l’histoire des luddites en France, on se reportera au livre paru aux éditions L’Echappée en novembre 2010 : Les luddites en France - Résistances à l’industrialisation et à l’informatisation (collectif, coordonné par Cédric Biagini et Guillaume Carnino).
(1) Editions Victor Gollancz. Traduit en français sous le titre La Formation de la Classe Ouvrière Anglaise, Paris, Ed. Le Seuil / Gallimard [Coll. Hautes Etudes], 1988 par Gilles Dauvé, Mireille Golaszewski et Marie-Noëlle Thibault. Présentation de Miguel Abensour.

N.B. : « Une armée de justiciers » correspond au chapitre 14 (p. 426-543) de la 3e partie (« Présence de la classe ouvrière ») de l’ouvrage de Thompson. Ce chapitre est publié en deux brochures (à télécharger ci-dessous).
Par souci de clarté, nous avons classé les notes de Thompson indiquant des références. Certaines d’entre elles, qui ne sont pas nécessaires à la bonne compréhension du texte, sont signalées ainsi : [*xx] et se trouvent en fin d’ouvrage. En revanche, celles qui nous paraissaient nécessaires font l’objet de notes de bas de page. Quant à nos propres références, elles comportent la mention : [NdBS] pour [Note de Black-Star].
Certains passages du texte comportent un grand nombre de majuscules. Il ne s’agit pas d’erreurs de notre part mais bien d’un style d’écriture qui se pratiquait à cette époque.
Enfin, nous avons également ajouté une brève chronologie du mouvement luddite à la fin de la deuxième brochure. Celle-ci est extraite de l’ouvrage de Kirkpatrick Sale, La révolte luddite, Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation [Rebels against the futur, 1995], traduit de l’américain par Celia Izoard, Paris, Ed. L’Echappée, 2006.


 1.
La lanterne noire
 « Voici la tête d’un traître ! » En février 1803, le bourreau présenta à la foule de Londres la tête d’Edward Marcus Despard 2. Lui et ses six compagnons de supplice avaient été reconnus coupables de haute trahison (en particulier d’avoir projeté d’assassiner le roi), et ils moururent tous avec courage. Despard proclama son innocence et sa conviction qu’il mourait parce qu’il était « un ami des pauvres et des opprimés ». La foule manifesta sa colère et sa compassion. Les condamnés furent exécutés à Southwark : la presse londonienne affirmait qu’il y aurait très probablement des émeutes et une tentative pour les faire évader s’ils étaient conduits à travers les rues jusqu’à Tyburn ou Kennington Common. Parmi ceux qui assistaient à l’exécution de la sentence, il y avait un jeune apprenti du nom de Jeremiah Brandreth 3. Quatorze ans plus tard, sa tête allait être montrée à la foule massée aux abords de Derby Castle : « Voici la tête
d’un traître ! »
De Despard à Brandreth, la tradition illégale se poursuit. C’est une tradition à jamais plongée dans l’obscurité. Toutefois, nous pouvons l’appréhender de trois façons : d’abord, à partir du matériau dont nous disposons sur les « activités clandestines » de 1800 à 1802 ; ensuite, à partir d’une critique des sources historiques ; enfin, à partir d’un examen de la tradition quasi légale des syndicats ouvriers.
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