Le football spectaculaire marchand
Les situationnistes disaient que les spectateurs ne trouvent pas ce qu’ils désirent mais désirent ce qu’ils trouvent. J’ai l’impression que chaque heure qui s’écoule nous démontre l’exactitude de cette pensée...
J’étais à Lille il y a quelques semaines et je suis tombé par hasard sur le quotidien gratuit Metro. Je dis « par hasard » mais en réalité ce n’était pas tellement par hasard. J’étais alors à la gare, où il est finalement plus difficile de ne pas tomber sur ce journal gratuit que de tomber dessus, justement : il y en a partout. Financé par la publicité, ce journal est creux et porte en son sein la feinte neutralité de l’information de masse. C’est typiquement un journal pour spectateurs et spectatrices. Le lisent celles et ceux qui trouvent, parce qu’il leur tombe sous la main et qu’il n’y a rien de mieux à faire à ce moment là...
Quand j’ai trouvé ce n°91 du vendredi 11 juin 2004, ça devait être mon cas.
J’ai vu presque tout de suite en dernière page de ce numéro, une publicité pleine page pour les téléphones portables de SFR, « partenaire officiel » de l’équipe de France de football. « Suivez les Bleus au Portugal » (c’est l’Euro 2004, championnats d’Europe de foot, au cas où ça vous aurait échappé, mais ça m’étonnerait...). En gros si je ne suis pas sur place, si je n’ai accès ni à la radio ni à la télé pour être au courant des résultats des matchs, je peux me rassurer : avec la « rubrique sport » de mon « mobile SFR », j’aurai « tous les matchs en direct du Portugal minute par minute, les résultats et classements actualisés en temps réel », etc.
Le slogan principal de la pub : « Le foot vous obsède, suivez-le ».
Cette publicité pour une marque de téléphone portable part du principe que le téléphone portable est évidemment une obsession, un outil essentiel de la vie quotidienne, un objet sur lequel notre attention se porte de façon permanente (ou presque). SFR le sait, et ne l’évoque même pas, tellement c’est évident. L’accroche de cette publicité pour un service de téléphonie mobile n’évoque donc pas les qualités de SFR mais les désirs footballistiques, probablement considérés comme étant inhérents à chacun-e.
Le foot est tellement omniprésent à travers la communication de masse (télé, radio, presse écrite, internet, tous supports publicitaires, etc.) et les conversations du quotidien (« t’as vu le match ? » et tout ce qui va avec...) qu’il paraît impossible d’affirmer que le foot puisse être une obsession / passion qui découle d’une pensée mûrement réfléchie. Le désir de foot est socialement construit, généralement aux dépens de notre bon vouloir (comme les désirs de fric, de clopes ou de sexe).
Si nous sommes obsédés par le foot, ce n’est pas parce que nous nous disons que le foot peut nous épanouir et nous permettre d’améliorer la qualité de nos relations, des rapports sociaux dans lesquels nous évoluons. Nous sommes obsédés par le foot de la façon dont on nous fait comprendre qu’il faut être obsédé : de façon passive, compulsive, consommatrice. En ralliant sans même en avoir conscience tout un tas de valeurs : la compétition (l’intégration de valeurs capitalistes), l’identification à une nation ou une ville (l’intégration de valeurs de type nationaliste), la non-mixité virile (l’intégration de valeurs masculines), la spécialisation avec les stars du foot en idoles (l’intégration de la hiérarchie voire du culte du chef), etc.
Le football pourrait être un jeu comme un autre mais il génère depuis de longues années tellement de fric qu’il semble difficile de le vivre de façon épanouissante.
Le football est devenu au cours du 20ème siècle un fléau social.
Simultanément au slogan « Le foot vous obsède, suivez-le », il y a implicitement « Votre mobile SFR vous obsède, suivez-le ». Cette mentalité compulsive se résume en un « Suivez vos obsessions (sans vous poser de questions) » et nous ramène aux très publicitaires « Vivez vos désirs », « Just do it », « Soyez vous-mêmes », etc. qui font consommer via de grossières récupérations post-soixante-huitardes de slogans comme « Vivre sans temps morts, jouir sans entraves »... Le désir est désormais enfermé dans la marchandise. Nulle part il ne peut être question de construire nos désirs par nous-mêmes, individuellement ou collectivement. Tout s’achète.
Pendant ce temps là, à peu près tout le monde a conscience que ces pseudo-désirs prêts à consommer ne sont que des palliatifs pour mieux supporter une vie de merde (faite notamment d’un travail qu’on ne contrôle pas puisque c’est pour les beaux yeux d’un patron). Nous croyons que cette situation est pour nous-mêmes confortable. Nous nous trompons...
Je ne veux plus être spectateur de ma vie (ni de celle des autres d’ailleurs). Je ne veux plus être spectateur. Je veux vivre pleinement. Je veux penser, écouter et m’écouter, construire et partager des idées, des envies, et les vivre.
Comme dirait Fabien Barthez, gardien de but de l’équipe de France : « Peu importe l’adversaire. On se concentre sur notre jeu1.» Mais je ne parle pas de football, là. Finalement, le jeu de la révolution peut être à prendre comme ça.
Le football, nous devrions plus le voir comme une activité collective dont l’adversité est amicale. Le football doit être un jeu, une pratique, pas un spectacle. Jouer ensemble, en équipe, pour le plaisir, au-delà de toute idée de gloire, au-delà de toutes les différences de génération, de genre / sexe, etc. Fouler un terrain avec des ami-e-s plutôt que de rester les yeux collés à la télé ou les pieds figés dans une tribune, voilà une idée enthousiasmante du football, non ?
source
J’étais à Lille il y a quelques semaines et je suis tombé par hasard sur le quotidien gratuit Metro. Je dis « par hasard » mais en réalité ce n’était pas tellement par hasard. J’étais alors à la gare, où il est finalement plus difficile de ne pas tomber sur ce journal gratuit que de tomber dessus, justement : il y en a partout. Financé par la publicité, ce journal est creux et porte en son sein la feinte neutralité de l’information de masse. C’est typiquement un journal pour spectateurs et spectatrices. Le lisent celles et ceux qui trouvent, parce qu’il leur tombe sous la main et qu’il n’y a rien de mieux à faire à ce moment là...
Quand j’ai trouvé ce n°91 du vendredi 11 juin 2004, ça devait être mon cas.
J’ai vu presque tout de suite en dernière page de ce numéro, une publicité pleine page pour les téléphones portables de SFR, « partenaire officiel » de l’équipe de France de football. « Suivez les Bleus au Portugal » (c’est l’Euro 2004, championnats d’Europe de foot, au cas où ça vous aurait échappé, mais ça m’étonnerait...). En gros si je ne suis pas sur place, si je n’ai accès ni à la radio ni à la télé pour être au courant des résultats des matchs, je peux me rassurer : avec la « rubrique sport » de mon « mobile SFR », j’aurai « tous les matchs en direct du Portugal minute par minute, les résultats et classements actualisés en temps réel », etc.
Le slogan principal de la pub : « Le foot vous obsède, suivez-le ».
Cette publicité pour une marque de téléphone portable part du principe que le téléphone portable est évidemment une obsession, un outil essentiel de la vie quotidienne, un objet sur lequel notre attention se porte de façon permanente (ou presque). SFR le sait, et ne l’évoque même pas, tellement c’est évident. L’accroche de cette publicité pour un service de téléphonie mobile n’évoque donc pas les qualités de SFR mais les désirs footballistiques, probablement considérés comme étant inhérents à chacun-e.
Le foot est tellement omniprésent à travers la communication de masse (télé, radio, presse écrite, internet, tous supports publicitaires, etc.) et les conversations du quotidien (« t’as vu le match ? » et tout ce qui va avec...) qu’il paraît impossible d’affirmer que le foot puisse être une obsession / passion qui découle d’une pensée mûrement réfléchie. Le désir de foot est socialement construit, généralement aux dépens de notre bon vouloir (comme les désirs de fric, de clopes ou de sexe).
Si nous sommes obsédés par le foot, ce n’est pas parce que nous nous disons que le foot peut nous épanouir et nous permettre d’améliorer la qualité de nos relations, des rapports sociaux dans lesquels nous évoluons. Nous sommes obsédés par le foot de la façon dont on nous fait comprendre qu’il faut être obsédé : de façon passive, compulsive, consommatrice. En ralliant sans même en avoir conscience tout un tas de valeurs : la compétition (l’intégration de valeurs capitalistes), l’identification à une nation ou une ville (l’intégration de valeurs de type nationaliste), la non-mixité virile (l’intégration de valeurs masculines), la spécialisation avec les stars du foot en idoles (l’intégration de la hiérarchie voire du culte du chef), etc.
Le football pourrait être un jeu comme un autre mais il génère depuis de longues années tellement de fric qu’il semble difficile de le vivre de façon épanouissante.
Le football est devenu au cours du 20ème siècle un fléau social.
Simultanément au slogan « Le foot vous obsède, suivez-le », il y a implicitement « Votre mobile SFR vous obsède, suivez-le ». Cette mentalité compulsive se résume en un « Suivez vos obsessions (sans vous poser de questions) » et nous ramène aux très publicitaires « Vivez vos désirs », « Just do it », « Soyez vous-mêmes », etc. qui font consommer via de grossières récupérations post-soixante-huitardes de slogans comme « Vivre sans temps morts, jouir sans entraves »... Le désir est désormais enfermé dans la marchandise. Nulle part il ne peut être question de construire nos désirs par nous-mêmes, individuellement ou collectivement. Tout s’achète.
Pendant ce temps là, à peu près tout le monde a conscience que ces pseudo-désirs prêts à consommer ne sont que des palliatifs pour mieux supporter une vie de merde (faite notamment d’un travail qu’on ne contrôle pas puisque c’est pour les beaux yeux d’un patron). Nous croyons que cette situation est pour nous-mêmes confortable. Nous nous trompons...
Je ne veux plus être spectateur de ma vie (ni de celle des autres d’ailleurs). Je ne veux plus être spectateur. Je veux vivre pleinement. Je veux penser, écouter et m’écouter, construire et partager des idées, des envies, et les vivre.
Comme dirait Fabien Barthez, gardien de but de l’équipe de France : « Peu importe l’adversaire. On se concentre sur notre jeu1.» Mais je ne parle pas de football, là. Finalement, le jeu de la révolution peut être à prendre comme ça.
Le football, nous devrions plus le voir comme une activité collective dont l’adversité est amicale. Le football doit être un jeu, une pratique, pas un spectacle. Jouer ensemble, en équipe, pour le plaisir, au-delà de toute idée de gloire, au-delà de toutes les différences de génération, de genre / sexe, etc. Fouler un terrain avec des ami-e-s plutôt que de rester les yeux collés à la télé ou les pieds figés dans une tribune, voilà une idée enthousiasmante du football, non ?
source
Été 2004, un footballeur révolté
1 L’AFP rapportant des propos de Fabien Barthez, le 21 juin 2004 à Coimbra (Portugal).