lundi 10 janvier 2011

Justice américaine: Traque de WikiLeaks sur Twitter

Inutile de cliquer sur « Unfollow » : il est trop tard. Si vous êtes abonné aux tweets de @Wikileaks ou l’étiez à la date du 14 décembre 2010, une petite fiche vous concernant a sans doute été transmise à la justice américaine. Comme 640 000 autres, elle attend d’être éventuellement étudiée dans le cadre d’une grande enquête sur les informateurs et partenaires de WikiLeaks. C’est un journaliste d’Associated Press qui a découvert l’existence de cet arrêté judiciaire rédigé il y a quatre semaines. Alors que les sphères politiques et médiatiques étaient en pleine ébullition depuis la publication des premiers mémos diplomatiques, dans l’affaire du « Cablegate », le département de la justice américain se penchait sur le précédent coup d’éclat de WikiLeaks, surnommé Collateral Murder — la vidéo d’une bavure militaire en Irak au cours de laquelle deux reporters de Reuters sont notamment tués. Un soldat américain, Bradley Manning, a rapidement été suspecté d’avoir envoyé à WikiLeaks la bande vidéo qu’il avait récupérée dans un cadre professionnel. Depuis l’été dernier, le jeune analyste des services de renseignement militaires est placé en « isolement carcéral maximum » en attendant d’être jugé, et risque 52 ans de prison.
Pour les besoins de l’enquête, la justice a donc réclamé à Twitter toutes les informations dont ils disposent sur les internautes ayant collaboré de près ou de loin à WikiLeaks. Sont visés en particulier Bradley Manning, Julian Assange — porte-parole du site —, Rop Gonggrijp — un hacker néerlandais —, Birgitta Jónsdóttir — députée islandaise et soutien de WikiLeaks. Sans oublier, selon la section B du document (voir ci-dessous), les « enregistrements des activités d’utilisateurs connectés au compte » sus-cité de quelque manière que ce soit. Cette phrase englobe, en théorie, l’ensemble des 639 000 followers de WikiLeaks sur Twitter (ils étaient sans doute un peu moins en décembre) — dont de nombreux journalistes. Les données évoquées dans l’arrêt judiciaire concernent aussi bien les tweets publics que la correspondance privée (« messages directs ») de ces internautes, ainsi que l’historique des connexions au service (date et heure, durée de connexion, volume des données transférées, adresse IP, adresse e-mail, voire numéro de téléphone mobile s’il est utilisé pour twitter). Twitter est également invité à transmettre les coordonnées bancaires des cibles principales s’il en dispose.
« WikiLeaks condamne fermement ce harcèlement de particuliers de la part du gouvernement des Etats-Unis », a écrit Mark Stephens, avocat de Julian Assange, dans un communiqué diffusé à Londres. La parlementaire islandaise Jónsdóttir, choquée, a également réagi... sur Twitter en déclarant qu’elle n’a « rien à cacher et rien fait de mal », et ne compte pas coopérer avec le Département de la justice si elle est approchée. Össur Skarphéðinsson, ministre des Affaires étrangères islandaises et blogueur populaire, n’a pas tardé à signaler officiellement au gouvernement américain tout le mal qu’il pense de ses méthodes : « Selon les documents que j’ai vus, un parlementaire islandais est soumis à une enquête dans une affaire criminelle aux États-Unis sans aucune raison. Il est intolérable que l’élu soit traité de la sorte. »
Par ailleurs, le cofondateur et porte-parole de WikiLeaks, Julian Assange, visé par une procédure d'extradition et en liberté conditionnelle au Royaume-Uni, s'est offert les services du cabinet de relations publiques Borkowski, rapporte le Sydney Morning Herald. Le cœur de la défense du cofondateur de WikiLeaks, selon ce document, est l'absence de charges retenues contre M. Assange. Ses avocats notent que la procédure d'extradition au Royaume-Uni — révisée en 2003 pour intégrer la directive européenne de 2002 sur ce sujet — prévoit qu'une personne ne peut être extradée que pour être inculpée ou pour purger une peine.
Or, argumentent les avocats, non seulement M. Assange n'a pas été inculpé, mais la procureur Marianne Ny, chargée du dossier à Stockholm, a expliqué à plusieurs reprises à la presse et à l'ambassade d'Australie que M. Assange était recherché pour être interrogé, et que la décision de l'inculper ou non n'avait pas été prise. Le mandat d'arrêt européen à son encontre constitue donc une procédure abusive, jugent-ils. Si, par ailleurs, l'intention du procureur avait été d'inculper Julian Assange, ce dernier aurait dû avoir accès à l'ensemble des pièces du dossier. Les proches de M. Assange affirment depuis plusieurs semaines que l'accusation de viol, en particulier, serait due à une particularité du droit suédois, et aurait été une accusation d'agression sexuelle dans la plupart des pays. Une argumentation difficile à soutenir depuis la publication par le Guardian d'extraits des procès-verbaux d'audition des deux plaignantes.
Le texte cite également les conservateurs américains Mike Huckabee et Sarah Palin, qui avait déclaré que les membres de WikiLeaks "devraient être pourchassés comme Al-Qaida" ; les avocats de M. Assange en concluent qu'une extradition vers la Suède ouvrirait la porte à une extradition vers les Etats-Unis, où il court le risque d'être torturé ou tué. Une conclusion qui ne manque pas de sel : la Grande-Bretagne a en effet mis en place une convention d'extradition très avantageuse pour les Etats-Unis.

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