lundi 27 décembre 2010

Les Américains divisés face à WikiLeaks

NEW YORK, CORRESPONDANT - La classe politique américaine, républicains et démocrates confondus, s’est quasi unanimement rassemblée pour condamner la diffusion vers la presse menée par WikiLeaks de milliers de documents diplomatiques internes au département d’État. Les premiers jours, les mots de“trahison” et d’“atteinte à la sécurité nationale” furent entendus.

Le 1er décembre, l’important groupe de réflexion Council on Foreign Relations (CFR) réunissait un colloque avec six de ses meilleurs “experts”: tous concluaient que les révélations mises au jour par les cinq journaux ayant accès aux documents“pourraient être dommageables aux relations [diplomatiques]“. La première leçon de cette diffusion était que des mesures devaient être prises pour sécuriser à l’avenir les documents diplomatiques américains. Plusieurs spécialistes expliquaient que ces mesures incluraient les moyens nécessaires pour neutraliser ceux qui se livrent à des pratiques rendues possibles par l’évolution technologique – y compris, donc, en les capturant éventuellement pour les juger.
“TERRORISTE HIGH-TECH”
Joseph Biden, le vice-président américain, a d’ailleurs implicitement abondé en ce sens. Le 19 décembre, il a publiquement traité Julian Assange de “terroriste high-tech”. Cet homme “a mis en péril la vie et le métier de certaines personnes dans le monde”, a-t-il spécifié, faisant référence à des diplomates, militaires et membres des forces spéciales américains et à ceux avec qui ils ont été en contact.
Et de conclure que si le dirigeant de WikiLeaks a “comploté avec un militaire des États-Unis pour mettre la main sur des documents secrets”, il pouvait être déféré devant la justice américaine – une référence au soupçon selon lequel le soldat Bradley Manning, aujourd’hui incarcéré mais non jugé, serait à la source des fuites.
L’idée du “complot” est précisément celle sur laquelle travaillent les services de la justice américaine, au cas où l’administration Obama requerrait que M.Assange soit extradé aux États-Unis afin d’y être jugé. Mais la Maison Blanche en est consciente, cette décision serait autant politique que juridique.
“CONSÉQUENCES BÉNIGNES”
Un mouvement de sympathie, réunissant défenseurs des droits civiques, libertariens et pacifistes, se manifeste déjà en faveur de Julian Assange et de son association aux États-Unis. Des groupes de divers bords se mobilisent pour enrayer toute velléité d’extradition de l’administration Obama.
Fondateur de la revue “de charme” Hustler, honni des puritains et victime en 1978 d’un attentat qui l’a laissé paralysé à vie, le célèbre Larry Flint a publiquement offert 50 000 dollars à WikiLeaks parce qu’il est “contre toute censure”: il n’y a pas de démocratie “sans accès libre aux faits”.
Nombre de juristes sont par ailleurs très sceptiques quant à la possibilité de déférer le fondateur de WikiLeaks devant un juge américain. Pour Baruch Weiss, avocat spécialisé dans les questions “de sécurité” du cabinet Arnold &Porter, “poursuivre Julian Assange ne sera pas aisé”.
Son argument tient en trois points. Un: “Aucune loi américaine ne stipule que la divulgation d’une information classifiée constitue un délit.” Au contraire, la charge de préserver le secret revient au détenteur de l’information. Deux: “Le premier amendement de la Constitution américaine est toujours en vigueur.” Protégeant la liberté de la presse, il protège M. Assange d’autorité, puisqu’il a utilisé la presse pour dévoiler ces informations. Trois: si un procès avait lieu, il rendrait obligatoire “la divulgation d’autres secrets”.
Comment, en effet, prouver la nocivité de telle ou telle information sinon en faisant citer des témoins qui seraient alors interrogés par les deux parties? Des requêtes en informations supplémentaires seraient forcément déposées, auxquelles l’État américain refuserait d’accéder, se mettant en porte-à-faux avec sa propre plainte.
Vieux routier des services secrets et du Pentagone, seul Robert Gates, le secrétaire à la défense, a accueilli avec quelque détachement le récent vacarme créé autour de WikiLeaks. “Ces révélations sont-elles embarrassantes? Oui, a-t-il déclaré. Délicates? Oui. Mais leurs conséquences pour la politique étrangère américaine? Franchement, elles sont, je crois, assez bénignes.” En d’autres termes, pas de quoi perdre son temps à s’emparer, coûte que coûte, de Julian Assange.

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