mardi 28 décembre 2010

Deux retraités allemands menacés d’extradition pour des faits vieux de trente ans

Le Conseil d’État vient de rendre extradables deux Allemands pour des faits de terrorisme remontant à plus de trente ans. Pourtant en 2001, la France avait refusé leur extradition.

Christian Gauger et Sonja Suder ont 69 et 78 ans, et vivent en France depuis trente-deux ans. Elle, plus âgée mais plus en forme, est devenue l’infirmière de son compagnon, terrassé en 1997 par un accident cardiaque aux lourdes séquelles neuropsychiatriques. 
En 1978, le couple avait fui Francfort en catastrophe pour entamer une vie clandestine à Lille. On était au beau milieu des années de plomb. Ce qu’on leur reproche ? D’avoir été membres des Cellules révolutionnaires, organisation  rivale de la RAF (Bande à Baader). Et d’avoir, à ce titre, commis deux attentats en 1977 contre des firmes allemandes, ainsi qu’un incendie à Heidelberg en 1978. Les faits n’ont causé que des dégâts matériels.

Une accusation qui repose sur un unique témoignage
 
Plus grave, Sonja Suder est aussi suspectée d’avoir pris part à l’organisation logistique de la prise d’otage des membres de l’Opep à Vienne, en 1975. Cette accusation repose sur le seul témoignage de Hans-Joachim Klein, tireur de ce même commando, gracié en 2003 après cinq ans derrière les barreaux. Au total, même s’ils nient les faits, Christian Gauger risque entre vingt et trente ans de prison et Sonja Suder, la perpétuité. Plus de trente ans après les faits, comment est-ce possible ? Pour comprendre, il faut revenir dix ans en arrière. En 2000, à la suite du témoignage de Klein, l’Allemagne fait arrêter le couple Gauger-Suder, qui fait son premier séjour en prison. Mais selon le droit français, il y a prescription, et leur avocate Irène Terrel empêche leur extradition. À leur sortie, ils sont aidés par un réseau d’anciens activistes italiens. Ils emménagent dans un deux pièces à Saint-Denis.
En 2005, l’affaire connaît un rebondissement : ignorée depuis sa signature en 1996, une convention définissant les critères européens en matière d’asile est réactivée. Au sein de cette convention, un accord bilatéral entre la France et l’Allemagne stipule qu’en cas d’extradition, la prescription s’applique non pas dans l’État requis (ici, la France), mais dans l’État requérant (ici, l’Allemagne, où le délai de prescription peut atteindre quarante ans). Un détail qui change tout, et une aubaine pour le parquet de Francfort, qui s’empresse de faire valoir cette nouveauté. En 2007, le couple est à nouveau arrêté à son domicile parisien.

Le couple est jugé extradable en dépit du danger de mort encouru par Christian Gauger
  
«J’étais tellement effarée que j’ai d’abord cru à une erreur», confie leur avocate Me Irène Terrel. Sonja et Christian retournent en prison quelques semaines. En vertu de l’accord bilatéral de 2005, l’Allemagne fait, en 2009, une nouvelle demande d’extradition. Et pour les mêmes faits, la cour d’appel juge cette fois-ci le couple extradable. Suder et Gauger font alors une requête auprès du Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française. Mais en dépit du danger de mort encouru par Christian Gauger dans le cas d’une séparation d’avec Sonja Suder, le Conseil d’État vient d’écarter la requête, avançant entre autres «l’intérêt de l’ordre public» !
«C’est se moquer du sens même des mots», lâche Me Irène Terrel, qui a déjà saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Car dans cette affaire, «de nombreux fondamentaux sont bafoués», poursuit l’avocate. D’abord, «on ne juge pas deux fois un même fait» ; deuxièmement, «on ne s’appuie sur la rétroactivité d’une loi que si elle est favorable à l’accusé, et c’est le contraire qui se passe» ; troisièmement, «c’est la France elle-même qui a émis comme première réserve dans les nouvelles procédures d’extradition celle de l’âge ou de l’état de santé». Enfin, Irène Terrel se souvient très bien des mots de Nicolas Sarkozy face à l’interminable traque de Roman Polanski : «Ce n’est pas une bonne administration de la justice que de se prononcer trente-deux ans après les faits, alors que l’intéressé est un homme de 76 ans.» Ah bon ?
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