vendredi 22 octobre 2010

La décennie 2001-2010 est la moins violente depuis 1840


A l'occasion du neuvième anniversaire des attentats du 11 Septembre, rappelons que ceux-ci, si spectaculaires qu'ils fussent, ont inauguré la décennie la moins violente qu'ai connue le monde depuis très longtemps, avec une baisse très significative par rapport aux décennies antérieures.
Ouvrons le journal, allumons la télé. Nous voilà inondés de mauvaises nouvelles. Serait-ce que le monde va de mal en pis ? Nous avons voulu y voir plus clair et nous avons comparé la violence guerrière actuelle à celle des décennies antérieures, en remontant jusqu'à Napoléon.
En cette première décennie du XXIe siècle, nous recensons trois zones de conflits :
  • la région Irak-Afghanistan, où le total des victimes dans les deux camps -de l'ordre de 200 000- demeure environ cinq fois moins élevé qu'au Vietnam, pendant la période 1964-1973 ;
  • le Proche-Orient, où le retentissement médiatique des affrontements est sans commune mesure avec leur violence meurtrière, heureusement très modeste ;
  • l'Est du Congo, où s'affrontent des groupes tutsis et hutus venus du Rwanda voisin, peut-être la zone la plus conflictuelle à l'heure actuelle -quelques centaines de victimes civiles chaque semaine-, mais à coup sûr la moins médiatique.
Rappelons le drame du Darfour, en voie de résorption (200 000 à 300 000 victimes). Notons aussi la Somalie, un territoire sans gouvernement livré aux bandes et aux pirates, et quelques conflits mineurs -Géorgie.
En marge de ces conflits perdure un « bruit de fond » -émeutes à Lhassa et Maputo, bombes à Madrid et Bilbao, coups d'Etat ici et là… Ce bruit de fond alimente l'actualité quotidienne. Il est permanent et plutôt inévitable mais reste marginal en nombre de victimes avec bien moins de cent mille tués dans chaque décennie.
Si intolérables soient-ils, tous ces conflits et drames aboutissent en 2001-2010 à bien moins d'un million de morts au total (plus près de 500 000 que du million).
Bien plus bellicistes apparaissent les décennies précédentes avec à chaque fois un total de bien plus d'un million de morts -deux millions de morts ou davantage dans la plupart des cas, y compris les années 1990- :
Est-il utile de s'étendre sur le début du XXe siècle ? 1939-1945, Seconde Guerre mondiale (50 millions de tués), 1914-1918, Grande Guerre (10 millions de tués), Goulag soviétique, scission indo-pakistanaise, etc.
Ce tiers de siècle (1914-1947) apparaît comme la période la plus meurtrière de toute l'Histoire de l'humanité avec 100 à 200 millions de morts violentes sur 2 milliards d'êtres vivants, soit un taux exceptionnel de 5 à 10% de tués en l'espace d'une génération.

L'accalmie après Napoléon

Il faut en définitive remonter aux années 1815-1840 pour discerner un niveau de violence internationale aussi bas qu'aujourd'hui -moins d'un million de victimes par décennie.
En effet, après les guerres napoléoniennes (un million de morts rien qu'en Europe, de 1804 à 1814), le monde n'a plus affaire qu'à des conflits mineurs, modérément meurtriers : Amérique latine, Grèce, Serbie.
Mais cette accalmie ne dure pas et les choses se gâtent à nouveau dans les années 1840 en Europe et dans le reste du monde. La Chine entre dans une période de graves turbulences : Guerre de l'opium, Taiping (20 millions de victimes), Boxers… dont elle ne sortira que dans les années 1970.
Dans le même temps, les Occidentaux se lancent dans des entreprises coloniales coûteuses en vies humaines (Indes, Mexique, Afghanistan -déjà-, Algérie, Afrique australe…) sans parler des guerres internes : guerre de Sécession (600 000 morts), guerre de Crimée, etc.
Pour mieux apprécier le faible niveau actuel de violence, considérons qu'il se rapporte à une population mondiale de 6,5 milliards d'êtres humains, tandis que les guerres napoléoniennes ou la guerre de Sécession se rapportaient à seulement un milliard d'êtres humains -le rapport du nombre de tués à la population totale « pèse » d'autant plus dans ce cas.

Pourquoi cette impression de violence ?

Après le constat ci-dessus, comment expliquer que nous ayons aujourd'hui le sentiment d'une violence sans pareille ?
Sans doute sommes-nous d'autant plus sensibles à la violence que celle-ci est devenue plus rare -paradoxe mis en lumière par Tocqueville à propos des droits féodaux : ceux-ci n'ont plus été tolérés à partir du moment où ils étaient devenus marginaux.
Peut-être aussi sommes-nous victimes d'une forme de saturation médiatique ? Jour après jour, les journaux et la télévision doivent remplir leurs pages et leurs tranches d'actualités, de sorte que l'arraisonnement d'un cargo humanitaire par les Israéliens en vient à occuper autant de pages dans les journaux du monde entier qu'en 1943 la bataille de Stalingrad -2 millions de morts.

Les raisons de la paix 

Laissons aux sociologues le soin d'identifier les raisons de la paix retrouvée, si relative soit-elle. Peut-être sont-elles dans l'incroyable croissance économique dont ont bénéficié les pays asiatiques, sud-américains et dans une moindre mesure, africains et orientaux ? 

Peut-être dans la « modernisation » des mœurs avec des indices de fécondité qui rejoignent les indices occidentaux en Asie comme au Moyen-Orient ? Serait-on moins porté au conflit quand on a seulement un ou deux enfants et un espoir raisonnable de leur offrir un avenir prospère ?

Quoi qu'il en soit, notre constat rejoint l'analyse prémonitoire de l'historien Emmanuel Todd (« Après l'Empire », 2002, Gallimard) sur un monde en voie d'apaisement. Il est de nature à réconforter les hommes et les femmes de paix qui se battent sans trêve dans la vie quotidienne, les gouvernements et les institutions internationales pour étouffer autant que faire se peut les germes de conflit.
Rue89.com

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