Makhno en visite au Kremlin
Mon entretien avec Sverdlov
J´arrivai aux portes du Kremlin avec l´idée bien arrêtée de voir Lénine et, si possible Sverdlov, et d´avoir un entretien avec eux. Derrière un guichet, un homme de service était assis. Je lui tendis l´attestation qu´on m´avait délivrée au soviet de Moscou. L´ayant lue attentivement, il m´établit un laissez-passer qu´il fixa lui-même à mon attestation et je franchis le porche donnant accès à l´intérieur du Kremlin. Là, un fusilier letton faisait les cent pas. Je passai à côté de lui et m´engageai dans la cour où je me trouvai nez à nez avec une autre sentinelle à laquelle on pouvait demander de vous indiquer le bâtiment où l´on voulait aller. Au-delà, on était libre de se promener, de regarder les canons et boulets de différents calibres, antérieurs ou postérieurs à Pierre le Grand, de s´arrêter devant le Tsar Bourdon (une cloche monumentale) et d´autres curiosités bien connues ou de se rendre directement dans un des palais.
Je tournai à gauche et m´engouffrai dans un de ceux-ci (j´ai oublié son nom), je montai un escalier, je crois jusqu´au deuxième étage, j´arpentai sans rencontrer personne un long couloir où, sur les pancartes accrochées aux portes, on lisait : "Comité central du parti" ou bien "Bibliothèque", mais n´ayant besoin ni de l´un ni de l´autre, je continuai ma route, n´étant d´ailleurs pas sûr qu´il y eut quelqu´un derrière ces portes.
Les autres pancartes ne donnant toujours pas de nom, je revins sur mes pas et m´arrêtant devant celle où j´avais lu : "Comité Central du parti", je frappai à la porte. "Entrez", répondit une voix. À l´intérieur du bureau, trois personnes étaient assises. Parmi celles-ci, il me sembla reconnaître Zagorski que j´avais vu deux ou trois jours plus tôt dans un des clubs du parti bolchevik. Je m´adressai à ces personnes qui, dans un silence de mort, étaient occupées à quelque chose, pour qu´elles me disent où se trouvait le bureau du Comité central exécutif.
Un des trois, Boukharine si je ne me trompe se leva et, prenant sa serviette, sous le bras, dit à ses collègues, mais assez haut pour que j´entende : "Je vous laisse, j´indiquerai à ce camarade, me désignant d´un geste du menton, le bureau du C.C.E. et il se dirigea vers la porte. Je remerciai les personnes présentes et sortis avec celle qui me semblait être Boukharine. Un silence sépulcral continuait à régner dans le couloir.
Mon guide me demanda d´où je venais. "D´Ukraine", répondis-je. Il me posa alors plusieurs questions sur la terreur à laquelle l´Ukraine était en proie et voulut savoir comment j´avais pu gagner Moscou. Arrivés à l´escalier, nous nous arrêtâmes pour continuer la conversation. Finalement, mon guide occasionnel m´indiqua une porte à droite de l´entrée du couloir, où, selon lui, on me donnerait les renseignements dont j´avais besoin. Et après m´avoir serré la main, il redescendit l´escalier et sortit du palais. J´allai à cette porte, je frappai et j´entrai. Une jeune fille me demanda ce que je voulais.
Je voudrais voir le président du Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers, paysans, soldats et cosaques, le camarade Sverdlov, répondis-je.
Sans mot dire, la jeune fille s´assit derrière une table, prit mon attestation et mon laissez-passer, les parcourut, recopia quelques mots et m´établit un autre laissez-passer où était indiqué le numéro du bureau où je devais aller. Dans le bureau où m´avait envoyé la jeune fille, je trouvai le secrétaire du C. C. E., un homme bien planté, de mise soignée, mais aux traits fatigués. Il me demanda ce que je voulais. Je le lui expliquai. Il me réclama mes papiers. Je les lui remis. Ceux-ci l´intéressèrent. Il me questionna :
– Ainsi, camarade, vous arrivez du Sud de la Russie ?
– Oui, je viens d´Ukraine, répondis-je.
– Vous étiez déjà président du Comité de défense de la révolution du temps de Kerensky ?
– Oui.
– Vous êtes donc socialiste révolutionnaire ?
– Non.
– Quels liens avez-vous ou avez-vous eut avec le parti communiste de votre région ?
– Je suis en relations personnelles avec plusieurs militants du parti bolchevik, répondis-je.
Et je citai le nom du président du Comité révolutionnaire d´Alexandrovsk, le camarade Mikhailevitch, et de quelques autres militants d´Ekaterinoslav. Le secrétaire se tut un instant, puis m´interrogea sur l´état d´esprit des paysans du "Sud de la Russie", sur leur comportement à l´égard des troupes allemandes et des soldats de la Rada centrale, sur leur attitude envers le pouvoir des Soviets, etc.
Je lui donnai quelques brèves réponses qui manifestement le contentèrent ; personnellement, je regrettai de ne pouvoir m´étendre davantage.
Ensuite, il téléphona je ne sais où et aussitôt m´invita à me rendre dans le cabinet du président du C. C. E., le camarade Sverdlov.
En m´y rendant, je pensais aux fables colportées par les contre-révolutionnaires aussi bien que par les révolutionnaires, voire par mes propres amis, adversaires de la politique de Lénine, Sverdlov et Trotsky, à savoir qu´il était impossible de s´introduire auprès de ces divinités terrestres. Ils étaient, disait-on, entourés de gardes du corps et le chef de ceux-ci ne laissait entrer que les visiteurs dont la tête lui plaisait.
Maintenant, accompagné du seul secrétaire du C. C. E., je me rendais compte de l´absurdité de ces rumeurs. Sverdlov nous ouvrit lui-même la porte avec un bon sourire, empreint, me sembla-t-il, de camaraderie, me tendit la main et me conduisit à un fauteuil. Après quoi, le secrétaire du C. C. E, retourna à son bureau. Le camarade Sverdlov me parut en bien meilleure forme que son secrétaire. Il me donna aussi l´impression qu´il s´intéressait davantage que lui à e qui s´était passé en Ukraine ces deux ou trois derniers mois. Il me dit d´emblée :
– Vous arrivez donc, camarade, de notre Sud en pleine tourmente ; quel travail faisiez-vous là-bas
– Le même que celui qu´accomplissaient les grandes masses de travailleurs révolutionnaires de la campagne ukrainienne. Ceux-ci, après avoir pris une part active à la Révolution, tentèrent d´obtenir leur émancipation totale. Dans leurs rangs, je fus, peut-on dire, toujours le premier à marcher dans cette voie. Aujourd´hui, par suite du recul du front révolutionnaire ukrainien, j´ai échoué momentanément à Moscou.
– Que dites-vous là, camarade, s´écria le camarade Sverdlov m´interrompant, les paysans dans le Sud sont pour la plupart des koulaks ou des partisans de la Rada centrale.
J´éclatai de rire sans trop m´étendre mais en appuyant bien sur l´essentiel, je lui décrivis l´action des paysans organisés par les anarchistes dans la région de Goulaï-Polé contre les troupes d´occupation austro-allemandes et les soldats de la Rada centrale.
Apparemment ébranlé, le camarade Sverdlov ne cessait portant de répéter : "Pourquoi donc n´ont-ils pas épaulé nos gardes rouges ? D´après nos renseignements, les paysans du Sud ont subi la contagion du pire chauvinisme ukrainien et, partout, ils ont accueilli les troupes demandées et les soldats de la Rada avec des transports de joie, en libérateurs."
Sentant la nervosité me gagner, je me mis avec vigueur à réfuter les informations de Sverdlov sur la campagne ukrainienne. Je lui avouai que j´étais moi-même l´organisateur et le chef de plusieurs bataillons de volontaires paysans qui menaient la lutte révolutionnaire contre les Allemands et la Rada et j´étais sûr que les paysans pourraient recruter dans leur sein une puissante armée pour combattre ceux-ci, mais ils ne voyaient pas nettement le front de guerre de la Révolution. Les unités de gardes rouges qui, de leurs trains blindés, s´étaient battues le long des voies ferrées sans jamais s´en éloigner, reculant au premier échec sans se soucier bien souvent de rembarquer leurs propres combattants et abandonnant à l´ennemi des dizaines de verstes, que celui-ci avançât ou non, ces unités, dis-je, n´inspiraient pas confiance aux paysans qui se rendaient compte qu´isolés dans leurs villages et dépourvus d´armes ils étaient à la merci des bourreaux de la Révolution. En effet, les trains blindés des gardes rouges n´envoyaient jamais de détachements dans les villages situés dans un rayon de dix ou vingt kilomètres non seulement pour leur donner des armes, mais aussi pour stimuler les paysans et les pousser à des coups de main audacieux contre les ennemis de la Révolution en prenant part eux-mêmes à l´action.
Sverdlov m´écoutait attentivement et de temps à autre s´exclamait : "Est-ce possible ?" Je lui citai plusieurs unités de gardes rouges appartenant aux groupes de Bogdanov, Svirski, Sabline et autres ; je lui signalai avec plus de calme que les gardes rouges chargés de défendre les voies ferrées au moyen de trains blindés avec lesquels il leur était possible de prendre rapidement l´offensive, mais aussi de battre le plus souvent en retraite, ne pouvaient inspirer confiance aux masses paysannes. Or, ces masses voyaient dans la Révolution le moyen de se débarrasser de l´oppression non seulement des grands propriétaires et des riches koulaks mais aussi de leurs hommes à gages, de se soustraire au pouvoir politique et administratif du fonctionnaire de l´Etat et dès lors étaient prêtes à se défendre et à défendre leurs conquêtes contre les exécutions sommaires et les destructions massives tant des Junkers prussiens que des troupes de l´hetman (Skoropadsky).
– Oui, disait Sverdlov, je crois que vous avez raison pour ce qui est des gardes rouges... mais nous les avons maintenant réorganisés dans l´Armée Rouge, laquelle est en train de prendre des forces, et si les paysans du Sud sont animés, comme vous me le décrivez, d´un tel élan révolutionnaire, il y a de grandes chances pour que les Allemands soient battus à plate couture et que l´hetman morde la poussière à bref délai ; alors le pouvoir des Soviets triomphera en Ukraine également.
– Cela dépendra de l´action clandestine qui sera menée en Ukraine. J´estime pour ma part que cette action est aujourd´hui plus nécessaire que jamais à condition qu´elle soit organisée, qu´on lui donne une forme combative, ce qui inciterait les masses à s´insurger ouvertement dans les villes et dans les campagnes contre les Allemands et l´hetman. Sans soulèvement d´un caractère essentiellement révolutionnaire à l´intérieur de l´Ukraine, on n´obligera pas les Allemands et les Autrichiens à évacuer ce pays, on ne pourra pas mettre la main sur l´hetman et sur ceux qui le soutiennent ou les forcer à prendre la fuite avec leurs protecteurs. N´oubliez pas qu´en raison du traité de Brest-Litovsk et des facteurs politiques avec lesquels notre Révolution doit compter à l´extérieur, une offensive de l´Armée Rouge est inconcevable." Pendant que je lui tenais ces propos, le camarade Sverdlov prenait des notes.
– En l´occurrence, je partage entièrement votre point de vue, me dit-il. Mais qu´êtes-vous ? Communiste ou Socialiste Révolutionnaire de gauche ? On voit bien, par le langage que vous tenez, que vous êtes Ukrainien, mais auquel des deux partis vous appartenez, on ne le comprend pas."
Cette question, sans me troubler (le secrétaire du C. C. E. me l´avait déjà posé), me mit dans l´embarras. Que faire ? Dire carrément à Sverdlov que j´étais anarchiste communiste, le camarade et l´ami de ceux que son parti et le système étatique créé par ce dernier avaient écrasés deux mois plus tôt à Moscou et dans plusieurs autres villes, ou me cacher sous un autre drapeau ? J´étais perplexe et Sverdlov s´en aperçu. Révéler au milieu de notre entretien ma conception de la révolution sociale et mon appartenance politique, je ne le voulais pas, Les dissimuler me répugnait également. C´est pourquoi, après quelques secondes de réflexion, je dis à Sverdlov :
– Pourquoi vous intéressez-vous tellement à mon appartenance politique ? Est-ce que mes papiers, qui vous montrent qui je suis, d´où je viens et le rôle que j´ai joué dans une certaine région pour organiser les travailleurs des villes et des campagnes en même temps que des groupes de partisans et des bataillons de volontaires pour combattre la contre-révolution qui sévit en Ukraine, ne vous suffisent pas ? Le camarade Sverdlov s´excusa et me pria de ne pas douter de son honneur révolutionnaire ou de le soupçonner de manquer de confiance en moi. Ses excuses me parurent si sincères que je me sentis mal à l´aise et, sans hésiter davantage, je lui déclarai que j´étais anarchiste communiste de la tendance Bakounine Kropotkine.
– Quel anarchiste communiste êtes-vous, camarade, puisque vous admettez l´organisation des masses laborieuses et la direction de elles-ci dans la lutte contre le pouvoir du capital ? s´écria Sverdlov avec un sourire de camaraderie. Devant son étonnement, je répondis au président du C.C.E. :
– L´anarchisme est un idéal trop réaliste pour ne pas comprendre le monde moderne et les événements actuels, et la part que ses adeptes prennent d´une manière ou d´une autre à ces événements est visible, et pour ne pas tenir compte de l´orientation qu´il doit donner à son action et des moyens qu´il lui faut employer pour cela."
– Je le veux bien, mais vous ne ressemblez pas du tout à ses anarchistes qui, à Moscou, avaient installé leur siège dans la Malaïa Dmitrovka, me dit Sverdlov, et il voulut ajouter quelque chose à ce sujet, mais je l´interrompis :
– L´écrasement par votre parti des anarchistes de la Malaïa Dmitrovka doit être considéré comme une chose pénible qu´il faudra éviter à l´avenir dans l´intérêt de la Révolution." Sverdlov marmonna quelque chose dans sa barbe et, se levant de son fauteuil, s´approcha de moi, posa ses mains sur mes épaules et me dit :
– Je vois que vous êtes très au courant de ce qui s´est passé lors de notre retraite d´Ukraine et, surtout, de l´état d´esprit des paysans. Ilitch, notre camarade Lénine, serait certainement content de vous entendre. Voulez-vous que je lui téléphone ? Je répondis que je ne pourrais en dire beaucoup plus au camarade Lénine, mais Sverdlov tenait déjà le téléphone et avisait Lénine qu´il avait auprès de lui un camarade porteur de renseignements très importants sur les paysans du Sud de la Russie et sur leurs sentiments à l´égard des troupes d´invasion allemande. Et sur-le-champ, il demanda à Lénine quand il pourrait me recevoir. Un instant après, Sverdlov posa le téléphone et m´établit de sa main un laissez-passer me permettant de revenir, En me le remettant il me dit :
– Demain, à une heure de l´après-midi, venez directement ici ; nous irons ensemble chez le camarade Lénine...
– Puis-je compter sur vous ?
– Comptez sur moi, fut ma réponse.
Mon entretien avec Lénine
Le jour suivant, à une heure, j´étais de nouveau au Kremlin où je retrouvai le camarade Sverdlov qui me conduisit aussitôt chez Lénine. Celui-ci m´accueillit fraternellement. Il me prit par le bras et, me tapotant doucement l´épaule de son autre main, il me fit asseoir dans un fauteuil. Après avoir prié Sverdlov de s´installer dans un autre fauteuil, il s´approcha de son secrétaire et lui dit :
– Ayez la bonté de finir ce travail pour deux heures. Puis il vint s´asseoir en face de moi et se mit à me questionner. Sa première question fut : "De quelle région êtes-vous ?" Puis : "Comment les paysans de la contrée ont-ils accueilli le mot d´ordre : Tout le pouvoir aux Soviets dans les villages et quelle a été la réaction des ennemis de ce mot d´ordre et elle de la Rada centrale en particulier ?" Ensuite : "Les paysans de votre région se sont-ils levés contre les envahisseurs austro-allemands ? Si oui, qu´est-ce qui a manqué pour que les révoltes paysannes se transforment en soulèvement général et s´associent à l´action des unités de gardes rouges qui, avec tant de courage, ont défendu nos conquêtes révolutionnaires ?" A toutes ces questions, je donnai à Lénine des réponses brèves. Celui-ci, avec le talent qui lui était propre, s´efforçait de poser ses questions de manière que je puisse y répondre point par point. Par exemple, la question : "Comment les paysans de ma région ont-ils accueilli le mot d´ordre : Tout le pouvoir aux Soviets dans les villages ?" Lénine me la posa à trois reprises ; et il fut étonné que je lui réponde : "Les paysans l´ont accueilli à leur manière, ce qui veut dire que, dans leur entendement, tout le pouvoir doit, dans tous les domaines, s´identifier avec la conscience et la volonté des travailleurs ; que les soviets de députés ouvriers paysans de village, de canton et de district ne sont ni plus ni moins que des rouages de l´organisation révolutionnaire et de l´autogestion économique des travailleurs en lutte contre la bourgeoisie et ses laquais : les socialistes de droite et leur gouvernement de coalition.
– Pensez-vous que cette manière de comprendre notre mot d´ordre soit juste ? demanda Lénine.
– Oui, répondis-je,
– Dans ce cas, les paysans de votre région ont subi la contagion de l´anarchisme, me dit-il.
– Est-ce un mal ? demandai-je,
– Ce n´est pas ce que je veux dire, Au contraire, il faudrait s´en réjouir, car cela hâterait la victoire du communisme sur le capitalisme et son pouvoir.
– C´est flatteur pour moi, répondis-je à Lénine en me retenant pour ne pas rire,
– Non, non, je prétends très sérieusement que ce phénomène social dans la vie des masses paysannes hâterait la victoire du communisme sur le capitalisme, répéta Lénine, ajoutant : "Mais je pense que le phénomène n´a pas été spontané ; il est un effet de la propagande anarchiste et ne tardera pas à disparaître. Je suis même porté à croire que cet état d´esprit battu en brèche par la contre-révolution triomphante avant d´avoir eu le temps d´engendrer une organisation, a déjà disparu." Je fis remarquer à Lénine qu´un chef politique ne doit jamais se montrer pessimiste ou sceptique.
– Ainsi, selon vous, dit Sverdlov m´interrompant, il faudrait encourager ces tendances anarchistes dans la vie des masses paysannes ?
– Oh ! votre parti ne les encouragera pas, répondis-je. Lénine saisit la balle au bond :
– Et pourquoi devrait-on les encourager ? Pour diviser les forces révolutionnaires du prolétariat, frayer la voie à la contre-révolution et en fin de compte monter nous-mêmes avec le prolétariat à l´échafaud ? Je ne pus me dominer et, avec un accent de nervosité dans la voix, je fis remarquer à Lénine que l´anarchisme et les anarchistes n´aspiraient pas à la contre-révolution et n´y conduisaient pas le prolétariat.
– Est-ce vraiment ce que j´ai dit ? me demanda Lénine et il ajouta : "J´ai voulu dire que les anarchistes, manquant d´organisations de masse, ne sont pas en mesure d´organiser le prolétariat et les paysans pauvres et, par conséquent, de les soulever pour défendre, au sens large du terme, ce qui a été conquis par nous tous et qui nous est cher". L´entretien porta ensuite sur les autres questions posées par Lénine. À l´une d´elles : "Les unités de gardes rouges et le courage révolutionnaire avec lequel elles défendirent nos conquêtes communes", Lénine m´obligea à répondre aussi complètement que possible. Manifestement la question le tracassait ou bien lui rappelait ce que les formations de gardes rouges avaient récemment accompli en Ukraine, atteignant soi-disant avec succès les objectifs que Lénine et son parti s´étaient fixés et au nom desquels ils les avaient envoyés de Petrograd et autres grandes villes lointaines de Russie. Je me souviens de l´émotion de Lénine, l´émotion qui ne pouvait se manifester que chez un homme qui vivait passionnément la lutte contre l´ordre social qu´il haïssait et voulait vaincre, quand je lui dis :
– Ayant participé au désarmement de dizaines de cosaques retirés du front allemand à la fin de décembre 1917 et au début de 1918, je suis bien renseigné sur la "bravoure révolutionnaire" des unités de l´Armé rouge et en particulier de leurs chefs. Or il me semble, camarade Lénine, que, vous basant sur des renseignements de seconde et même de troisième main, vous l´exagérez.
– Comment ça ? Vous la contestez ? me demanda Lénine.
– Les unités de gardes rouges ont fait preuve d´esprit révolutionnaire et de courage, mais pas autant que vous le décrivez. La lutte des gardes rouges contre les "haïdamaks" de la Rada centrale et, surtout, contre les troupes allemandes a connu des moments où l´esprit révolutionnaire et la bravoure, ainsi que l´action des gardes rouges et de leurs chefs, se sont révélés très faibles. Certes, dans bien des cas, il y a lieu, selon moi, de l´attribuer au fait que les détachements de gardes rouges avaient été formés à la hâte et employaient contre l´ennemi une tactique qui ne ressemblait ni à celle des groupes de partisans ni à celles des unités régulières. Vous devez savoir que les gardes rouges, qu´ils fussent nombreux ou pas, menaient l´attaque contre l´ennemi en se déplaçant sur Ïes voies ferrées. À dix ou quinte verstes d´une ligne de chemin de fer, le terrain était inoccupé ; pouvaient y circuler librement les défenseurs de la révolution ou de la contre-révolution. Pour cette raison, les attaques par surprise réussissaient presque à tout coup. Ce n´est qu´aux bords des nœuds ferroviaires, des villes ou des bourgs desservis par le chemin de fer que les formations de gardes rouges organisaient un front et de là se lançaient à l´attaque. Mais l´arrière et les environs immédiats de la localité menacée par l´ennemi restaient sans défenseurs. L´action offensive de la révolution en subissait le contrecoup. Les unités de gardes rouges avaient à peine fini de diffuser leurs appels dans une région que les forces contre-révolutionnaires passaient à la contre-offensive et bien souvent obligeaient les gardes rouges à battre en retraite, derechef dans leurs trains blindés. Si bien que la population des campagnes ne les voyait même pas. Et dès lors ne pouvait les appuyer.
– Que font les propagandistes révolutionnaires dans les campagnes ? Ils n´arrivent donc pas à tenir prêts les prolétaires ruraux pour compléter en troupes fraîches les unités de gardes rouges passant dans leur voisinage, ou pour former de nouveaux corps francs de gardes rouges et occuper des positions aux fins de combattre la contre-revolution, me demanda Lénine.
– Ne nous emballons pas. Les propagandistes révolutionnaires sont peu nombreux dans les campagnes et ne peuvent faire grand-chose. Or, tous les jours arrivent dans les villages des centaines de propagandistes et d´ennemis secrets de la Révolution. Dans beaucoup de localités, il ne faut pas s´attendre à ce que les propagandistes révolutionnaires fassent surgir de nouvelles forces de la révolution et les organisent pour les opposer à la contre-révolution. Notre époque, dis je à Lénine, réclame des actions décisives de tous les révolutionnaires et ceci dans tous les domaines de la vie et de la lutte des travailleurs. Ne pas en tenir compte, surtout chez nous, en Ukraine, c´est permettre à la contre-révolution groupée derrière l´hetman de se développer à son gré et d´affermir son pouvoir. Sverdlov portait ses yeux tantôt sur moi, tantôt sur Lénine et souriait de satisfaction. Quant à Lénine, il tenait ses doigts entrelacés et, inclinant la tête, réfléchissait. Se redressant, il me dit :
– Tout ce que vous venez de me dire est bien regrettable. Et se tournant vers Sverdlov il ajouta : " En refondant les unités de gardes rouges dans l´Armée rouge nous sommes dans le bon chemin, celui qui mène à la victoire définitive du prolétariat sur la bourgeoisie."
– Oui, oui, répondit vivement Sverdlov. Lénine me dit ensuite :
– Quel travail comptez-vous faire à Moscou ? Je répondis que je n´étais pas là pour longtemps. Conformément à la décision de la Conférence des groupes de partisans tenue à Taganrog, je devais être de retour en Ukraine dans les premiers jours de juillet.
– Clandestinement ? me demanda Lénine.
– Oui, répondis-je. S´adressant alors à Sverdlov, Lénine fit cette réflexion :
– Les anarchistes sont toujours pleins d´abnégation, ils sont prêts à tous les sacrifices ; mais fanatiques aveugles, ils ignorent le présent pour ne penser qu´au lointain avenir. Et en me priant de ne pas prendre cela pour moi, il ajouta :
– Je vous considère, camarade, comme un homme ayant le sens des réalités et des nécessités de notre époque. S´il y avait en Russie ne fut-ce qu´un tiers d´anarchistes tels que vous, nous, communistes, serions prêts à marcher avec eux à certaines conditions et à travailler en commun dans l´intérêt de l´organisation libre des producteurs. À cet instant, je sentis sourdre en moi un sentiment de profonde estime pour Lénine, alors que récemment encore j´avais la conviction qu´il était responsable de l´anéantissement des organisations anarchistes de Moscou, ce qui avait été le signal de l´écrasement de celles-ci dans beaucoup d´autres villes. Et dans mon for intérieur, j´eus honte de moi-même. Cherchant la réponse que je devais faire à Lénine, je lui dis à brûle-pourpoint :
– La Révolution et ses conquêtes sont chères aux anarchistes communistes ; et c´est la preuve qu´à ce point de vue-là, ils se ressemblent tous.
– Oh, ne venez pas nous dire ça, rétorqua Lénine en riant, nous connaissons les anarchistes aussi bien que vous. Pour la plupart, ils n´ont aucune notion du présent, ou en tout cas, ils s´en soucient très peu ; or le présent est si grave que n´y pas penser ou ne pas prendre position d´une manière positive vis-à-vis de lui est pour un révolutionnaire plus qu´honteux. La majeure partie des anarchistes a leurs pensées tournées vers l´avenir et lui consacrent leurs écrits, sans chercher à comprendre le présent : et cela aussi nous sépare d´eux. Sur ces mots, Lénine se leva de son fauteuil et marchant de droite à gauche, il ajouta :
– Oui, oui, les anarchistes sont forts par les idées qu´ils se font de l´avenir dans le présent, ils n´ont pas les pieds sur terre ; leur attitude est lamentable et cela parce que leur fanatisme dépourvu de contenu fait qu´ils sont sans liens réels avec cet avenir. Sverdlov eut un sourire malicieux et, se tournant vers moi, il me dit :
– Vous ne pouvez le contester. Les réflexions de Vladimir Ilitch sont justes.
– Les anarchistes ont-ils jamais reconnu leur manque de réalisme dans la vie "présente" ? Ils n´y songent même pas, s´empressa d´ajouter Lénine. Répondant à cela, je dis à Lénine et Sverdlov que j´étais un paysan à demi illettré et que je ne voulais pas discuter l´opinion pour moi trop savante que Lénine venait d´émettre sur les anarchistes.
– Mais je dois vous dire, camarade Lénine, que votre assertion, à savoir que les anarchistes ne comprennent pas "le présent" , qu´ils n´ont pas de liens réels avec lui, etc., est foncièrement erronée. Les anarchistes communistes d´Ukraine (ou du "sud de la Russie", puisque vous, communistes bolcheviks, vous efforcez d´éviter le mot Ukraine), les anarchistes communistes, dis je, ont déjà donné un grand nombre de preuves qu´ils sont de plain-pied dans "le présent" . Toute la lutte de la campagne révolutionnaire ukrainienne contre la Rada centrale a été menée sous la direction idéologique des anarchistes communistes et en partie des S.-R. (qui, à vrai dire, assignaient de tous autres objectifs que les nôtres, anarchistes communistes, à leur lutte contre la Rada). Vos bolcheviks n´existent pour ainsi dire pas dans nos campagnes ; ou, s´il s´en trouve, leur influence est infime. Presque toutes les communes ou associations paysannes en Ukraine ont été formées à l´instigation des anarchistes communistes. Et la lutte à main armée de la population laborieuse avec la contre-révolution en général, et la contre-révolution incarnée par les armées d´invasion austro-hongroises et allemandes, a été entreprise sous la direction idéologique et organique exclusive des anarchistes communistes. Certes, il n´est pas dans votre intérêt de parti de mettre tout cela à notre actif, mais ce sont là des faits que vous ne pouvez contester. Vous connaissez parfaitement, je suppose, les effectifs et la capacité combative des corps francs révolutionnairesd´Ukraine. Ce n´est pas sans raison que vous avez évoqué le courage avec lequel ils ont héroïquement défendu nos conquêtes révolutionnaires communes. Parmi eux, une bonne moitié a combattu sous le drapeau anarchiste. Mokrooussov , M. Nikiforova, Tchéredniak, Garine, Tcherniak, Lounev et beaucoup d´autres commandants de corps francs qu´il serait trop long d´énumérer sont tous des anarchistes communistes. Je ne parle pas de moi, du groupe auquel j´appartiens et de tous les autres groupes de partisans et "bataillons de volontaires" pour la défense de la révolution que nous avons formés et qui n´ont pu êtres ignorés du commandement des gardes rouges. Tout cela montre avec une force suffisante à quel point, camarade Lénine, est erronée votre allégation, à savoir que nous, anarchistes communistes, n´avons pas les pieds sur terre, que notre attitude dans "le présent" est lamentable, bien que nous aimions beaucoup penser à "l´avenir" . Ce que je vous ai dit au cours de notre entretien ne peut être mis en doute, car c´est la vérité. L´exposé que je vous ai fait contredit les conclusions que vous émettez sur nous, et tout le monde, vous y compris, peut y voir la preuve que nous sommes de plain-pied dans "le présent" , que nous y travaillons en cherchant en lui ce qui nous rapproche de l´avenir, auquel, en effet, nous pensons et très sérieusement." À ce moment, je regardai Sverdlov. Il devint rouge, mais continua à me sourire. Quant à Lénine, il dit, écartant les bras :
– Il se peut que je me trompe.
– Oui, oui, en l´occurrence, camarade Lénine, vous avez été trop sévère pour nous, anarchistes communistes, simplement, je crois, parce que vous êtes mal informé de la réalité ukrainienne et du rôle que nous y jouons.
– Peut-être, je ne le conteste pas. Qui d´ailleurs est à l´abri de l´erreur, surtout dans la situation où nous sommes ? répondit Lénine. Et se rendant compte que j´étais devenu un peu nerveux, il s´efforça paternellement de me tranquilliser en faisant dévier très adroitement l´entretien sur un autre sujet. Mais mon mauvais caractère, si je peux m´exprimer ainsi, ne me permit pas, malgré tout le respect que m´inspira Lénine au cours de notre conversation, de m´y intéresser davantage. Je me serais offensé. Et malgré le sentiment que j´éprouvais d´avoir en face de moi un homme avec qui il y aurait bien d´autres sujets à aborder ou duquel il y aurait beaucoup à apprendre, mon état d´esprit s´altéra. Mes réponses n´étaient plus aussi détendues ; quelque chose en moi s´était rompu et un sentiment pénible m´envahissait. Lénine n´avait pas pu ne pas se rendre compte de ce changement dans mes sentiments. Il s´efforça de le pallier en parlant d´autre chose. Et s´apercevant que je revenais à de meilleures dispositions et que je me laissais gagner par son éloquence, il me demanda soudain :
– Ainsi vous avez l´intention de regagner clandestinement l´Ukraine ?
– Oui, répondis-je.
– Puis-je vous apporter mon concours ?
– Volontiers, dis-je. S´adressant alors à Sverdlov Lénine demanda :
– Qui, chez nous, est maintenant à la tête du service chargé de faire passer nos gars dans le Sud ?
– Le camarade Karpenko ou Zatonski, répondit Sverlov, je vais me renseigner. Pendant que Sverdlov téléphonait pour savoir qui, de Zatonski ou de Karpenko, était à la tête du service chargé de faire passer les militants en Ukraine pour y travailler clandestinement, Lénine essaya de me persuader que je devais conclure de son attitude à mon égard que la position du parti communiste vis-à-vis des anarchistes n´était pas si hostile que je semblais le croire.
– Si nous avons été obligés, me dit Lénine, de prendre des mesures énergiques pour déloger les anarchistes de l´hôtel particulier qu´ils occupaient dans a Malaïa Dmitrovka et où ils cachaient certains bandits, locaux ou de passage, la responsabilité n´en incombe pas à nous, mais aux anarchistes qui s´étaient installés là D´ailleurs, nous ne les tracasserons plus. Vous devez savoir qu´ils ont été autorisés à occuper un autre meuble non loin de la Malaïa Dmitrovka et ils sont libres de travailler comme ils l´entendent.
– Avez-vous des indices, demandai-je au camarade Lénine, établissant que les anarchistes de la Malaïa Dmitrovka auraient donné asile à des bandits ?
– Oui, la Commission extraordinaire (Tchéka) les a recueillis et vérifiés. Sinon, notre parti ne l´aurait pas autorisée à prendre des mesures, répondit Lénine. Entre-Temps Sverdlov était revenu s´asseoir avec nous et il annonçait que le camarade Karpenko était bien à la tête du service chargé des passages, mais que le camarade Zatonski était lui aussi au courant de tout. Lénine s´écria aussitôt :
– Voilà, camarade, passez demain, après-demain ou quand vous voudrez chez le camarade Karpenko et demandez-lui tout ce dont vous aurez besoin pour regagner clandestinement l´Ukraine. Il vous donnera un itinéraire sûr pour traverser la frontière.
– Quelle frontière ? demandai-je.
– Vous n´êtes pas au courant ? Une frontière a été établie entre la Russie et l´Ukraine. Ce sont les troupes allemandes qui la gardent, dit Lénine énervé.
– Vous considérez pourtant l´Ukraine comme "le Sud de la Russie" ? répondis-je.
– Considérer est une chose, camarade, et dans la vie avoir les yeux bien ouverts en est une autre, rétorqua Lénine. Et avant que j´aie eu le temps de riposter, il ajoutait :
– Vous direz au camarade Karpenko que c´est moi qui vous envoie. S´il a des doutes, il n´aura qu´à me téléphoner. Voici l´adresse où vous pourrez le voir. Debout maintenant tous les trois, nous nous serrâmes la main et après un échange de remerciements, apparemment chaleureux, je sortis du cabinet de Lénine.
Juin 1918 Nestor Makhno
CP: Dès les premières images, tu parles de son journal qu’il a commencé en 1923 à Berlin.
Entretien avec Hélène Chatelain pour son film documentaire Nestor Makhno, paysan d’Ukraine (1996 — 52mn). Diffusion sur Arte le 26 février 1997 dans les mercredis de l’histoire.
Makhno, le paysan d'Ukraine, est une légende, une légende controversée par les historiens officiels, par les autorités soviétiques qui en ont fait une perversion, et parfois même par les libertaires [1]. Le film d’Hélène Chatelain [2], Makhno, paysan d’Ukraine , est une véritable enquête sur la mémoire, un travail d’investigation sur la manipulation de l’image et ses conséquences. Une heure dense d’informations, d’émotions, de témoignages, d’analyses comparatives des images positives et négatives, une heure qui passe trop vite…
Makhno est-il la mémoire inconnue et méconnue de l’Ukraine ? Pourquoi cette manipulation de l’histoire ? Quels les moyens qui ont imposé la remise en forme de l’histoire par les autorités soviétiques et cette occultation du mouvement anarchiste d’Ukraine ? Sa mémoire est-elle vivante aujourd’hui en Ukraine après des années d’occultation totale soviétique ? Ce film est-il une manière de restituer la mémoire de Nestor Makhno et de sa lutte, si longtemps éradiquée ? Une réhabilitation de l’auteur de « Prolétaires de tous les pays, regardez au fond de votre âme, c’est là qu’est la vérité » ?
Hélène Chatelain : Son journal [3] est tout à fait passionnant car on trouve des choses qui n’existent dans aucun écrit. par exemple, le début de son récit n’est pas le même que celui que l’on retrouve dans les trois tomes — un seul est traduit jusqu’à maintenant. Il y a le chapitre sur la question juive que je n’ai vu nulle part. C’est le journal des anarchistes russes de Berlin, en russe, qu’ils ont fait paraître dès qu’ils ont mis les pieds là-bas. Ça, c’est la merveille des libertaires. Ce sont les premières archives que j’ai trouvé ici, qui commencent à dérouler son histoire : « Avant la révolution, mon père était un ancien serf du propriétaire Chabilsky qui vivait à Goulaï-Polié… » [4] Et il a continué son récit dont je suis partie jusqu’à la fin, treize ans après. Et on enchaîne sur cet homme qui a écrit cela, qui est arrivé là-bas et qui est l’image du film des années 1950. L’image classique du psychopathe.
CP: L’image d’un monstre qui s’amuse à tirer dans la foule.
Hélène Chatelain : C’est l’image qui a été propagée partout [5]. C’était un sanguinaire, un monstre pire que l’image du bolchevik avec son couteau entre les dents, un fou. Cela a été projeté partout parce que c’est le film sur la guerre civile. Tout est codé dans cette histoire. On peut parler de ces codes, mais il faut aussi se donner les moyens de parler de la question de fond. C’est vrai que la Makhnochina pose par rapport à maintenant une question que seul ce mouvement a posé. Il ne s’agit pas une question de stratégie. Le mouvement libertaire s’est toujours battu le dos au mur puisque tout le monde l’attaquait. Et donc il s’est toujours défendu [6]. Or la position de défense n’est toujours la meilleure pour réfléchir. En gros, il y a deux natures de libertaires, les errants — Malatesta, Durruti, Berneri — qui allaient d’un endroit à l’autre, et puis il y a Makhno qui s’enracinait comme un arbre. Il s’est nourri de ça, pas d’une pensée qui était chargée de fertiliser un sol. Il l’a pris en lui et s’est planté dans son sol. Ce qui produit une démarche infiniment plus lisible dans le fond, comme en Aragon par la suite. Mais là c’est plus fort et plus explicité en ce qui concerne la notion de récit de l’histoire. Ce n’est pas seulement le refus prendre le pouvoir.
Les anarchistes russes ont fait paraître plus de soixante-dix ou quatre-vingt numéros avec de très beaux articles, quand Voline était là, que je n’ai pas pu tous lire. Le journal paraissait au moment de la guerre civile, en ukrainien et en russe. Il y a là une réflexion fondamentale sur le mouvement, sur l’importance de la pensée libertaire qui était la plus forte au début du siècle, porteuse de la pensée révolutionnaire. cette réflexion, il faut aller la chercher car il est vrai que le langage de l’époque est un peu langue de bois. La pensée bolchevik n’existait pas sinon dans les congrès. Il ne faut pas oublier que la CGT était anarchiste. Et là-bas, Makhno n’a lu que cela. Les Archinov et les autres, ceux qui ont créé le groupe Zaratoustra, allaient à Vienne où cela bougeait. La police les pourchassait. C’était la génération qui l’avait précédé, qui avait 25-30 ans en 1905. Tous les livres d’alors étaient des livres libertaires. On lisait Marx, mais peu. On lisait surtout la confrontation entre les deux. Pourquoi l’un ou l’autre. On lisait ce qui est le suc de la pensée libertaire, c’est-à-dire une réflexion sur ce qu’est réellement un fait culturel, ce qu’est une pensée.
J’ai été bouleversée de découvrir qu’ils avaient commencé par créer un groupe d’étude sur ce qui les passionnait le plus : l’histoire de la culture et de l’apparition de l’homme sur la terre, l’astronomie et les étoiles. C’est avec ça qu’ils ont fait la révolution aussi. Après, ils ont réfléchi aux moyens de faire la révolution. C’est là leur force incroyable. Et pourquoi ce mouvement qui menait cette réflexion, au moment où la révolution s’est faite, ou du moins un mouvement social qui a fait qu’il a eu abolition des privilèges, pourquoi ce mouvement libertaire a-t-il disparu ?
CP: C’est encore revenir sur la question de la falsification de la mémoire ?
Hélène Chatelain : Non, c’est presque mécaniste de dire qu’une mémoire est falsifiée, qu’il existe une vraie mémoire quelque part. Il n’y a pas de vraie mémoire quelque part. C’est comme les socialistes qui disent qu’il existe une vraie culture et qu’il suffit de donner les clés au peuple et qu’il ouvre la valise. L’intelligence est un travail de pensée. Donc il n’existe pas de vraie et fausse mémoire. la mémoire est une chose organique, un tissu d’interrelations, comme les molécules qui font la matière. C’est rien d’autre et tout cela aussi. Tout ce qui tend à vouloir chercher un récit évangélique ou angélique qui serait enfin la vraie mémoire, est voué à l’impasse totale. Cela ne peut que redonner une version déterministe, modélisable. Et c’est la question que pose la Makhnochina, sans le formuler ainsi tout en le pressentant.
Makhno est un homme parmi d’autres, mais il se trouve qu’il avait une énergie démesurée et qu’il a eu cette confiance donnée parce que maquisard et résistant. Une résistance menée seuls qui a signifié presqu’un an de prise de parole continuelle et de réflexion continuelle entre eux. Et cela peu ont eu la chance d’avoir cette expérience. Cette réflexion sur pourquoi le mouvement libertaire a disparu au profit du modèle bolchevique. Était-il plus adapté aux questions posées à l’époque par presque tout le monde ? Le mouvement libertaire qui ne posait effectivement pas le problème du pouvoir s’était dégagé de cette question. Makhno ne parle pas de bonheur, mais dit : « Créer une société qui ne soit pas d’humiliation, une société de responsabilités, [Cela est fondamental.] où la liberté de chacun serait la responsabilité de tous. » Ce n’est donc pas quelque chose à conquérir, c’est un tissu de relations sociales où ensuite le politique se mettra. Et cela, je l’ai rarement vu dans le feu de l’action. Cette réflexion prenait place en pleine action, pendant la guerre civile, pendant quatre années hallucinantes.
Quand il parle de la troisième révolution basée sur la prise de conscience, il s’agit d’une démarche longue, difficile, avec des retombées sur laquelle il revient à maintes reprises. Par rapport à tous les modèles qui nous viennent de Newton, il ne s’agit de criminels, d’un petit chauve tordu, ou d’un criminel taré qui a fait le bolchevisme, ou le modèle socialiste ou communiste tel qu’il a pris le pouvoir. Dire qu’il y a une modélisation de l’histoire. Dire que l’histoire, à un moment, n’était plus un récit comme jusqu’à Voltaire et est devenue une science, soumise à des lois de cette époque, du XVIIIe ou du XIXe siècle, liées à des classifications et à des modèles. Cela, la Makhnochina le rend lisible pour des personnes pour lesquelles c’est essentiel : pour les humiliés.
La grande utopie de Makhno tient au fait qu’il est profondément rousseauiste, l’homme est à la base généreux. Les siens, les humbles, les pauvres, c’est ainsi qu’il les vit. Et je ne peux pas être contre. C’est un pari incroyable sur l’humain. Et à partir de là, comment on établit des relations, d’où le côté fédératif que l’on retrouve chez les jurassiens par exemple. Le pourquoi on le sait est infiniment plus puissant que le comment. Certains textes disent qu’il a toujours été question de prendre d’abord le pouvoir et que l’on verrait après, mais on peut penser la chose autrement. Et c’est vraiment actuel quand on constate la débâcle des partis. Et se remettre à l’écoute de cette émergence de pensée, profondément possibiliste, qui n’est pas une pensée déterministe. La guerre civile, c’est une guerre civile de mots passée et qui continue.
CP : Le film que tu as réalisé dure une heure, mais il existe en fait cinq heures d’images. Ces cinq heures de film, aura-t-on la chance de les voir prochainement ?
Hélène Chatelain : Finir un film, c’est un énorme de travail. Il a des maquettes, parfois interrompues, des bouts, des séquences inachevées, mais je rêve de faire ce que nous appelons avec Gatti une exposition de lieux, qui serait une promenade physique dans une pensée où je pourrais à ce moment-là mettre tous mes rushes, comme ça. Ne pas faire un immense objet linéaire de quatre heures puisque j’ai fini ce premier film, qui est une préface, un prétexte. [7]
CP : Dans ton film, il y a des moments où l’on se sent frustré, où l’on voudrait aller plus profondément, où l’on voudrait en savoir plus, notamment sur les témoins qui s’expriment. Quand tu donnes à lire les textes de Makhno aux ouvriers, dans l’usine, qu’ils commencent à lire et que certains disent « mais je ne savais pas que c’était de lui », c’est bouleversant et on sent que c’est complètement spontané. [8]
Hélène Chatelain : Je ne savais pas ce que cela pouvait donner et je n’avais pas prévu leurs réactions quand ils ont découvert ces textes. Il m’a manqué du temps aussi sur place. Après les interviews, il y a beaucoup de choses jolies qui passent. Il me faudrait un an sur place, prendre le temps de formuler les questions, de saisir tous les moments de grâce comme celui où Tollié dit « je ne savais pas que c’était lui qui pouvait écrire cela ». La préparation de la banderole, nous y avons travaillé ensemble, cette banderole pour le premier mai.
Les premiers mai de Goulaï-Polié n’étaient plus que folkloriques et puisque j’étais là pour le film, nous avons pensé à autre chose. mais cela n’était pas évident car on ne savait pas quelles seraient les réactions des autorités, même si cela est une période assez particulière. Finalement, la police m’aidait aussi pour ce tournage, le kolkhoze m’avait prêté trois chevaux. La réunion pour la préparation de la banderole est très jolie. Il fallait du tissu et l’Ukraine est très pauvre. Où trouver le tissu ? Les costumes ? L’un des participants dit qu’on peut utiliser n’importe quel vêtement, un autre pense qu’il faut des costumes, et le premier rétorque « T’as vu ce qu’ils ont sur les photos ! On n’a pas besoin d’uniforme. » C’était le travail de plusieurs petits groupes. Peut-être cela aurait-il été plus été plus efficace de réunir tout le monde et de préparer le tournage. Mais j’ai voulu être prudente au départ, je ne savais pas trop comment les gens pouvaient réagir. Le musée était vide. Mais ils ont fait cette banderole et l’ont portée.
Chaque personnage est une histoire, souvent drôle. L’arbitre et entraîneur des poids et haltères, son histoire est géniale. C’est un passionné de bouquins, un liseur. Un jour d’entraînement, quelqu’un lui a apporté un cahier et c’était le deuxième volume des mémoires de Makhno. Ce qui à l’époque n’intéressait personne, surtout qu’avec quelques lignes de Soljenitsine, on risquait six ans de prison. Il a commencé à lire et cela l’a secoué. Il s’est retrouvé dans un train pour aller arbitrer une compétition à Leningrad avec, dans son wagon, un responsable de toutes les archives militaires. Et les seuls qui ont continué à écrire sur Makhno, ce sont les généraux qui ont combattu contre lui parce qu’ils ont eu un tel respect stratégique, ils n’ont pas compris comment cela a été possible. Les militaires connaissaient parfaitement la Makhnochina parce qu’ils ont bien étudié ce cas de figure. Makhno a fait des coups incroyables, parce qu’il avait une telle confiance dans le siens et grâce à son énergie. Et dans ce train, l’entraîneur et le militaire ont sympathisé. Quand le militaire a su d’où il venait, il lui a demandé s’il était makhnoviste et s’il connaissait Makhno, et il lui a raconté la Makhnochina pendant tout le trajet. Il n’a pas osé noté, mais a tenté de tout garder en mémoire et, à son retour, intrigué, il a fait tous les villages. En 1991, on l’a avertit d’une perquisition et il a tout brûlé. Et en fait, il n’était pas visé. Il savait plein de choses. Il n’est pas libertaire, avec une manière de penser plutôt bolchevique, mais ukrainienne, et en même temps très curieux.
L’acteur, son histoire est merveilleuse. La télévision avait projeté un remake, une série de huit épisodes, et l’avait contacté pour jouer Makhno dans les années 1970. C’était déjà une autre époque et on lui a ouvert les fonds secrets de la bibliothèque Lénine pour avoir de la documentation pour jouer son personnage. Il a commencé à lire et a découvert non seulement l’histoire de la Makhnochina, mais l’histoire de la guerre civile et surtout l’histoire officielle renversée. Il s’est donc battu sur le plateau pour faire un personnage qui soit plus proche de la réalité, qui ne corresponde pas à l’image d’Alexis Tolstoï. « J’ai reçu ensuite une lettre de Goulaï-Polié. Je n’ai jamais reçu une lettre comme ça. » Pour la première fois, Makhno était un être humain. Une correspondance s’est établie et le petit neveu de Makhno est venu à Moscou. Ils ont des photos où ils sont sur la place rouge, mais ce comédien n’était jamais venu à Goulaï-Polié. Je l’ai fait venir à Goulaï-Polié pour le tournage, et son arrivée dans la famille a été passionnante.
CP : Un des témoins du film dit : « En regardant en arrière, les anarchistes avaient raison. » [9]
Hélène Chatelain : C’est un instituteur. Or, on ne pouvait être instituteur comme dans tous les systèmes d’État que si l’on était au parti. Il a 70 ans et à la retraite. Il était passionné par l’histoire de sa région qui a été mis a feu et à sang par les austro-hongrois, qui a subi une répression énorme, et où le maquis s’est formé et où Makhno est devenu Batko. Quand il enseignait, toute l’histoire officielle occultait cette période, mais les enfants entendaient la véritable histoire chez eux. Il était donc obligé d’en parler sans le faire. Pour lui, cela a été une véritable découverte. Et comme c’était un type honnête, quand il a lu le programme anarchiste, il dit : « ils avaient raison. » Ils avaient effectivement raison dans la méthode. Et pourtant c’est un passionné de Napoléon. Ce sont des personnages contradictoires et c’est cela qui est formidable. Cela a remis brusquement des choses ensemble des choses qu’il savait, mais qu’il n’osait pas formuler. Il ne pouvait évidemment pas, sans risquer de perdre sa place, parler de cela quand il enseignait. Et il aimait enseigner et les mômes, il a éduqué trois générations.
CP : Comment as-tu trouvé ces archives où l’on voit Makhno et ses compagnons sur un quai de gare ?
Hélène Chatelain : C’est un coup de chance. J’avais entendu qu’on avait tourné Makhno vivant, mais j’ignorais où. Je suis tombé sur un film fait par un réalisateur de Saint-Pétersbourg, qui montrait une bobine qui venait de Roumanie, un scoop, et brusquement j’ai vu cette scène. Et grâce à des amis de Moscou qui connaissent bien les archives, j’ai pu retrouver la séquence qui avait été rapatrié de Roumanie. Il s’agit de la première alliance entre bolcheviques et paysans insurgés et la caméra du front était là. Il y a là une typologie à faire sur les images des paysans, mais je n’ai pas pu le traiter dans cette version. Il a les paysans d’avant la révolution soit pour dire que c’était l’horreur, soit pour dire que c’était bien. Puis, il y a les paysans qui écoutent, c’est le décret sur la terre. Tous les paysans sont attentifs et un mec lit. Et enfin les paysans discutent, c’est la NEP.
Il y a aussi les plans de marchés parce que les cameramen aiment bien faire des images. C’est aussi intéressant de voir comment on cadre et ce qui se fait. Et cette pellicule avec Makhno, la première fois qu’on l’a vue, on a été boire un café parce que cela a été bouleversant. Et on se rend compte que de nombreuses photos sont en fait des tirages de cette pellicule. Il existe des archives partout. Des notes qui sont des mines.
Il y a aussi l’histoire de sa femme, Galina, dont on a raconté pis que pendre parce que l’immigration est ce qu’elle est. Je suis fille d’immigrés. Que ce soit compliqué et qu’une cause commune devienne des rapports personnels invivables, je sais ce que c’est. Il y a eu le problème de Galina. Makhno est mort. On a perdu la trace de Galina, de sa fille qui était d’abord chez les libertaires de Lyon. Skirda ne l’appelle pas par son véritable nom. Et il y a une quinzaine d’années, une lettre arrive à Goulaï-Polié où à l’époque on pensait que Makhno était mort en Turquie — on ne savait rien — une lettre signée Galina Gousminko qui demandait un certificat comme quoi elle avait été institutrice pendant trois ans à Goulaï-Polié pour obtenir sa retraite. Et cette lettre venait du Kazatskan, de Tchimkent. Et le petit neveu de Makhno, ouvrier à l’usine, qui est honnête par rapport à son histoire et refuse les mensonges par rapport à son oncle, est parti au Kazatskan et a enregistré Galina. La cassette est techniquement mauvaise, mais on entend Galina. Je n’en croyais pas mes oreilles. La femme de Makhno racontant la prise de Goulaï-Polié par les rouges. Elle raconte la fuite, son problème avec ses bottes, qu’elle avait un pistolet et que la dernière balle était pour elle. Tout un récit.
Ensuite, elle venue à Goulaï-Polié alors que sa fille, Hélène, n’a jamais voulu venir. Elle est restée presque deux mois chez lui. Les autorités ne sont pas venues. Il y avait encore d’anciens élèves qui la connaissaient. Elle a donc fait un salut aux anciens compagnons de la Makhnochina dont elle fait totalement partie et c’est cela qu’elle a choisi de dire avant de mourir. Elle est ensuite repartie. C’est des histoires sans fin. Je pensais au début que la mémoire se serait estompée, mais penses-tu ! Le cerveau humain fonctionne très bien et d’une manière passionnante. Au début je ne parlais pas suffisamment ukrainien pour tout décrypter, j’avais l’impression qu’ils ne savaient pas. Mais les gens savent malgré l’effacement systématique. Le modèle de société révolutionnaire était incapable de supporter ce regard là alors que les serfs et les libertaires qui se sont retrouvés parmi les politiques ou les bolcheviks arrêtés, c’était des partenaires difficiles, compliqués, des Iroquois.
Relisez maintenant les nouveaux textes de Marcos, du Chiapas, c’est d’une proximité qui donne des frissons dans le dos. Marcos sait ce que c’est que la responsabilité du mot, et pourquoi le mot est important, et pourquoi il y a une guerre civile de mots ; c’est vraiment un langage contre un autre. C’est une bagarre que l’on commence seulement à formuler de manière disons possible pour savoir sur quel front on est. Quand on lit comment il s’est débarrassé de ses oripeaux déterministes et à quel point il a compris que le langage indien était porteur de quelque chose qu’il fallait vraiment écouter, pas pour se mettre à l’écoute mais parce que la formulation de type analogique qui n’est pas une formulation de type explicative ou de commentaire dans quoi nous nous sommes coincés, c’est une formulation fertilisante de la pensée. Quand Makhno dit — il a été dans tous les meetings ouvriers — « je les voyais, les ouvriers, fascinés et crédules, penser que le fait de se créer son pouvoir et sa dictature, pouvait aider à vous créer votre destin. » Je n’ai pas lu de grands politiques disant des choses aussi fortes, croire que soutenir un programme, ça vous fera penser. Ça ne fait pas penser. De plus, comme il le dit, quand vous soutenez quelque chose, vous n’avez plus de mains pour labourer.
CP : C’est du bon sens.
Hélène Chatelain : C’est d’un bon sens et d’une justesse profonde de vie. Et c’est cela qui a sauvé la Makhnochina. Ils savent que c’est un mouvement complètement enracinés du côté de la vie et non pas du côté de la mort. Les autres étaient souvent enracinés du côté de la mort. C’est toute la réflexion qu’il fait sur les communes libertaires qu’il a trouvé à Moscou qui l’ont un peu consterné. Il n’y voit pas la faute du mouvement libertaire et il a commencé à élaborer une critique. Mais ce n’était pas un penseur, c’était un homme d’action.
Quand les libertaires de Moscou sont venus lui demander de l’argent à Goulaï-Polié pour faire une université à Kiev et qu’il les a regardé, halluciné, en disant mais c’est ici qu’il faut la faire l’université. Il a toujours voulu que les gens de savoir viennent pour apprendre eux-mêmes, pour échanger un vrai savoir. l’origine du mot savoir, c’est sapor, ce qui n’a pas de goût n’est pas un savoir et ça il le savait quand il disait que les grandes bibliothèques étaient des vergers qui poussaient bien et que cela devait être ouvert comme les bibliothèques pour que les gens viennent voir comment cela pousse et les bouquins. quand la grand-mère raconte qu’à son retour de prison, il vide son sac qui ne contenait que des livres et des journaux. Ça revient sans cesse, mais je n’ai pas voulu le répéter pour qu’on ne pense pas que je faisais un film à la gloire de Makhno. Pourtant il est vrai qu’il lisait tout le temps. Et c’est le fait qu’il faut apprendre à savoir. C’est une vraie démarche. Et encore une fois, Marcos est le frère de Makhno.
[1] D’abord paysan, puis ouvrier. Très jeune engagé dans la révolution (1905). En 1907, il est recherché. Les manifestations sont interdites. Il rencontre Voline (qui rejoint le mouvement plus tard) et Archinov. Libéré après dix ans de prison en 1917 (condamnation à mort, commuée en peine de prison à cause de son âge). Il a 28 ans en 1917 et est amnistié.
[2] Hélène Chatelain, réalisatrice du film Nestor Makhno, paysan d’Ukraine, est écrivaine et cinéaste. Sa filmographie est importante :
Les Prisons aussi (1973)
Le Lion, sa cage et ses ailes (1975)
Un Poème, cinq films (1980)
Nous ne sommes pas des Personnages historiques (1985)
Irlande, Terre promise (1982)
Maintenant, ça va… (1987)
Pourquoi les Oiseaux chantent, Qui suis-je ? (1991).
[3] Makhno commence son journal, Le messager anarchiste, en 1923 à Berlin. Réfugié politique en France en 1925. Une demande d’extradition est refusée, il risque d’être condamné à mort, lui et sa femme. Une partie de la famille est tuée (visite au cimetière de Goulaï-Polié).
[4] La population de Goulaï-Polié est de 16 000 habitants à l’époque.
[5] Manipulation de l’histoire de l’Ukraine dans les films anti-makhno montrés aux enfants : humiliation de l’Ukraine. Scène du film soviétique où il est montré comme un tueur tirant sur la foule depuis un manège, propagande anti-anarchiste. La partie de cartes où l’un des joueurs tient son rôle. Accusations d’antisémitisme. Makhno et sa juive de Joseph Kessel, tissu de mensonges.
[6] Dans ses textes non traduits, il existe des réflexions sur le pourquoi de l’écrasement du mouvement anarchiste
[7] Production et diffusion : Treize productions 01 40 26 06 97, La parole errante.
[8] Une histoire retrouvée avec les écrits qu’Hélène rapporte à Goulaï-Polié. Découverte et émotion des ouvriers en lisant les textes de Makhno qu’ils ne connaissent pas.
[9] Les témoins :
« Quand il est revenu à Goulaï-Polié, il a vidé son sac en arrivant, et il n’y avait que des livres et des journaux. »
« C’était le premier à organiser une commune. »
« Il défendait les pauvres. »
« On lui a mis beaucoup de crimes sur le dos. »
« Les anarchistes avaient raison si l’on regarde en arrière »
« Makhno était bien, c’était pas comme maintenant. »
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