mercredi 8 septembre 2010

Essai d’une (auto)critique de la gauche politique, économique et alternative.


Se poser aujourd’hui la question de la mondialisation, nous emmène forcement sur un terrain beaucoup plus vaste, qui est celui du capitalisme, son évolution historique, sa crise et la possibilité de son dépassement. D’une manière plus générale, c’est le problème de la civilisation occidentale et de sa suprématie totalitaire qui est en cause.
Lutter contre la mondialisation du capital au nom du travail, contre la globalisation de la spéculation financière au nom de l’argent « honnête », contre la dérégulation néolibérale au nom de l’Etat, fût-il démocratique, contre la globalisation au nom d’identités exclusives – n’est-ce pas rester dans les formes imminentes, les contradictions constituées et constituantes du système capitaliste ? La mondialisation néolibérale et la crise ne sont-elles pas les derniers stades d’évolution de la « société de marchandises » ? Cette civilisation, car il s’agit bien plus de cela qu’uniquement d’un système économique ou politique, n’est elle pas entrée, avec la révolution micro-électronique, dans une phase d’autodestruction massive, une sorte de contradiction mortelle, qui, tout en libérant des potentialités énormes, risque d’engendrer une néo-barbarie postmoderne ingerable ?
Il est évident que pour y résister, nous sommes obligés de critiquer, de mettre en question nos formes et modèles de lutte et d’alternative – non pas pour le plaisir un peu mondain de la critique, mais par le désir d’aller au-delà de la pratique qui semble aujourd’hui souvent insuffisante, voir coincée dans des impasses. Mais mettre en question ces pratiques et critiquer leurs faiblesses doit se faire dans le but essentiel d’en dégager les moments forts et les possibles d’une transformation vers un mouvement capable d’influencer le cours des événements qui, sans cela, ne donne pas beaucoup de raisons d’être optimiste. Il s’agit donc d’une critique du dedans, et non d’un traitement académique, faussement objectif, du haut d’un quelconque savoir.
C’est en considérant les forces destructrices libérées par la crise et la globalisation capitaliste, déjà à l’oeuvre dans une très grande partie du monde jusque dans les bas-fonds des centres industrialisés, que je me permets de porter la contradiction par rapport à la théorie et la pratique anti-libérale. Certainement pas pour renforcer ou recréer des batailles de clochers, mais parce qu’il me semble qu’une praxis de changement ou de transformation a pour condition sine qua non d’affronter les questions difficiles, celles qui nous empêchent de rester dans les catégories du système que nous voulons abattre, bref, celles qui nous font mal parce que nous sommes nous-mêmes des individus issus de cette civilisation et nos références sont formées par elle.
Travail et capital
La gauche traditionnelle considère en général le travail comme l’activité humaine d’échanger avec la nature et de la transformer, qui, dans le capitalisme serait usurpée par le capital et dont il s’agirait de le libérer. Mais historiquement le travail a fait son ascension seulement avec le système fondé sur la production de marchandises. La marchandise est une chose produite pour l’échange, c’est-à-dire pour se réaliser sur le marché ; sa forme d’objet de satisfaction de besoins n’est pas sa caractéristique principale mais seulement un passage obligé. Le but de la production de marchandises est la réalisation de la plus-value : à partir d’argent (capital) créer la marchandise (travail) pour en faire plus d’argent (plus-value). C’est le mouvement autonome de l’argent dont le but absolu est l’argent lui même.                                   
Le travail est alors l’activité humaine de transformation de l’argent en plus d’argent, et ne recouvre absolument pas toutes les formes de reproduction des sociétés humaines à travers l’histoire et toutes les cultures humaines. Dans le capitalisme, c’est lui qui crée la valeur par la comptabilisation du temps de production et c’est pour cela qu’il doit être séparé, extrait du temps de vie en général et pressé dans une sphère à part dans laquelle règne uniquement sa propre logique de rentabilité mesurable et abstraite. Parce que séparé du sens même de la production, le travail peut produire une bombe atomique ou des sous-vêtements, cela lui importe peu.
« Dans les anciennes sociétés agraires existaient toutes sortes de formes de domination et relations de dépendances personnelles, mais on ne connaissait pas la dictature de l’abstraction travail. Les activités de transformation de la nature et de relations sociales n’étaient absolument pas autodéterminées, mais elles n’étaient pas non plus soumises à une «dépense de force de travail » abstraite ; elles étaient organisées par des réglementations complexes de lois religieuses et de traditions culturelles, impliquant des obligations réciproques. Chaque forme d’activité avait sa propre temporalité et son lieu spécifique, il n’existait pas de forme d’activité abstraite et universelle. »(1) (Manifest gegen die Arbeit).
C’est en admettant le caractère résolument historique du travail en tant que forme de reproduction, son inexistence dans quasiment toutes les civilisations pré- et non-capitalistes, qu’une perspective au-delà de sa domination devient pensable et envisageable. C’est la révolution industrielle qui, dans un long processus, a réduit l’activité humaine à une marchandise, c’est-à-dire à un objet s’échangeant librement contre d’autres marchandises.
                                            
Johannes Vogele

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