vendredi 11 juin 2010

Contribution pour la Coordination nationale des collectifs de chômeurs et précaires en grève du 12 juin à Montreuil

Samedi 12 juin à partir de 11h à la maison occupé de la rue Carnot à Montreuil s/Bois. 

Nous ne pouvons pas nous permettre d’être pressés. La seule urgence, c’est de constituer un nouvel espace politique qui ne se laisse pas saturer par la logique de l’urgence. L’urgence est ce qui légitime le gouvernement. Depuis des mois, des collectifs de chômeurs et précaires s’organisent. Des réunions publiques, des piquets de grève, des affichages et des distributions de tracts, des permanences pour une autodéfense collective, des AG ont permis de mettre en place des éléments d’une pensée et des modes d’agir politiques pour affronter la situation actuelle. À Rennes, Brest, Lannion, Lorient, Nantes, Tours, Caen, Paris, Montreuil-sous-Bois, Antony, Nancy, Montpellier, Auch, Nice, Lyon, Perpignan, Lille, Bordeaux, en Dordogne... des occupations d’agences de Pôle emploi, de la CAF, des boîtes privées de coaching, des mairies, des administrations municipales et du Conseil Général, des autoréductions ont eu lieu. Des actions collectives ont permis souvent de faire reculer les machines de contrôle face à des pressions et des sanctions « individualisées ». Nous sommes souvent sortis victorieux de cet affrontement inégal. D’un côté le foisonnement des machineries de contrôle pour mettre au pas des chômeurs à coups de menaces, de sanctions, de punitions sous forme de radiations, suppressions d’allocations, réclamations d’indus ; d’injonctions à être dociles avec leurs offres raisonnables d’emploi, leurs stages débiles, leurs ateliers humiliants. De l’autre côté des actions permettant de récupérer des thunes, la réouverture de droits, l’annulation des radiations et la joie de constater que lorsque nous sommes nombreux la machine recule. La grève des chômeurs est à la fois un refus du contrôle et un espace multiple d’expérimentation de formes collectives d’existence politique là où nous serions censés n’être que les sujets passifs de leur activation par l’emploi.
Mais la grève des chômeurs est plus qu’un « mouvement des chômeurs ». Elle ne saurait se réduire à un activisme ayant pour visée le seul espace de gestion du chômage et de la précarité. Elle annonce une recomposition politique qui allie la nécessité de nouveaux affrontements avec les formes de subordination au salariat capitaliste, y compris sur sous la forme de ce que des camarades de Rennes ont appelé le « travail social » comme subordination aux machines de contrôle qui est la généralisation d’une productivité subjective au service du capital. C’est contre leur l’idéal d’un devenir auto-entrepreneur pour tous, atomisés, mais branchés aux réseaux de la valorisation capitaliste que la grève des chômeurs s’invente... Contre le rapport d’exploitation travail/salaire, aussi bien dans l’espace formel de l’entreprise que dans les institutions exigeant un « travail sur soi » rétribué par des allocations de survie, la grève des chômeurs est aussi et l’ouverture d’un horizon qui permet de se lever contre la catastrophe de la gestion managériale-fasciste d’une société immanente à l’économie. Et contre son urgence.
Dans la grève des chômeurs, il s’agit de produire un espace multiple d’expérimentation qui passe aussi bien par l’insubordination que par l’enquête. Ces expérimentations fragmentent, pour ainsi dire, les totalisations sociales homogènes produites par la collaboration étroite entre le capitalisme et l’État. Cet horizon est celui de la possibilité de nouvelles formes coopératives de travail émancipé, singulières, des pratiques de sabotage de la régulation capitaliste opérée par l’État, aussi bien dans les mondes urbains que dans les mondes dits « ruraux » pris ensemble dans un même processus de gestion métropolitaine globale pour en faire des territoires de l’économie. Cet horizon s’ouvre lorsque nous sommes en mesure de créer des alliances : par exemple avec ceux qui luttent dans le monde du travail formel de l’entreprise capitaliste, ou avec ceux qui s’engagent dans des pratiques plurielles écologiques concrètes qui interrogent nos rapports avec nos milieux et rendent les lieux ingouvernables. C’est en ce sens que la grève des chômeurs est un refus du travail subordonné à l’entreprise capitaliste et une émancipation du travail vivant.
Lorsque les camarades de Brest disent dans un de leurs tracts « Nous avons le temps », il nous semble qu’il faut prendre au sérieux le constat que le temps de la politique est aussi le temps de constitution de la vie collective. En effet, nous devons nous approprier le temps. Il n’y a pas d’expérimentation politique sans un vécu du temps qui nous permette de sortir des affres de l’urgence. Certes, il faut intensifier et coordonner les modes de sabotage des machines à précariser et à contrôler : sans cela il n’y aura pas de constitution collective d’une grève des chômeurs. Il n’est pas faux non plus que le temps presse. Mais il faut aussi pouvoir se dire que nous sommes en train de construire un espace politique de longue haleine face à l’instauration de la catastrophe comme mode de gouvernement.
On peut faire l’hypothèse que la désarticulation de l’architecture qui construit les rapports entre l’État et le capitalisme va s’approfondir dans les années qui viennent. Le rôle piteux des directions syndicales, qui sauf quelques exceptions paraissent mendier plus que jamais auprès du pouvoir une reconnaissance et une place au soleil des médias, semble indiquer qu’il sera difficile de compter dans les temps immédiats sur un improbable « mouvement social » auquel nous pourrions nous greffer et ceci malgré les plans de rigueur de plus en plus injustes. Dans un sens, il faudrait remplacer provisoirement le mot d’ordre de la « grève générale » par celui de la « grève transversale », comme disait un camarade de la CIP. Une grève transversale veut dire que dans des endroits très hétérogènes il est possible de bloquer la machine de gestion de la valorisation capitaliste. Mais elle veut dire aussi que dans plein d’endroits différents, avec des logiques locales propres à la constitution de collectifs, on peut expérimenter des formes d’existence politique.
Dans la grève des chômeurs, il y aura des discussions sur le bien-fondé d’une politique portant sur les « droits » et sur des « revendications ». Nous disons que ces discussions sont quelque peu oiseuses. Il ne peut pas y avoir de lutte qui ne s’ancre pas dans le réel de la nécessité partagée par le plus grand nombre. Ces nécessités, on peut les appeler provisoirement des droits portés par des revendications qui leur sont conséquentes : ce sont des lignes de transversalité des luttes, mais elles ne sauraient s’y réduire. Dans la plupart des tracts de différents collectifs, ces revendications apparaissent : relèvement des minima sociaux, suppression du suivi obligatoire, le choix d’établir ou pas des « projets d’insertion » dans le cadre du RSA et plus largement des institutions sociales, suppression de l’offre raisonnable d’emploi, instauration d’un véritable accueil au service du chômeur et non pas au service des entreprises, suppression du 39 49, etc. Stratégiquement, à certains moments, il faudra appuyer sur certaines de ces revendications plutôt que sur d’autres.
La grève des chômeurs sera plus que jamais une grève productrice d’alliances. Un rassemblement. Elle est en train de créer le creuset de formes viables, dans un temps qui n’est pas celui de l’urgence, pour faire de la politique dans un nouveau cycle d’affrontements qui vient à peine de commencer. La grève des chômeurs affirme ainsi sa positivité : sortir de l’économie, c’est inventer ici et maintenant des formes de lutte pour le renversement de l’ordre policier de l’économie. Mais elle est aussi l’invention de formes de vie collectives incompatibles avec les processus de capture de la valorisation capitaliste.
Il sera nécessaire de s’organiser en conséquence. Dans ce sens nous n’avons pas de temps à perdre : la création d’une coordination sur l’hexagone doit être conçue comme une mise en résonance des expériences de lutte locales.
En premier lieu, cette résonance, pour qu’elle soit réelle, et pas seulement un vœu pieux, ni une stratégie, doit se donner les moyens d’une propagation de pratiques et de réflexions situées. Nous devons parier, face à des conceptions rivales de la politique qui vont se retrouver au sein de la coordination, sur un processus de pollinisation de la pensée et des actes qui s’ensuivent, leur mise à l’épreuve dans des échanges. Nous devons renoncer définitivement à la prétention à produire des énoncés unificateurs dans nos luttes. Le succès de l’énoncé « grève des chômeurs » proposé par les camarades du Mcpl de Rennes, provient de la possibilité de s’approprier un refus, des formes de résistance déterminées par la singularité de chaque collectif. En deuxième lieu, la grève des chômeurs doit être conçue comme une enquête : les « points du réel » de la politique se construisent à partir d’un savoir sur les institutions, sur leur mode de fonctionnement, sur les résistances que suscitent les dispositifs de contrôle. Nous construisons la politique, elle n’est pas donnée, d’emblée. C’est cette enquête qui permettra de créer des alliances entre des espaces de lutte hétérogènes mais ancrés dans le réel de nos existences. En troisième lieu, la grève des chômeurs est la mise à l’épreuve écosophique du postulat d’égalité à partir des différences qui se logent en son sein. Il ne saurait y avoir de position en surplomb proclamant la justesse d’une conception de la politique, d’une analyse de la situation, avant même la mise à l’épreuve d’un échange, et des conséquences de ces échanges.
Mais ça demande de fabriquer de la confiance. Pendant la grève qui ne fait que commencer, nous avons le temps car le temps presse.

Un gréveur
Chômeurs Heureux 
millebabords.org 
actu chomage  
Sente de la chèvre qui bâille

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