dimanche 2 mai 2010

Présentation de la critique de la valeur (sur le concept de " Spectacle " de Guy Debord)



Le travail présenté ici se propose de renouer avec la théorie critique de la société. Il constitue donc, plus précisément, une critique du capitalisme. Nous tenterons d’effectuer celle-ci à la lumière de ce qu’il est convenu d’appeler : la « théorie de la valeur ». Cette théorie fait son apparition dès le livre premier du « Capital » de Marx, pour ne se retrouver ultérieurement au cœur des préoccupations que seulement d’une minorité de théoriciens, et ceci jusqu’à nos jours. C’est à la faveur des travaux du groupe allemand « KRISIS » (anselm Jappe, robert Kurz, norbert Trenkle….) qui réactualise l’analyse de la théorie de la forme valeur depuis une quinzaine d’années dans sa revue homonyme, que le travail ci-après trouve son opportunité. Le nouveau millénaire a vu resurgir la contestation sociale. Eteinte depuis quelques lustres, elle s’est vue occupée de nouveau le devant de la scène, avec ce qu’il est désormais commun d’appeler le « mouvement altermondialiste ». La critique du capitalisme qui en émerge est majoritairement illustrée dans son option « anti-néolibérale» (Negri, ATTAC et le mouvement altermondialiste ainsi que la totalité de l’extrême-gauche) et croit en la possibilité de réformer ce système, d’y apporter des corrections politiques. Pour ce faire, elle use du conflit théorique ouvert (les travaux d’Antonio Négri) et de l’intervention sociale à un niveau international (manifestations contre le G8 et les forums économiques mondiaux, création des forums sociaux mondiaux). Il s’agirait principalement sous cette modalité de « libérer le travail » de la tyrannie du capital. De cette façon, il appert que cette critique ne sort pas du périmètre de ce que l’on pourrait appeler un « marxisme traditionnel ».En effet, pour toutes conceptions théoriques et sociales « alternatives », il n’est proposé que de déterminer une distribution autre des catégories universelles qui règlent les échanges entre les hommes (la marchandise, l’argent, le travail et la valeur), c'est-à-dire sans pour autant opérer de critique catégorielle à proprement parler. La théorie de l’exploitation semble éclipser l’analyse fétichiste. Ainsi, « la logique de la marchandise » n’est jamais nommée. De même que sa contradiction interne, qui, pour la théorie de la valeur, est à la base même de la dynamique capitaliste, se trouve tout simplement niée : il ne s’agirait simplement dans cette critique que de mettre en exergue la lutte du « travail honnête » et exploité contre une méchanceté subjective capitaliste dominatrice (patrons, multinationales ou autres spéculateurs, desquels il faudrait libérer le travail exploité). Ce faisant, elle semble manquer la véritable nature du capitalisme.
La critique opérée par la théorie de la forme valeur se veut « radicale » en ce sens qu’elle analyse de façon approfondie les catégories qui sont à la base de la socialisation capitaliste. En thématisant sur la structure même de la marchandise et sur le « travail abstrait », elle semble ainsi révéler ce qui fait le noyau « mystérieux » du capitalisme : un système automate tautologique, où ce sont les marchandises qui règnent et où les hommes ne sont que les exécutants de sa logique. Point de conspiration des puissants ni de stratégies d’exploitation en ce cas (bien que celles-ci puissent se surajouter), mais un travail et un capital représentant deux moments successifs d’un même processus de valorisation impersonnel, autonomisé et abstrait. Sous cet angle, le conflit entre travail et capital, quelque important qu’il ait été historiquement serait un conflit à l’intérieur du capitalisme, cette opposition n’étant qu’un aspect dérivé de la véritable contradiction fondamentale : celle qui oppose la valeur et la vie sociale concrète. Ainsi, selon cette théorie, nous ne serions plus dans une société de domination (entendue comme la domination de certains sur d’autres), mais bien plutôt sous le règne d’une société fétichiste, sous l’emprise abstraite de la valeur en auto-mouvement, où c’est l’ensemble des hommes qui se trouvent assujettis. Plus justement, Les sujets ne sont alors plus les hommes mais leurs relations objectivées. En un mot, le vrai sujet c’est la valeur. Partant, comment nous faut-il comprendre l’affirmation qui semble résonner comme une déclaration de guerre : « le monde n’est pas une marchandise ! » lancé par les mouvements à « coloration anticapitaliste » ? Convenons d’emblée qu’ il ne s’agit manifestement pas là d’une critique catégorielle de la forme marchandise puisqu’une attention à ce discours révèle bien vite que ce qui doit être dénoncer, c’est que certaines choses, comme la culture, le corps humain, les ressources naturelles ne sont pas simplement à vendre ou à acheter, et ne doivent pas être soumises au seul pouvoir de l’argent. Ce sont là de bons sentiments qui ne peuvent tenir lieu d’analyse de la société. Cela s’inscrit dans un registre purement moral, lequel recommande simplement de ne pas tout soumettre à l’argent… « Où l’on ressent le désarroi théorique de la critique sociale depuis quelques décennies. » (A. Jappe)
Nous voyons qu’il est nécessaire d’avoir une explication plus profonde. En effet, que signifie le fait qu’une société soit basée sur la marchandise ? De fait, nous constatons qu’il parait inévitable de revenir à Marx qui à eu au sujet de la marchandise des considérations inédites, absentes avant lui. La théorie de la valeur et sa critique catégorielle n’est-elle pas plus à même de nous révéler ce qui fait véritablement l’essence du capitalisme ? En quelle manière dessine t’elle une société fétichiste ? Cette intelligibilité renouvelée du capitalisme offre-t-elle une opportunité théorique à la critique sociale, ainsi qu’un nouvel horizon pour une théorie de l’émancipation sociale ? La théorie de la forme valeur, dans laquelle il nous faudra entrer dans le détail, prend donc sa source dans l’oeuvre de Marx. Nous pouvons en effet la rencontrer dans la version définitive du chapitre sur la marchandise de la deuxième édition du Capital (chapitre 1, section 1). Pourquoi revenir à ces pages inaugurales traitant de la double nature de la marchandise, du caractère non moins double du travail, de la « forme de la valeur » et de ce que Marx appelle le « fétichisme de la marchandise », ouvrant l’oeuvre copieuse du Capital ?
Et bien si la théorie Marxienne de la valeur à été l’objet de très peu d’études philologiques, voire même de trop peu d’attention au texte, Marx lui-même la tenait pour majeure : « ce qu’il y a  de meilleur dans mon livre, c’est 1 (et c’est la dessus que repose
toute la compréhension des faits) la mise en relief dès le premier chapitre, du caractère double du travail, selon qu’il s’exprime en valeur d’usage ou en valeur d’échange.2 » écrivit-il à Engels le 24 aout 1867, en parlant du Capital qu’il venait de terminer. Marx ne définit, en effet, pas moins la marchandise comme « la cellule germinale3 » de toute la société moderne.Et puisque sa doctrine a dû souffrir l'accusation d'« économisme », il est important de rappeler que Marx décrivait la société moderne et non pas toutes société ayant existé.».

Nous nous attarderons ainsi sur les travaux que Marx effectue sur la structure de la marchandise, sur le « travail abstrait » et sur l'argent et montrerons comment ces catégories sont à l'origine d'une aliénation du lien social et de la communauté. A la société d’exploitation du XIX° siècle succède une société d’abondance (dans les pays développés), c’est l’époque de l’« état providence » dans lequel l’Etat assure la protection sociale pour une large part. En se développant, le capitalisme a transformé le producteur en consommateur. Cette autre époque sera aussi un second second temps dans notre critique de la valeur. Elle sera marqué par la théorie de Guy Debord, qui au sein des activités de l’internationale situationniste, comme dans son œuvre majeure « la société du spectacle »
reprends le flambeau de la critique sociale. Debord reprend la théorie de la valeur, fortement influencé par Lukács, et thématise cette dernière comme « spectaculaire ». Nous tenterons donc de cerner au plus près ce concept de «spectacle » chez Debord, comme stade suprême de l’abstraction, comme développement ultérieur de la valeur. L’opposition entre vie humaine et économie étant encore plus forte chez Debord que chez Marx ; qu’advient-il donc ici de la communauté humaine ? Quid du sujet social ? Existe-t-il une classe-sujet antagonique au spectacle ? Enfin, dans un troisième mouvement, avec le groupe Krisis, (dont la lecture fortuite d’articles est directement à l’origine de ce « travail ») la critique de la valeur prend acte d’une nouvelle phase du capitalisme, avec de nouvelles caractéristiques : mondialisation (capital transnational), néo-libéralisme (limitation de l’interventionnisme politique et étatique) et fin du « fordisme ». Dans le « Manifeste contre le travail », le groupe krisis procède à une charge violente contre le travail en montrant que celui-ci, bien loin de s’opposer au capital, est plutôt une activité spécifique au capitalisme. Il demeure au cœur d’un système qui s’auto-reproduit sans fin, en faisant de l’homme sa « ressource humaine ». Continuateur de la critique de la valeur après Marx et Debord, Krisis pose qu’aucune critique du capitalisme ne serait désormais possible sans une critique du travail lui-même. . . Nous verrons donc comment ce groupe (fondé il y a 15 ans en Allemagne, en marge du monde universitaire et de la gauche traditionnel) articule son analyse du capitalisme et de sa contradiction interne. Comment la contestation anticapitaliste actuelle est d’une certaine façon aliénée et se transforme malgré elle en adversaire de toute émancipation sociale. Comment Krisis ne peut partager cette formule de Dominique Méda : « l’économie n’est pas l’au-delà du politique, elle est son autre. » puisque pour lui, la politique ne représente qu’un sous-système de la valeur. Comment, du fait de la troisième révolution industrielle (la micro-informatique), le capitalisme se heurte désormais à sa limite historique absolue…      
            

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