Cesare Battisti écroué à Brasilia depuis 2007, a été condamné à deux ans de prison en milieu ouvert pour usage de faux passeport, selon la sentence d'un juge de Rio rendue publique vendredi 5 mars. Le verdict date du 25 février, mais n'a été rendu public que vendredi sur le site internet du tribunal de Rio. Il ordonne que la peine soit purgée en "milieu ouvert pour falsification et/ou usage de faux passeport". Il s'agit d'une décision en première instance à laquelle Cesare Battisti pourra faire appel.
Lula doit trancher pour son extradition
Cesare Battisti, dont l'extradition vers l'Italie est suspendue à une décision du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, avait comparu en décembre dernier, menottes aux mains, devant le tribunal de Rio sous l'accusation d'être entré au Brésil en 2004 avec un passeport italien falsifié. "C'était un passeport italien authentique au nom d'une autre personne sur lequel il y avait ma photo", avait déclaré l'activiste transalpin. Il avait alors précisé que ce passeport lui avait été remis par "un agent des services secrets français". Il avait obtenu, en janvier 2009, le statut de réfugié politique au Brésil après un vote serré et controversé. Mais la Cour suprême du Brésil a donné en novembre dernier son feu vert à son extradition vers l'Italie laissant toutefois le président Lula décider en dernier ressort.
LETTRE DE CESARE BATTISTI
(Transmise le 20 février à son comité de soutien français par Fred Vargas qui souhaite qu’elle soit diffusée). Cette lettre de Cesare a été lue en séance plénière au Sénat brésilien, par le sénateur José Nery. Elle circule à présent à travers tout le Brésil et l’Italie. Tenez compte que Cesare l’a écrite en portugais, et que ceci en est une traduction.
Brasilia, 18 février 2009-02-20
Pourquoi moi ?
Même si je n’ai jamais cru, comme l’a dit Voltaire, que nous vivons dans un monde où l’on vit ou meurt « les armes à la main », l’ironie du destin a fait qu’aujourd’hui, je me trouve condamné pour quatre homicides. Ma situation est terrible. Je suis effrayé, désarmé, devant l’hostilité, la haine pleine de rancune que manifestent mes adversaires. Je sais que je devrais combattre l’avalanche de mensonges, de faussetés historiques, mais ce qui me manque pour me lancer dans la lutte, c’est le désir de gagner. Gagner quoi ? Mes adversaires, au contraire de moi, semblent avoir quelque chose à défendre. Qui sait, leur misère, ou leur richesse ou, peut-être, comme dans le cas de quelques actuels ministres du gouvernement italien, maintenir caché leur passé en tant qu’activistes de l’extrême droite (fasciste), responsables directement ou indirectement des massacres à la bombe. Je ne sais pas exactement ce qui motive mes adversaires à entrer dans cette lutte, mais, ce n’est certainement pas la soif de justice.
De mon côté, je ne prétends pas me faire le défenseur de tout ce qui s’est passé pendant les sanglantes années 70. Nous sommes en plein XXIe siècle, je n’ai plus de vérités absolues sur la société idéale, et je ne suis pas important au point de défendre ce qu’il y avait de bon dans les rêves de ces années. Je ne peux pas me jeter dans une telle guerre. Je dirais même que je ne suis pas non plus intelligent au point de générer autant d’ennemis ; si j’ai dérangé tant de personnes importantes, cela fut sans aucun doute le résultat de mon inconscience. La vérité est que je n’ai rien fait pour éviter tant de problèmes, mais reste encore à comprendre comment je fus capable d’arriver à des résultats aussi désastreux. Reste, de toute manière, cette question : pourquoi tant de haine ? Ce n’est pas pour m’esquiver que je me déclare inapte et que je laisse la réponse à cette question à des personnes plus intelligentes, qui n’ont pas l’habitude de jouer le rôle d’« anges vengeurs ».
Cette interminable persécution et toute cette histoire des années 70 en Italie sont une longue agonie, une lamentation honteuse couchée sur le papier jauni des justiciers. C’est l’expression d’un visage rongé par une maladie nerveuse, comme un péché originel qui souille le corps politique italien. Pauvre Italie de Dante, ou celle de Beccaria, de Bobbio et d’Umberto Eco. Pauvre patrie balayée par le vent de l’orgueil, du cynisme et de la vanité, qui l’empêche de reconnaître ses propres erreurs, ses propres péchés, ne voulant pas s’abaisser au niveau de ces pays latino-américains en admettant courageusement que, elle aussi, elle a souffert à la même époque d’une guerre civile de basse intensité (lire les déclarations de l’ex-Président de la République, le sénateur Francesco Cossiga), et que, pour la combattre, elle a recouru à toutes sortes d’illégalités.
Outre des dizaines de prisonniers politiques enterrés vivants dans les prisons italiennes, il y a des centaines d’autres réfugiés dans le monde entier. Nous avons ici, au Brésil, le cas d’un extradable italien qui appartenait à une organisation nazi-fasciste et qui fut impliqué dans l’attentat de Bologne, 82 morts. Étrangement, l’Italie ne fait pas mention de ce cas, n’émet pas de protestations ni ne fait de chantage au peuple brésilien. Pourquoi ? Pourquoi l’Italie n’a-t-elle pas agi de la même manière quand Sarkozy a refusé l’extradition de Marina Petrella en France, dont la situation pénale dépasse de loin la mienne ? Pourquoi cette obstination féroce contre moi, alors qu’il n’y eut aucune protestation quand fut refusée [note : par le Brésil] l’extradition de quatre autres Italiens, également condamnés pour homicide ? Serait-ce que mon activité d’écrivain et de journaliste puisse constituer un danger pour la manipulation historique de cette Italie gouvernée par la Mafia ? Je ne sais pas.
Ce qui est sûr, c’est que, malgré tous mes efforts, je ne réussis pas à agir devant ces attaques virulentes contre moi. Je ne peux pas m’identifier à l’image de moi qu’ils me renvoient et associer ce reflet désolant à mon identité sociale. Ils peuvent continuer à dire que je suis un « terroriste », un « assassin », etc., de toute façon, je ne réussis pas à me penser comme quelqu’un capable d’au moins le centième de tout ce qu’ils m’attribuent.
C’est curieux d’observer la réaction des personnes qui, pour une raison ou une autre, sont en contact avec moi : les agents pénitentiaires, d’autres prisonniers, des visiteurs et même mes avocats. Dans les premières minutes de la conversation, je lis dans leurs expressions un « brin » de déception, comme s’ils pensaient : « Alors, c’est celui-là, le dangereux terroriste ? » C’est exactement ce que les gens s’exclament quand je me trouve dans des situations similaires, n’ayant pas réussi à éviter le bombardement médiatique, principalement de la « presse marron », qui fait tout pour tenter d’intervenir négativement dans les décisions judiciaires.
Je reste perplexe, surpris et gêné par tout ce que je provoque et, sans aucun doute, je finis par sembler un peu idiot, avec un air distrait, voire incrédule, de voir que c’est moi le sujet concerné. Cela parce que je n’ai jamais eu le sentiment, quand il s’est agi de contester les accusations, d’agir pour ma propre défense. J’ai toujours l’impression que, en rétablissant la vérité historique, les faits, je ne fais qu’accomplir un devoir civique.
J’aimerais crier la vérité au peuple italien, mais comment le faire ? Car la foule manipulée est devenue lyncheuse et résolue à notre perte. Le fauve qui se cache derrière la masse, derrière un sourire de circonstance, derrière des mots vides, et qui n’attend que l’occasion de se révéler, je le connais bien. Déjà avant qu’ils ne me désignent, en particulier, je savais qu’à un moment ou un autre, mon heure arriverait. Et j’ai laissé parler. Je me suis laissé traiter d’assassin, de voleur, de dépravé, et de beaucoup d’autres choses. J’ai laissé faire tout cela par imprudence ou par supériorité, ou encore parce que je me sentais invulnérable à ces insultes, ou par goût qu’on parle de moi, que ce soit en bien ou en mal. Si je n’ai pas protesté vigoureusement contre de telles obscénités, ce n’est pas seulement parce que, d’une certaine manière, je reste un optimiste. Inutile d’être conscient que, quand la multitude se rassemble, elle le fait toujours contre quelqu’un, celui-là même qui l’avait mise d’accord, au début. Ce quelqu’un est le rejet d’une molécule de cette multitude qui, en règle générale, l’avait idolâtré un jour. Même si dans mes pensées je me soulève, avec raison, contre les bas instincts de la multitude manipulée, je n’ai toujours pas perdu l’espoir qu’une lumière puisse soudain s’allumer au milieu de ces gens, pour les ramener au monde des êtres pensants et des esprits libres. Mon attitude peut sembler suicidaire, au moins contradictoire, mais elle est partie intégrante de l’idée que je me fais des raisons qui me lancèrent dans l’aventure de l’écriture. Car c’est bien vrai que, avant d’être transformé en monstre, j’ai été un écrivain.
Enfin, les autorités italiennes d’aujourd’hui me poursuivent, comment expliquer cela, comment expliquer cette Italie, la même qui me transmit un jour l’amour des mots écrits, ce rêve de liberté et de justice sociale, qui fit de moi un homme, et à présent un pestiféré ? Comment expliquer cette Italie qui a oublié sa récente pauvreté, ses émigrants traités comme des chiens qui mouraient dans les mines belges, allemandes et françaises. Qui a oublié ses fascismes jamais enterrés, ses tentatives de coup d’état, la Mafia au pouvoir, la stratégie de la tension, Gladio, les bombes des services secrets sur les places publiques, les tortures des militants communistes, ces mêmes qui, en dépit de leurs erreurs, ont déchiré leur vie pour contribuer à faire de l’Italie un pays à la hauteur de l’Europe et qui aujourd’hui, 35 ans après, sont traités de terroristes, et dont certains pourrissent encore dans les « prisons spéciales ».
Ce serait cette Italie, dont le chef du gouvernement fut un excellent membre de la célèbre Loge P2, et qui aujourd’hui promulgue des lois racistes ? Est-ce l’Italie qui se refuse à laver son linge sale en public ? De toute façon, l’histoire ne se juge pas dans les tribunaux, nos seuls juges ne peuvent être que ceux, encore à venir, combattant pour une société juste. Car ceux-là seulement nous jugeront impartialement. La vérité fait mal, mais elle éclaircit. Notre histoire récente nous a montré l’erreur et la tromperie de l’inquisition, et que des cicatrices jamais oubliées doivent être réparées pour que soient ainsi reconnus les excès commis face à la vérité unique imposée. Il ne sert à rien de cacher la saleté sous le tapis. Tôt ou tard la saleté apparaît. Je reconnais avoir fait partie d’une page de l’histoire qui a été écrite avec du sang, de la sueur et des larmes ; et j’espère qu’aujourd’hui mes adversaires reconnaissent que jamais les bourreaux ne touchent pas leur dû. L’histoire s’est toujours montrée implacable avec ceux qui essaient de supplanter et cacher leurs erreurs.
Nous vivons une ère démocratique. Des barrières et des murs ont été renversés, les concepts ont été révisés. L’heure n’est-elle pas arrivée pour l’Italie de montrer son côté chrétien ? Car le pardon est un acte de noblesse. Si je suis considéré comme un ennemi de l’Italie, même les ennemis font la trêve et se pardonnent. L’histoire a fait sa part et a donné à l’Italie une ère de progrès et de développement. On s’attend à ce que l’importance de ceux qui ont fait de l’Italie, l’Italie de tous, soit reconnue, et que le rôle fondamental qu’ils ont eu pour le rétablissement de l’État Démocratique de Droit, bien que non compris, fut essentiel. Italie, Italie, qui tue le rêve de tes fils et ferme les yeux sur ceux qui t’ont défendue, il n’est jamais trop tard pour un geste de noblesse, à l’exemple du Vatican qui reconnut ses activités pendant l’Inquisition. La chasse aux sorcières est finie. « Que justice soit faite, non pas après que périsse le monde, mais justement pour qu’il ne périsse pas ». La société souffre davantage de l’emprisonnement d’un innocent que de l’absolution d’un coupable.
Amitiés aux Brésiliens et aux Brésiliennes
_______
______________________
Emprisonné en 1979 et condamné en 1981 pour appartenance à une bande armée, il s'évade et se réfugie alors au Mexique. En 1988, il est jugé par contumace par la Cour de Milan et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat du surveillant de prison Antonio Santoro (Udine, 1978), et de l'agent de police Andrea Campagna (Milan, 1979), et pour la complicité dans les assassinats le 16 février 1979 du boucher Lino Sabbadin (Santa Maria di Sala, Vénétie) et du bijoutier Pierluigi Torregiani (Milan).
Il s'installe en France en 1990 et bénéficie de la « doctrine Mitterrand ». Une demande d'extradition vers l'Italie est refusée en 1991. Il séjourne librement en France, devient un gardien d'immeuble puis publie plusieurs romans noirs à partir de 1993.
Battisti déclarait en 2001, à propos des crimes lui ayant valu sa condamnation, « Politiquement, j'assume tout ». Il a néanmoins affirmé son innocence à partir de 2004, quand la situation judiciaire lui est devenue défavorable en France.
En 2004, le gouvernement français s'apprête finalement à l'extrader en Italie, ce qui nourrit un débat français sur l'opportunité de cette extradition. Cesare Battisti s'enfuit alors, jusqu’à son arrestation au Brésil le 18 mars 2007 (version officielle car il a été exfiltré par les services français...)
Cesare Battisti est né le 18 décembre 1954 à Sermoneta au sud de Rome, il est devenu un auteur de romans noirs. C'est aussi un ancien membre d'un groupe clandestin armé d’extrême gauche actif en Italie durant les « années de plomb », les Prolétaires armés pour le communisme (PAC) et il a été condamné pour quatre assassinats commis durant cette période mais dont il est innocent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire