Il y a trois ans, le Conseil supérieur de l'audiovisuel portait plainte contre une intrigante radio pirate nantaise. Ses deux fondateurs racontent.
Durant dix ans, de 1997 à 2007, une radio pirate nantaise a réussi à jouer les petits souris sur la bande FM, à grignoter un espace de liberté dans un maillage ultra-réglementé et à s'immiscer dans la ville 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. La bien nommée Radio Mulot. « On est à la maison, on bricole, on oublie que le poste est allumé... Puis tout d'un coup, on se demande ce qu'il se passe, on croit qu'il y a quelqu'un dans l'appartement, on sursaute ! C'est mulot », témoignait joliment un auditeur.
Pas de bla-bla, pas d'émission-parlotte, pas d'information pure sur Mulot. Non, des chuchotements, des lectures de Debord à Burroughs, de la musique expérimentale, des sons, des échos, des collages, « des bruits échoués sur le parvis d'une fenêtre en guise de commentaires, en lieu et place de cet acharnement continuel qui est celui de tous », note le créateur de la radio, un photographe écrivain et personnalité singulière. Morceau choisi capté à l'époque sur fond de musique hindoue : « Je suis un intraterrestre immortel car je suis de moi-même. Je vois de l'intérieur... »
Radio Mulot ou l'anti radio, nourrie de culture industrielle, de situationnisme ou d'abstractions... « C'est de la poésie urbaine, poursuit son acolyte, issu de la musique, un poète du son. Faire corps avec la ville, se fondre... Le contenu de la radio n'était pas forcément avant-gardiste, mais on pouvait toucher le maçon sur le chantier avec des choses pour midinettes puis l'emmener sur des choses barrées. Seule la bande FM permet de toucher tout le monde, l'automobiliste au feu rouge dans sa voiture ou la personne chez elle. Sur le Net, on ne serait écouté que par les gens des Beaux-arts ».
Une plainte du CSA en 2007
Depuis leur domicile, « au milieu des ondes », pendant dix ans, ils n'ont été que deux à porter ce projet monumental. « On n'a fait que ça. On a mis notre vie dedans. » Parce que Mulot est leur façon de penser le monde mais aussi parce que la radio émet en permanence. D'abord à 3 kilomètres à la ronde. Puis gagnant du terrain avec un matériel plus perfectionné. « Techniquement, ce n'est pas compliqué. Il faut juste un émetteur et une antenne et ne pas être repéré par les voisins. À la création de la radio, les émetteurs étaient interdits en France. Il fallait juste connaître les circuits. »
Mulot cesse d'émettre en juin 2007. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel porte plainte. Le piratage est interdit, « sur une bande FM pourtant non saturée ». Mulot a peur de tomber dans les griffes du CSA en jouant avec le feu. De se voir saisir ses matériels et dix années de travail. Sans compter une amende pouvant aller jusqu'à 75 000 €.
Une première fois, en 2005, une galerie d'exposition à laquelle ils avaient été associés avait eu à essuyer une descente de police. Mulot avait fait une pause d'une année puis repris sur une autre fréquence. « On ne peut pas dire qu'on a été traqué. On a tenu dix ans. Si on avait été dans un réseau politisé, ça aurait peut-être été différent. Il nous est toutefois difficile de nous considérer comme criminels. On est dans l'art. »
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