mercredi 10 mars 2010

UN REGARD CRITIQUE SUR LE BOUDDHISME ENGAGÉ

Ken Knabb introduisit dans les années 70 les idées situationnistes aux États-Unis. Cet ancien anarchiste pense en radical et voit une certaine naïveté dans la proposition bouddhiste de "changer le monde" simplement en se changeant soi-même. Lui-même pratique le bouddhisme zen. Les écrits de Ken Knabb sont disponibles sur le site du Bureau of Public Secrets : www.bopsecrets.org. Les deux textes, "Fortes leçons pour les bouddhistes engagés" et "Esquiver la transformation du réel : le bouddhisme engagé dans l'impasse" sont les traductions françaises réalisées par Ken Knabb et Jérôme Waag de Strong Lessons for Engaged Buddhists et Evading the Transformation of Reality disponibles sur ce même site.
Qu'est-ce que le situationnisme ? Rejetant avec mépris les bureaucraties stalinienne ou trotskiste, tout en procédant à une critique radicale de la société de consommation capitaliste et de la mise en spectacle qu'elle organise, ce mouvement se proposait notamment, de mettre à profit, en les détournant, des situations (politiques, sociales ou culturelles) pour leur donner un contenu révolutionnaire. Outre leur revue l'Internationale Situationniste dont les 12 numéros parurent de 1958 à 1969, les thèses situationnistes furent principalement développées dans les ouvrages de Guy Debord (La Société du spectacle, 1967, plusieurs fois réédité) et de Raoul Vaneigem (Traité de savoir- vivre à l'usage des jeunes générations, 1967). On attribue à ce mouvement, qui ne regroupa jamais réellement qu'une douzaine de personnes environ, un rôle important dans les "événements" de mai 1968, sinon dans leur déclenchement, du moins dans beaucoup de leurs développements. (Encyclopédie Yahoo France). Un Zen Occidental,
55 rue de l’Abbé Carton 75014  http://www.zen-occidental.net
    Avez-vous appris des leçons seulement de ceux qui vous ont admiré, et qui vous ont traité avec tendresse, et qui vous ont laissé la voie libre ? N’avez-vous pas aussi appris de grandes leçons de ceux qui vous   rejettent et qui s’opposent à vous obstinément, ou qui vous traitent avec mépris, ou qui vous disputent le passage ? (Whitman, “Leçons plus fortes”)
En pleine guerre du Vietnam, Thich Nhat Hanh et quelques moines, moniales et laïques bouddhistes, rompaient avec une tradition bouddhiste apolitique vieille de 2 500 ans : ils fondaient l’ordre Tiep Hien afin de relier les pratiques éthiques et contemplatives bouddhistes aux questions sociales actuelles. Les membres de l’ordre organisèrent des manifestations contre la guerre, l’aide clandestine aux insoumis et de multiples projets de secours et d’assistance sociale. Bien que ce mouvement ait vite été réprimé au Vietnam, Thich Nhat Hanh a continué de mener des activités similaires depuis son exil français et la conception d’un “bouddhisme socialement engagé” s’est diffusée parmi les bouddhistes du monde entier. L’une de ses principales expressions en Occident, The Buddhist Peace Fellowship (l’Association Bouddhiste pour la Paix), se donne pour objectif “d’apporter une perspective bouddhiste aux mouvements pacifistes, écologiques et d’action sociale contemporains” et “de
susciter l’intérêt pour la paix, l’écologie, le féminisme et la justice sociale chez les bouddhistes occidentaux”
. L’apparition d’un bouddhisme engagé est un développement salutaire. Malgré les tares que le bouddhisme partage avec toutes les religions (superstition, hiérarchie, phallocratie, complicité avec l’ordre établi), il a toujours eu un cœur de pénétration authentique fondé sur la pratique de la méditation. C’est ce cœur vital, ainsi que sa liberté vis-à-vis des dogmes si caractéristiques des religions occidentales, qui lui ont permis de prendre si facilement racine, y compris dans les milieux les mieux éduqués d’autres cultures. Ceux qui luttent pour le changement social pourraient mettre à profit l’attention, l’équanimité et l’autodiscipline qui sont développées par la pratique bouddhiste. Quant aux bouddhistes apolitiques, ils pourraient sans aucun doute gagner à se confronter aux questions sociales.
Jusqu’ici, cependant, la conscience sociale des bouddhistes engagés est restée extrêmement limitée. S’ils ont commencé à reconnaître certaines réalités sociales choquantes, ils font preuve de peu de compréhension quant à leurs causes ou leurs possibles résolutions. Pour quelques-uns, l’engagement social se résume à des actions caritatives bénévoles. D’autres, sans doute inspirés par les remarques de Thich Nhat Hanh sur la production d’armements ou sur la faim dans le tiers-monde, prennent la décision de ne plus manger de viande ou encore à ne pas contribuer ou travailler pour des entreprises d’armement. De tels gestes peuvent avoir une signification personnelle, mais leurs effets réels sur la crise mondiale restent négligeables. Des millions de pauvres ont faim dans le tiers- monde, non par manque de nourriture, mais parce qu’il n’y a pas de bénéfices à tirer de nourrir des populations démunies. Tant qu’il sera possible de s’enrichir en fabriquant des armes ou en ravageant l’environnement, quelqu’un le fera, malgré les appels moraux à la bonne volonté. Et si des personnes de conscience le refusent, une multitude d’autres se bousculeront pour prendre leur place.
D’autres, sentant que de tels gestes individuels ne suffisent pas, se sont aventurés dans des activités plus “politiques”. Mais ce faisant, ils n’ont généralement fait qu’adhérer aux groupes existants, qu’ils soient pacifistes, écologistes ou soi-disant progressistes aux tactiques et aux perspectives quelque peu limitées. À de rares exceptions près, ces groupes acceptent le système social actuel comme allant de soi, ne manœuvrant à l’intérieur de celui-ci que pour promouvoir leurs intérêts particuliers, souvent aux dépens d’autres causes. Comme l’ont dit les situationnistes : “Les oppositions parcellaires sont comme les dents des roues dentées, elles s’épousent et font tourner la machine, du spectacle, du pouvoir.” (Internationale Situationniste n° 8, p. 39). Quelques bouddhistes engagés se rendent compte que le système actuel doit être dépassé. Mais ne pouvant reconnaître son racinement et sa dimension auto-reproductive, ils imaginent pouvoir le modifier doucement et graduellement de l’intérieur, se heurtant ainsi à des contradictions récurrentes. L’un des préceptes de l’ordre Tiep Hien dit : “Ne possédez rien qui ne revienne à d’autre. Respectez la propriété d’autrui, mais empêchez autrui de tirer profit de la souffrance humaine ou de la souffrance d’autres êtres vivants.” Comment peut-on empêcher l’exploitation de la souffrance en “respectant” la propriété qui l’occasionne ? Et que faire si leurs propriétaires refusent d’y renoncer paisiblement ?           
                      

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