Au cours des dernières années, les sociétés « occidentales » ont sacralisé les victimes. Depuis le 11-Septembre, ce phénomène a été instrumenté par les promoteurs de la guerre des civilisations pour développer la « théorie du complot islamo-gauchiste », selon laquelle « l’Occident » devrait non seulement affronter le péril islamique, mais aussi une cinquième colonne intérieure. Cette rhétorique élaborée aux USA par Daniel Pipes et développée en France par les intellectuels et journalistes membres du Cercle de l’Oratoire vient d’être reprise au mot-à-mot en Belgique par le sénateur libéral Alain Destexhe et le journaliste de gauche Claude Demelenne. Mais comment fonctionne donc ce discours délirant ?
Dans la modernité, l’idéologie victimaire présente une structure particulière : le bourreau se présente systématiquement comme la victime. On peut penser immédiatement au sionisme, mais il ne s’agit là que d’un exemple, bien qu’il occupe une place fondamentale dans ce renversement général de l’ordre symbolique. Les troupes états-uniennes ne sont-elles pas des victimes des populations qu’elles bombardent ? Les patrons ne sont-ils pas victimes des grévistes qui prennent « les populations en otage » ? Les porteurs de l’idéologie coloniale ne se présentent ils pas comme stigmatisés par le racisme anti-blanc ? Le nombre d’exemples est infini. Notre vie sociale est entièrement structurée par ce déplacement pervers.
L’image de la destruction des tours est une construction iconophile Cette icône pose les autorités US comme des victimes et les introduit ainsi dans le sacré. Ce qui les placent non seulement au delà du droit, mais leur permet aussi de renverser l’ordre symbolique. Elles constituent une pure anomie. Elles ne peuvent être nommées. Guantánamo est une vitrine du pouvoir qu’elles se sont données : de violer l’ensemble des lois, de nier ce qui fait de nous des hommes et d’être reconnu dans ce droit..
Grâce à cet enfermement psychotique, toute tentative de développer une parole, de nommer les choses ou même, plus simplement de faire référence aux faits, engendre le délire. Tout rappel de la nécessité de l’observation est immédiatement diabolisé, stigmatisé comme « théorie du complot ».
S’inscrivant dans une forme sociale psychotique, l’image des attentats du 11 septembre a pour objet de nous enfermer dans la phase du délire et de supprimer toute possibilité de confronter le regard, le sens donné par le pouvoir. Toute offensive de ce dernier, contre nos libertés et notre existence, s’inscrit dans cette structure. La vague d’islamophobie qui se développe actuellement en est un exemple parmi d’autres.
La manière particulièrement caricaturale dont les choses sont présentées peut susciter un rejet immédiat. Cependant, il faut dépasser cette première réaction et voir qu’il s’agit en fait d’un condensé de la façon dont certaines informations nous sont régulièrement présentées.
Le discours se réduit à des pulsions. Il s’agit de soumettre le langage aux images et ainsi d’enfermer le lecteur dans l’émotion, dans une mécanique qui marche toute seule. Les « barbus », les « filles voilées » et les « gauchistes » sont des fétiches. Ces images deviennent leur propre base matérielle. Elles ne se rapportent plus qu’à elles-mêmes, elles volent de leurs propres ailes.
Les faits ne sont plus que le support du regard, du sens qui leur est attribué. Ce sont les images, ces abstractions qui créent un nouveau réel. Elles nous font abandonner le domaine de la raison, du pensable, pour établir le règne de la foi. Ainsi, le signifié devient parfaitement autonome. Il ne se confronte plus au réel, il tourne sur lui-même.
L’islamisme radical, le port du voile, le racisme anti-blanc, la police terrorisée par les bandes de jeunes arabo-musulmans, l’omniprésence des barbus semblent être devenus les principaux problèmes de notre pays. Surpuissants, grâce à leurs alliés gauchistes, les fondamentalistes musulmans contrôleraient les rouages de notre société. Ils auraient la capacité de faire taire toute critique à leur égard. Mais, le peuple belge possède deux chevaliers particulièrement courageux, Claude Demelenne et Alain Destexhe pour affronter cette emprise totalitaire.
Évidemment, le développement du discours fait immédiatement penser à la structure de la psychose paranoïaque que ce soit dans l’évaluation de la nature du danger, dans la surestimation de soi-même ou dans le caractère personnel de la mission que le sujet s’attribue. Toutefois, ce qui nous intéresse, ce n’est pas de nommer cette structure psychotique, mais de comprendre pourquoi, maintenant, ce discours, qui présente toutes les caractéristiques du délire, est mis en avant et valorisé par les médias.
Actuellement, ce qui existe est ce qui est regardé, exhibé. Montrée et ainsi reconnue, l’idéologie victimaire, dont se parent nos deux protagonistes, les intègre dans l’ordre symbolique de la société.
La transformation du sens et du langage leur est d’autant plus nécessaire que, ici, la position revendiquée de la victime émissaire, consentante qui catalyserait la violence sur elle-même afin de sauver la société, n’a pas pour effet le sacrifice de la victime exhibée. Le lieu réel du sacrifice est bien celui des personnes désignées comme agresseurs. Ce qui est aussi sacrifié, c’est la Parole qui à pour fonction de mettre un cran d’arrêt à la violence, de permettre une reconnaissance réciproque et ainsi de rétablir le lien social. Au contraire, le renversement de la place de la victime a pour effet de néantiser celle-ci en tant qu’être. Il s’agit bien là d’un mécanisme propre à ce que la psychanalyse désigne comme structure perverse
Un premier exemple s’impose : il suffit de signer « intellectuel de gauche » pour être en mesure de faire passer une pensée réduite à des états compulsifs et qui, historiquement, relève de l’imagerie véhiculée par l’extrême droite.
Le renversement de l’ordre symbolique, afin d’alimenter une machine pulsionnelle, est constant. Alors que leurs propos relèvent de l’argument d’autorité, les auteurs se présentent comme les victimes d’un « terrorisme intellectuel ». Leur opposer une argumentation ferait qu’ils seraient « diabolisés », « lépénisés » « et « quasiment criminalisés ». Bien qu’ils se révèlent être de simples instruments d’une machine, d’un système stigmatisant omniprésent dans notre société, l’invocation de leur courage est permanente. Ainsi, le conformisme exalté deviendrait un acte de résistance, une position à contre courant.
Cette antinomie apparente entre un moi présenté comme fort et le fait de se faire simple instrument de la machine est caractéristique de la structure perverse. C’est parce qu’ils se posent en tant qu’objet de cette mécanique stigmatisante que nos auteurs prennent la place de la victime. Ils se sacrifient pour réaliser le « Bien suprême » : l’éradication du mal gaucho-intégriste.
Ainsi, le sujet pervers, le « sujet supposé-savoir », peut confisquer la parole et la place de la victime. Se prévaloir de celle-ci offre des avantages décisifs dans la structure sociale actuelle. En effet, le renversement de cette place permet d’opérer un renversement de l’ordre de droit et offre la possibilité de nous placer dans la violence pure.
La puissance de l’image
Cette idéologie victimaire prend cependant toute sa puissance à travers les attentats du 11 septembre 2001. L’image, ainsi exhibée, crée une virtualité, un nouveau réel destiné à nous enfermer dans l’effroi. Il s’agit d’une image parfaite, d’une icône débarrassée de toute toute réalité matérielle, de tout sensible-concret. Dégagée de tout rapport aux faits, elle est aussi libérée de toute relation avec ce qui organise la conscience : la raison. Elle suppose la foi, l’adhésion sans faille au regard du pouvoir, qui se pose en lieu et place de l’observation. Il s’agit donc d’une foi particulière, non celle qui donnerait accès à un invisible, à un inconnu distinct de ce qui est visible, mais celle qui opère un déni de ce dernier et se substitue à lui en installant une pure virtualité.L’image de la destruction des tours est une construction iconophile Cette icône pose les autorités US comme des victimes et les introduit ainsi dans le sacré. Ce qui les placent non seulement au delà du droit, mais leur permet aussi de renverser l’ordre symbolique. Elles constituent une pure anomie. Elles ne peuvent être nommées. Guantánamo est une vitrine du pouvoir qu’elles se sont données : de violer l’ensemble des lois, de nier ce qui fait de nous des hommes et d’être reconnu dans ce droit..
Grâce à cet enfermement psychotique, toute tentative de développer une parole, de nommer les choses ou même, plus simplement de faire référence aux faits, engendre le délire. Tout rappel de la nécessité de l’observation est immédiatement diabolisé, stigmatisé comme « théorie du complot ».
S’inscrivant dans une forme sociale psychotique, l’image des attentats du 11 septembre a pour objet de nous enfermer dans la phase du délire et de supprimer toute possibilité de confronter le regard, le sens donné par le pouvoir. Toute offensive de ce dernier, contre nos libertés et notre existence, s’inscrit dans cette structure. La vague d’islamophobie qui se développe actuellement en est un exemple parmi d’autres.
Péril « islamo-gauchiste » en Belgique ?
S’alignant sur les actions françaises, les médias belges ont d’abord lancé une campagne contre le voile dit « islamique ». Depuis deux mois, à travers les opinions exprimées par un « intellectuel de gauche » et un sénateur libéral, se font le relais d’une campagne destinée à nous prévenir des dangers imminents du fondamentalisme musulman, ainsi que du « terrorisme intellectuel qui cherche à faire taire ceux qui refusent le politiquement correct islamo-gauchiste » .La manière particulièrement caricaturale dont les choses sont présentées peut susciter un rejet immédiat. Cependant, il faut dépasser cette première réaction et voir qu’il s’agit en fait d’un condensé de la façon dont certaines informations nous sont régulièrement présentées.
Le discours se réduit à des pulsions. Il s’agit de soumettre le langage aux images et ainsi d’enfermer le lecteur dans l’émotion, dans une mécanique qui marche toute seule. Les « barbus », les « filles voilées » et les « gauchistes » sont des fétiches. Ces images deviennent leur propre base matérielle. Elles ne se rapportent plus qu’à elles-mêmes, elles volent de leurs propres ailes.
Les faits ne sont plus que le support du regard, du sens qui leur est attribué. Ce sont les images, ces abstractions qui créent un nouveau réel. Elles nous font abandonner le domaine de la raison, du pensable, pour établir le règne de la foi. Ainsi, le signifié devient parfaitement autonome. Il ne se confronte plus au réel, il tourne sur lui-même.
L’islamisme radical, le port du voile, le racisme anti-blanc, la police terrorisée par les bandes de jeunes arabo-musulmans, l’omniprésence des barbus semblent être devenus les principaux problèmes de notre pays. Surpuissants, grâce à leurs alliés gauchistes, les fondamentalistes musulmans contrôleraient les rouages de notre société. Ils auraient la capacité de faire taire toute critique à leur égard. Mais, le peuple belge possède deux chevaliers particulièrement courageux, Claude Demelenne et Alain Destexhe pour affronter cette emprise totalitaire.
Évidemment, le développement du discours fait immédiatement penser à la structure de la psychose paranoïaque que ce soit dans l’évaluation de la nature du danger, dans la surestimation de soi-même ou dans le caractère personnel de la mission que le sujet s’attribue. Toutefois, ce qui nous intéresse, ce n’est pas de nommer cette structure psychotique, mais de comprendre pourquoi, maintenant, ce discours, qui présente toutes les caractéristiques du délire, est mis en avant et valorisé par les médias.
Actuellement, ce qui existe est ce qui est regardé, exhibé. Montrée et ainsi reconnue, l’idéologie victimaire, dont se parent nos deux protagonistes, les intègre dans l’ordre symbolique de la société.
Un renversement de la place de la victime
La violence verbale qu’ils disent subir consiste, par exemple, à entendre que « les décrets et règlements qui empêchent les jeunes filles de porter le voile à l’école » sont « liberticides ». Cette qualification, pour un projet qu’ils promeuvent, est « d’une évidente violence verbale ». La violence ne consisterait plus dans le fait de subir une discrimination, mais dans la dénonciation de cette dernière. Toute critique leur étant adressée relève de la violence. Elle est donc inacceptable et qualifiée de terrorisme intellectuel. Bien que leur action puisse s’assimiler à une croisade, nos deux auteurs se mettent dans la position privilégiée de la victime, place particulièrement valorisée aujourd’hui. La parole de la personne reconnue comme telle est par essence authentique, elle ne peut être contestée. Leur innocence est ainsi légitimée. Cette procédure induit une restructuration du langage et modifie la capacité de représentation du réel.La transformation du sens et du langage leur est d’autant plus nécessaire que, ici, la position revendiquée de la victime émissaire, consentante qui catalyserait la violence sur elle-même afin de sauver la société, n’a pas pour effet le sacrifice de la victime exhibée. Le lieu réel du sacrifice est bien celui des personnes désignées comme agresseurs. Ce qui est aussi sacrifié, c’est la Parole qui à pour fonction de mettre un cran d’arrêt à la violence, de permettre une reconnaissance réciproque et ainsi de rétablir le lien social. Au contraire, le renversement de la place de la victime a pour effet de néantiser celle-ci en tant qu’être. Il s’agit bien là d’un mécanisme propre à ce que la psychanalyse désigne comme structure perverse
Un premier exemple s’impose : il suffit de signer « intellectuel de gauche » pour être en mesure de faire passer une pensée réduite à des états compulsifs et qui, historiquement, relève de l’imagerie véhiculée par l’extrême droite.
Le renversement de l’ordre symbolique, afin d’alimenter une machine pulsionnelle, est constant. Alors que leurs propos relèvent de l’argument d’autorité, les auteurs se présentent comme les victimes d’un « terrorisme intellectuel ». Leur opposer une argumentation ferait qu’ils seraient « diabolisés », « lépénisés » « et « quasiment criminalisés ». Bien qu’ils se révèlent être de simples instruments d’une machine, d’un système stigmatisant omniprésent dans notre société, l’invocation de leur courage est permanente. Ainsi, le conformisme exalté deviendrait un acte de résistance, une position à contre courant.
Cette antinomie apparente entre un moi présenté comme fort et le fait de se faire simple instrument de la machine est caractéristique de la structure perverse. C’est parce qu’ils se posent en tant qu’objet de cette mécanique stigmatisante que nos auteurs prennent la place de la victime. Ils se sacrifient pour réaliser le « Bien suprême » : l’éradication du mal gaucho-intégriste.
Ainsi, le sujet pervers, le « sujet supposé-savoir », peut confisquer la parole et la place de la victime. Se prévaloir de celle-ci offre des avantages décisifs dans la structure sociale actuelle. En effet, le renversement de cette place permet d’opérer un renversement de l’ordre de droit et offre la possibilité de nous placer dans la violence pure.
Jean-Claude Paye, Tülay Umay |
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