mercredi 24 mars 2010

Ils ne le savent pas mais ils le font : Le mode de production capitaliste est une fin en soi irrationnelle.

Robert Kurz, extrait de Lire Marx. Les textes les plus importants de Karl Marx pour le XXIe siècle. Choisis et commentés par Robert Kurz, La balustrade, 2002, p. 45-51, livre aujourd’hui épuisé. Traduction de Marx lesen : die wichtigsten Texte von Karl Marx für das 21 Jahrhundert/Robert Kurz, Eichborn AG, Franfurt a/Main, december 2000. Cet extrait, présentant surtout les erreurs du « marxisme traditionnel » qui a toujours fait sa critique du point de vue d’une ontologie du travail, est l’introduction que fait Kurz à un ensemble de morceaux choisis de divers textes de Marx, auxquels il renvoie 1.
Si l’on feuillette la littérature marxiste et antimarxiste des XIXe et XXe siècles, on retrouve tout au long, avec une lassante régularité, la même réduction : qu’il soit question du capitalisme de façon positive ou négative c’est presque exclusivement en catégories sociologiques de « classes » ou « couches » sociales, tandis que les formes sociales sur lequel il est fondé restent en quelques sortes neutres (ou bien l’on ne discute que de leur regroupement et de leur nouvelle configuration, par exemple dans le rapport marché État). Il s’agit de la relation de classes sociales à l’intérieur de l’enveloppe capitaliste. En prétendant que le capitalisme est une société de classes, les marxistes – qui se réclamaient toujours du seul Marx exotérique – croyaient avoir dit l’essentiel. Et les apologistes [du capitalisme] essayaient de relativiser cette constatation en répondant que le capitalisme avait largement eu raison de la société de classe grâce à l’Etat providence et à l’amélioration des conditions de travail.
Dans ce débat, on ne pose pas la question, en tout cas pas sérieusement, bien qu’on prétende à la réflexion théorique : comment sont apparues les classes sociales, comment se reproduit jour après jour leur constitution en société. La raison de ce désintérêt est simple : dans cette perspective sociologique réduite, les conditions sociales sont finalement ramenées à de pures questions de libre arbitre. Le capitalisme existe parce que ses acteurs le « veulent ». Donc le capitalisme se confond pour ainsi dire avec les capitalistes (propriétaires privés d’un capital-argent, mais aussi les managers) qui se veulent en tant que tels ou avec le collectif social de la classe capitaliste. C’est cette volonté des sujets capitalistes qui a soumis à sa loi la majorité de la société en tant que travailleurs salariés.
En conséquence, la propriété privée des moyens de production apparaît comme l’institution centrale de cette volonté capitaliste. Selon la formule consacrée, la monopolisation sociale des potentiels productifs donne aux capitalistes seuls le droit de décider de leur utilisation. L’assujettissement ou comme l’appelle Marx, « l’exploitation de l’homme par l’homme », semble ainsi s’accomplir dans un rapport de domination par le biais de la propriété privée, dans le rapport social entre les capitalistes et les salariés. Dans la mesure où il s’agit alors d’un rapport social, ce ne peut être qu’un rapport de classe. Selon cette version, la seule différence avec une société où règnent des rapports de dépendance personnelle entre seigneurs et serfs est que la dépendance a pris un caractère collectif, donc que chaque individu salarié ne dépend plus d’un maître propre (comme dans la féodalité et l’esclavage), mais de la classe capitaliste toute entière.  suite pdf
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 Dans le texte qui suit, par « Marx exotérique » et « Marx ésotérique » (il y a comme un « Marx-Janus »), Kurz entend distinguer deux interprétations différentes de l'oeuvre de Marx, l'une étant celle traditionnellement admise (exotérique), reposant principalement sur un point de vue qui se fait à partir du travail (que l’on interroge pas dans sa spécificité et qui est vu comme naturel et supra-historique) et dont l'objet d'étude est surtout la lutte des classes. Cette interprétation traditionnelle se focalise sur le mode de distribution. L'autre est bien moins connue (ésotérique), mais elle ne défend pas l’idée qu’il y aurait un « vrai Marx », dont la pensée aurait été trahie et qui devrait être restaurée. Il s’agit plutôt de dire que dans certains textes (notamment ceux qui n’étaient pas destinés à être publiés – Grundrisse - ou qui l’ont été bien plus tard après la formation des marxismes), il y a des éléments qui permettent d’ « aller avec Marx au-delà de Marx » et donc de dégager autre chose que le Marx connu : un « Marx ésotérique ». Cette interprétation se fait non plus cette fois du point de vue du travail mais plutôt de la possibilité de son abolition. Le Marx ésotérique est alors celui qui critique aussi bien le mode de distribution que le mode de production capitaliste en partant de l'analyse des catégories historiquement déterminées que sont la valeur, la marchandise, l'argent, le travail, le capital. Quand certains mots de la traduction française me semblaient peu clair, je me suis permis de proposer entre crochets une autre signification ou une précision. Palim Psao.

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