mardi 8 juin 2010

Esclaves sans papiers ?


L’Afrique a été victime de la traite atlantique, mais pas tous les Africains, exactement comme aujourd’hui, le continent est la victime des plans d’ajustement structurel, mais pas tous les Africains. Mais tant qu’on mettra tous les Africains dans un même bloc en disant qu’ils sont tous des noirs victimes de l’Europe, tant qu’on approchera la question sous cet angle, on continuera à être confronté au même phénomène de ces élites qui grappillent les ressources de leur pays. Avant, ils prenaient les esclaves et les vendaient, aujourd’hui ils n’ont même plus besoin de les vendre, les esclaves se rendent eux-mêmes dans les champs des pays d’Europe dont ils vont construire la croissance. 
La conséquence, c’est que les Africains s’interdisent d’interroger leur histoire, pour en comprendre les mécanismes de fonctionnement, ce qui leur permettrait de prendre en conséquence les mesures pour remédier aux situations contemporaines. On s’en limite à des catégorisations - les blancs sont mauvais, les Africains sont bêtes – qui n’expliquent rien.
Tant qu’on analysera le système simplement en termes de blancs/noirs, Europe/Afrique et que nous dirons que c’est l’Occident qui est responsable de tout, nous oublierons d’interroger les systèmes internes de domination, qui en fait expliquent cette capacité d’intervention de l’Occident. S’il y a des mercenaires qui sont capables d’arriver aux Comores ou ailleurs et de mettre à bas un régime, c’est aussi parce qu’il y a des élites africaines héritières de cette culture de la traite négrière qui permettent à ce système de perdurer. C’est d’avoir une approche historique qui permet l’action, pas de poser le problème en termes de mémoire contre mémoire, de recherche de responsabilité, ou de culpabilisation. Ce ne veut rien dire de prendre l’Afrique comme un bloc victime.  
De plus, quand on approche l’histoire de ces relations en termes de victime, de blancs contre noirs, d’européens contre africains, on oublie l’essentiel, à savoir la connivence qui s’est établie entre les élites africaines et européennes d’hier, qui est la même que celle qui prévaut entre et les élites africaines et européennes d’aujourd’hui. Une connivence qui se moque de la couleur de la peau, de la nationalité ou de la religion. Ils s’entendent comme larrons en foire, plument les économies africaines et la conséquence c’est que les gamins prennent des pirogues pour rejoindre l’Europe au péril de leur vie. Ces mêmes classes qui ont organisé ce pillage en Afrique et qui sont responsables de la situation de ces jeunes parce qu’ils ont ruiné les agricultures africaines en continuant la politique des cultures de rente à l’indépendance, retrouvent leur homologue européens, qui tiennent des discours sur l’intégration. Ils se connaissent très bien. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
C’est le système international qui a ses relais locaux qu’il nourrit en leur envoyant ce qu’on appelle l’aide internationale qui n’arrive jamais aux démunis mais est capturée et transformée en 4X4… C’est pourquoi il faut avoir le courage de le dire que les Africains ont une responsabilité dans la traite, de le dire frontalement, y compris quand des Européens malveillants vont venir exploiter ce discours. Je vais continuer à travailler sur ce thème même si cela peut être exploité contre moi parce que c’est la seule façon de construire la renaissance de l’Afrique. Il faut que l’Afrique se regarde elle-même et regarde l’attitude de ses élites.
Extraits de l’entretien publié dans l’Humanité du 24 juin 2008
Ibrahima Thioub Historien

Il ne s'agit pas d'esclavage...

En quoi cela se distingue-t-il de la traite ? A l'époque, des compagnies européennes apportaient en Afrique des biens tout aussi inutiles et destructeurs, comme la verroterie, l'alcool et les armes. Elles les remettaient aux élites qui organisaient la chasse aux esclaves. Déjà, le pillage permettait aux élites d'accéder aux biens de consommation importés. Aujourd'hui, le système s'est perfectionné puisque les esclaves se livrent eux-mêmes : ce sont les émigrés.
En quoi ce parallèle éclaire-t-il la question de l'indépendance des États africains ?

Si vous voulez comprendre le système de la traite négrière, observez le comportement actuel des élites africaines. Pourquoi nos systèmes de santé et d'éducation sont-ils aussi vétustes ? Parce que les élites ne s'y soignent pas et n'y éduquent pas leurs enfants, ils préfèrent les pays du Nord. Leur système de prédation ruine les campagnes et contraint les populations à s'exiler. Au point qu'aujourd'hui, si vous mettez un bateau dans n'importe quel port africain et proclamez que vous cherchez des esclaves pour l'Europe, le bateau va se remplir immédiatement.
Certes, ce système fonctionne au bénéfice des multinationales, mais il n'existerait pas sans des élites africaines. A l'époque de la traite négrière, l'alcool et les fusils achetés aux Européens leur permettaient de se maintenir au pouvoir. Désormais ce sont les 4 × 4 et les kalachnikovs.
Extraits de l’entretien publié dan le Monde du 31 mai 2010              
Ibrahima Thioub


A cette lumière crue, le soutient médiatique apporté par les bien-pensants et leurs idéologues invisibles aux esclaves sans papiers parait obscène. On se cherche  bonne conscience pour oublier qu'il s'agit en Afrique d'un camp de la mort à l'échelle d'un continent. L'idéologie du travail unie  ici chefs d'entreprises et pseudo-libertaires gauchistes dans un bel élan de sincérité aveugle.

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