Le jour où la Terre s'est arrêtée
La
pandémie qui a arrêté la planète à partir du mois de mars ne vient pas
d’ailleurs. Le changement climatique, le bouleversement des équilibres
naturels, la réduction des écosystèmes, la perte de la biodiversité
opérés par le développement autonome de l’économie marchande sont à
l’origine de la multiplication d’épidémies où prolifèrent les maladies
transmises par l’animal à l’homme : plus de 70 % des maladies humaines
de ces quarante dernières années sont des zoonoses, qui vont
s’accélérant ; Ebola, SRAS, grippe aviaire - pour n’en citer que
quelques-unes - ayant ainsi précédé le Covid-19.
Aussi
il ne s’agit pas tant de savoir si ce virus s’est échappé du
laboratoire franco-chinois P4 de Wuhan ou de l’étrange marché aux fruits
de mer de cette ville, c’est à dire à quel point la bureaucratie
chinoise a menti ou dissimulé, mais plutôt de saisir en quoi le moment
de la pandémie est une répétition générale de la catastrophe écologique
annoncée.
Oui,
nous sommes en guerre, mais c’est une guerre sociale contre un système
qui mène à la destruction des bases mêmes de la vie humaine. L’écologie
est une question trop importante pour être laissée à ces écologistes
qui sont prêts à s’allier avec n’importe qui - quitte à faire du
capitalisme vert -, incapables qu’ils sont de comprendre que
l’interaction de l’homme avec son milieu ne pourra s’accomplir en pleine
harmonie tant que la société spectaculaire marchande n’aura pas été
détruite dans sa totalité. La lutte contre la pollution, dont on se
gargarise tant chez les experts ou dans les ministères, pour ne rien y
changer ou si peu, ne pourra devenir une volonté réelle que par un
bouleversement radical du système productif.
Tout
au long de cette pandémie, et quasiment partout, l’incompétence (« Les
risques de propagation du virus dans la population sont très faibles»,
affirme le 24 janvier la ministre de la santé Agnès Buzyn ; il est vrai
que les décodeurs du Monde, journal de tous les pouvoirs,
décodent toujours à plein tube le 2 mars, assénant leur pauvre lecteur
que le Covid-19 est peu contagieux et que sa létalité est faible ) l’a
disputé à l’infamie, quand ce ne fut pas les deux à la fois. Si l’on
considère les masques, ils étaient réutilisables depuis le 19ème siècle,
et le système sanitaire ne connut pratiquement pas de pénurie lors des
diverses épidémies du passé, jusqu’à ce qu’en 1960 la consommation
marchande impose le masque jetable. Cette première erreur entraînait
déjà de sérieuses difficultés de stockage, les masques devenant l’objet
d’une consommation astronomique en cas de besoin.
Mais
surtout l’État fut surpris car il n’avait rien prévu. Or « gouverner,
c'est prévoir ; et ne rien prévoir, c'est courir à sa perte » (Emile de
Girardin) ; c’est ce que les dirigeants français ont délibérément
ignoré, et il n’y avait quasiment aucun stock de masques lorsque la
pandémie éclata (pas même pour les soignants, ces nouveaux liquidateurs
de Tchernobyl dont 50.000 furent contaminés (L’Express,11/6/20)
). Le pouvoir répéta alors sur tous les tons, et pendant les deux ou
trois mois que dura cette pénurie, que les masques étaient inutiles,
voire même dangereux. Le 19 mars la porte-parole du gouvernement, Sibeth
Ndiaye, déclarait encore : « Les Français ne pourront pas acheter de
masque dans les pharmacies parce que ce n’est pas nécessaire quand on
n’est pas malade », et le même jour Agnès Pannier-Runacher, secrétaire
d'État à l'économie, affirmait : « Il faut sortir de ce fantasme autour
des masques. Respecter une distance de plus d’un mètre, c’est beaucoup
plus efficace qu’un masque. Et surtout on a des cas de contaminations de
gens qui portent des masques et le tripotent toute la journée.»
Ainsi
le mensonge d’État visait à cacher la pénurie de masques. Car si
l’ensemble de la population s’est retrouvée confinée, c’est bien par la
faute de l’État qui n’avait pratiquement pas prévu de masques, et pas
plus de tests. «
Plus grave, la pénurie conduira à ce que plus de Français soient
contaminés, donc au fait, statistique, qu’il y aura plus de morts.»
est-il affirmé dès le 24 mars 2020 dans une tribune du Monde.
Plus
généralement les idéologies ont été mises à nu par la pandémie, et
beaucoup de dirigeants ont dévoilé leurs batteries en exprimant sans
fard l’essence même du système : le quantitatif écrase le qualitatif, la
pulsion de mort de l’économie doit s’imposer sur les forces de vie.
Dan
Patrick, vice gouverneur du Texas, affirma ainsi que « les personnes
âgées sont prêtes à se sacrifier pour sauver l’économie de leur pays ».
Et comme on lui reprochait ces propos, il ajouta : « Il y a des choses
plus importantes que la vie » (NBC News, 21/4/20). Plus que jamais l’économie politique est le reniement achevé de l’homme (Marx).
Au
Brésil, le président Bolsonaro, le pays étant au troisième rang mondial
de l’hécatombe, persiste et signe : « On regrette tous les morts, mais
la mort est le destin de tout le monde » (Folha de São Paulo, 2/6/20)
A
Madrid, où la moitié des morts du Covid sont survenus dans les maisons
de retraite, les responsables du Parti Populaire, issu du franquisme, ne
furent pas en reste. La présidente de la région de Madrid Isabel Díaz
Ayuso fit envoyer des directives pour ne pas transférer les vieux
atteints du Covid des maisons de retraite dans les hôpitaux (il en fut
de même pour ceux qui étaient à domicile ; seuls les plus riches qui
avaient une assurance médicale privée purent recevoir des soins
hospitaliers). Ces protocoles abominables ont envoyé au cimetière des
milliers de personnes :
«
Cinta Pascual, présidente de l’Association des entreprises de soins aux
personnes, déclare : "J'ai vu un médecin entrer dans une résidence et
dire (elle désigne du doigt) : morphique, morphique, morphique." Par ce
qualificatif il faisait évidemment référence à ceux qui n'étaient pas
susceptibles d'être hospitalisés. Autrement dit, il désignait qui avait
la possibilité de vivre et qui ne l'avait pas. Ce dût être une scène
dantesque. Inoubliable, comme le choix de Sophie. Digne d’un camp
d'extermination. » Cette référence à la morphine est trompeuse : « Les
opioïdes ont des effets analgésiques et sont utilisés chez les patients
atteints de dyspnée due à une FEVG insuffisante, un problème totalement
distinct du coronavirus ; [alors que la morphine] est contre-indiquée
dans la dépression et les maladies obstructives des voies respiratoires.
Faut-il comprendre que c’est la sédation terminale qui était ordonnée ?
» (Antonio Seoane, Holocausto en Madrid, Nueva Tribuna,10/6/20).
Dans le reste de l’Espagne beaucoup de résidents atteints du Covid
furent abandonnés, enfermés dans leur chambre par un personnel affolé,
sans protections, qui n’était pas formé, et en l’absence de plans
d’urgence. L’armée trouva des cadavres en arrivant dans plusieurs
maisons de retraite.
En
France, s’il y eut sensiblement moins de morts dans les Ehpad, la
situation n’en fut pas moins limite. Le décret du 28 mars 2020
permettant aux médecins de prescrire du Rivotril à certains patients
atteints de Covid-19 souleva de vives critiques, sous-entendant que face
à de trop nombreux patients atteints par le Covid-19 et l'impossibilité
pour les hôpitaux de prendre en charge un trop grand nombre
d'hospitalisations, l'usage du Rivotril permettrait d'accompagner la fin
de vie de certains patients en Ehpad au lieu de les hospitaliser
(France Info Nouvelle Aquitaine,12/6/20). Un syndicat de jeunes médecins
affirma, toujours à propos de ce décret sur le Rivotril :
«L'administration de cette molécule (contre-indiquée en cas
d’insuffisance respiratoire) à un patient souffrant du Covid-19 aura
pour effet d’atteindre une sédation terminale (…) entraînant le décès ».
Aux
États-Unis Jerome Adams, administrateur de la santé publique, n’a pas
hésité à parler, devant l’aggravation de la crise sanitaire, « de notre
moment Pearl Harbor, de notre moment 11-Septembre (…) et cela aura lieu
dans tout le pays. (…) ces prochains jours seront, je le crains, parmi
les pires et les plus tristes dans la vie de beaucoup d’Américains »
(5/4/20). C’est dans ce contexte que l’ubuesque Trump, pressé de faire
repartir l’économie au plus vite, tente désespérément d’escamoter la
progression de l’épidémie en sabordant l’unique moyen de la contrôler :
« Nous avons plus de cas car nous testons plus. Si nous ne testions
pas, nous n’aurions pas de cas (...) J’ai donc dit à mes équipes :
faites moins de tests, s’il vous plaît. »
On pourrait continuer ad nauseam,
mais au-delà de leurs nuances idéologiques, les pouvoirs établis se
rejoignent dans le fait qu’ils sont responsables du désastre, tout en
essayant de le dissimuler ; partisans de ce système qui mène de plus en
plus vite à la destruction de la planète ils sont aussi ceux qui n’ont, à
une ou deux exceptions près, aucunement prévu la pandémie et ignoré les
alertes des scientifiques les plus fiables.
«
Tout déplacement est interdit », « Arrêtez les embrassades », « Nous
sommes en guerre » : quelque part entre Orwell et Philip K.Dick, dans
une ambiance furieusement dystopique (« chacun doit considérer les
décisions concernant l’endroit où il va, ce qu’il fait et les personnes
qu’il rencontre comme des décisions de vie ou de mort - parce qu’elles
le sont », affirme le chef de l’OMS le 23/7/20) et pourtant bien réelle,
nous avons également assisté au crépuscule des experts. Que ce soit à
propos de la contagiosité des enfants, des masques, de Raoult et la
chloroquine, d’une infinité de publications et d’incontrôlables
statistiques dans des revues scientifiques « prestigieuses » se
contredisant sans cesse, du tabac, des tests, de la prise de
température, bref de pratiquement chaque aspect de cette pandémie, ils
ont pour la plupart dit tout, le contraire de tout, et n’importe quoi.
Au point que quasiment plus personne ne les croit. Un tel contexte
favorise évidemment grandement la montée des négationnismes, et la
confusion de l’ensemble permet de mesurer ce que le spectacle a détruit
dans les têtes de nos contemporains.
«
Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que
vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un
peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est
privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de
penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous
voulez. »
Une
bête immonde peut en cacher une autre. Agitant toute la quincaillerie
fascisante d’un capital hystérisé qui surfe sur la dissolution de la
logique, les négationnistes protestent pêle-mêle contre le port du
masque et les distances de sécurité ; proclament que le virus n’existe
pas ; que Bill Gates a planifié l’épidémie afin de dépeupler la terre
puis réduire les survivants en esclavage à l'aide de puces implantées
par vaccination ; que 94 % des morts du Covid sont de faux morts du
Covid, et ainsi de suite ; tandis qu’à Berlin trois cent nazis issus de
leurs rangs et brandissant le drapeau du Reich prennent d’assaut le
Reichstag. Bref les négationnistes voudraient tirer les marrons du feu
du chaos généralisé qu’ils tentent d’instaurer. Cette amplification du
spectacle négationniste est en bonne partie la réponse, en même temps
qu’elle est encouragée par eux, aux va-et-vient quasi quotidiens de la
sphère scientifique officielle, avec son OMS discréditée et ses experts
disqualifiés. Mais
au-delà des désaccords, de surface ou plus profonds, entre cette sphère
autorisée et des opposants encore plus irrationnels, sur la gestion du
système ou la méthode à appliquer, nul doute que le cas échéant toutes
ces contradictions seraient surmontées in fine au profit des propriétaires de ce monde.
Ce
virus, qui tue surtout des vieux improductifs et des pauvres, aurait de
quoi satisfaire la domination, s’il ne menaçait grandement ses profits.
Il n’est que le symptôme d’une maladie plus générale.
Derrière
le spectacle du virus se cache maladroitement le virus du spectacle. On
nous présente la pandémie comme une fatalité ; ou on l’appelle de
manière réductrice « virus chinois » ; ou bien encore on agite selon les
besoins tel ou tel bouc émissaire : quand ce n’est pas un Bill Gates ou
un Ceorge Soros, ce sont carrément les vieux, rendus responsables du
Grand Confinement ( « l’idée répugnante que l’on pouvait sacrifier les
personnes âgées a commencé à se répandre », déplore l’ONU le
8/5/20).Tout cela pour occulter que le véritable responsable de ce virus
est le système qui l’a produit.
Durant
toute une saison en enfer, le Grand Confinement a vu s’esquisser, sur
une bonne partie de la planète et sur le mode de la simulation, la fin
du travail, de l’école, de la pollution, bref le début de la fin de
l’économie capitaliste. Le grand blocage conscient et volontaire ce sera
bien sûr pour une autre fois.
«
L’économie en [est] venue à faire ouvertement la guerre aux humains ;
non plus seulement aux possibilités de leur vie, mais à celles de leur
survie. » (Guy Debord). Réchauffement planétaire et bombe climatique,
effondrement de la biodiversité, augmentation irréversible de la
radioactivité, pollution de l’air, des sols et des eaux, acidification
de l'océan, et aussi sécheresses, famines, guerres, épidémies : la
planète est aux abois. L’autodestruction de ce monde est enclenchée. Le
point de non retour est imminent.
«
Jamais la conscience historique n’a eu tant besoin de dominer de toute
urgence son monde, car l’ennemi qui est à sa porte n’est plus
l’illusion, mais sa mort. » (Guy Debord)
(6 septembre 2020)
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