mardi 13 décembre 2011

Il y a le feu chez les pompiers !

 
La dégringolade actuelle des bourses est la plus forte enregistrée depuis la faillite de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008. D’après le journal Welt-online, à travers la planète, l’équivalent de cinq mille milliard de dollars en actifs se seraient dissipés dans les dernières semaines. Maintenant que l’agence de cotation Standard & Poor’s a abaissé la note de solvabilité concernant les emprunts d’Etat des États-Unis, les places financières vont certainement chuter encore.
 
Depuis les années quatre-vingts, l’industrie de la finance est devenue l’industrie de base du système capitaliste mondial et a subi régulièrement des échecs. Mais les événements actuels ont acquis une nouvelle dimension. Lors de toutes les crises précédentes qui touchaient les centres capitalistes, c’étaient toujours les États, prompts à s’endetter, qui jouaient le rôle de pompier. Aujourd’hui les pompiers d’hier sont le foyer de l’incendie.
 
Ce déplacement du point de départ de la crise n’est pas le fait du hasard, c’est la conséquence logique de la manière dont on a tenté de résoudre les crises précédentes. Que ce soit lors du krach de la nouvelle économie ou à la suite de la grande crise des marchés financiers de 2008, les marchés ont commencé à chuter parce que les investisseurs, déçus par la non réalisation des promesses de rentabilité, se sont détournés massivement des entreprises privées « prometteuses », ont arrêté d’acheter des actions des « entreprises d’avenir » ainsi que de fournir des nouveaux crédits hypothécaires douteux. Le soin d’enrayer la spirale descendante de l’économie mondiale était laissé aux États. Au moyen d’une politique de l’argent pas cher (taux d’intérêts bas), les banques centrales fournissaient la matière première pour la création d’une nouvelle bulle spéculative encore plus importante. Grâce à une politique de dépense intensive, la puissance publique a freiné la chute de ce qu’on appelle l’économie réelle : l’augmentation toujours plus rapide de la dette devait servir de tampon jusqu’à ce que la dynamique de création de capital fictif se trouve une nouvelle sphère prometteuse et privée qui relance la machine. Après le krach de la nouvelle économie en 2000, cette approche a encore donné satisfaction. Pendant deux ou trois ans, la conjoncture mondiale restait faible mais par la suite les bulles successives, comme celle de l’immobilier étatsunien, permettaient de nouveau une croissance de l’économie mondiale. Mais après la crise des marchés financiers de 2008, aucune nouvelle sphère privée prometteuse ne s’est établie. Au moyen d’une politique de taux d’intérêts extrêmement bas, et la nationalisation des pertes de la spéculation, on a réussi à éviter l’effondrement des marchés financiers. Les programmes de soutien à l’économie ont permis de stabiliser l’économie réelle, mais la production de l’industrie financière privée est restée en dessous du niveau qui aurait permis une limitation de l’endettement public. 15 mille milliards de dollars est la somme que l’ensemble des États ont bien voulu débourser pour dépasser la crise de 2008, ce qui fait grimper dramatiquement l’endettement total de tous les États de la planète jusqu’à 39 mille milliards de dollars.
 
Et il n’y a pas d’embellie à l’horizon. L’endettement des États est devenu la bulle la plus importante de l’industrie financière et c’est précisément cette bulle-là qui est en train d’éclater. La politique économique se trouve devant un dilemme énorme. D’un côté l’expansion de l’endettement étatique doit se poursuivre afin d’éviter une déflation. En même temps, les États doivent en permanence annoncer le retour vers des budgets équilibrés afin de maintenir leur propre crédibilité pour contracter de nouveaux crédits. Ce casse-tête représente l’arrière-plan de la panique réelle qui envahit actuellement les marchés financiers. On ne peut pas définir précisément, ni pour l’Europe ni pour les États-Unis, ce qui fait le plus accélérer la dégringolade des bourses : est-ce qu’il s’agit de la peur que les plans d’austérités annoncés entraînent une déflation, ou alors de l’inquiétude concernant la solvabilité des débiteurs étatiques ?
 
Dans cette situation bloquée, il ne reste plus qu’une sortie. En soi la politique économique n’a plus de marge de manœuvre, mais il reste encore une option monétaire. Vu que les taux directeurs sont déjà extrêmement bas, les banques centrales ne peuvent plus baisser  les taux d’intérêts, mais par contre ils rachètent les emprunts des États en difficulté. Cela ouvre aux États de nouvelles perspectives pour s’endetter et empêche dans l’immédiat que les emprunts d’Etats qui circulent dans l’industrie financière soient dévalorisés. Le capitaliste idéel général (l’Etat) fait ici quelque chose que personne d’autre ne peut faire, il s’endette auprès de lui-même.
 
Cela était considéré il y a quelques années comme le plus grand péché contre la stabilité monétaire et cela non sans raison : une banque centrale qui stocke, pour garantir la stabilité monétaire, à la place de titres rentables des créances pourries déplace la crise sur un nouveau terrain. La dévalorisation de l’endettement public est ajournée et la conséquence est une dévalorisation rampante de l’argent. La prochaine étape logique du processus de crise est le passage de la crise des budgets étatiques vers la crise du médium argent. Le capitalisme dépasse ses crises en préparant les suivantes,  toujours plus importantes. Karl Marx disait déjà cela, mais jamais la transmutation du moyen d’éteindre la dernière crise en combustible pour la prochaine crise ne s’est faite aussi rapidement.
   
Ernst Lohoff, 10.8.2011
 
Traduction : Paul Braun (texte d'origine) 

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