samedi 27 août 2011

CONVERSATION

 (extraits)

 

Nous assistons à l'effondrement du capitalisme financier. C'était aisément prévisible. Même parmi les économistes, où se rencontrent plus de crétins encore que dans la sphère politique, certains tiraient la sonnette d'alarme depuis une dizaine d'années. Nous sommes dans une situation paradoxale : jamais, en Europe, le pouvoir répressif n'a été aussi affaibli, et jamais la passivité des masses exploitées n'a été aussi grande.
Mais la conscience insurrectionnelle ne dort jamais que d'un œil. L'arrogance, l'incompétence et l'impuissance des gouvernants finiront bien par l'éveiller, tout autant que le cheminement, dans les consciences et dans les mœurs, de ce qu'il y eut de plus radical en mai 1968.
Nous sommes en guerre, oui, mais ce n'est pas une guerre économique, c'est une guerre mondiale contre l'économie. A la fois contre celle qui, depuis des millénaires, est fondée sur l'exploitation de la nature et de l'homme et contre un capitalisme rafistolé qui va tenter de se sauver en investissant dans les énergies naturelles et en nous faisant payer très cher ce qui une fois les nouveaux moyens de production créés est gratuit, comme le vent, le soleil, la puissance végétale et tellurique. Si nous ne sortons pas de la réalité économique en créant une réalité humaine, nous permettrons, une fois de plus, à la barbarie marchande de se perpétuer.
La moralisation du profit est un leurre et une imposture. Il faut rompre résolument avec un système économique qui a toujours propagé la ruine et la destruction sous couvert d'apporter à l'homme un bien être aléatoire dans le malheur constant. Il faut que les relations humaines supplantent les relations commerciales et les annulent. La désobéissance civile consiste à passer outre aux décisions d'un État escroquant les citoyens pour renflouer les escroqueries du capitalisme financier. Pourquoi payer à l'État-bankster des impôts destinés vainement à combler le gouffre des malversations alors que nous pouvons les affecter dans chaque collectivité locale à l'autofinancement des énergies gratuites?
La démocratie directe des assemblées autogérées est en droit d'ignorer les diktats de la démocratie parlementaire corrompue. La désobéissance civile envers un État qui nous spolie est un droit. À nous de tirer parti de la mutation en cours pour constituer des collectivités où le désir de vivre l'emporte sur la tyrannie de l'argent et du pouvoir. Nous n'avons à nous soucier ni d'une dette étatique qui couvre une gigantesque escroquerie du bien public, ni de ce mécanisme de profit que l'on appelle la «croissance».
Désormais, l'objectif des collectivités locales doit être de produire pour elles mêmes et par elles mêmes les biens d'utilité sociale, répondant aux besoins de tous, à des besoins authentiques, non aux besoins préfabriqués par la propagande consumériste.
La crise des années 30 était une crise économique. Celle à laquelle nous sommes confrontés est une implosion de l'économie, en tant que système de gestion. C'est l'effondrement de la civilisation marchande et l'émergence d'une civilisation humaine. Nous sommes dans le trouble d'une mutation où les repères du vieux monde patriarcal disparaissent, alors qu'apparaissent à peine et dans une grande confusion les jalons d'un style de vie véritablement humain et une alliance avec la nature, mettant fin à son exploitation, à son pillage, à son viol.
Le pire serait l'absence de conscience du vivant, le manque d'intelligence sensible, la violence sans conscience, car rien n'est plus profitable aux mafias affairistes que le chaos, le désespoir, la révolte suicidaire et ce nihilisme que propage la cupidité mercantile où l'argent, jusque dans sa dévaluation précipitée, s'impose comme la seule valeur.
J'ignore combien de temps prendra la mutation en cours (le moins longtemps possible, j'espère, car j'aimerais y assister). Je ne doute pas, en revanche, que la nouvelle alliance avec les forces de la vie et de la nature propage l'égalité et la gratuité. Il faut aller au delà de l'indignation que provoque l'appropriation marchande de l'eau, de l'air, de la terre, de l'environnement, des végétaux, des animaux, et mettre en œuvre des collectifs capables de gérer les ressources naturelles au profit des intérêts humains et non marchands. Ce mouvement de réappropriation prévisible a un nom. C'est l'autogestion, une expérience maintes fois esquissée dans uni contexte historique hostile, et qui apparaît désormais, en raison de l'implosion de la société marchande, comme la seule solution individuelle et sociale.
Aucun dialogue n'est possible ni souhaitable avec le pouvoir. Celui-ci a toujours agi unilatéralement, en organisant le chaos, en propageant la peur, en emprisonnant les individus et les collectivités dans un repli égoïste et aveugle. Nous allons, par la force des choses, réinventer des réseaux solidaires, des assemblées d'intervention en faveur de tous et de chacun, passant outre aux diktats de l'État et de ses hiérarchies politico-mafieuses. La voix de la poésie vécue va balayer les derniers échos du discours où les mots sont à la solde du profit.
Le temps de l'écoulement, de l'usure, de la fatigue, du dépérissement est un temps déterminé par l'activité laborieuse qui, régnant sur toutes les autres, les corrompt. Le temps du désir, de l'amour, de la création a une densité qui rompt avec le temps de la survie, rythmée par le travail. Au temps identifié à l'argent va succéder un temps du désir, un au delà du miroir, où commencent des territoires inexplorés.
Je ne suis ni pessimiste, ni optimiste. Je tente de rester fidèle à un principe: désirer tout, ne rien attendre.
«Le désir d'une vie autre est déjà cette vie là.»

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