mercredi 15 juin 2011

De la légitimité de frauder les minima sociaux et de quelques conseils à cette fin

 Quand la fraude aux minima sociaux devient légitime

Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque.
À te regarder, ils s’habitueront
René Char
 
Tandis que nos sommités s’acharnent à vouloir réduire l’impôt sur la grande fortune tout en s’en prenant à l’assistanat et aux bénéficiaires « cancéreux » du RSA, il serait intéressant de nous interroger sur la légitimité pour les plus nécessiteux de recourir à la fraude pour satisfaire leurs besoins élémentaires.
Mauvais arguments
D’abord, éliminons l’idée qu’il puisse y avoir une légitimité à justifier la fraude par le bas au seul prétexte que d’autres ne se gênent pas. A commencer par les margoulins des sommets qui se goinfrent sans vergogne à grands coups de paquets fiscaux et fourberies légales. L’attitude classique du “œil pour œil, fraude pour fraude” ne conduit qu’au désordre, au n’importe quoi et pour finir au triomphe de la loi du plus fort. Bottons ensuite les fesses aux habituels contre-arguments sentencieux :
• « frauder les minima sociaux est injuste pour ceux qui suent sang et eau à travailler pour un misérable SMIC » : manœuvre classique des plus aisés pour diviser les plus nécessiteux ;
• « la fraude, le travail au noir, les escroqueries en tout genre lèsent et appauvrissent la collectivité » : faux puisque le produit financier de ces prétendues “arnaques” est immédiatement réinjecté dans l’économie réelle ;
• « la loi s’impose à tous » : faut-il encore, comme on va le voir, que la loi soit légitime !
Les droits de l’homme légitiment la désobéissance civile
En réalité, il n’est pas à chercher très loin pour trouver une légitimation à l’acte de désobéissance civile qu’est la fraude aux minima sociaux.
Un seul article de la Déclaration universelle des droits l’homme de 1948, celle-là même qui fonde notre République, y suffit :
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » (article 25)
Dans un pays regorgeant de richesses et des moyens matériels ou humains pour les produire, ceux qui privent une frange de plus en plus importante de la population des moyens financiers suffisants pour satisfaire ses besoins vitaux élémentaires se délégitiment eux-mêmes et délégitiment les lois qu’ils prétendent faire appliquer.
D’insupportables leçons de morale
À l’inverse, ceux que l’organisation sociale et économique d’un pays riche maintient sans raison valable en-dessous du seuil de pauvreté (880 euros en France) sont parfaitement légitimés à recourir à tous les moyens nécessaires pour satisfaire leurs besoins vitaux.
La fraude, le système D, la menue rapine, le travail au noir, la saisie autoritaire des biens de première nécessité qui font défaut peuvent légitimement être considérés comme des armes de légitime défense. Comme le pain de Jean Valjean dans les Misérables de Victor Hugo.
Les malversations des classes dominantes, même légalisées par ces dernières, sont, elles, assimilables à de vulgaires actes de crapulerie sans autre motif que la soif de domination. Que dire alors des insupportables leçons de morale que certains de leurs éminents représentants infligent aux autres ?
« Quand quelque chose nous apparaît non légitime, même si c’est légal, il nous appartient de protester, de nous indigner et de désobéir » (Stéphane Hessel)
Précisions : L’article 25 de la DDHC n’est pas retenu dans le bloc constitutionnel de 1958 qui se limite aux 17 premiers articles. On retrouve néanmoins son équivalent dans l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946, qui lui fait parti de ce bloc, je cite :
11. Elle (la Nation) garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. (source Legifrance.)

Quelques conseils...

Avec le battage travailliste forcené qui vient de reprendre à droite, cela fait du bien que d’autres points de vue s’expriment.
On pourra consulter les éléments du débat public tel qu’il est présenté dans le journal officiel de tous les pouvoirs, et aussi la prose d’Actuchômage à ce sujet, ici ou
Oui, de ces minima, il est légitime de contourner l’insuffisance et l’arbitraire par la fraude. Et ni monsieur Hessel, ni l’indignation n’ont à voir avec cela. C’est affaire de nécessité et de choix, d’acte et pas de posture morale.
Il faut souligner un paradoxe, tout comme la loi crée… des illégalismes, ces minima imposent, par leur fonctionnement même, des modalités de fraude. Exemples.
Faire mine d’être "isolé"
Le fait que le RMI/RSA ne soit pas un revenu individuel conduit à essayer de dissimuler, lorsque c’est possible, toute vie maritale ou non isolée. En effet se déclarer en couple revient, si le, la conjoint/e dispose d’un revenu (salaire, alloc chômage, AAH, etc.) supérieur ou égal à 630 euros, à être privé de RSA. Lorsque le conjoint gagne moins, cette somme sera néanmoins déduite du droit versé : celui-ci est dégressif en fonction de la taille et des revenus du ménage. Pour obtenir les 410€ d’un RSA individuel et pas la moitié d’un RSA couple (630 divisé par deux), on doit donc essayer de rentrer dans les clous de l’"isolement", quitte à se doter d’une existence administrative relativement distincte de la vie réelle (être scindé, un peu de schizophrénie créatrice en somme). Ce que la CAF sait pertinemment, elle qui suppose lors de des contrôles et visites domiciliaires que les allocataires "isolés" ne le sont pas (ce quelle a à charge de 5prouver et ne peut se contenter d’affirmer).
Se dire non étudiant
Ces revenus sont souvent officiellement destinés à favoriser l’insertion (on veut notre bien, c’est sûr…), mais ils sont interdits à bon nombre de ceux qui justement... s’insèrent. Ainsi le RSA est-il interdit aux étudiants… sauf de très rares cas ou une reprise d’étude s’effectue, avec l’aval du Conseil général, dans le cadre de l’insertion. Si passé 25 ans on a pas de bourse, de parents qui soutiennent, un taff ou plusieurs qui permettent de subvenir à ses besoins, il est alors logique de chercher à dissimuler la poursuite ou la reprise d’études. Pour s’inscrire au RSA (qui se cumule partiellement avec des emplois déclarés mal payés), il faut juste éviter d’être à la sécu étudiant (avoir la Sécu salarié, chômeur, ou la CMU) et/ou d’être déclaré à charge des parents sur leur déclaration fiscale annuelle. Ou en tout cas expliquer que c’était le cas avant mais que tout ça est terminé…
Jeunes : faire couple pour un demi RSA
Pour les moins de 25 ans qui n’ont pas droit au RSA (cette interdiction d’accès est une contribution socialiste aux inégalités qui date de la création du RMI, en 1988), sauf si ils ont au moins un enfant, il est une voie d’accès : se déclarer en concubinage ou se pacser avec un allocataire du RSA permet d’accéder à une fraction d’un RSA désormais calculé pour un couple. On voit donc des formes d’entraide où un allocataire accepte de se déclarer en couple pour qu’une autre personne interdite de RSA en raison de son âge puisse toucher les 220€ qui s’ajoutent au 410€ du RSA de l’isolé… Attention : cela suppose un peu de soin (ne pas avoir des existences administratives visiblement contradictoires) et une relation de confiance histoire d’être en mesure de suivre correctement son dossier (avoir les infos sur les courriers reçus en temps en en heure, etc.), jouer le jeu - ce qui ne veut pas dire se soumettre - avec le maximum de cartes en mains.
On pourrait citer bien d’autres exemples de fraude (ainsi ne pas aller aux convoc de Pôle emploi, voire ne pas leur répondre au téléphone, est-il censé être illégitime et punissable de radiation mais en fait….). Il faudrait d’ailleurs le faire pour partager le plus largement possible les manières de ne pas perdre sa vie à la gagner et d’éviter un dénuement trop brutal. Vous pouvez d’ailleurs nous envoyer recettes et conseils à permanenceprecarite@cip-idf.org, nous publierons ce qui peut l’être sans causer de dommages aux allocataires et ayant droits, assorti de l’anonymat de rigueur.

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