jeudi 14 avril 2011

L’industrie financière


Le philosophe André Gorz revient, dans l’un des derniers textes parus avant sa mort, sur la dynamique du capitalisme financier et sur les raisons qui permettent de voir dans le revenu social garanti une occasion de sortir du capitalisme. 25 septembre 2007.
Dans ce paragraphe, très technique, l’auteur explique comment l’on peut faire ce que l’on pourrait appeler de la fausse monnaie, du moins : du capital fictif, qui pourtant est un point d’appui à la spéculation.
Depuis une quinzaine d’années, l’industrie financière est devenue une composante majeure du capitalisme mondial, indispensable à son fonctionnement. Les idéologues de gauche qui prétendent y voir une activité parasitaire, phagocytant l’économie réelle, ignorent la réalité des faits. Les transactions financières rapportent depuis le début des années 1980, plus d’argent, globalement, que les capitaux investis dans la production de marchandises, matérielles ou non ; l’achat et la vente de capital fictif sur les marchés boursiers rapportent plus que la valorisation productive du capital réel. Plus de la moitié des gains réalisés par les grandes firmes américaines proviennent d’opérations financières. Les 500 firmes de l’indice Standard and Poor’s disposent de 643 milliards de dollars d’argent liquide qui ne trouvent d’emploi rentable que dans l’industrie financière. Cette prospérité apparente des grandes firmes ne dément nullement la contraction de la masse globale des profits que rapporte le capital productif. Elle signifie seulement qu’une minorité de firmes, grâce à leur position dominante, phagocyte la valeur produite par l’ensemble des entreprises, notamment par l’exploitation des sous-traitants, par des ententes mutuelles et par des rentes de monopole.
Le cabinet McKinsey a estimé à 80 000 milliards de dollars le montant des capitaux excédentaires à la recherche de placements rémunérateurs. Seule l’industrie financière, par des artifices de plus en plus ingénieux et risqués, leur permet d’en trouver. Les gains qu’elle procure sont sans doute de l’argent fictif et virtuel, mais le système bancaire permet de les recycler et de les faire rétroagir sur l’économie réelle. L’argent fictif peut servir de caution et de base pour obtenir des prêts financés en dernier ressort grâce à l’émission de monnaie réelle par la banque centrale.
Le gonflement de bulles spéculatives se transforme ainsi en machine à création monétaire.
Aussi des néo-keynésiens suggèrent-ils que la solution des problèmes de financement pourrait consister en l’imposition des revenus réels que l’industrie financière parvient à tirer de l’accroissement fictif de capitaux fictifs. Pourquoi, demandent-ils, cette hausse fictive permet-elle d’émettre de la monnaie réelle à l’intention des seuls détenteurs de capital fictif ? Pourquoi ne pas recourir à la création monétaire ex nihilo à laquelle l’industrie financière recourt, en fait, de façon déguisée, pour créer du pouvoir d’achat à des fins sociales et pour financer des infrastructures, de la recherche, de la production de « capital humain » ?
« La distinction entre l’économie réelle et le gonflement de bulles spéculatives [n’est-elle pas] obsolète quand le recyclage des plus valus fictives engendre la production de biens réels sans base réelle dans des revenus salariaux ou des gains réguliers » ? Sans doute. Il y a seulement lieu de se demander combien de temps du pouvoir d’achat issu de la bulle spéculative et « sans base réelle dans l’économie réelle [pourra] donner naissance à des productions de marchandises et à l’emploi sous une forme capitaliste de moyens de production, de forces de travail, de matières premières, etc. que le capitalisme est incapable d’utiliser selon ses critères propres », c’est-à-dire de manière rentable, de manière à reproduire et accroître du capital. (Je résume ici des analyses de Robert Kurz [6])

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