lundi 7 février 2011

« Les mensonges de l'État »

Un livre de Jean-Marie Vincent. Lire l'introduction cette édition est "recomposée"

 

Avant-propos 

 Il faut refaire périodiquement ses comptes avec l'État, le remettre en question dans sa multiplicité et sa plasticité pour ne pas se laisser prendre à ses apparences de divinité tutélaire que le temps semble devoir laisser inchangé dans son être. L'État, si nous voulons savoir ce que nous devenons nous-mêmes, ne peut rester cette individualité supérieure, cette entité supra-sociale qui se veut omniprésente et omnisciente au-dessus de la mêlée des hommes. En bref, il faut en finir avec l'anthropomorphisme qui fait de l'État une sorte d'homme-dieu qui régit les affaires de la cité selon son bon plaisir ou, ce qui revient à peu près au même, selon une sagesse qui échappe au commun des mortels. L'État ne doit pas être accepté comme cette synthèse qui échappe à la volonté des participants du jeu politique, comme cette rationalité de l'intérêt général qui surdétermine tous les agissements des groupes et les calculs des individus.
Il faut le saisir au contraire comme un ensemble de rapports qui changent tant avec les mouvements de l'accumulation du capital, qu'avec les allées et venues de la lutte des classes dont il est partie prenante. L'État ne vit pas dans l'harmonie et l'équilibre, mais dans des états de déséquilibre prononcés, qui se succèdent les uns aux autres sans repos et sans fin : il reflète autant qu'il sanctionne des rapports sociaux mouvants. Et c'est précisément cette mobilité que rien n'explicite immédiatement et qui n'obéit pas à une téléologie perceptible aux acteurs, qui en première approximation rend difficile le déchiffrement des transformations étatiques. C'est à bon compte que l'État s'enveloppe dans un discours de la continuité ou de la sérénité, de l'effacement des contradictions, pour dire l'immuabilité des relations sociales fondamentales. Les changements ne sont pris, dans une telle perspective, que pour des variations de portée secondaire, entraînant des déplacements plus ou moins visibles sur le marché des opinions ou encore l'extension des fonctions économiques de l'appareil d'État. Le monde politico-étatique ne semble ainsi pas connaître de césures graves (si ce n'est lors des guerres et des révolutions), mais simplement des évolutions lentes, souvent insensibles qui majorent peu à peu son poids dans la vie sociale. De l'État libéral du XIXe siècle à l'État tentaculaire d'aujourd'hui, il n'y a pas de solution de continuité, tout au plus des différences de degrés.

L'État qui parle sans discontinuer de cette façon est, en réalité et quant au fond, un État-fétiche, c'est-à-dire un État qui se sert de l'atomisation des individus pour les empêcher de comprendre ce qu'il fait réellement. En garantissant l'égalité juridique formelle des individus qui échangent des marchandises, en réglant la circulation des biens et des personnes de manière à ce que soient observées les normes de l'équivalence, il s'affirme de fait comme le gardien des intérêts généraux des échangistes, ce qui lui permet d'occulter son rôle dans la production et autour de la production (conditionnement et reproduction de la force de travail).
L'État, par les mécanismes mêmes de la société capitaliste, est donc sans cesse présenté et représenté comme au-dessus des classes, comme au-dessus des affrontements économiques. A cela, les dénonciations théoriques ne peuvent rien changer, et c'est seulement l'activité de mise en question du mouvement ouvrier qui permet dans une certaine mesure de gripper les mécanismes de l'occultation.  Mais force est bien de constater qu'aujourd'hui cette activité critique est loin d'être suffisante, et aussi décapante qu'il serait souhaitable. Le fétichisme de l'État connaît de nouveaux développements, il redouble même sous le coup des dénonciations des différentes formes de Goulag que l'on voit se multiplier depuis quelques années. Le déchaînement de la violence étatique et de la répression dans les zones de décomposition du capitalisme sert, en effet, à justifier la violence plus tempérée des États occidentaux et à les parer de l'auréole des États de droit au sens kantien du terme. 

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