L'écologie, telle qu'elle est conçue  par une large frange du monde politicien, est un cas typique de  l'illusion qui mène à penser que nous pourrions diriger     l'évolution du capitalisme (ou du moins, du progrès) dans un sens  qui puisse enfin devenir favorable aux êtres humains et à ce qu'il est  convenu d'appeler la « nature ». Il partage     cette caractéristique avec d'autres idéaux, d'autres utopies telles  le marxisme traditionnelle dans son renoncement à émettre une critique  radicale du travail (considéré comme trans-historique et     donc propre à toute société humaine dans son métabolisme avec la  nature), le gauchisme étatique dans ses multiples obédiences axant toute  alternative sur la promesse d'une meilleure répartition     des « richesses » (sans définir au préalable ce qu'elles  représentent dans la société capitaliste) et conséquemment, d'une  régulation du système productiviste ou encore l'anarchisme     ouvriériste consacrant ses efforts militants à faire passer le  message d'une sortie du capitalisme par la pratique révolutionnaire de  l'autogestion des usines de production (l'industrie étant     pourtant la matérialisation ultime du rationalisme productiviste).  Les idées vertes sont néanmoins à la mode et tentent d'une façon ou  d'une autre (en fonction de l'interprétation plus ou moins     osée de ce qu'est le radicalisme dans une analyse de la société  actuelle) de construire une alternative à un système perçu avec évidence  comme étant destructeur des écosystèmes et de la vie     en général. Mais sans se donner la peine d'élaborer une analyse et  une critique véritablement radicale de la société capitaliste apte à  faire émerger les causes profondes de débâcle, il peut     paraître bien illusoire de proposer un schéma de remplacement qui  fasse fi de la nécessité d'éradiquer de nos vies, et de la planète, ce  système aliénant qui nous mène droit au mur. L'écologie     est bien autre chose que de reconsidérer les catégories propres au  capitalisme en envisageant un rapport à leur encontre qui puisse  remettre le monde à l'endroit. Une critique radicale de ces     catégories, comme celle de la nature, par la conscience qu'elle est  susceptible d'éveiller, peut être à même de lier à nouveau la pensée à  l'action (en remettant en cause la domination de la     pensée rationnelle sur la vie) et par là, nous détacher de ces  abstractions aliénantes qui nous font observer nos propres vies comme  autant de spectacles absurdes (dénués de sens véritable dans     une logique folle devenue autonome et dont l'aboutissement  inévitable nous effraie). La critique du concept moderne de nature est  en ce sens primordiale parce qu'elle peut permettre de saisir les     causes profondes de la séparation de l'espèce humaine d'avec son  essence et donc de comprendre les enjeux ambivalents d'une  bipolarisation entre la pensée rationnelle d'une part et la vie     « sauvage », naturelle, d'autre part. Mais à l'opposé, elle peut  aussi permettre d'éviter les dérives sectaires des adorateurs d'une  nature mystifiée, tel les écologistes profonds, dont     le but est de nous livrer à une référence normative d'une nature  harmonieuse et idéalisée !
La nature des sentiments 
Que ce soit dans les champs immenses  de l'agriculture productiviste ou dans les forêts d'exploitation, dans  les usines ou au plus profond des mines, la vie palpite     au coeur même de l'espace capitaliste. La nature y apparaît comme  contrainte de se soumettre et d'apporter tel un tribut sa force de vie,  force de travail et de régénération élaborée au fil du     temps. La nature y est donc réduite à une somme de possibilités dont  se nourrit le capital afin de s'auto-valoriser. La survie de ce dernier  repose sur la capacité qu'ont les êtres vivants, dans     leur nature, à lui fournir du vivant, de la productivité. Chaque  être vivant (hommes, plantes, animaux...) est sommé de contribuer au  mécanisme de valorisation qui réclame pour la poursuite de la     course folle vers une accumulation sans fin (et sans but !) toujours  plus de sacrifices.   
Mais qu'est-ce donc en fait que la  nature sinon un substrat vivant nécessaire à la valorisation du travail  mort ? Ce monde des morts, concrétisé dans les     objets-figures du capital (moyens de production, outils de travail,  matière première transformée,...) vampirise la vie dans un besoin  inextinguible d'auto-accroissement.   
La nature, en tant que réserve  inépuisable de valorisation, de domination, représente un concept qui ne  s'oppose pas à la logique de valorisation du capital, dans     la mesure où celle-ci est justement perçue comme étant ce qui  « dé-nature », artificialise, soumet à ses lois intangibles, mais  matérialise son autre face, son complément indissociable     de la même façon que ce qui se produit pour le travail « vivant »  (productivité de la vie), vis à vis du travail mort (le Capital) : « Il  est donc certes vrai que le capital a     mis la main sur la seule source de vie et de productivité, et que  grâce à son appropriation du travail vivant, il parvient à donner la vie  à ce qui ne l'a pas ou plus : grâce à la « force     naturelle vivifiante du travail », les composantes du capital que  sont le matériau et l'instrument cessent de n'être que du travail  objectivé et ils redeviennent les objets du travail, des     moments du travail lui-même, de sorte que le travail déjà objectivé  en eux reprend vie. »(1)   
Ces deux aspects du travail, faisant  de celui-ci une catégorie spécifique au capitalisme en tant que  participant nécessairement à la dynamique de cette forme     sociale comme rapport entre les individus (et au travers de son  abstraction dans le procès de la création de valeur)(2), a son pendant  dans la marchandise du fait que celle-ci comporte une valeur     d'usage et une valeur d'échange. Mais là aussi, la valeur d'usage de  la marchandise ne s'oppose donc pas à la valeur d'échange comme si son  aspect utilitaire pouvait réellement s'opposer à la     détermination qui permet concrètement à cette marchandise donnée de  pouvoir s'échanger, et donc de parvenir jusqu'à l'individu qui en aura  l'utilité (réelle ou supposée) de sa possession. La     valeur d'usage est l'aspect complémentaire, et indispensable, de la  valeur d'échange de la marchandise (dans la superficialité de l'acte  d'échange par rapport à sa signification     « cachée » comme nous le verrons plus bas) en tant que possibilité  pour cette dernière de pouvoir s'accomplir au moment de l'acte d'échange  en tant que support de la valeur (d'une     quantité de travail abstrait contenu en elle) ; la valeur ne  renvoyant pas à la richesse sociale en général, mais étant « une forme historiquement spécifique de richesse intrinsèquement     liée à un mode de production historiquement spécifique »(3).   
Selon une définition du mot nature  (4), elle exprime « l'ensemble de ce qui dans le monde physique,  n'apparait pas (encore ?) comme transformé par     l'homme » ainsi qu'elle décrit « les caractères fondamentaux qui  définissent les êtres ». Nous pouvons dès lors avancer que le concept  moderne de nature est propre à exposer une     conception de la vie visant à instrumentaliser ses potentialités au  travers d'un processus de transcendance (supériorité de la pensée  rationnelle). Ce phénomène s'accorde très bien comme nous le     verrons plus bas avec la scientificité de toute approche à la vie et  de ce que cela implique pour le système productiviste. Pour tous les  êtres, humains ou non, qui composent cette nature, c'est     bien d'une possibilité de productivité qu'il s'agit afin d'étendre  l'emprise du capital à tous les aspects et formes de vie en vue  d'alimenter une dynamique d'auto-valorisation. Et cette     dynamique passe par la captation de la temporalité inhérente à la  croissance et la recherche d'autonomie des êtres vivants afin de  constituer un monde structuré par un temps abstrait et une     hétéronomie agissant au sein d'une spacialité artificielle. Cette  spacialité est celle des marchandises envahissant le monde et les corps  séparés de la sensibilité de la vie (l'exemple du sport     est sur ce point significatif).   
La nature est pour le capital une  promesse d'avenir autant qu'une nécessité pour son avenir. La nature est  apte à nourrir la rationalité productrice de marchandises     à l'issue d'une transformation qui alors l'offre aux rêves les plus  fous d'un développement sans limites. Les exemples des OGMs ou des  possibilités offertes par le séquencement de l'ADN en     fournissent des démonstrations.   
Tout comme le travail abstrait domine  le marché, la pensée moderne, historiquement déterminée par  l'abstraction des rapports sociaux de production capitaliste,     domine toute approche à la vie en l'objectivant via le concept de  nature, d'une nature qu'il s'avère de plus en plus nécessaire de cadrer,  de maitriser afin de s'en séparer d'avantage tout en     poursuivant paradoxalement l'illusion de devoir suivre ses lois, en  adéquation avec les règles autonomes d'un « Sujet automate » (Karl  Marx). L'Esprit se doit-il de se séparer     totalement de la Nature ? «La technique triomphante a ainsi  réactivé l’ambition métaphysique la plus démesurée, celle qui invitait  l’Esprit à en finir avec la Nature. Aujourd’hui l’idéal     d’autonomisation de l’Esprit culmine avec le fantasme d’une  auto-production qui nous délivrerait de la nécessité de la naissance,  par le moyen du clonage ou de l’ectogénèse. Il culmine aussi avec     le rêve d’une immortalisation qui, grâce à la cryogénie ou à  l’uploading de la conscience, nous débarrasserait de l’inconvénient  d’avoir à mourir. Et puis, plus simplement, il culmine avec la     conviction que la maladie, cette erreur de la Nature, doit  disparaître et que la médecine offrira bientôt les moyens pour  l’organisme de s’auto-réparer. La réalisation de l’idéalisme absolu des     philosophes est donc à portée de nos possibilités  technoscientifiques. Voilà peut-être pourquoi la dénaturalisation  entreprise par les Modernes trouve son apogée, aujourd’hui, dans le     contre-point des recherches en nanotechnologie, avec le programme de  quelques sectes transhumanistes. La mort, la naissance et la maladies  sont naturelles. Il faut s’en débarrasser et ouvrir une     ère nouvelle ! »(5)   
La nature est devenue matière à  mathématiser afin de l'appréhender dans un schéma techno-scientifique mu  par les besoins présents, mais surtout à venir, du capital.     La connaissance scientifique de la nature, de ce substrat conceptuel  dans l'indéfini supposé de ses possibilités, précède le développement  du productivisme capitaliste. Sa mathématisation, même     s'il elle comporte des possibilités d'accroitre nos connaissances  afin de pouvoir envisager sereinement une évolution de notre propre  découverte (dans une vision holistique), permet en toute     priorité à notre époque et dans le paradigme qui est le nôtre, son  exploitation effrénée par un système de production ayant fait depuis  longtemps de la science sa section d'éclairage. L'économie     éhontée qui est trop souvent faite du principe de précaution dans le  domaine de la recherche appliquée en donne un illustre exemple. La  techno-science a un rôle dans « l'abstractité »     de la pensée dominante, tout en étant elle-même issue de cette  dominance (des rapports sociaux abstraits de production), dans la mesure  où elle renforce le fétichisme d'une nature soumise à un     état de marchandise en puissance et par là même, autorise la  reproduction du procès cyclique et répétitif de la valorisation.   
La nature est donc conçue (6) comme  une matière vivante à dominer (autour de nous et en nous), comme une  infériorité, féminisée comme il se doit et dont le sort     logique est d'être offerte aux divagations de l'intellectualisme  rationnel, fruit des rapports sociaux productivistes, et se concrétisant  dans le scientisme carriériste et égotiste à la solde de     l'idéologie rationaliste. Or, derrière ce concept historique de  nature, c'est la vie (ou le rapport à la vie et ses diverses formes) qui  s'y trouve recluse, réifiée, extériorisée et à quoi il est     nié en ces temps de recherche effrénée de performance de posséder  ses propres limites face aux besoins grandissants de l'économie vorace.  C'est ainsi qu'il devient alors possible, sans tenter de     changer ce paradigme, de considérer autrement cette nature en se  donnant alors l'impression de pouvoir changer les rapports que nous  entretenons envers elle ; et en partant d'un tel présupposé,     nous sommes enclins à penser que l'idée de la nécessité de préserver  la nature participe en réalité à la poursuite de la domination d'une  part de nous-même sur une autre part, infériorisée, sous     des formes plus ou moins différentes, et ce dans une incapacité de  mettre radicalement en cause « notre » système de rapports sociaux de  production et donc de domination. La nature peut     être conçue dans une visée utilitariste, et la nécessité de sa  protection ne dépasse pas cette visée, elle l'utilise même. La  polarisation et la séparation persiste ainsi que toute recherche de     valorisation par d'autre voies. C'est ainsi que certains en viennent  à parler de droits qu'il faudrait concéder à la nature sauvage et à  ceux(celles) qui la compose comme d'une intégration au     système du « fétichisme juridico-politique » (Antoine Artous) qui,  loin de prémunir de la domination totale du système marchand, permet au  contraire à celui-ci de faire perdurer et     d'accroitre sa main-mise sur la vie. Non pas que la protection de la  nature dans sa phase pratique ne puisse trouver grâce à nos yeux en  maintes circonstances, mais la mise bout à bout de ces     deux termes : « nature » et « protection », ne saurait être le la  d'une critique et de pratiques visant à expurger de nos esprits, et du  monde par conséquent, des causes     réelles et profondes de la mise en danger de la vie.   
D'autre part, la nature fait face au  monde de la rationalité civilisatrice en imposant néanmoins ses limites  tangibles au-travers de réactions dépassant la logique     toujours inaboutie de la techno-science, fruit d'un entendement issu  de l'abstraction marchande et d'une expertise déconnectée de la  réalité, dépouillée de toute émotivité. Dompter et maitriser     ses lois resterons dans ce cadre l'unique garantie (illusoire sur le  long terme) pour l'économie de maintenir son hégémonie sur la vie, tout  en feignant de s'y adapter (darwinisme social,     "spencérisme" ou récupération idéologique de la pensée de Darwin).   
La nature est un concept qui nous  sépare de nous-même, de la vie qui nous anime en tant que dynamique  immanente et auto-réflexive, et apparaît alors une situation     de confrontation, de face à face (7) entre d'une part des individus  artificialisés et déconnectés du réel par l'abstractité fétichiste de la  société marchande (mais d'essence prétendument     naturelle) et d'autre part un substrat « sauvage » dont la notion de  progrès en dicte la maitrise à des fins sans cesse repoussées  d'accomplissement, de fin de l'Histoire (fin des     idéologies, de la politique, des grands récits, de l'homme, par une  post-modernité illusoire et complice). Le capitalisme, comme tout type  de société humaine, assied son existence et son     extension (cette dernière étant condition de la première) sur une  mythologie. Cette mythologie oppose la rationalité se matérialisant, se  diffusant, dans une nature « dé-naturalisée »,     maitrisée, colonisée, possédée, à la nature irrationnelle, sauvage,  indomptée et pure (une humanité mécanisée et ses extensions  fonctionnelles face à la « vierge », encore immaculée de     la prétention des hommes). Cette opposition-confrontation est,  peut-on dire, inhérente au concept même de nature (qui n'a pas de tout  temps et en tout lieu existé dans l'univers des concepts     humains) qui, au delà de ses deux acceptions, représente un tout  engendré par une tendance expansionniste trouvant dans le capitalisme le  moyen de son expression généralisée emplissant tous les     domaines de la vie.   
Nous pouvons nous figurer le concept  moderne de nature telle une « dialectique motrice » participant à  l'expansion du capitalisme ; elle se concrétise     dans un mécanisme oppositionnel générant de la domination, une  recherche pathologique et néanmoins systémique d'ennemis, de guerres  contre le « mal », de conquêtes expansionnistes au     sein desquelles les substances et leurs formes en oppositions  participent à la même dynamique d'accroissement (8) (tel la lutte des  classes). La nature ne saurait être confondu avec la vie dans     ces multiples formes car elle n'en représente qu'une vision  ambivalente correspondant à une nécessité de croissance illimitée et de  dominations qui en sont co-extensives.   
Quels que soient les sentiments que  l'on puisse éprouver pour la nature, ceux-ci, dans leur version écolo,  ne sauraient participer à modifier de façon radicale les     rapports que nous entretenons avec la vie, donc nous-même, et ainsi  les rapports sociaux aliénés qui prévalent dans « notre » monde  capitaliste. Le sentiment de nature, de sa     préservation, du retour en son sein ou à ses lois, ne portent pas  forcément les critiques, et les pratiques, vers une remise en cause  radicale (et nécessaire en ces temps de barbarie) d'une     dynamique infernale qui nous entraine toujours plus vers une  atomisation des formes de vie et une sur-exploitation de celles-ci.
Max L'Hameunasse 
 

 
 
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