Julian Delasantellis propose une intéressante lecture de l’histoire de la bulle immobilière américaine à travers celle de la sociologie des USA. S’appuyant sur les travaux de Mme Warren, une universitaire aujourd’hui chargée de la supervision du plan Paulson qui a étudié l’endettement des ménages, il identifie la carte scolaire comme étant l’un des facteurs déterminant de cette fuite en avant qui a poussé les familles à consacrer un budget toujours plus important au logement - dépassant parfois les 50% des revenus - pour assurer à leurs enfants l’accès à une école de qualité, sur fond de tensions raciales. Il cite en exemple un quartier de Philadelphie où, après la création d’une école bien dotée en financement, les maisons du voisinage ont vu leur prix multiplié par trois. Les américains, qui ont été les victimes de leur esprit « cow boy », selon ses propres termes, toujours prêts à aller s’inventer une nouvelle frontière - en l’occurrence au delà de la dernière sortie d’autoroute - auraient été mieux avisés, juge-t-il, de ne pas s’engager dans cette course à la ségrégation par l’argent qui les a épuisé financièrement en les contraignant à s’endetter au delà de leurs capacités. La situation française est certes différente, mais cette leçon n’en mérite pas moins d’être entendue, les mêmes facteurs étant à l’oeuvre ici. Le cas des quelques parents fortunés qui font l’acquisition d’un studio dans le cinquième arrondissement pour s’assurer une inscription à Henri IV illustre à l’extrême une stratégie de contournement et de différentiation qui est généralisée. Avec pour résultat un transfert vers la pierre de ressources qui seraient plus utilement employées à l’éducation, et l’éviction des célibataires, des jeunes ménages et des classes moyennes situées au bas de l’échelle. Autre accomplissement de l’allocation optimum de la main invisible, sans doute.
Les travaux d’Elizabeth Warren, qui enseigne le droit à Harvard et est aujourd’hui présidente du groupe chargé de la supervision du Programme de Soutien aux Actifs Douteux (TARP), permettent de comprendre aisément les causes de la crise financière.
Au début de cette décennie, Mme Warren s’est fait connaître par la publication de remarquables études portant sur les facteurs qui acculent les familles américaines à la faillite. Après une analyse approfondie des volumineux fichiers de données que l’administration américaine maintient sur les habitudes de consommation des ménages, les clichés habituels sur les dépenses excessives pour les vêtements, les voitures, les appareils électroménagers, les vacances snobs, sont invalidés.
Dans un article publié en 2005 par la Boston Review, co-écrit avec sa fille Amelia Warren Tyagi, elle écrivait : Il n’y a aucune preuve d’une « épidémie » de dépenses excessives - et certainement rien qui pourrait expliquer une augmentation de 255% des saisies immobilières, une augmentation de 430% des faillites, et une augmentation de 570% des crédits de carte bancaires. Un nombre croissant de familles se trouvent prises dans de terribles difficultés financières, mais, malgré les accusations, ce n’est pas leur frivolité qu’il faut blâmer.
Les Américains ne sont pas écrasés sous les charges du financement de leurs dépenses somptuaires, mais bien de leurs besoins immédiats.
Il y a une génération de cela, une famille disposant d’un seul revenu consacrait environ 54% de celui-ci à l’essentiel - logement, assurance santé, transport et impôts, elle dédiait donc environ la moitié de ses ressources aux dépenses de base, qui doivent être assumées même si quelqu’un tombe malade ou perd son emploi. Aujourd’hui, les dépenses de base, y compris les services de garde d’enfants qui permettent aux deux parents de travailler, représentent 75% du revenu total de la famille.
Quand une famille achète une maison, elle acquiert bien plus qu’un abri contre les intempéries. Elle achète également un système scolaire public. Tout le monde a entendu des reportages sur ces enfants qui ne savent pas lire, les salles de classe dépourvues de livres, les trafiquants de drogue et la violence des gangs dans les couloirs de l’école. Les écoles à la dérive imposent un « coût » énorme aux enfants qui sont forcés de s’y rendre, mais elles imposent également un coût énorme pour ceux qui ne le font pas. Entretenez-vous avec des parents de la classe moyenne dans n’importe quelle zone métropolitaine importante, et ils vous diront le temps, l’argent et les efforts qu’ils consacrent à rechercher une place dans une école décente. Dans certains cas, le récit portera sur la difficulté d’utiliser le système. Dans d’autres cas, il s’agira de quitter complètement le système scolaire public en optant, comme de plus en plus de parents de la classe moyenne l’ont fait, pour un établissement privé, religieux, ou bien l’enseignement à domicile. Mais les écoles privées et les contournements du système ne sont la solution que pour une minorité de familles. Pour la plupart des parents de la classe moyenne, veiller à ce que leurs enfants reçoivent une éducation décente se traduit par l’achat d’une maison dans les quelques endroits pourvus d’établissements scolaires réputés... En 1999, une étude menée dans la banlieue de Boston a montré que deux maisons distantes de moins d’un kilomètre, semblables presqu’en tout, se voyaient attribuer des prix sensiblement différents si elles étaient situées dans des zones scolaires du primaire différentes. Les écoles qui obtenaient des résultats tout juste supérieurs de 5% sur les tests de mathématique et de lecture par rapport aux autres écoles du secteur induisaient un surcoût de près de 4000 dollars sur les maisons situées à proximité...
Ce phénomène n’est pas nouveau, mais la pression s’est considérablement intensifiée. Au début des années 1970, non seulement la plupart des Américains pensaient que les écoles publiques fonctionnaient raisonnablement bien, mais une importante majorité des adultes estimaient que l’éducation publique dispensée s’était effectivement améliorée depuis l’époque de leur enfance. Aujourd’hui, seule une petite minorité des Américains partagent cette vision optimiste. La majorité estime que les écoles sont bien pires.
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