La Résistance à l’occupant ne manque pas de monuments pour en célébrer la geste; ils ont presque réussi à faire oublier que la collaboration avec l’occupant a également son monument; mais, telle la lettre volée d’Edgar Poe, il s’impose si évidemment sous notre regard que nous ne le voyons pas; c’est la muraille de Chine de la France, mais une muraille honteuse : le Mur de l’Atlantique. Les historiens ne se sont guère bousculés pour l’étudier. Non que ce fut tabou, ni si “secret”, n’exagérons rien, mais complexe et rébarbatif, sans compter que longtemps certaines archives en furent inaccessibles. Les gens d’images s’y sont encore moins précipités car le sujet n’est pas très spectaculaire, et nécessairement figé. De vieux blocs de béton. Le documentaire de Jérôme Prieur, que France 2 diffuse ce soir à 22h50, n’en a que plus de prix; et, pour ceux qui le manqueraient, le livre qu’il en tiré sous le titre “Le Mur de l’Atlantique” (200 pages,18 euros, Denoël).
Ils sont toujours là, n’importe quel promeneur peut aller le vérifier, sur les plages entre Dunkerque et Biarritz. Des bunkers, casemates, remparts, batteries et blockhaus par milliers. Ils constituent un mur dont Hitler ordonna l’édification afin de contenir et repousser un débarquement allié. Ce qui fut une divine surprise pour nombre d’entreprises du bâtiment. Des entreprises françaises. Le gigantesque chantier, qui dura de 1942 à 1944, donna du travail à des centaines de milliers d’ouvriers. Forcés (parfois) ou volontaires (le plus souvent). Disproportion que les intéressés ont mis du temps à admettre tant elle les plaçait face à leurs responsabilités. rares encore sont ceux qui admettent que le travail le long de l’Atlantique leur a évité le STO en Allemagne. On sait qu’en France, quand le bâtiment va, tout va. Même en France occupée. Jérôme Prieur a donc planté sa caméra sur les falaises et sur le sable. Il l’a figée face à ces menhirs militaires, aérolithes de noir et blanc dans un paysage en couleurs sous un ciel de peintre impressionniste. Il a invité les meilleurs historiens (Robert Paxton, Olivier Wieviorka, Isabelle Raynaud, Peter Gaida, et surtout Jean-Claude Hazera et Renaud de Rochebrune dont les travaux sur les patrons sous l’Occupation lui ont inspiré le film) à y raconter avec précision ce qui s’est passé. En commençant par balayer la légende d’une résistance au Mur : même si des ouvriers le sabotèrent en mélangeant du sable au ciment, et en mêlant de la farine et du sucre au ciment, ils furent une infime minorité et l’effet de leur action d’autant plus douteux lorsqu’on se souvient du prix et de la rareté de ces denrées de première nécessité. Les historiens font parler ces vestiges qui ressemblent à autant de fantômes de l’Histoire. Ce qui ne va pas de soi lorsqu’il s’agit d’un aride dossier d’histoire économique. Car le Mur de l’Atlantique, expression architecturale du génie militaire allemand et symbole de l’enfermement d’un pays par un autre, fut une énorme et juteuse affaire pour certains Français. Une telle vérité surprend d’autant plus que l’opinion est généralement convaincue que les seules mains allemandes ont fabriqué ces blockhaus destinés à empêcher la libération de la France.
Ils sont toujours là, n’importe quel promeneur peut aller le vérifier, sur les plages entre Dunkerque et Biarritz. Des bunkers, casemates, remparts, batteries et blockhaus par milliers. Ils constituent un mur dont Hitler ordonna l’édification afin de contenir et repousser un débarquement allié. Ce qui fut une divine surprise pour nombre d’entreprises du bâtiment. Des entreprises françaises. Le gigantesque chantier, qui dura de 1942 à 1944, donna du travail à des centaines de milliers d’ouvriers. Forcés (parfois) ou volontaires (le plus souvent). Disproportion que les intéressés ont mis du temps à admettre tant elle les plaçait face à leurs responsabilités. rares encore sont ceux qui admettent que le travail le long de l’Atlantique leur a évité le STO en Allemagne. On sait qu’en France, quand le bâtiment va, tout va. Même en France occupée. Jérôme Prieur a donc planté sa caméra sur les falaises et sur le sable. Il l’a figée face à ces menhirs militaires, aérolithes de noir et blanc dans un paysage en couleurs sous un ciel de peintre impressionniste. Il a invité les meilleurs historiens (Robert Paxton, Olivier Wieviorka, Isabelle Raynaud, Peter Gaida, et surtout Jean-Claude Hazera et Renaud de Rochebrune dont les travaux sur les patrons sous l’Occupation lui ont inspiré le film) à y raconter avec précision ce qui s’est passé. En commençant par balayer la légende d’une résistance au Mur : même si des ouvriers le sabotèrent en mélangeant du sable au ciment, et en mêlant de la farine et du sucre au ciment, ils furent une infime minorité et l’effet de leur action d’autant plus douteux lorsqu’on se souvient du prix et de la rareté de ces denrées de première nécessité. Les historiens font parler ces vestiges qui ressemblent à autant de fantômes de l’Histoire. Ce qui ne va pas de soi lorsqu’il s’agit d’un aride dossier d’histoire économique. Car le Mur de l’Atlantique, expression architecturale du génie militaire allemand et symbole de l’enfermement d’un pays par un autre, fut une énorme et juteuse affaire pour certains Français. Une telle vérité surprend d’autant plus que l’opinion est généralement convaincue que les seules mains allemandes ont fabriqué ces blockhaus destinés à empêcher la libération de la France.
Son épilogue est un enseignement sous forme de paradoxe. A lui seul, il porte jugement sur l’Occupation. A la Libération, les entreprises (Sainrapt et Brice est la plus connue avec la Société de construction des Batignolles) ont subi des sanctions professionnelle mais une faible épuration judiciaire ; le plus souvent, une amende correspondant à un faible pourcentage des ”profits illicites” tirés de la construction du Mur; en revanche, les journalistes de la presse collaborationniste qui avaient chanté la louange de cette muraille car elle devait repousser la bolchevisation de l’Europe et y maintenir un régime fasciste, ceux-là ont été condamnés à de lourdes peines de prison quand ils n’ont pas été exécutés; il fallait du temps pour constituer les dossiers d’accusation des grands patrons, alors que ceux des journalistes étaient constitués de leurs articles; surtout, la France de la reconstruction avait impérativement besoin de dirigeants d’entreprises du bâtiment et beaucoup moins d’éditorialistes. Ainsi le voulut le Général de Gaulle.
C’est aussi à cette grimace cynique de l’Histoire que l’on pense en se promenant dans ce cimetière d’une armée morte. Grâce au documentaire de Jérôme Prieur, il y en aura désormais pour le considérer comme un Mur de la honte avant celui de la guerre froide. Quant au mystère, à la puissance magnétique et à la capacité d’envoûtement qu’exerce ce monument de la collaboration sur ceux qui le visitent, nul ne l’a mieux percer que Paul Virilio dans “Bunker archéologie”, son étude pionnière sur l’espace militaire européen de la seconde guerre mondiale et son architecture, publiée en 1975 et rééditée il y a deux par Galilée.
C’est aussi à cette grimace cynique de l’Histoire que l’on pense en se promenant dans ce cimetière d’une armée morte. Grâce au documentaire de Jérôme Prieur, il y en aura désormais pour le considérer comme un Mur de la honte avant celui de la guerre froide. Quant au mystère, à la puissance magnétique et à la capacité d’envoûtement qu’exerce ce monument de la collaboration sur ceux qui le visitent, nul ne l’a mieux percer que Paul Virilio dans “Bunker archéologie”, son étude pionnière sur l’espace militaire européen de la seconde guerre mondiale et son architecture, publiée en 1975 et rééditée il y a deux par Galilée.
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