lundi 1 novembre 2010

Aux Parisiens et gens d'alentours, prenons la rue dès mardi 2 novembre à 14h30


Le mouvement de ces dernières semaines a permis de vérifier à grande échelle que, si brutalement réimposée par des dizaines d’années de restructuration capitaliste qu’elle soit, la triste perspective d’avoir à perdre sa vie pour la gagner n’était pas pour autant devenue plus désirable.
Mettre en cause le droit à la retraite radicalise la violence de rapports sociaux profondément destructeurs : vivre un temps enfin libéré de l’exploitation devrait être un privilège que les sociétés d’assurance seront chargées de monnayer tout au long de la vie. Par là, c’est l’horizon d’un temps retrouvé que l’on obscurcit encore davantage.
 
Au sein d’un refus généralisé qui cherche encore les moyens de s’affirmer plus largement et de façon plus décisive, la force du mouvement a jusqu’alors reposé d’une part sur une partie des catégories (cheminots, salariés des ports, de la pétrochimie) à la fois parmi les plus aptes à bloquer l’économie et aussi pour lesquelles ce temps libéré de l’exploitation reste tangible du fait de pouvoir jusqu’à aujourd’hui sortir de l’emploi avant 60 ans sans devoir dépendre de très chiches allocations chômage, et, d’autre part, sur les entrants dans le salariat que sont les lycéens, eux qui sont soumis à l’emprise sur la vie d’un temps de travail (le scolarisé a à se produire comme force de travail) non reconnu comme tel. (Parmi les revendications opposées à la réforme, nul hasard alors à ce qu’il soit entre autres choses réclamé que les années d’école effectuées soient comptabilisées comme trimestres ouvrant droit à la retraite.)
 
Chacun a bien compris, au point que les voix officielles elles-mêmes ne manquent pas d’y faire allusion, que ce qui est en cause a pour effet de rassembler au-delà de toutes les catégories et concerne toutes les générations, et cela non seulement théoriquement mais en pratique. Les divisons réelles d’une population que l’on voudrait ordonner selon une lutte des places, des rôles et des identités, toujours exploitées politiquement, ne fonctionnent actuellement que très mal.
 
Même la classique diabolisation des «casseurs» paraît cette fois de peu de portée : chacun a en ce moment plus clairement conscience d’être quotidiennement frappé, cassé, apeuré, réduit au silence, blessé par de bien plus violents mécanismes que l’anecdotique chute de quelques vitrines où les superficielles blessures de poulets en bleu ou en civil. Chacun sait que face à la sauvagerie de cette violence subie, il n’y a aucune évidence à faire montre de retenue. La violence exercée contre ce monde s’en trouve difficilement blâmable, sauf à entrer dans un débat politique sur les modalités de son usage et le choix de ses cibles.
 
L’érosion des frontières bien apprises, incorporées, qui séparent la population des dominés est avec l’adoption de la modalité du blocage l’une des principales richesses d’un conflit en cours dont tous les organes de la domination s’évertuent à annoncer la fin pour tenter de la faire advenir. La présence sur les blocages, comme dans les assemblées générales interpro, de chômeurs et précaires a priori déjà privés de tout autre droit à la retraite qu’un minimum vieillesse misérable accessible seulement à 65 ans confirme, si il en était besoin, que c’est tendanciellement une majorité de la population qui, non seulement ne veut pas de cette réforme et du monde qui l’instaure, mais cherche, encore et toujours, y compris dans les plus grandes difficultés (pauvreté, temps quadrillé par l’emploi et le contrôle social, freins à la possibilité et à la portée de la grève, dispersion, répression, hostilité des organisations instituées vis-à-vis de l’auto-organisation des premiers concernés, etc.), à affirmer pratiquement ce refus. La force de cette cause réside dans cette recherche. C’est de là qu’il nous faut partir. Déjà, ces retrouvailles avec la durée constituent une angoissante et magnifique sortie du présentéisme qui tient lieu de temporalité générale à notre domesticité éternisée.
 
De l’école à la retraite, du chômage à l’emploi, la concurrence de tous contre tous structure la vie du plus grand nombre. À tel point que les formes de solidarité efficaces sont désormais l’apanage des nantis, seuls aptes en temps ordinaire à défendre et promouvoir leurs intérêts et leurs aspirations. Face à ce collectivisme réellement existant, lui qui se charge d’imposer aux autres l’égoïsme individuel pour tout horizon, l’orientation défaitiste d’une intersyndicale plus soucieuse de représentativité, de respectabilité et de compromis que du sort de ses mandants supposés vient redoubler une atomisation que les pratiques actuelles critiquent en acte.
 
La situation à Paris, et dans une certaine mesure, dans la région, sont parmi les fruits empoisonnés d’une morphologie fonctionnelle à la domination : police, direction des organisations politiques et syndicales, mass média, concentration de capitaux, tout concourt à dépeupler le désert qui nous tient lieu d’habitat, parce que tout ici conspire à la privatisation de l’existence.
Pour qui survit ici, englué dans ce maillon faible du mouvement, là où la liaison entre réalités sociales diverses est des moins faciles, là où le territoire est plus qu’ailleurs dominé par la logique capitaliste et le pouvoir d’État, il y a un défi à relever collectivement : ce que les luttes en région nous apprennent, que pouvons-nous en faire ici ? Serons-nous capables de bloquer des galeries marchandes ? D’aider des salariés à débrayer ? De bloquer des plates-formes logistiques ? Et comment le faire face à l’énorme mobilisation policière qui prévaut en nos terribles contrées ? Pourrons nous instituer des rendez-vous réguliers qui permettent à chacun selon sa disponibilité de rester lier à une collectivité en devenir, à une communauté de lutte ? À quoi les tentatives réalisées ici se heurtent-elles et qu’est-ce qui permettrait d’y parer ? Faut-il dès maintenant inciter tous ceux qui ne peuvent faire la grève reconductible à multiplier les courts débrayages, les arrêts maladie ? Comment gagner le temps de s’organiser et de nuire au capital ?
 
On a vu lors des manifestations à l’appel de l’intersyndicale, lorsque d’aucuns en ont heureusement pris l’initiative, une disponibilité à ne pas se borner au cadre de la protestation instituée s’est traduite par des manifs prolongeant les cortèges officiels (mais sans doute dans une faiblesse trop aisée à disperser pour le pouvoir), par de multiples assemblées, par la circulation de n’importe qui dans divers lieux de lutte et par de trop rares actions de blocage.
 
On a vu des lycéens aller débrayer des étudiants, les appeler à la grève, les emmener en manifestation. On a vu des scolarisés de banlieue manifester jusqu’à la capitale de leur propre chef (de Montreuil au 20e, sur les Champs, au Sénat, ailleurs encore), réalisant avec bonhomie et entrain ce crime de lèse-capitale, cette incursion au centre, que l’État cherche précisément à prévenir et empêcher depuis des décennies (1986, CIP, CPE) et en permanence (il suffit de constater le niveau de répression auquel ont été soumis les manifestants lyonnais place Bellecour…).
 
Aujourd’hui, il n’y a pas d’autre choix pour continuer que de parier sur une reprise de la mobilisation des lycéens dès jeudi, et de ne pas laisser les organisations officielles et en l’occurrence socialistes «de lycéens» (c’est-à-dire d’un parti qui s’est prononcé «contre l’assistanat» dont les retraités sont aujourd’hui accusés de jouir en dispendieux parasites, tout comme ce fut le cas des chômeurs sous Jospin), les syndicats de profs et autres, les orgas de parents d’élèves, dépolitiser la situation qui s’y construit comme ils ont commencé à le faire sous prétexte d’«accompagnement» ; pas d’autre choix que de contribuer à la constitution progressive d’un «mouvement étudiant» (souvenons-nous que la lutte contre le CPE avait mis des mois à se mettre en place après l’adoption de la loi), pas d’autre choix que de chercher tous les moyens pour que le refus persiste à s’affirmer.
 
L’appel de l’AG de la fac de Tolbiac à manifester ce mardi à 14h30, de Jussieu à la déchèterie bloquée de la rue Bruneseau (Paris 13e), parce qu’il ne se borne pas au respect de l’agendadodo de l’intersyndicale, parce qu’il provient d’une assemblée, parce qu’il prévoit d’organiser des blocages, parce qu’il cherche à se lier avec des grévistes, parce qu’il préfigure ce que pourrait être le retour des lycéens dans le mouvement en même temps qu’il s’adresse à des étudiants encore trop indécis, est un rendez-vous qui peut revêtir une grande importance politique pour la situation «parisienne», et de ce fait même, pour le mouvement d’ensemble.
 
En cette journée des morts, nous avons un petit moment pour envisager ce que sera notre résurrection et prévoir de la jouer dès ce premier jour ouvré de novembre. Alors ce serait pas mal que chacun appelle toutes ses connaissances à venir ce mardi à 14h30 et qu’on s’y retrouve le plus nombreux possible. Si cela se passait au mieux, se décideraient aussi dans la foulée des actions à mener pour la rentrée lycéenne, vis-à-vis de telle ou telle grève (celle des agents de Pôle emploi ce 9 novembre par exemple), de telle ou telle question.
 
D’aucuns nous parlent de la votation de 2012 comme du débouché de ce qui a eut lieu et ne pourrait se prolonger que dans les urnes. Mensonge. Ces prolongations-là ne sont pas l’affaire d’on ne sait quel arbitre mais des acteurs eux-mêmes. Il est encore et toujours temps de voter avec nos pieds, ici et maintenant, de circuler, palabrer, s’organiser et bloquer, bloquer encore ce qui nous entrave.                                                                             Indymedia Paris
 
Piquets volants, bloquons l’argent,
piquets mobiles, bloquons la ville !
1er novembre 2010. 
Après 2500 arrestations, les procédures judiciaires se multiplient. Des condamnations à de la prison ferme ont commencé à tomber.  
Donc, si ce n’est fait, prenez connaissance et diffusez ce pense-bête «manif & garde à vue».

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