vendredi 15 octobre 2010

Retraites : pour en finir avec la société industrielle et les illusions de la gauche

MOUVEMENT RETRAITES
Des millions de personnes dans la rue. Des appels à la grève illimitée. Des ports bloqués depuis deux semaines. Des raffineries en grève annonçant une prochaine pénurie de carburant. Des milliers de lycéens qui bloquent leurs lycées. Le ras-le-bol se généralise et le mouvement contre la réforme des retraites prend de l’importance. Partout se diffuse le sentiment que quelque chose est en train de se jouer.
Ce mouvement, nous en faisons partie, et nous sommes solidaires des personnes en lutte, contre la réforme des retraites, et contre l’exploitation en général. Il est légitime que des personnes qui ont travaillé toutes leur vie refusent de rempiler pour deux années supplémentaires. Ce refus est d’autant plus justifié qu’un partage des richesses détenus par quelques uns pourraient permettre à tous d’avoir une vie et une retraite décentes.
Pour autant, une grande partie du discours qui est tenu aujourd’hui par la gauche et par les opposants à la réforme des retraites, nous semble au mieux une impasse, au pire clairement dangereuse. En effet il n’y a pas de lutte possible contre la réforme des retraites sans refuser la robotisation de nos vies, et sans sortir du dogme de la croissance et de l’emploi à tout prix. Ce n’est qu’en prenant ces critiques en compte qu’un mouvement peut émerger avec de vrais perspectives.
- Quand les robots rendent l’humain inutile…
Depuis plusieurs dizaines d’années, les machines et les ordinateurs suppriment massivement le travail humain. Grâce aux progrès de la science et de la technologie, et notamment au concours des laboratoires grenoblois de l’INRIA au CEA-Minatec, en passant par STMicroelectronics et IBM, l’accumulation de profit exige moins d’humains à exploiter qu’avant. Plus performants, les robots ont aussi l’immense avantage de ne pas faire pas grève, et de ne pas avoir besoin de retraite. L’exposition à la gloire de Vaucanson et de l’homme artificiel, qui se tient au musée dauphinois jusqu’au 31 décembre, est là pour nous le faire savoir, qui pose notamment la question « Pourquoi faut-il remplacer l’homme par des machines ? »
Le capitalisme ne peut plus créer assez d’emplois pour tous. Après les ouvriers et les employés (de la Poste, de la SNCF, des magasins ou des banques), c’est aux enseignants de devenir obsolètes. L’école elle aussi devient numérique, pour le plus grand bénéfice des multinationales de l’informatique, et tant pis pour l’éducation, et pour la santé mentale des enfants. Il n’est pas jusque dans les service à la personnes où les hommes ne soient remplacés par des robots. En Isère, le programme Empatic offre aux personnes âgées un suivi par la machine : plus besoin de présence humaine grâce aux capteurs électroniques. Vivement la retraite !
- …se faire exploiter devient un « privilège »
Les robots nous remplacent donc. Le problème, c’est que nous restons tous plus ou moins contraints de travailler. Sans travail, pas de salaires, et le frigo reste vide. Tous les humains mis au rebut par les machines n’aurons pas assez cotisé pour prétendre à la retraite. Nous en sommes arrivés au stade où pouvoir vendre sa force de travail à une entreprise est devenu un privilège. Mais quel privilège ? Les emplois que créent encore péniblement le capitalisme sont de plus en plus vides, et déconnectés de nos besoins fondamentaux, les travailleurs réduits à n’être que les auxiliaires des ordinateurs, des rouages au sein de la machinerie industrielle. Les gains de productivité devant sans cesse augmenter, les personnes qui travaillent doivent travailler toujours plus, toujours plus vite, de manière toujours plus efficace.
Exclus et inutiles, ou exploités et pressurés. Voilà à quoi nous en sommes réduits. Il n’y a pas de solution au problème des retraites ou du chômage sans sortie du capitalisme et de la société industrielle. Combien de temps pensez vous que ce système s’encombrera d’une main d’œuvre inutile ?
- La solidarité ne repose pas sur la croissance !
Pour justifier la réforme des retraites, la droite nous explique : « il y a aujourd’hui moins de travailleurs actifs, et plus de personnes inactives. Il est donc normal de travailler plus longtemps pour payer les retraites » Ce à quoi les économistes de la gauche et de l’extrême-gauche rétorquent : « Même avec une croissance inférieure à 2%, le produit intérieur brut aura doublé d’ici 40 ans, on pourra donc en consacrer une part plus importante au financement des retraites, sans effort financier supplémentaire de la part des salariés. »
Pour la gauche, le problème est donc uniquement un problème de répartition des fruits (pourris) de la croissance. Comme si les retraites, et donc la solidarité humaine, reposaient sur la croissance économique. Il faut en finir avec l’idéologie de la croissance. Compter sur un doublement de la production d’ici 40 ans est une aberration. Notre environnement ne survivrait pas à un tel désastre écologique. Sans compter la dégradation de la vie en société. Car produire plus, c’est produire toujours plus d’ordinateurs, de télévisions à écrans plats, de téléphones portables, et autres gadgets high-tech qui abrutissent, individualisent et finissent par détruire toute relation véritable entre nous. (Et vous, combien d’amis virtuels avez-vous sur facebook ?)
- Il y a des sots métiers
Le second argument de la gauche contre la réforme des retraites, consiste à refuser l’allongement de la durée de cotisation parce qu’il serait un frein à l’emploi des jeunes. Quels emplois ? Des emplois qui répondent à quels besoins ? Aucune importance. Ce qui compte c’est de leur trouver un emploi.
Il faut sortir de cette logique de l’emploi à tout prix. D’abord parce qu’il n’y a plus de travail pour tous. (voir plus haut) Ensuite parce que cela revient à défendre des emplois qui nuisent au reste de la société. Il n’y a pas de honte à ne pas avoir de « travail » au sens où l’entend cette société, c’est à dire un travail que l’on ne fait que pour l’argent, sans aucune considération pour son contenu.
Il est plus digne de ne pas travailler, plutôt que d’être banquier, militaire, chercheur dans les nanos ou journaliste au Daubé. Pour autant, nous ne voulons pas passer notre vie à ne rien faire. Nous voulons un travail choisi, épanouissant, que nous jugeons utile. Nous préférons alors parler d’activité.
- Par où commencer ?
Dans un premier temps, s’organiser à la base pour obtenir le retrait de la réforme.
Se défier des centrales syndicales qui nous lâcheront dès qu’elles en auront l’occasion, et des socialistes, qui ne retireront pas la réforme s’ils sont élus en 2012.
Cesser les journées d’action ponctuelles, pour construire un mouvement solide et continu.
Paralyser les centres économiques, scientifiques et politiques.
Profiter de ces luttes pour nous rencontrer, discuter, échanger.
Prendre le temps de réfléchir et de construire des solidarités.
Nous organiser enfin pour empêcher tout retour à la normale. Fermer les usines et les labos qui nous nuisent. Produire collectivement ce dont nous avons besoin pour vivre, sans le concours de la machinerie industrielle.
Rendre inutile ce système qui nous rend inutiles.
Grenoble, le 12 octobre 2010 Groupe LIBELUDD. Libertaires, Luddites.

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