dimanche 3 octobre 2010

JOURNAL IMAGINAIRE

La connaissance est le fruit du désir. La technologie dominante n'a cessé d'éloigner la science du savoir global, qu'elle exploite en l'émiettant.                                 
La plupart de nos concepts sont des croyances. L'exploitation de l'homme par l'homme a érigé en dogme une réalité arrangée, programmée pour assujettir notre survie à la survie de l'économie.
Ce n'est pas assez d'avoir à gagner son pain à la sueur du front, il faut, pour mériter ce consternant privilège, en passer par les filières de la prédation, se faire interchangeable, entrer en concurrence, user de force et de ruse, et adopter en conséquence une pensée adaptée à tous les styles de reptation.
Les faits sont préfabriqués par le travail, qui change le monde et mure l'existence dans un immuable exil de soi.
Expérimenter la vie en tant qu'objet qui se puisse définir fait de l'observateur un objet lui-même, quelqu'un qui croit mettre sa subjectivité au rencart dès qu'il entreprend d'étudier, d'analyser, d'expérimenter selon des paramètres préétablis (...).
La pensée n'a cessé de s'agenouiller devant une réalité qui nous est donnée comme éternelle en raison d'un postulat auquel quelques millénaires ont accordé un label d'éternité.
L'intelligence sensible ne suffit pas à fonder une nouvelle conception de l'histoire. Elle pose seulement les premiers jalons d'une approche plurivalente, polysémique de l'événement. Nos sciences jettent l'ancre dans un havre de vérités reçues. Il s'agit désormais de louvoyer au gré d'une navigation sentimentale, de rompre avec la coutume de prêter à l'objet de recherche un regard de Gorgone qui fige l'observateur dans l'impassibilité, le change à son tour en objet.
Les sciences ont, de génération en génération, obtempéré aux exigences de leur époque. Elles ont obéi aveuglément aux décrets d'une économie qui ne considère l'humain qu'en l'intégrant à sa stratégie de la rentabilité.
L'analyse scientifique a la vérité des critères qui en définissent la pratique. Ceux-ci participent d'un style de pensée, d'observation, d'efficacité qui varie évidemment au fil de notre évolution.
Dans le désir, le temps se concentre. Il instaure un champ de possibilités presque infini où règne l'indétermination.
Maintenant que la crise de l'économie entraîne la crise des savoirs objectifs, c'est le miroir de nos certitudes logiques qui vole en éclats.
Il n'y a pas de territoires secrets, il n'y a que des passages, des ponts, des passerelles, des nœuds de convergences, des chemins croisées, des raccourcis inopinés, des bonds de l'espace et du temps, qui relient entre eux le fouillis de nos géographies intérieures, des glissements de sens et de sons, des tunnels qu'il est plaisant de creuser plus avant, jusqu'à percevoir des échos, capter des résonances, relier le multiple à sa singulière unité.
Je suis l'unique révélateur des mondes qui m'habitent.
Entre mon observation et son objet une résonance est apparue, qui me bouscule et me relie subrepticement à un chaos d'arbres, de prés, d'oies, de vaches, de canaux, de constructions lointaines, habituellement saisis dans leur fixité photographique, parfaitement ordonnée, bien qu'exposée à une lumière variable. Et c'est comme si, au sein de cette indétermination, m'échoyait l'impression qu'un désir se glisse par une faille pour métamorphoser ou anamorphoser une réalité soudain déstructurée, livrée à un déferlement de l'espace et du temps hors de leur cadre ordinaire.
Parcourir le champ des possibles, qui s'étend en nous et autour de nous, implique une expérimentation si affranchie des lois traditionnelles, si ouverte à l'insolite qu'à travers confusion, tâtonnements et aberrations elle ne manquera pas de dévoiler comment et par quels moyens elle se pratique.
Il existera un jour une science du particulier, un art d'entrer en résonance avec les composantes du corps et de la terre. La poésie naturelle enseignera à extraire du champ des analogies de quoi alimenter nos gestes et nos pensées.
L'ivresse et les états de conscience nébuleux découvrent et s'inventent des planètes dans l'infinitude du vivant. Je n'y cherche pas refuge, je fraie et trouve des chemins.
La poésie crée un champ d'analogies qui enseigne à entrer en résonance avec les êtres et les choses reliés à la vie.
La poésie se fait entendre quand les mots se taisent.
Le principe de réalité n'est que le despotisme d'une realpolitik menée au nom des intérêts humains par une combinaison d'intérêts qui les déshumanisent. Je n'ai aucune raison de me plier aux raisons d'un tel réalisme. Quelque justification qu'elle se donne - économique, religieuse, politique, idéologique, ethnique, éthique, stratégique, scientifique -, aucune inhumanité n'est acceptable.
La vérité expérimentale est indissociable des dispositions subjectives avec lesquelles l'aborde, l'oriente et la vérifie l'homme de science.
La réalité objective est une et imposée. Elle obéit aux lois d'une économie refermée sur elle-même, dont nous sommes les objets. La réalité subjective est multiple, elle ouvre un champ de possibilités à explorer et à créer.

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