Les libertaires ne vivent pas non plus sur une autre planète, dans un autre monde. Ils font des enfants et travaillent comme tout le monde ou presque. Néanmoins, au travers de leurs réponses, on peut remarquer que divers milieux se croisent. Cela va de l’artiste qui travaille pendant de longues journées dans son atelier loin de tous, au paysan qui vit dans un terroir semi-désertique de la campagne française ; de ces révoltés urbains vivant en communauté, à ces étudiants qui, dans les universités, trouvent à la fois le savoir institutionnel mais aussi des copains leur faisant connaître des auteurs qui ne sont toujours pas inscrits au programme scolaire. Et pourtant, certaines réponses nous informent qu’on peut connaître les idées libertaires parfois au collège (pendant le cours d’instruction civique en cinquième, comme a répondu un jeune employé de 26 ans), ou au lycée (par mes professeurs d’histoire, ainsi que l’a indiqué ce fonctionnaire des PTT de 39 ans) ou enfin à l’université, où il y a parfois un prof de philo ou de sociologie qui fait connaître les idées et les auteurs anarchistes, aux élèves. La lecture de ces réponses nous permet en fait de restituer une image qui, à défaut d’être exhaustive, est quand même proche, me semble-t-il, de ce qui est en réalité la pratique et la vie quotidienne des libertaires aujourd’hui : un ensemble, bouillonnant, hétérogène, bavard, sensible, excentrique, militant, curieux, responsable, autrement dit un être humain sensible et réfléchi, selon les termes utilisés par un jeune cuisinier de 27 ans pour résumer ce qu’est selon lui un anarchiste. Cette diversité s’exprime non seulement dans les lectures indiquées plus haut, mais aussi par leurs sensibilités politiques. En effet, la liste des groupes politiques, des mouvements sociaux non libertaires dont ils se sentent proches est très longue. D’Amnesty International à La Libre Pensée. D’Act-up ! au CIRC (mouvement pour la légalisation du cannabis). Des squats à la Ligue des droits de l’homme. Des écologistes mais pas la tendance Waechter, plutôt les verts quand ils sont d’extrême gauche, aux situationnistes. De l’extrême gauche marxiste révolutionnaire aux mouvements de libération sexuelle. En effet, il semble qu’il y ait là une partie de ce peuple d’une gauche libertaire, écologiste et « révolutionnaire » (1). Même s’ils sont nombreux à n’adhérer à aucune organisation libertaire, mais aussi à aucune autre organisation ou association non libertaire (34 réponses sur 140, ce qui est en effet un nombre important). Ces derniers sont-ils pour autant des individualistes dans le sens traditionnel du terme ? Pas forcément, même si une personne dit adhérer au MMM (Moi-Même Mouvement), et d’autres ne se sentir proches d’aucun mouvement politique. Or, parmi elles, il y a soit des personnes ne participant à aucune organisation anarchiste spécifique non plus, soit des personnes pour qui au contraire, l’appartenance à un groupe anarchiste semble être suffisante. La diversité libertaire, on la retrouve aussi dans les manifestations auxquelles ils participent. En effet, ils vivent dans une optique d’engagement constant, comme ce militant de la Fédération Anarchiste Francophone (FA) affirmant participer à toutes les manifestations et à toutes les activités organisées par les anarchistes. Mais ils sont aussi présents dans la rue lors des nombreuses manifestations, à côté de la gauche et l’extrême gauche. Dans l’année où ce questionnaire a circulé (mars 1995-mars 1996), ils ont participé aussi à des manifestations écologistes, contre les essais nucléaires, ou au col du Somport contre la construction du tunnel. Ils ont été présents ou organisateurs de manifestations antifascistes, pour l’avortement, contre l’exclusion, contre Pasqua (lorsqu’il était ministre de l’Intérieur), ou encore pour soutenir les luttes au Chiapas, la liberté en Algérie, le droit au logement, etc. Ils/elles se déplacent pour participer à des manifestations mais aussi aux colloques et aux nombreuses conférences et débats (ou projections vidéos suivies de débat) organisés par les collectifs libertaires sur des thèmes aussi divers que l’espéranto, la médecine alternative, la révolte psychédélique, la science et l’anarchie. À propos de ces débats, la liste est très longue. Ce qui représente, en réalité, un nombre incalculable d’heures de discussion. À Lyon, par exemple, la librairie la Gryffe et la Plume noire (la librairie gérée par des membres de l’Union locale de la FA) organisent plusieurs dizaines de débats par an. Mais, parmi les libertaires ayant répondu au questionnaire, il y en a aussi une dizaine indiquant n’avoir participé, ces dernières années, à aucune manifestation, ni à aucun débat. Parmi ceux-ci, il y a des personnes ayant milité quelque temps activement à la fin des années 60 et au début des années 70. Aujourd’hui, ils continuent de montrer un intérêt, un attachement pour les idées libertaires mais il se concrétise surtout à travers la lecture de quelques livres, de journaux, et/ou par des relations amicales plus ou moins suivies avec des militants ou des personnes continuant à fréquenter le milieu. Enfin, mêlées aux autres anars il se peut que dans des moments exceptionnels, ils/elles participent à des manifestations importantes comme, par exemple, celles de décembre 95, contre la venue du Pape, etc. Les réponses reçues à nos questions semi-ouvertes nous montrent un mouvement non dogmatique. Pourtant, des positions dogmatiques ou sectaires demeurent et peuvent se lire entre les lignes de quelques-unes d’entre elles. Par exemple, à la question : Quel est le groupe, l’organisation libertaire dont vous vous sentez le plus proche, une militante répond : Mon organisation me suffit. Et c’est la même réponse qu’on obtient à la question concernant les groupes non libertaires.
D'après: http://mondialisme.org
D'après: http://mondialisme.org
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