Remarques sur la critique de l’Aufklärung
chez Adorno et Horkheimer
chez Adorno et Horkheimer
L’Aufklärung n’a jamais été critiquée plus radicalement que dans la Dialectique de la raison – ni avant ni après la parution de cet ouvrage. C’est ce qui fait l’actualité permanente ainsi que la fascination (oscillant entre identification enthousiaste et refus farouche) que le livre exerce jusqu’à aujourd’hui. Manifestement, la Dialectique de la raison marque une limite de la critique devant laquelle la conscience bourgeoise recule, car elle devrait alors se mettre en question fondamentalement. Les deux auteurs eux-mêmes ont toujours éprouvé une certaine appréhension devant les conséquences de leur pensée. Horkheimer finit même par retourner dans le giron de l’Aufklärung et de la démocratie occidentale. Et si Adorno n’a jamais révoqué sa critique, on trouve chez lui aussi, dans ses œuvres tardives, d’évidentes traces de freinage. Au fond, la Dialectique de la raison constitue le témoignage d’une critique qui, prenant peur d’elle-même, se rétracte toujours partiellement. Tout au moins en partie, son mouvement argumentatif n’est pas inhérent à la dialectique de la chose mais va jusqu’à résister à celle-ci. Je vais ici essayer de le montrer et d’en dévoiler les causes – en tant que condition préalable pour que la critique de l’Aufklärung soit pensée jusque dans ses conséquences ultimes.
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La critique de l’Aufklärung faite par Horkheimer et Adorno vise essentiellement le formalisme de la raison tel qu’on le trouve exprimé le plus purement chez Kant, c’est-à-dire l’indifférence de la raison à l’égard de tout contenu particulier et la subordination de la matière sous la forme que la raison suppose. Dans ce formalisme réside l’origine de l’hybris du sujet à l’égard de l’objet, hybris qui constitue tout à la fois la prison du sujet : aussi longtemps que l’objet qui est affirmé essentiellement comme identique à la nature extérieure et (surtout) intérieure n’apparaît que comme quelque chose qui doit être soumis, le sujet ne pourra se libérer, lui, de la contrainte aveugle de la seconde nature : la domination. La raison formaliste se révèle donc comme principe de domination, le contraire de l’émancipation. Et c’est précisément en cela qu’elle se révèle étroitement liée à son prétendu adversaire, la « contre-Aufklärung » ou l’irrationalisme. Ceux-ci ne sont nullement « ce qui est radicalement différent » et encore moins quelque résidu de la pensée d’avant l’Aufklärung ; ils représentent le côté obscur de la raison et lui sont inséparablement liés.
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Cet article a paru en décembre 2002 dans la revue allemande Krisis « Contributions à une critique de la société marchande ». Texte traduit de l’allemand par Wolfgang Kukulies et Luc Mercier.
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