samedi 10 avril 2010

LES CANUTS

Commençons en chanson:  
Pour chanter Veni Créator
Il faut une chasuble d'or

Pour chanter Veni Créator
Il faut une chasuble d'or
Nous en tissons pour vous gens de l'église
Et nous pauvres canuts n'avons pas de chemise

C'est nous les canuts
Nous sommes tout nus

Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous pauvres canuts sans drap on nous enterre

C'est nous les canuts
Nous sommes tout nus

Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Et l' on entend déjà la révolte qui gronde

C'est nous les canuts
Nous n'irons plus nus

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Le 22 novembre 1831, à Lyon. Les ouvriers prennent possession de la caserne du Bon Pasteur, pillent les armureries. Plusieurs corps de garde de l’armée ou de la garde nationale sont attaqués et incendiés. Les ouvriers se rendent maître de la ville, qui est évacuée par les autorités. La bataille est rude. Environ 600 victimes dont environ 100 morts et 263 blessés côté militaire, et 69 morts et 140 blessés côté civil.
Le 23 novembre 1831, à Lyon. Les ouvriers occupent l’Hôtel de Ville. Une tentative de gouvernement insurrectionnel voit le jour. Mais, soit par manque de projet politique, soit par la ruse des autorités, ces dernières reprendront le contrôle de la ville à partir du 2 décembre 1831. Une armée de 26 000 hommes, 150 canons commandée par le fils du roi et le maréchal Soult, mate la rébellion. Il y a 600 morts et 10 000 personnes sont expulsées de la ville.

- À l’origine de ces révoltes... :
Vers 1825, un industriel propriétaire d’une filature possède des métiers à filer du modèle A qui fabriquent 100 broches à l’heure. Admettons, le salarié qui s’occupe de cette machine est payé 10 F de l’heure, soit 10 centimes par broche.
Deux ans plus tard, l’évolution technologique met sur le marché des métiers à filer qui produisent 200 broches à l’heure. Les gains de productivité du capital technique sont importants et les industriels qui ne possèderont pas ces nouveaux métiers seront inévitablement battus par ceux qui les utiliseront. L’industriel, pour se développer, doit donc être parmi les premiers à pouvoir acheter ces nouvelles machines s’il n’est pas capable de fabriquer lui-même des machines innovantes. De manière à conserver cette capacité à investir et à suivre le progrès technologique, il va imposer le calcul suivant :
- La machine va produire 200 broches mais le salarié n’a rien à voir dans ce progrès technologique, il va continuer à être payé 10 F de l’heure mais rien ne pourra l’empêcher de calculer son nouveau tarif aux pièces : celui-ci sera divisé ici par deux, il passera à 5 centimes par broches. Ce nouveau tarif sera injustement apprécié au regard des manipulations qui vont doubler et fatiguer d’autant le salarié. Les canuts vont se révolter en lançant ce slogan qui sera repris tout au long du XIXème siècle : « le tarif ou la mort ». Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant !

Le 9 avril 1834, à Lyon, débute la seconde insurrection des Canuts. Après l’échec des grèves de février puis le vote de la loi contre les associations ouvrières, le jugement des meneurs de février, ce 9 avril, met le feu aux poudres.

« Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant »    

L’armée occupe la ville et les ponts, mais déjà les premières fusillades éclatent avec la troupe, qui tire sur la foule désarmée. Aussitôt, les rues se couvrent de barricades. Les ouvriers organisés prennent d’assaut la caserne du Bon-Pasteur, et se barricadent dans les quartiers en en faisant de véritables camps retranchés, comme à la Croix Rousse. C’est le début de la « Sanglante semaine ».
De nouvelles fusillades ont lieu avec la troupe. Les insurgés s’emparent du télégramme, du quartier de la Guillotière, puis de Villeurbanne où les casernes sont prises. Le drapeau noir flotte sur Fourvière, St Nizier et l’Antiquaille.
Le 11 avril 1834. Les combats se poursuivent. Le quartier de la Croix Rousse est bombardé par la troupe qui a reçu des renforts, massacre de tous les habitants de l’immeuble de la rue Transnonain. Tentatives d’insurrection à Saint Etienne et à Vienne.
Le 12 avril 1834. La troupe attaque et prend le quartier insurgé de la Guillotière, après avoir détruit de nombreuses maisons avec l’artillerie. Le 14 avril 1834. L’armée reconquiert progressivement la ville et attaque pour la troisième fois le quartier de la Croix Rousse, massacrant de nombreux ouvriers. Le 15 avril 1834.Fin de la « Sanglante semaine ». La deuxième grande insurrection des Canuts est matée dans le sang. Plus de 600 de victimes sont à nouveau à déplorer. 10 000 insurgés faits prisonniers seront jugés dans un « procès monstre » à Paris en avril 1835, et condamnés à la déportation ou à de lourdes peines de prison.


Les canuts sont des artisans de la soie ayant une grande qualification professionnelle et dont le métier est reconnu par l’aristocratie qui porte les résultats de leurs travaux. Ruinés par les nouveaux ateliers industriels installés dans la banlieue de Lyon qui produisent plus et à moindre coût et la crise économique de 1830, ces artisans n’ont plus comme choix que de s’embaucher comme ouvrier dans ces nouvelles usines ou rester chez eux à travailler 18 heures par jour. Devenir salarié et ne plus être son propre patron passerait encore s’ils étaient associés au développement de leurs usines mais l’application de ces règles du calcul du salaire au pièce ou du tarif horaire va leur faire comprendre la nature exacte des règles de ce nouveau système industriel.
Suffisamment instruits en calcul de gestion, ils vont refuser ce système et se révolter comme cela se passait quelques décennies plus tôt sous la Révolution. Le tarif sinon il vaut mieux préférer mourir que d’accepter cette spoliation du travail : la revendication ne pouvait pas être plus légitime, justifiée qu’elle était par l’augmentation des cadences.
La monarchie va réprimer cruellement cette révolte. Les frères de Louis XVI et les nobles ont là une occasion de prendre leur revanche. Ils vont appliquer le droit de propriété individuelle de 1789 et en cela ils vont respecter ce droit fondamental obtenu par le peuple français mais ce droit va servir maintenant à fonder leur monopole sur la propriété des moyens de production et les profits tirés des gains de productivité. Une armée royale de 26 000 hommes mettra fin à la première révolte de 1831. En 1834, lors de la seconde révolte, l’armée devra tirer au canon pour réduire les insurgés.
Le capitalisme viendra systématiser ce mode de calcul : la fixation du salaire doit être libre en fonction du marché afin de respecter le droit de propriété individuel des entrepreneurs. Alors que l’exode rural s’installe au profit des usines et des villes, ceux qui refusent la diminution du tarif doivent s’en aller et laisser place aux paysans qui se présentent aux portes des usines et qui eux seront bien obligés d’accepter le nouveau tarif, surtout s’ils ne connaissent rien au monde de l’usine.
L’épreuve de force de 1831 menée par les industriels ne réussit que par la peur de la Monarchie de revoir les révoltes populaires instaurées une nouvelle république capable de protéger la propriété du travail des citoyens et remettre en place une propriété collective organisée par la communauté des ouvriers.
L’armée devint ainsi, mieux que la religion catholique, le véritable défenseur du système de pouvoir. En préférant se reposer sur les soldats plutôt que sur les salariés, le pouvoir s’engagea aussi dans une voie criminelle qui allait lui permettre de sacrifier de plus en plus de soldats pour conforter son système.
La révolution de 1848 instaurera les Ateliers Nationaux, véritable retour à une propriété collective pour les ouvriers mais les lois économiques et la concurrence du système capitaliste, le manque d’esprit d’entreprise parmi la population depuis le départ des protestants, ne permettront pas à cette révolution d’aboutir à un réel progrès.
Plutôt que de voir le retour de la Monarchie, le peuple et l’armée préféreront le retour à un pouvoir napoléonien. La république bourgeoise de 1871 poursuivra cette voie et sans scrupule massacrera la Commune de Paris et toute discussion sur son système de pouvoir au service des capitalistes.   



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