vendredi 26 février 2010

Documents Situationnistes 4

suite Documents Situationnistes 4

 1. J.F.MARTOS – p 240.s HISTOIRE DE L'INTERNATIONALE SITUATIONNISTE
Lorsque le 16 mai, par une brève déclaration, le Comité d'Occupation appela « à l'occupation immédiate de toutes les usines en France et à la formation de Conseils Ouvriers », l'indignation comme l'inquiétude des cadres des petits partis gauchistes fut portée à son comble. Mais comme les occupations d'usines s'étendaient à tout le pays, à partir de l'exemple de Sud-Aviation, ces bureaucrates furent bien contraints d'entériner ensuite - quoique sans renier leur hostilité aux Conseils - ce qu'ils qualifiaient encore d'« aventuriste » la veille. Cependant les intrigues des groupuscules, comme l'indifférence ou la passivité de l'assemblée générale à leur égard, mirent fin à l'expérience de démocratie directe dans la Sorbonne, qui tirait justement sa force de cette seule formule: « tout le pouvoir à l'assemblée générale. » Le Comité d'Occupation de la sorbonne, réélu en bloc par l'assemblée générale du 15 au soir, vit disparaître sur la pointe des pieds la majorité de ses membres, qui pliaient devant les manœuvres et les tentatives d'intimidation d'une bureaucratie informelle s'employant à ressaisir souterrainement la Sorbonne (U.N.E.F., M.A.U., J.C.R., etc.). Les Enragés et les situationnistes se    trouvèrent donc avoir la responsabilité du Comité d'Occupation les 16 et 17 mai. L'assemblée générale du 17 n'ayant finalement pas approuvé les actes par lesquels ce Comité avait exercé son mandat, et ne les ayant du reste pas davantage désapprouvés (les manipulateurs empêchèrent tout vote de l'assemblée), «Nous avons aussitôt déclaré que nous  quittions la Sorbonne défaillante, et tous ceux qui s'étaient groupés autour de ce Comité d'Occupation s'en allèrent avec nous: ils allaient constituer le noyau du Conseil pour le maintien des occupations 1» Dans le deuxième Comité d'Occupation, élu après le départ des éléments révolutionnaires, « jamais plus il ne fut question de faire réélire chaque jour par l'assemblée ses délégués quarante personnes, dont une dizaine de  situationnistes  et d'Enragés (parmi eux Debord, Khayati, Riesel, Vaneigem) . Assemblée générale délibérant en permanence, le C.M.D.O. se proposait de maintenir dans la suite de la crise le programme de la démocratie de Conseils, inséparable d'une extension quantitative et qualitative du mouvement des occupations2. Il assura un grand nombre de liaisons avec les entreprises, des travailleurs isolés, des Comités d'action, des groupes de province notamment à Nantes, Bordeaux et Toulouse -, ainsi qu'avec l'étranger.
Outre un certain nombre d'affiches, de chansons et de bandes dessinées, le C.M.D.O. publia, à des tirages atteignant 200 000 exemplaires grâce à l'activité révolutionnaire des grévistes des imprimeries occupées, plusieurs documents. C'est d'abord un Rapport sur l'occupation de la Sorbonne, le 19 mai. Puis, le 22, Pour le pouvoir des Conseils Ouvriers, qui affirme notamment: « les ouvriers peuvent prendre le dessus, en parlant pour eux-mêmes, et en prenant conscience de revendications qui soient au niveau du radicalisme des formes de lutte qu'ils ont déjà mises en pratique [...] Dans quelques jours peut-être, l'obligation de remettre en marche certains secteurs de l'économie sous le contrôle ouvrier, peut poser les bases de ce nouveau pouvoir, que tout porte à déborder les syndicats et partis existants. Il faudra remettre en marche les chemins de fer et les imprimeries, pour les besoins de la lutte ouvrière. Il faudra que les nouvelles autorités de fait réquisitionnent et distribuent les vivres. »
Enfin, le 30 mai, l'Adresse à tous les travailleurs déclare:
« Comme nous avons fait danser Paris, le prolétariat international va revenir à l'assaut des capitales de tous les États, de toutes les citadelles de l'aliénation [...] Un mouvement profond porte presque tous les secteurs de la population à vouloir un changement de la vie. C'est désormais un mouvement révolutionnaire, auquel ne manque plus que la conscience de ce qu'il a déjà fait, pour posséder réellement cette révolution [...] Ceux qui déjà ont repoussé les accords dérisoires qui comblaient les directions syndicales ont à découvrir qu'ils ne peuvent pas . obtenir. beaucoup plus dans le cadre de l'économie existante, mais qu'ils peuvent tout prendre en en transformant toutes les bases pour leur propre compte. Les patrons ne peuvent guère payer plus ; mais ils peuvent disparaître. » Le C.M.D.O. convint de se dissoudre le 15 juin. Il « n'avait rien cherché à obtenir pour lui, pas même à mener un quelconque recrutement en vue d'une existence permanente. Ses participants ne séparaient pas leurs buts personnels des buts généraux du mouvement. C'étaient des individus indépendants, qui s'étaient groupés pour une lutte, sur des bases déterminées, dans un moment précis; et qui redevinrent indépendants après elle 3».
Conscients des nombreuses faiblesses du mouvement - « spontané et émietté, ignorant son propre passé et la totalité de ses buts » -, les situationnistes se sont défendus d'avoir jamais répandu d'illusions sur ses chances d'un succès complet. « Une victoire durable de la révolution n'était à nos yeux qu'une très faible possibilité, entre le 17 et le 30 mai. Mais, du moment que cette chance existait, nous l'avons montrée comme le maximum en jeu à partir d'un certain point atteint par la crise, et qui valait certainement d'être risqué 4. » « L'histoire [...] ne trouvera pas de meilleurs textes, comprenant si bien l'événement et en prévoyant plus clairement les suites, au jour le jour et pour toute une Période historique, que les principaux écrits alors diffusés massivement par l’IS et le Conseil pour le maintien des occupations [...] Le moment révolutionnaire concentre tout le possible historique de l'ensemble de la société dans trois ou quatre hypothèses seulement, dont on peut voir clairement évoluer à mesure le rapport de forces, la croissance ou le renversement; alors qu'ordinairement la routine de la société est imprévisible - sauf dans sa vérité générale où elle peut être reconnue comme cette routine déterminée, et où l'on peut prévoir de la sorte la ligne principale de sa continuation -, parce que cette routine, elle, est le produit d'une infinité de processus dispersés, dont les développements singuliers et les interactions sont incalculables à l'avance 5».
2. G. DEBORD - p 144.s LA VERITABLE SCISSION DANS L’INTERNATIONALE
Le 15 mai 1968, Vaneigem, arrivé à Paris la veille seulement, contresignait la circulaire Aux membres de l'I.S., aux camarades qui se sont déclarés en accord avec nos thèses, laquelle appelait à l'action immédiate sur les bases les plus radicales de ce qui allait devenir, dans les deux ou trois jours suivants, le mouvement des occupations. Cette circulaire analysait le déroulement des premières journées de mai, disait où nous en étions (notamment au Comité d'Occupation de la Sorbonne), envisageait les possibilités prochaines de la répression, et même l'éventualité de la « révolution sociale » . La première usine était occupée depuis la veille, et à cette date le plus imbécile membre du plus arriéré des groupuscules ne pouvait pas douter qu'une crise sociale très grave avait commencé. Cependant Vaneigem, beaucoup plus instruit, dès qu'il eut apposé sa signature à notre circulaire, s'en alla l'après-midi même prendre son train pour rejoindre le lieu de ses vacances en Méditerranée, arrêtées de longue date. Quelques jours plus tard, apprenant à l'étranger, par les mass média, ce qui continuait comme prévu en France, il se mit naturellement en devoir de revenir, traversa à grand-peine le pays en grève, et nous rejoignit une semaine après son ridicule faux-pas, quand déjà les jours décisifs, où nous avions pu faire le plus pour le mouvement, étaient passés. Or, nous savons bien que Vaneigem aime vraiment la révolution, et que ce n'est d'aucune manière le courage qui lui fait défaut. On ne peut donc comprendre ceci qu'en tant que cas-limite de la séparation entre la routine rigoureuse d'une vie quotidienne inébranlablement rangée et la passion, réelle mais fort désarmée, de la révolution.
3. Ch. BOURSEILLER (dit la crapule) – p 274 VIE ET MORT DE GUY DEBORD
Le 16 mai à 15 heures, le virtuel Comité d'occupation se réunit néanmoins dans la salle Jules- Bonnot », et publie le document suivant : « Camarades, L'usine Sud-Aviation de Nantes étant occupée depuis deux jours par les ouvriers et les étudiants de cette ville, le mouvement s'étendant à plusieurs usines (NMPP-Paris, Renault-Cléon et autres), le Comité d'occupation de la Sorbonne appelle à l'occupation immédiate de toutes les usines en France et à la formation de conseils ouvriers. Camarades, diffusez et reproduisez au plus vite cet appel.» L'ennui, c'est que le Comité est dépourvu de tout moyen matériel, et ne peut aucunement exercer son influence. Usant une nouvelle fois de sa popularité, René Riesel décide de jouer son va-tout. Il lance des appels à l'aide depuis les fenêtres de la « salle Jules-Bonnot » et parvient à former une bande, qui « réquisitionne » des ronéos, et obtient de la « commission radio » que la sonorisation diffuse le message à intervalles réguliers. Devant la mauvaise volonté des « ingénieurs du son », les Enragés finissent par s'emparer purement et simplement de la sono. D'autres prennent le contrôle des téléphones et envoient le communiqué à l'AgenceFrance Presse.
Le texte du Comité d'occupation déclenche un véritable scandale. Les membres non situationnistes et non Enragés du Comité clament qu'ils ont été trahis. Alain Krivine, de la Jeunesse communiste révolutionnaire, tente d'accéder à la sono pour critiquer le message. Il est refoulé et ne peut davantage entrer dans la « salle Jules-Bonnot ». Le 16 mai 1968, les Enragés qui contrôlent le Comité d ' occupation mènent une guerre farouche contre les groupes d'extrême gauche. Ils utilisent avant tout la technique de l'intimidation et la force. Toute la journée, ils multiplient les tracts et tiennent le micro, en attendant le soir où doit se tenir une nouvelle et décisive assemblée générale, qui pourrait confirmer leur prise de contrôle.
Mais la situation évolue d'heure en heure. Apprenant dans l'après-midi que les ouvriers de Renault ont débrayé, une majorité d'étudiants décide d'organiser une marche spontanée sur Billancourt. Du coup, l'assemblée générale est repoussée, tandis que la majorité des Enragés et situationnistes participe à l'une des deux manifestations qui traversent Paris dans la soirée pour se heurter aux grilles closes des usines Renault. La jonction étudiants-travailleurs n'a pas lieu. Le 17 mai 1968, les étudiants  repartent vaillamment à l'assaut de Renault, drapeaux et banderoles déployés. De nouveau, les portes refusent de s'entrouvrir. Toutes ces péripéties retardent  encore la fameuse assemblée générale, qui se déroule enfin le 17 au soir, dans un indescriptible désordre: la sonorisation ne marche que par à-coups et semble choisir avec soin les orateurs qu'elle diffuse. Des militants de la Fédération
des étudiants révolutionnaires (trotskiste lambertiste) tentent de s'emparer de la tribune, présidée par un membre de l'UNEF. Le Comité d'occupation de la Sorbonne est attaqué de toutes parts: a-t-il réclamé la libération des fous ? Imprime-t-il à l'occupation un style « Saint-Germain des Prés» ? Voyant que l'assemblée ne risque pas de renouveler le mandat du Comité, constatant par ailleurs que les décisions « techniques » sont prises par les organisations d'extrême gauche, Enragés et situationnistes abandonnent la Sorbonne. Immédiatement, la FER se rue sur la tribune. Un nouveau Comité d'occupation est élu. Il comprend des militants de la Jeunesse communiste révolutionnaire (trotskiste franckiste) et de l'Union des Jeunesses communistes (marxistes-Iéninistes) (maoïste), ainsi qu'un bon nombre de membres de l'UNEF. Les lambertistes n'y participent pas. Le nouveau Comité d'occupation de la Sorbonne reste en place jusqu'au 15 juin 1968. Le premier Comité d'occupation de la Sorbonne n'a finalement exercé ses chaotiques activités que du 14 au 17 mai 1968, soit trois jours pleins. Il a eu le temps d'envoyer aux Bureaux politiques des Partis communistes de Chine et d'Union soviétique le télégramme suivant, en date du 17 :
« Tremblez bureaucrates stop Le pouvoir international des conseils ouvriers va bientôt vous balayer stop L 'humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste [...]. » Du début à la fin, Guy Debord participe aux activités du Comité, aide à définir ses principaux mots d'ordre: « Occupation des usines. Le pouvoir aux conseils de travailleurs. Abolition de la société de classes. A bas la société spectaculaire- marchande. Abolition de l'aliénation. Fin de l'université.

 
  
  

 

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