L’essence étrangère et les organes du cerveau:
Extrait de Robert Kurz, dans le livre aujourd’hui épuisé, Lire Marx. Les textes les plus importants de Karl Marx pour le XXIe siècle. Choisis et commentés par Robert Kurz, La Balustrade, Paris, 2002, pp. 123-127.
L’autre Marx, le Marx ésotérique, celui de la critique radicale catégorique se discerne bien moins nettement en ce qui concerne la critique du travail. Sur ce point, Marx semble généralement en accord avec le marxisme positiviste du mouvement ouvrier. De longs passages de son argumentation présentent le travail comme une évidence, comme une nécessité naturelle éternelle ou interprètent le travail comme une entité supra-historique de l’homme. Marx suit ici le mouvement ouvrier historique qui voit dans le travail le propre de la condition humaine, « déformé » par le capital à des fins extérieures et usurpatrices.
Toutefois, ce n’est pas un hasard si Marx ne s’est jamais laissé aller à glorifier le travail, les mains calleuses, à exalter l’éthique protestante du travail accompli et la « création de valeur » par le travail, comme ce fut couramment le cas ensuite dans les syndicats, les partis ouvriers sociaux-démocrates et communistes, avec toute l’iconographie et la symbolique qui s’y rapportent. Car, dans de nombreux textes de Marx, le travail évolue discrètement vers quelque chose de négatif en soi. La critique du travail capitaliste est formulée de telle façon qu’il semble incroyable qu’on vienne ensuite appliquer cette même notion de travail en tant qu’essence humaine positive suprahistorique contre le capitalisme.
Le problème réside dans le caractère abstrait de la notion de travail. Le travail en soi, le travail en général, le travail en tant que dépense abstraite d’énergie humaine : cette conception n’a de sens que si l’on y voit une forme d’activité du système capitaliste moderne de production marchande pour des marchés anonymes. Et, comme Marx l’a lui-même démontré dans l’analyse de la marchandise, il ne s’agit absolument pas seulement d’une abstraction dans le sens idéal et verbal, mais d’une « abstraction réelle » sociale. Le calcul des entreprises et les hommes qui produisent sous l’emprise de cette logique de la valorisation de l’argent font effectivement abstraction, même pratiquement, du contenu sensible et matériel, du sens ou du non-sens humain et des conséquences de leur activité incessante pour la société et pour les fondements naturels de la vie. Il ne s’agit toujours que de la même fin en soi : l’énergie humaine se transforme en argent et l’argent amène toujours plus d’argent. Abstraite et vide, on a l’équation des contenus réels les plus variés (dont certains sont destructeurs): argent en tant que fin en soi = travail abstrait du processus de travail capitaliste. Symboliquement et avec une limpidité involontaire, un conseil d’entreprise a résumé cette équivalence abstraite en une formule paradoxale : « Pour réussir, il faut croire en quelque chose, peu importe en quoi ».
En exprimant par la notion négative de « travail abstrait » le caractère indifférent et abstrait de la production capitaliste, Marx prononce déjà un jugement sur la notion positive de travail en général, car, en fin de compte, le « travail » est une abstraction qui ne signifie rien d’autre.
Le travail salarié de l’employé rentre dans cette notion de travail (abstrait), sans toutefois, l’épuiser. Celle-ci comprend aussi l’activité des capitalistes et du management, c’est-à-dire qu’elle s’étend à la totalité des classes et des groupes de la hiérarchie des fonctions capitalistes. Les possesseurs du capital dans le sens initial du terme ainsi que les simples managers ou « capitalistes de fonction » ne sont pas inactifs, ils dépensent également de l’énergie humaine qui, comme celle des ouvriers salariés, s’applique directement ou indirectement à la production marchande du processus de valorisation et prend donc un caractère de travail abstrait. De même que la concurrence, le travail abstrait constitue un système de références commun s’étendant à toute l’humanité déterminée par le capitalisme, indépendamment des différences de fonction, de salaire et de richesse en argent.
L’autre Marx, le Marx ésotérique, celui de la critique radicale catégorique se discerne bien moins nettement en ce qui concerne la critique du travail. Sur ce point, Marx semble généralement en accord avec le marxisme positiviste du mouvement ouvrier. De longs passages de son argumentation présentent le travail comme une évidence, comme une nécessité naturelle éternelle ou interprètent le travail comme une entité supra-historique de l’homme. Marx suit ici le mouvement ouvrier historique qui voit dans le travail le propre de la condition humaine, « déformé » par le capital à des fins extérieures et usurpatrices.
Toutefois, ce n’est pas un hasard si Marx ne s’est jamais laissé aller à glorifier le travail, les mains calleuses, à exalter l’éthique protestante du travail accompli et la « création de valeur » par le travail, comme ce fut couramment le cas ensuite dans les syndicats, les partis ouvriers sociaux-démocrates et communistes, avec toute l’iconographie et la symbolique qui s’y rapportent. Car, dans de nombreux textes de Marx, le travail évolue discrètement vers quelque chose de négatif en soi. La critique du travail capitaliste est formulée de telle façon qu’il semble incroyable qu’on vienne ensuite appliquer cette même notion de travail en tant qu’essence humaine positive suprahistorique contre le capitalisme.
Le problème réside dans le caractère abstrait de la notion de travail. Le travail en soi, le travail en général, le travail en tant que dépense abstraite d’énergie humaine : cette conception n’a de sens que si l’on y voit une forme d’activité du système capitaliste moderne de production marchande pour des marchés anonymes. Et, comme Marx l’a lui-même démontré dans l’analyse de la marchandise, il ne s’agit absolument pas seulement d’une abstraction dans le sens idéal et verbal, mais d’une « abstraction réelle » sociale. Le calcul des entreprises et les hommes qui produisent sous l’emprise de cette logique de la valorisation de l’argent font effectivement abstraction, même pratiquement, du contenu sensible et matériel, du sens ou du non-sens humain et des conséquences de leur activité incessante pour la société et pour les fondements naturels de la vie. Il ne s’agit toujours que de la même fin en soi : l’énergie humaine se transforme en argent et l’argent amène toujours plus d’argent. Abstraite et vide, on a l’équation des contenus réels les plus variés (dont certains sont destructeurs): argent en tant que fin en soi = travail abstrait du processus de travail capitaliste. Symboliquement et avec une limpidité involontaire, un conseil d’entreprise a résumé cette équivalence abstraite en une formule paradoxale : « Pour réussir, il faut croire en quelque chose, peu importe en quoi ».
En exprimant par la notion négative de « travail abstrait » le caractère indifférent et abstrait de la production capitaliste, Marx prononce déjà un jugement sur la notion positive de travail en général, car, en fin de compte, le « travail » est une abstraction qui ne signifie rien d’autre.
Le travail salarié de l’employé rentre dans cette notion de travail (abstrait), sans toutefois, l’épuiser. Celle-ci comprend aussi l’activité des capitalistes et du management, c’est-à-dire qu’elle s’étend à la totalité des classes et des groupes de la hiérarchie des fonctions capitalistes. Les possesseurs du capital dans le sens initial du terme ainsi que les simples managers ou « capitalistes de fonction » ne sont pas inactifs, ils dépensent également de l’énergie humaine qui, comme celle des ouvriers salariés, s’applique directement ou indirectement à la production marchande du processus de valorisation et prend donc un caractère de travail abstrait. De même que la concurrence, le travail abstrait constitue un système de références commun s’étendant à toute l’humanité déterminée par le capitalisme, indépendamment des différences de fonction, de salaire et de richesse en argent.
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